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Kurdes – Réfugiés naufragés de Fréjus

L'Europe et l'exil

Nathalie Ferré
Présidente du GISTI

Cette tribune a été publiée dans L'Humanité du 23 février 2001, en page 23.

Après le drame de Douvres, après le camp de Sangatte [1], véritable zone de non-droit où des étrangers attendent, avec l'encouragement tacite des autorités françaises, de pouvoir franchir illégalement la frontière franco-britannique, le naufrage organisé de plus de 900 boat-people kurdes sur les côtes varoises illustre le nouveau visage de l'exil. Désormais, les déplacements massifs de populations fuyant les zones tourmentées de la planète ne se résument plus aux seules images télévisées sur lesquelles, passé le premier moment d'effroi ou de compassion, notre regard indifférent avait pris l'habitude de ne pas s'attarder ; désormais, le spectacle est sous nos fenêtres, la détresse est palpable, et oblige l'Europe à réagir.

Ne relèvent-elles pas aussi du spectacle, ces déclarations de nos responsables politiques prompts à juger, tout de suite, qu'on ne pouvait accueillir ces « clandestins » victimes des « filières » : « la France fera tout ce qu'elle pourra faire pour être efficace contre ces exploiteurs de la misère humaine » (Daniel Vaillant) ; « le meilleur moyen de lutter contre ces trafics de personnes, ce n'est pas de considérer a priori que tout le monde pourra rester sur le territoire français »... (Bertrand Delanoé) ou encore il est « indispensable que la communauté internationale se mobilise pour prévenir ce type de situation et en sanctionner les responsables » (Jacques Chirac). Comme si ces filières étaient la cause de l'exil et non leur conséquence, comme si le meilleur moyen de combattre les « exploiteurs de la misère humaine » n'était pas de faciliter l'accès à nos pays à ceux qui fuient les persécutions, comme si les principaux « responsables » n'étaient pas nos gouvernants qui, à l'échelle européenne, en multipliant les dispositifs répressifs, rendent encore plus cher le prix du passage, de la même façon que le maintien dans la clandestinité d'étrangers non régularisés permet des trafics de main-d'œuvre et nourrit, dans nos pays, les filières de travail dissimulé.

Derrière l'affaire des Kurdes de Fréjus, ce sont bien les choix de l'Europe en matière de politique migratoire et de politique d'asile qui sont en jeu.

Sur le plan formel, l'attachement des États membres à la Convention de Genève sur les réfugiés, dont on célèbre cette année le cinquantenaire, reste intact. Il a été solennellement réaffirmé lors du sommet européen de Tampere en octobre 1999, dont les conclusions parlaient d'une « Union européenne ouverte et sûre ». Il a été encore consacré dans la Charte des droits fondamentaux adoptée au sommet de Nice en décembre dernier. Pourtant, parallèlement à ces déclarations de principe, les travaux préparatoires à la communautarisation des politiques d'asile, prévue par le traité d'Amsterdam pour l'horizon 2004, traduisent plus le souci de prévenir et dissuader les départs et d'organiser les renvois que de mettre en place une véritable politique d'accueil.

En témoignent de nombreuses mesures, déjà conclues ou en passe de le devenir. Ainsi le règlement « Eurodac », récemment adopté, consiste à mettre en place un fichier commun d'empreintes des demandeurs d'asile (ainsi que de tous les étrangers qui franchissent illégalement la frontière, qui pourraient un jour être demandeurs d'asile...), et ce dès l'âge de 14 ans, afin de faciliter l'application de la Convention de Dublin, dont le principe est l'examen d'une demande d'asile par le premier pays européen par lequel est arrivé le demandeur. Au cours de son mandat qui a pris fin en décembre 2000, la présidence française a lancé une proposition de directive sur l'harmonisation des sanctions à l'égard des compagnies acheminant des passagers démunis des documents requis pour l'entrée, et proposé deux initiatives destinées à mieux définir « l'aide à l'immigration irrégulière » et à « renforcer le cadre pénal » de cette infraction. Dans le même esprit, l'Union a signé avec de nombreux pays tiers des accords de réadmission des étrangers illégaux ayant transité par leur territoire avant d'arriver en Europe. C'est notamment l'un des termes du contrat léonin qui lie les États de la zone ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) avec l'Union, malgré la résistance de plusieurs pays africains. Ainsi peut-on obliger un pays à reprendre des demandeurs d'asile qui sont passés par son territoire, sans considération des garanties que ce pays leur offrira le cas échant. C'est dans le même logique qu'un « groupe de haut niveau Asile et Migrations », a été mandaté par les Quinze pour proposer des plans d'action sur six pays gros « pourvoyeurs » de migrants et de demandeurs d'asile. Plus qu'une stratégie de lutte contre les violations des droits humains qui caractérisent ces pays, c'est encore sous l'angle du contrôles des flux que sont principalement orientés ces plans d'action. Il est vrai qu'il est plus facile de renforcer les dispositifs policiers aux frontières que de protéger les populations afghanes des persécutions des Talibans... Le respect du droit d'asile en Europe, on le voit, est total. Du moment que les demandeurs d'asile restent derrière le cordon sanitaire dont on cherche à l'entourer.


[1] Sur le camp de Sangatte, voir le dossier« Enquête sur les “réfugiés” de Sangatte ».

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Dernière mise à jour : 25-02-2001 16:20.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/2001/ferre/exil.html


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