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Sans papiers, sans soutiens ?

Par Jean-Pierre Alaux

Article paru dans Les Inrockuptibles en décembre 98.



Parce que Dominique Voynet a réclamé, le 15 novembre au congrès des Verts, la régularisation « des sans-papiers qui en ont fait la demande », la presse et le monde politique ont aussitôt glosé sur la division de la gauche plurielle. Comme si la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement n'avait pas lourdement insisté sur le fait que « personne ne propose l'ouverture généralisée des frontières ou la régularisation de tous les sans-papiers. Il ne s'agit, selon elle, que de régulariser (...) celles et ceux qui ont déposé une demande en préfecture » [1]. Les observateurs auraient-ils oublié qu'il y a moins de deux ans, la même Dominique Voynet, infiniment plus téméraire, avait publiquement affirmé que « rouvrir les frontières est la condition indispensable d'un changement de politique ». « Il n'y aura pas d'invasion », assurait-elle alors [2].

Contrairement aux idées reçues, Lionel Jospin est donc moins isolé que jamais au sein de la gauche plurielle sur sa politique d'immigration. Avec pas mal de savoir-faire tactique, les Verts cohn-benditisés reculent en faisant mine d'avancer. Avec pas mal d'embarras et de silences, les communistes font profil bas. Quant aux syndicats et aux associations, ils se sont officiellement mis d'accord pour crier d'une seule voix — parfois quand même un peu étranglée par la gêne — « Régularisation des sans-papiers qui en ont fait la demande ! » à la manif quantitativement à peu près réussie du 21 novembre. Mais où sont donc passées les exigences de régularisation globale d'il n'y a pas si longtemps ?

Dans ce contexte frileux, Lionel Jospin a pu mettre en boîte sans risques, le 24 novembre à France-Info, les « certains [qui] voudraient que nous régularisions tous les clandestins », puisqu'il n'y en a plus guère (des certains en question). « Notre politique part d'une idée simple, » a immédiatement enchaîné le premier ministre : « il n'y aura pas de bonne intégration sans maîtrise des flux ». L'analyse est si ancienne et si éculée qu'elle ressemble à un proverbe. C'est Giscard d'Estaing qui l'a rendue célèbre en... 1974 quand il a lancé sa « nouvelle politique de l'immigration » mise en musique par Paul Dijoud.

Selon le secrétaire d'état d'alors, chargé des travailleurs immigrés, « pour assurer l'insertion », il fallait « substituer la maîtrise des flux migratoires à l'anarchie du laisser-faire ». Dans la foulée, il inventa la « politique de réinsertion » qui, grâce à l'attribution d'une aide financière au rapatriement volontaire, « facilitera le retour de ceux qui voudront reprendre leur place dans leur pays » [3]. Vingt-deux ans plus tard, le 4 novembre 1998, Martine Aubry a fait adopter en conseil des ministres une plan relatif au « contrat de réinsertion dans le pays d'origine » supposé donner aux étrangers en situation irrégulière volontaires pour leur rapatriement « les moyens (...) de participer au développement de leur pays ». Bref, la politique bégaye. Et si Giscard d'Estaing faisait, sans le savoir, du Jospin-Chevènement-Aubry en 1974, Jospin, lui, fait aujourd'hui du Giscard en toute connaissance de l'échec de ses prédécesseurs [4].

Lionel Jospin ne peut ignorer qu'il va dans le mur. Il sait que, faute de réussite, Giscard dut recourir, dès 1977, avec la complicité de Christian Bonnet (à l'intérieur) et d'Alain Peyrefitte (à la justice), à une violence qui lui répugne et à laquelle il ne devrait donc pas se résoudre. Il sait que, deux fois ministre sans souci du respect des libertés, Charles Pasqua n'est arrivé à rien non plus, au point que — pince sans rire — il plaide aujourd'hui en faveur des régularisations.

On ne s'interroge plus sur la position des socialistes, qui est dogmatique. Mais on peut s'étonner que les Verts, le PCF, des formations d'extrême gauche, des associations et des syndicats sympathisants — les forces qui font, en gros, que la gauche était plurielle — renoncent à la régularisation de tous les sans-papiers. Serait-ce parce qu'une première élection pointe à l'horizon depuis le retour de la gauche au pouvoir et que, dans ces circonstances démocratiques, il leur semble difficile ou risqué de dire la vérité au corps électoral ? Serait-ce qu'il leur faut ménager plus que de coutume les socialistes ?

Sur les ondes de France-Info, le 24 novembre, les uns et les autres ont pu entendre Lionel Jospin garantir que la police n'irait pas chercher les sans-papiers non régularisés chez eux. Ils l'ont entendu prévoir que « nombreux seront ceux qui retourneront dans leur pays ». « Nombreux », c'est manifestement l'euphémisme vaseux qui permet à un premier ministre conscient de mentir de ne pas tout à fait perdre la face.

L'alternative est claire : ou bien, comme Lionel Jospin et les libéraux, on admet que, dans le marché du travail, les « jobeurs » (petits boulots, travail au noir) français sont trop peu nombreux et qu'il y manque l'apport d'étrangers en situation irrégulière — mais qu'on ne nous parle plus ni d'insertion pour les Français ni d'intégration pour les étrangers —, ou bien on s'oriente vers la régularisation de tous les sans-papiers, qu'ils en aient ou non fait la demande dans le passé. S'il y a régularisation générale, on apure le présent des conséquences du passé et l'on peut s'engager dans une large réflexion, approfondie, sans précipitation, sur les raisons pour lesquelles la fermeture des frontières n'a jamais atteint ses objectifs en vingt-cinq ans de tentatives multiples et peu variées. Après, sans doute sera-t-il possible d'imaginer une politique de l'immigration moins contre-performante.

Notes

[1] Dominique Voynet, « Pas de pluralité sans débat », Le Monde, 20 novembre.
[2] Dominique Voynet, « Pour une autre politique de l'immigration », Les Inrockuptibles, 25 février 1997.
[3] Paul Dijoud, « La nouvelle politique de l'immigration », Le Monde, 27 mars 1976.
[4] Parmi les prédécesseurs, Édith Cresson et son ministre des affaires sociales, Jean-Louis Bianco, qui avaient pratiqué la même politique en 1991-92.

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Dernière mise à jour : 29-11-2000 20:32.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1998/alaux/sans-papiers.html


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