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Utilisation du référé administratif :
décision Hyacinthe

Référé liberté de Mme Hyacinthe
en appel devant le Conseil d'Etat

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Alain-François Roger
Avocat au Conseil d'Etat
et à la Cour de Cassation
Paris

Requête à Monsieur le Président
de la section du contentieux
du Conseil d'Etat

Statuant en référé
par application du § 2 de l'article L 523-1
du Code de justice administrative

Pour : Madame Rose-Michèle HYACINTHE, aujourd'hui hébergée... [adresse].

Contre : Une ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 2 janvier 2001 rejetant sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au Préfet du département de Seine Saint Denis :

  • d'enregistrer sa demande d'admission au séjour,

  • de lui délivrer le document provisoire de séjour prévu par l'article 11 de la loi 52 893 du 25 juillet 1952 modifiée.

La requérante défère l'ordonnance sus-énoncée à la censure de Monsieur le Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat pour les motifs de fait et de droit qui seront ci-après exposés.

I. RAPPEL DES FAITS

1. Madame Rose-Michèle HYACINTHE, de nationalité haïtienne, est arrivée à l'aéroport d'Orly le 30 novembre 2000 afin de rejoindre son compagnon, Monsieur Dillon MAIGNAN, également de nationalité haïtienne, lui-même demandeur d'asile, qui séjourne en France depuis le mois de mai 2000 et dont elle attendait un enfant.

2. Arrêtée par les services de la Police aux Frontières, faute de passeport régulier, Madame HYACINTHE a été immédiatement déférée au Juge répressif suivant la procédure de comparution immédiate.

N'ayant pu obtenir d'être assistée d'un avocat, ainsi qu'elle l'avait demandé, Madame HYACINTHE a été placée en détention provisoire et écrouée à la prison de Fresnes sans aucun égard pour son état de grossesse et à la suite d'un examen médical sommaire.

3. Le 3 décembre 2000, elle donnait naissance, dans sa cellule, à une petite fille dans des conditions sanitaires déplorables et humainement dégradantes.

4. Ayant finalement pu obtenir l'assistance d'un avocat, Madame HYACINTHE a de nouveau comparu devant le Tribunal correctionnel qui l'a condamnée à un mois de prison avec sursis et à deux ans d'interdiction du territoire français.

5. Accompagnée du père de son enfant, elle s'est présentée à deux reprises, les 26 et 29 décembre 2000 auprès des services de la Préfecture du département de Seine Saint Denis afin d'obtenir la remise du formulaire nécessaire à l'introduction auprès de l'OFPRA de la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié.

A deux reprises et devant témoins, la simple remise de ces documents lui a été purement et simplement refusée.

6. C'est dans ces conditions que Madame HYACINTHE a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy Pontoise afin qu'il enjoigne au Préfet de lui fournir les éléments nécessaires à l'examen de sa demande d'admission au séjour en tant que réfugiée et la délivrance d'une autorisation provisoire, le tout sous astreinte de 800 francs par jour de retard.

Par ordonnance du 2 janvier 2001, le Juge des référés a rejeté sa requête par ces motifs :

« Que la circonstance que Madame Rose-Marie HYACINTHE n'ait pu à deux reprises, les 26 et 29 décembre 2000 accéder aux guichets de la préfecture de Seine Saint Denis en vue d'y obtenir une autorisation provisoire de séjour délivrée dans le cas des demandeurs d'asile en attente d'une décision de l'OFPRA, n'est par à elle seule de nature à établir l'existence d'une urgence justifiant que soit prononcée la mesure sollicitée et la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour ».

C'est l'ordonnance attaquée.

DISCUSSION

Il est à peine besoin de rappeler que le nouvel article L 521-2 du Code de justice administrative confie au Juge des référés le soin, « saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, [d']ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ... aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».

Les faits relatés en prologue de la présente discussion illustrent pareille hypothèse :

  • parce que le comportement de l'autorité administrative à l'égard de Madame Rose-Michèle HYACINTHE est manifestement illégal (I) ;

  • que ce comportement a porté une atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales (II) ;

  • qu'il l'expose, à tout moment, à la prise d'une mesure d'éloignement dont il serait pratiquement impossible d'empêcher l'exécution et qu'il est urgent qu'il y soit remédié par toutes mesures appropriées notamment celles figurant au dispositif de la présente requête (III).

I. Le comportement de l'autorité administrative
est ici manifestement illégal

1. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 (art. 33 §1) fait peser sur les Etats qui en sont signataires l'obligation de ne pas refouler les personnes qui demandent à être reconnues réfugiées vers les frontières des territoires où leur vie ou leur liberté est menacée du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leur appartenance à un certain groupe social ou leurs opinions politiques. En application de la Convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile dans l'un des Etats membres des communautés européennes du 15 juin 1990, dite Convention de Dublin (articles 3 et 7), toute demande d'asile présentée à un Etat signataire doit être examinée.

2. L'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 modifiée, dispose ainsi que « l'Office [O.F.P.R.A.] ne peut être saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié qu'après que le représentant de l'Etat dans le département, ou à Paris le Préfet de police, a enregistré la demande d'admission du séjour du demandeur d'asile ».

Et l'article 10 de la loi précise que « l'admission [au séjour] ne peut être refusée au seul motif que l'étranger serait démuni des documents et des visas mentionnés à l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ».

Enfin, aux termes de l'article 11 de la même loi, le demandeur d'asile, lorsqu'il a été admis à séjourner en France en application des dispositions de l'article 10 « est mis en possession d'un document provisoire de séjour lui permettant de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'OFPRA ».

Le Préfet ne peut refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile que pour les motifs limitativement énumérés par cet article 10, soit :

  • si, en application de la Convention de Dublin, l'examen de la demande relève d'un autre Etat signataire de cette convention ;

  • si le demandeur a la nationalité d'un pays pour lequel a été mise en oeuvre les dispositions de l'article 1C5 de la Convention de Genève (clause de cessation) ;

  • si la présence du demandeur en France constitue une menace grave pour l'ordre public ;

  • si la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente.

Encore faut-il relever que ces motifs ne permettent pas de refuser l'enregistrement de la demande de reconnaissance du statut de réfugié en attendant l'instruction de la demande, mais uniquement la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour prévue à l'article 11.

3. Or, il résulte des circonstances sus-relatées et dont la matérialité doit être regardée comme constante pour n'avoir jamais été contestée, que Madame Rose-Michèle HYACINTHE n'a pas même été mise en mesure de formuler sa demande d'admission au séjour. En effet, dès qu'elle a indiqué aux services de la préfecture de la Seine Saint-Denis qu'elle souhaitait déposer une demande d'asile, il lui a été répondu que sa requête était irrecevable au motif qu'elle ne pouvait produire de passeport. Cette fin de non-recevoir, attestée par deux témoins a contraint Mme HYACINTHE à quitter la Préfecture sans autorisation provisoire de séjour et sans les documents que l'administration était pourtant tenue de mettre à sa disposition pour lui permettre d'introduire auprès de l'OFPRA sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié. L'administration s'est mise, de son propre fait, dans l'impossibilité d'enregistrer la demande d'admission ainsi que la loi lui en fait obligation et fait obstacle à l'intervention de l'OFPRA.

Le comportement illicite de l'administration est ici parfaitement caractérisé, puisqu'en éconduisant Mme HYACINTHE, elle a violé les articles 2, 10 et 11 de la loi du 25 juillet 1952 qui lui faisaient obligation, même en l'absence de passeport, d'une part d'enregistrer la demande d'asile, d'autre part de la munir d'un document de séjour afin qu'elle puisse formuler sa requête auprès de l'OFPRA.

Et c'est tout à fait vainement que l'on évoquerait l'une ou l'autre des quatre exceptions à la délivrance d'un titre provisoire de séjour visées à l'article 10 de la loi puisque l'administration n'a pas même daigné prêter attention à la personne de Madame Rose-Michèle HYACINTHE.

II. Le comportement manifestement illicite
de l'administration a porté une atteinte grave
à plusieurs libertés fondamentales auxquelles
Madame HYACINTHE pouvait prétendre

1. La première d'entre elles est évidemment celle du droit d'asile lui-même.

Certes, ce principe de valeur constitutionnelle (C.C. 9 janvier 1980 DS 1980 J. 249 note Auby) connaît-il des aménagements en forme d'exceptions diverses, mais en refusant purement et simplement au demandeur d'asile de faire valoir son droit, l'administration porte atteinte au droit d'asile lui-même en instituant « de facto » et sans aucune base légale, une sorte de refoulement automatique de l'étranger, au risque de l'exposer à la violation de ses droits et libertés fondamentaux dans son Etat d'origine.

2. Plus directement, un tel comportement affecte, dans les circonstances de l'espèce, le droit à la vie familiale garanti notamment par l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Il est acquis aux débats qu'en l'espèce, Madame HYACINTHE s'est rendue en France afin d'y retrouver Monsieur Dillon MAIGNAN, son compagnon et père de son enfant, qui y réside depuis le mois de mai 2000 et dont la demande tendant à se voir reconnaître la qualité de réfugié est en cours d'instruction. Monsieur MAIGNAN, de nationalité haïtienne, a dû quitter son pays en raison des craintes qu'il peut légitimement éprouver à la suite de menaces dont il a été l'objet par suite de son engagement politique.

III. Sur l'urgence

Pour rejeter la requête qui lui était présentée, le premier juge a estimé qu'il n'y avait aucune urgence à ce que Madame Rose-Michèle HYACINTHE soit mise en mesure de se procurer les documents nécessaires à l'introduction de sa demande d'asile.

Cette appréciation ne saurait être approuvée.

1. Dépourvue de toute espèce de document prouvant les démarches qu'elle a entreprises pour accéder au statut de réfugiée, Madame HYACINTHE peut à tout instant être interpellée par la police et être reconduite vers son pays d'origine qu'elle a été contrainte de quitter en raison des menaces pesant sur sa vie et son intégrité physique. Plus concrètement, elle s'expose d'abord à une reconduite à la frontière prononcée par arrêté préfectoral en vertu de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il résulte en effet de la disposition précitée que le préfet peut décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière :

  • si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ;

  • si l'étranger s'est maintenu sur le territoire au delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois...

Par ailleurs, Madame HYACINTHE, qui a été condamnée par le tribunal correctionnel de Bobigny à une interdiction du territoire français de deux ans, peut de ce fait être immédiatement reconduite à la frontière « une interdiction du territoire français emportant de plein droit reconduite à la frontière du condamné » (art. 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945).

Enfin, Madame HYACINTHE, s'étant maintenue sur le territoire dans le but certes de déposer sa demande d'asile mais placée dans l'impossibilité de pouvoir justifier sa démarche, commet le délit réprimé par l'article 27 de la même ordonnance : en vertu de ladite disposition, celui qui se soustrait ou aura tenté de se soustraire à une mesure d'éloignement, quelle qu'elle soit, encourt une peine d'emprisonnement de 3 ans. Ainsi, l'exposition à de tels risques par la faute de l'administration constitue manifestement l'urgence requise.

Elle s'expose en outre, en cas de retour dans son pays à des mesures de représailles sans même qu'elle ait pu faire valoir son droit au statut de réfugié, ce qui conduit de surcroît la préfecture de Bobigny à la méconnaissance de l'article 3 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

Cette situation justifie l'urgence qu'elle invoque.

3. Enfin, en engageant la procédure d'obtention du statut, elle doit recevoir un titre provisoire de séjour qui la rendra elle-même, ainsi que son enfant, éligible à la couverture maladie universelle dont bénéficient, aux termes de l'article R 380-1 du code de la sécurité sociale issu du décret 99-1005 du 1er décembre 1999 « 3° [les] personnes reconnues réfugiées, admises au titre de l'asile ou ayant demandé le statut de réfugié ».

Faute d'avoir été mise en mesure de demander le bénéfice du statut, Madame HYACINTHE et son enfant âgé de quelques semaines seulement se voient donc privés d'une protection dont la nécessité urgente n'échappe à personne.


PAR CES MOTIFS

et tous autres à produire, déduire ou suppléer, même d'office,

PLAISE à Monsieur le Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :

ANNULER l'ordonnance attaquée avec toutes conséquences de droit

ENJOINDRE à Monsieur le Préfet de Seine Saint Denis :

  • de fournir à Madame Rose-Michèle HYACINTHE les documents nécessaires à l'établissement de sa demande d'admission au séjour en tant que réfugiée,
  • d'examiner cette demande,
  • de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

PRESCRIRE ces mesures sous astreinte de 800 francs par jour.

CONDAMNER l'Etat, pris en la personne de Monsieur le Préfet du département de Seine Saint Denis, à payer à Madame HYACINTHE une somme de 10.000 francs au titre de l'article L 761-1 du Code de justice administrative.


Production

  1. Ordonnance attaquée du 2 janvier 2001
  2. Extraits de presse :
    • Libération : 11.12.2000
    • « Elle » : 15.12.2000
    • Libération : 20.12.2000
    • La Croix : 03.01.2001
  3. Requête introductive d'instance
  4. Témoignages de MM. Talles et Alaux
  5. Extrait du registre de l'Etat Civil portant acte de reconnaissance conjointe de filiation naturelle.

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Dernière mise à jour : 17-01-2001 11:52.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/2001/hyacinthe/refere-ce.html


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