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Plein Droit n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés : le grand chantier de la “dés-intégration” »

Edito

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Ce qu'il y a de plus troublant dans la surenchère verbale à laquelle se livrent les membres les plus éminents de la classe politique à propos de l'immigration, c'est l'apparente bonne conscience qui les habite. « Nous disons tout haut ce que chacun pense tout bas », prétendent-ils. Comme s'ils ignoraient le pouvoir des mots. Car ce que disent tout haut les gens « d'en haut » encourage chacun à penser tout bas et en toute bonne conscience que ces étrangers exhalent décidément d'étranges odeurs, qu'ils sont envahissants, et que leur sort normal est d'être rapatriés chez eux en charters.

Devant l'émotion soulevée, on bat légèrement en retraite : « Je ne voulais offenser personne », dit l'un, « c'est vrai, concède l'autre, le mot “charters” a une connotation affreuse », tandis que le troisième se lance dans des gloses savantes sur les différents sens du mot « invasion ». Propos d'après-boire, disent les supporters du premier, comme si c'était une excuse ; « parler-cru » d'un Premier ministre qui parle la langue du peuple et qui a le courage d'aborder les problèmes, dit à son tour le Président (comme Le Pen, sans doute, dont un autre Premier ministre socialiste nous avait dit qu'il posait les bonnes questions, à défaut d'y apporter les bonnes réponses ?).

Trève d'exégèse. Face à tant de légèreté de la part de ceux qui nous gouvernent ou aspirent à le faire, on a des raisons de s'inquiéter. Mais le tour pris par le débat public sur l'immigration ne devrait pas nous étonner. Car on assiste aujourd'hui à la répétition exacte d'un scénario déjà expérimenté entre les municipales de 1983 et les législatives de 1986 : escalade du discours, propositions démagogiques de la droite tendant à restreindre l'accès à la nationalité française et à limiter la protection sociale des immigrés, fuite en avant du gouvernement, inquiet de la baisse d'audience de la gauche à l'approche des échéances électorales, et qui tente de frapper l'opinion en recherchant l'effet d'annonce sur la question ultra-sensible de l'immigration.

A réagir comme elle le fait, la gauche prend pourtant le risque, aujourd'hui comme hier, de perdre sur tous les tableaux. Car si l'on voit bien comment le train de mesures, annoncées le 10 juillet dernier et dont certaines sont déjà entrées en vigueur, peut rendre la vie plus difficile à la population immigrée et compromettre encore un peu plus les chances de réussir l'intégration, on peut douter qu'il permette de venir à bout de « l'immigration clandestine ».

Qu'on en juge plutôt.

Le contrôle renforcé sur les visas ?

Les consulats devront, dit-on, se montrer attentifs à la situation financière des demandeurs et vérifier qu'il ne s'agit pas de chômeurs en quête d'un emploi en France. On veut faire croire à l'opinion qu'il est excessivement aisé d'obtenir un visa, alors que l'arbitraire est ici la règle et qu'il laisse les intéressés d'autant plus désarmés que les refus de visa n'ont pas à être motivés. Sans compter que des circulaires non publiées invitent la police des frontières à refuser l'accès du territoire aux étrangers, même munis d'un visa, dont elle soupçonne — sur quels critères, mystère... — qu'ils viennent en réalité en France pour travailler. Et pour boucler le dispositif, on vient de donner aux préfets la possibilité d'abroger le visa d'un étranger s'il se livre à une activité lucrative sans autorisation ou s'il existe des indices concordants permettant de présumer qu'il est venu en France pour s'y établir [1] : mesure complétée par un autre projet de loi en préparation et qui permettra de reconduite l'intéressé à la frontière immédiatement, sans attendre, comme y oblige la législation en vigueur, l'expiration d'un délai de trois mois après son entrée en France. L'Etat de droit est bien malade lorsqu'une autorité administrative peut discrétionnairement supprimer une autorisation sur de simples présomptions !

L'enregistrement par lecture optique des entrées et des sorties aux frontières en vue de détecter les faux touristes ayant dépassé le séjour de trois mois auquel ils ont droit ?

S'il s'agit de les détecter à leur sortie, le bénéfice est mince ; et si l'on veut les détecter alors qu'ils sont encore en France, il faut avoir conscience de ce que cela suppose : un fichage généralisé de tous les étrangers pénétrant sur le territoire français, une multiplication effrénée des contrôles dans les lieux publics ainsi qu'au domicile des intéressés, l'affectation massive de forces de police à cette mission, des quartiers en état de siège permanent. Est-ce souhaitable, est-ce acceptable ?

Resserrer le contrôle sur les certificats d'hébergement exigés des familles rendant visite au travailleur installé en France, comme vient de le faire un décret du 30 août 1991 ?

Là encore, c'est laisser croire que ces certificats s'obtiennent trop aisément, alors que les intéressés rencontrent les pires difficultés pour les obtenir, certaines communes subordonnant leur visa à des conditions exorbitantes et illégales, d'autres refusant carrément tout visa. Ce qu'on cherche en réalité à faire, c'est à donner une apparence de légalité à ces pratiques abusives.

La suppression du droit au travail pour les demandeurs d'asile, qui est chose faite depuis une circulaire du 26 septembre ?

Contraire à la Convention de Genève, guère dissuasive pour les demandeurs d'asile, comme l'a montré l'exemple des pays voisins, cette mesure contribuera en fait à alimenter le travail clandestin, puisqu'on ne voit guère comment les intéressés pourront vivre avec la seule allocation de 1300 F par mois qu'on leur allouera.

Une loi supplémentaire contre le travail clandestin ?

Chacun sait que dans ce domaine ce ne sont pas les textes qui manquent — depuis quinze ans, l'arsenal répressif n'a cessé de s'étoffer — mais la volonté et la capacité de les appliquer : par manque de personnel, en partie, mais surtout en raison de l'absence de détermination politique réelle de lutter contre un phénomène qui contribue à faire prospérer de larges secteurs de notre économie.

En se laissant entraîner sur le terrain choisi par la droite et en jouant avec les tendances xénophobes latentes de l'opinion, la gauche est donc aujourd'hui comme hier doublement condamnée à échouer : à la fois dans sa prétention irréaliste de juguler « l'immigration clandestine », dont le spectre constamment brandi détourne l'attention des véritables priorités, et dans son entreprise de reconquête de l'opinion et des suffrages des électeurs. En faisant de surcroît — et là est le plus inquiétant — le lit de l'extrême-droite.

Dans un tel contexte, il était sans doute illusoire d'espérer voir le problème des demandeurs d'asile déboutés trouver une solution acceptable ; mais les conditions de régularisation fixées par la circulaire du 23 juillet sont encore en-deçà des prévisions les plus pessimistes. Pour les intéressés, et pour le mouvement associatif qui soutenait leurs revendications, ce n'est assurément pas une victoire. Mais il n'est pas certain pour autant que le gouvernement ait fait un bon calcul : après comme avant la circulaire, le problème reste entier, puisque l'écrasante majorité des 100 000 déboutés n'entrent pas dans les critères extrêmement restrictifs de la circulaire ; or on voit mal comment, même dans le contexte actuel, le gouvernement pourrait procéder à la reconduite à la frontière de dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles un nombre non négligeable vient de pays vers lesquels on devrait éprouver quelque hésitation à les renvoyer. Puissent au moins les tragiques événements survenus récemment au Zaïre et en Haïti faire prendre conscience au gouvernement et à l'opinion du caractère parfois hâtif des décisions prises par l'OFPRA et des contradictions de la politique française en matière d'asile !


[1] Il s'agit d'un décret du 1er octobre 1991, paru au JO du 6 octobre.

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Dernière mise à jour : 4-12-2000 23:08.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/15-16/edito.html


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