Article extrait du Plein droit n° 47-48, janvier 2001
« Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien »

Une France qui se protège des persécutés

Jean-Pierre Alaux

Permanent au Gisti.
« Un droit d’asile amené à devenir exemplaire dans toute l’Europe ». C’est ainsi que le ministère de l’intérieur présentait, en juin 1998, le nouveau dispositif sur l’asile mis en place par la loi Chevènement. Si l’exemple que veut donner la France est celui d’une protection optimum contre les demandeurs d’asile, alors notre système est vraiment un modèle.

L’asile en France ? Une « machine à “fabriquer” des clandestins  ». Telle est l’appréciation contenue dans le très officiel avis (13 novembre 2000) du député Louis Mermaz (Parti socialiste), exerçant en qualité de rapporteur pour la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République à l’Assemblée nationale [1] dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2001.

Et pourtant, on avait profité de la « loi Chevènement » pour réformer l’asile. Dans son rapport de 1997 au premier ministre [2], qui devait inspirer la nouvelle modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945, Patrick Weil avait expliqué que tout le mal venait de la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés et du Conseil d’État. « En France, le statut de réfugié ne peut être obtenu que dans le cas où l’agent de persécution est un État  », observait Patrick Weil. De ce fait, constatait-il, « certaines situations humaines d’une extrême gravité ne paraissent […] pas susceptibles de trouver une réponse adéquate dans le dispositif actuel. La France n’est alors pas en mesure d’accomplir la totalité de la mission d’asile politique définie par le préambule de sa Constitution ou d’accueillir certaines personnes particulièrement menacées. Ainsi, [en est-il] par exemple, dans le cas de l’Algérie, des démocrates persécutés par des mouvements islamistes intégristes […]. De même, lorsqu’une situation de guerre civile ou inter-ethnique s’installe dans un pays, l’agent persécuteur ne peut plus être identifié à l’État  ». Ces lacunes avaient conduit Patrick Weil à préconiser la création d’un « asile territorial ».

Pour ne pas compliquer encore une réglementation que Patrick Weil trouvait si complexe qu’elle en était, selon lui, devenue inapplicable, on aurait pu inscrire bêtement dans la loi que le statut de réfugié serait désormais reconnu quel que soit l’agent de persécution. Mais les charmes, sans doute, d’un statut précaire de plus (carte d’un an – pas automatiquement renouvelable – à l’« asilé territorial » au lieu de la carte de dix ans due au réfugié statutaire) ont fait pencher la balance en faveur de la solution la plus compliquée.

A la complication, Jean-Pierre Chevènement a ajouté la limitation. Les décisions de protection « territoriale » sont, en effet, prises dans « des conditions compatibles avec les intérêts du pays  » (la France, bien sûr). Et, pour que l’intérêt du pays soit parfaitement servi, il revient au ministre de l’intérieur lui-même de statuer, après consultation du ministre des affaires étrangères. Les décisions – surtout les négatives – n’ont pas à être motivées. Bref, le dispositif permet davantage de protéger la France des victimes de persécutions que d’assurer la protection de ces persécutés par la France.

Les résultats n’ont pas tardé à s’établir à la hauteur du verrouillage. Le bilan rendu public en décembre 1999 pour l’année 1998 faisait état de 8 réponses favorables aux 224 premières demandes, soit un taux de 3,57 % [3].

Pour 1999, le ministère de l’intérieur estime le nombre des demandes à 8 323 [4]. Sur 6 463 décisions prises, le taux d’éligibilité pour le Maghreb et les pays francophones s’établit à 6,8 % ; pour les autres pays du monde, il est de 3,3 %. La comptabilité de l’asile territorial en 1999 ne fait donc pas apparaître d’amélioration par rapport à l’année précédente dans un contexte d’explosion de la demande. L’Office des migrations internationales (OMI) a fait, quant à lui, passer 292 visites médicales à des étrangers (dont 242 à des Algériens) qui lui ont déclaré recevoir une carte de séjour au titre de l’asile territorial. Comme seuls les lauréats subissent cet examen, on a une bonne idée du nombre absolu de protégés par l’asile territorial. La moyenne générale approximative tourne autour de 4,5 % (nombre de visites médicales par rapport au nombre de demandes examinées).

Le résultat confirme à quel point la France sait se préserver des persécutés. ;

Cuisine statistique à l’OFPRA : comment 5 % de réponses positives deviennent 20 %



Si l’on en croit leur présentation par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), les scores cumulés de l’« asile conventionnel » (Convention de Genève) et « constitutionnel » (autre invention de la « loi Chevènement ») tournent autour de 20 % de réponses positives au cours des dernières années.

1998 : 22 500 demandes -> 80 % rejets

1999 : 31 000 demandes -> 80 % rejets

2000 : 40 000 demandes -> nombre de rejets inconnu
(probabilités)

Ces chiffres bruts sont aussi enjoliveurs que les statistiques de la Corée-du-Nord. Ils incluent, en effet, les statuts donnés aux membres des familles des réfugiés statutaires, qui obtiennent le statut « par héritage ». La catégorie de loin la plus nombreuse est celle des enfants mineurs de réfugiés qui, à leur majorité, doivent étrangement demander le statut alors qu’ils l’ont déjà. Ce qui permet à l’OFPRA de gonfler artificiellement de 50 % le volume de ses « accords ». A cela s’ajoute l’intégration par l’OFPRA, dans ses propres chiffres, de ses propres décisions négatives annulées par la Commission de recours des réfugiés (CRR) qui, de ce fait, deviennent positives. Or, ces annulations de la CRR sont aussi nombreuses que les décisions positives prises par l’OFPRA sur le fond [5].

Si l’on soustrait ces deux tricheries, on arrive à un taux réel de reconnaissance du statut de réfugié par l’OFPRA un peu supérieur à 5 %.

Le fait que, de façon constante, année après année, la moitié des reconnaissances de statuts de réfugiés décidées sur la base d’un examen au fond incombe à la CRR – qui n’est pourtant pas téméraire – prouve que l’OFPRA s’obstine à refuser de suivre la jurisprudence de la juridiction qui dit le droit en matière d’asile, ce qui serait pourtant de son devoir. De toute évidence, il est, pour l’Office, un devoir supérieur : celui de rejeter les demandes.

Les tripatouillages de chiffres à l’OFPRA sont à ce point connus des pouvoirs publics – qui se gardent d’imposer la moindre réforme – que Louis Mermaz, dans son avis récent publié par l’Assemblée nationale (voir l’article précédent), évite de reprendre les données de l’Office. Il écrit justement qu’« à peine 5 % des demandeurs obtiennent le statut de réfugié  ». Gageons qu’il ne tardera pas maintenant à faire en sorte que les chiffres de l’OFPRA soient bientôt sincères et véritables.

J. P-A.




Notes

[1Avis n° 2628.

[2Patrick Weil, « Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration », la Documentation française, août 1997, 175 pages, 85 F.

[3Haut Conseil à l’intégration, Rapport du groupe permanent chargé des statistiques – Année 1998 (à demander au HCI, 56, rue de Varenne, 75007 Paris – Tel 01 42 75 85 70).

[4Lettre du 20 juin 2000 du directeur des libertés publiques et des affaires juridiques (au ministère de l’intérieur) au directeur de l’association Forum Réfugiés de Villeurbanne. Louis Mermaz (voir note 1) compte, lui, 6 984 demandes en 1999 et 6 % d’acceptations.

[5Luc Legoux, « Les pépites d’or de l’OFPRA », Plein Droit, n°44, décembre 1999.


Article extrait du n°47-48

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Dernier ajout : mardi 6 mai 2014, 11:18
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