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Sortir du piège de la fermeture des frontières

par Jean-Pierre Alaux, janvier 97


        Qui pourrait bien croire, sinon à la sincérité du 
        président de la République dans son engagement contre la 
        xénophobie et le racisme, du moins à la réalité 
        de sa détermination en la matière ? Après avoir, 
        en quelques semaines, indirectement condamné à Auchwitz 
        les propos de Le Pen sur l'inégalité des races, dénoncé 
        certaines attitudes discriminatoires à l'entrée des boites 
        de nuit et regretté les lenteurs de l'administration dans l'instruction 
        des demandes de naturalisation, Jacques Chirac a déclaré, 
        le 10 décembre devant la Commission nationale consultative 
        des droits de l'homme (CNCDH), que « lorsque des attitudes 
        ou des pratiques discriminatoires, des paroles racistes ou xénophobes 
        s'expriment dans notre pays, elles doivent être relevées, 
        poursuivies et sanctionnées ». Que cette dénonciation 
        ait été prononcée devant une CNCDH qui avait jugé, 
        le 14 novembre 96, 
        qu'un projet de loi du ministre de l'intérieur risquait « de 
        faire peser en de nombreux points une menace sur les libertés individuelles » 
        et contribuait à l'apparition de « graves dysfonctionnements 
        donnant naissance à des situations contraires à la dignité 
        humaine, sans pour autant apporter un remède sérieux à 
        l'immigration clandestine et au travail clandestin », permet 
        de s'interroger sur la volonté de M. Chirac. D'autant que, au moment 
        même de cette dénonciation, ce n'est pas un mais deux projets 
        de loi touchant à la politique de l'immigration que les députés 
        durcissaient. 
        

Le texte de Jean-Louis Debré, qui porte « diverses dispositions relatives à l'immigration », prétend régler « des difficultés réelles de mise en oeuvre » de la loi Pasqua. En fait, il n'apporte aucune réponse aux sans-papiers qui ont mis en évidence ces « difficultés », puisqu'il concède chichement une carte de séjour d'un an, dite temporaire, à trois catégories d'étrangers en situation irrégulière — parents d'enfants français, conjoints de Français et jeunes entrés en France avant l'âge de 10 ans — auxquelles la loi reconnaissait logiquement jusqu'alors le droit à une carte de dix ans. Le gouvernement place ainsi dans la précarité administrative des étrangers appelés à vivre durablement en France. Quant aux demandeurs d'asile déboutés de longue date, ils resteront en situation irrégulière. A cette fin de non-recevoir opposée aux sans-papiers, M. Debré ajoute une notable réduction des moyens de défense des étrangers au moment de leur éloignement.

Avec la mise en place du fichage des Français et des étrangers en situation régulière qui demandent à leur mairie un certificat d'hébergement dans la perspective de la visite en France d'un étranger résidant hors de nos frontières, le projet de M. Debré s'engage, par ailleurs, dans une redoutable pédagogie xénophobe. Si, en effet, les demandeurs de certificats d'hébergement sont fichables, c'est qu'ils sont suspects. Et, s'ils sont suspects parce qu'ils invitent des étrangers à venir en France, c'est que les étrangers — issus des pays du tiers-monde, cela va de soi — sont vécus comme des ennemis potentiels de la France.

Il y a là tous les signes d'une sorte d'état de guerre froide, avec ses agresseurs et sa « cinquième colonne », celle des Français connus pour leurs sympathies envers cet adversaire, qu'il faut donc placer sous surveillance. Si guerre il y a contre ces étrangers, elle aura nécessairement ses « héros », ceux qui montent au front contre l'agresseur. Les xénophobes et les racistes tireront, à n'en pas douter, leur épingle de ce petit jeu très dangereux.

Dans le registre de la légitimation et de l'amplification de la peur et donc de la haine des étrangers, le gouvernement n'a pas lésiné sur les moyens à l'occasion de l'approbation d'un autre projet de loi, celui de Jacques Barrot, contre le travail au noir. Quand ce texte est arrivé en conseil des ministres, le 16 octobre, il s'appelait « projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal ». A la sortie du conseil, le « travail illégal » était devenu « travail clandestin ». Nul ne pourra douter de l'intention politique inhérente à ce glissement sémantique. Elle entend conforter certains automatismes erronés de pensée, selon lesquels travail au noir et clandestins iraient ensemble, comme l'avait fait en décembre 1991 le gouvernement d'Édith Cresson. Par bonheur, les députés ont rétabli l'intitulé original. Selon des études récentes, il n'y a pourtant que 6% d'étrangers en situation irrégulière parmi les travailleurs non déclarés. (Voir l'analyse du Gisti sur le projet Barrot)

Dans leurs actes, le président de la République, le gouvernement et la majorité parlementaire poursuivent avec application une entreprise inaugurée en 1974 avec l'instauration du dogme de la fermeture des frontières. Ils vont même au-delà. En s'attaquant aux Français susceptibles de faciliter la visite d'étrangers dans l'Hexagone et en validant sciemment, en dépit de la réalité, la synonymie entre travail au noir et présence d'irréguliers, ils franchissent un pas supplémentaire d'encouragement de l'opinion à la xénophobie.

Les autorités de l'état partagent-elles désormais les convictions du Front national ? A l'exception d'une frange non négligeable de la majorité qui vient de se distinguer à l'occasion du vote du projet de loi Debré (voir les débats parlementaires), il est permis d'en douter. L'émission de signaux contradictoires de leur part tient à ce qu'elles se sont elles-mêmes emprisonnées dans le piège d'un mythe totalement irréaliste, celui d'une immigration zéro ou aussi proche que possible du zéro. Dans le monde contemporain, où injustices et violences sont légion, et où la circulation transfrontière est un acquis méthodiquement développé par les pays industriels qui en tirent des avantages économiques considérables, nul ne parviendra plus à paralyser les flux migratoires sans transformer les sociétés démocratiques en sociétés policières.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Selon l'INSEE, la France comptait 6,6 % d'immigrés en 1931 ; ils sont 7,4 % aujourd'hui, en majorité issus de l'Union européenne. Où est donc l'invasion si souvent annoncée ? Dans ces conditions, ne vaudrait-il pas mieux, prenant à la fois acte de l'état du monde et de la réalité mesurée des flux migratoires, repenser la politique française et européenne de l'immigration en la fondant sur l'acceptation de la liberté de circulation ? Parmi d'autres voix autorisées, la CNCDH vient de le recommander au gouvernement, lui demandant « vigoureusement » que « soit remis en chantier l'ensemble du dispositif législatif relatif aux étrangers ».

Qui dit respect de la liberté de circulation ne dit pas nécessairement dérégulation absolue en matière d'installation, comme le souhaitent les ultra-libéraux dans l'espoir de réduire à néant les droits des salariés. De ce point de vue, le projet de loi de Jacques Barrot contre le travail illégal constituerait à bien des égards un progrès s'il ne succombait pas à la facilité de désigner les étrangers comme les principaux responsables de cette fraude et s'il s'engageait davantage encore dans la répression des employeurs et autres donneurs d'ordre.

De toute évidence, c'est dans cette voie qu'il faut s'engager, complétée par une réorientation de notre politique de coopération en faveur d'un véritable développement dans le tiers-monde. A la différence de toutes les mesures administratives (quotas compris) et policières qui ne changent rien à l'attractivité du marché du travail occidental pour une fraction des pauvres de la planète, une action sur ce levier économique et social agira sur l'une des causes principales du phénomène et permettra sa régulation, ce qui ne veut pas dire sa disparition. Il y aura toujours des aller et des retours à l'échelle internationale. Il y aura toujours des installations définitives.

Il n'y a pas d'autre solution. Le tout répressif mine nos libertés depuis plus de vingt ans sans la moindre efficacité. Et, parce qu'il entretient d'illusoires promesses, il assigne à la xénophobie la fonction d'ultime rempart contre une invasion qui n'a même pas lieu. La xénophobie deviendra résiduelle notamment dès lors :

  1. que la société civile aura appris à considérer les flux migratoires comme un phénomène permanent et normal du monde ;

  2. que la législation permettra la régularisation d'étrangers qui, pour différentes raisons (familiales, protection contre des risques divers, études, santé, insertion manifeste, etc.), ont toute leur place dans la société française 

  3. que ces étrangers pourront accéder à égalité à un marché du travail assaini de l'emploi au noir par une répression systématique des patrons fraudeurs.
Dans ces conditions, le président de la République pourrait un jour n'avoir plus à constater, comme il vient de le faire à juste raison, que « la France n'est sans doute pas irréprochable » en matière d'« indifférence », de « repli sur soi », de « rejet de l'autre », d'« intolérance » et de « haine ».

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Dernière mise à jour : 22-11-2000 11:31.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1997/alaux/piege.html


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