Article extrait du Plein droit n° 47-48, janvier 2001
« Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien »
Une France qui se protège des persécutés
Jean-Pierre Alaux
Permanent au Gisti.
L’asile en France ? Une « machine à “fabriquer” des clandestins ». Telle est l’appréciation contenue dans le très officiel avis (13 novembre 2000) du député Louis Mermaz (Parti socialiste), exerçant en qualité de rapporteur pour la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République à l’Assemblée nationale [1] dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2001.
Et pourtant, on avait profité de la « loi Chevènement » pour réformer l’asile. Dans son rapport de 1997 au premier ministre [2], qui devait inspirer la nouvelle modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945, Patrick Weil avait expliqué que tout le mal venait de la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés et du Conseil d’État. « En France, le statut de réfugié ne peut être obtenu que dans le cas où l’agent de persécution est un État », observait Patrick Weil. De ce fait, constatait-il, « certaines situations humaines d’une extrême gravité ne paraissent […] pas susceptibles de trouver une réponse adéquate dans le dispositif actuel. La France n’est alors pas en mesure d’accomplir la totalité de la mission d’asile politique définie par le préambule de sa Constitution ou d’accueillir certaines personnes particulièrement menacées. Ainsi, [en est-il] par exemple, dans le cas de l’Algérie, des démocrates persécutés par des mouvements islamistes intégristes […]. De même, lorsqu’une situation de guerre civile ou inter-ethnique s’installe dans un pays, l’agent persécuteur ne peut plus être identifié à l’État ». Ces lacunes avaient conduit Patrick Weil à préconiser la création d’un « asile territorial ».
Pour ne pas compliquer encore une réglementation que Patrick Weil trouvait si complexe qu’elle en était, selon lui, devenue inapplicable, on aurait pu inscrire bêtement dans la loi que le statut de réfugié serait désormais reconnu quel que soit l’agent de persécution. Mais les charmes, sans doute, d’un statut précaire de plus (carte d’un an – pas automatiquement renouvelable – à l’« asilé territorial » au lieu de la carte de dix ans due au réfugié statutaire) ont fait pencher la balance en faveur de la solution la plus compliquée.
A la complication, Jean-Pierre Chevènement a ajouté la limitation. Les décisions de protection « territoriale » sont, en effet, prises dans « des conditions compatibles avec les intérêts du pays » (la France, bien sûr). Et, pour que l’intérêt du pays soit parfaitement servi, il revient au ministre de l’intérieur lui-même de statuer, après consultation du ministre des affaires étrangères. Les décisions – surtout les négatives – n’ont pas à être motivées. Bref, le dispositif permet davantage de protéger la France des victimes de persécutions que d’assurer la protection de ces persécutés par la France.
Les résultats n’ont pas tardé à s’établir à la hauteur du verrouillage. Le bilan rendu public en décembre 1999 pour l’année 1998 faisait état de 8 réponses favorables aux 224 premières demandes, soit un taux de 3,57 % [3].
Pour 1999, le ministère de l’intérieur estime le nombre des demandes à 8 323 [4]. Sur 6 463 décisions prises, le taux d’éligibilité pour le Maghreb et les pays francophones s’établit à 6,8 % ; pour les autres pays du monde, il est de 3,3 %. La comptabilité de l’asile territorial en 1999 ne fait donc pas apparaître d’amélioration par rapport à l’année précédente dans un contexte d’explosion de la demande. L’Office des migrations internationales (OMI) a fait, quant à lui, passer 292 visites médicales à des étrangers (dont 242 à des Algériens) qui lui ont déclaré recevoir une carte de séjour au titre de l’asile territorial. Comme seuls les lauréats subissent cet examen, on a une bonne idée du nombre absolu de protégés par l’asile territorial. La moyenne générale approximative tourne autour de 4,5 % (nombre de visites médicales par rapport au nombre de demandes examinées).
Le résultat confirme à quel point la France sait se préserver des persécutés. ;
Cuisine statistique à l’OFPRA : comment 5 % de réponses positives deviennent 20 %
J. P-A. |
Notes
[1] Avis n° 2628.
[2] Patrick Weil, « Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration », la Documentation française, août 1997, 175 pages, 85 F.
[3] Haut Conseil à l’intégration, Rapport du groupe permanent chargé des statistiques – Année 1998 (à demander au HCI, 56, rue de Varenne, 75007 Paris – Tel 01 42 75 85 70).
[4] Lettre du 20 juin 2000 du directeur des libertés publiques et des affaires juridiques (au ministère de l’intérieur) au directeur de l’association Forum Réfugiés de Villeurbanne. Louis Mermaz (voir note 1) compte, lui, 6 984 demandes en 1999 et 6 % d’acceptations.
[5] Luc Legoux, « Les pépites d’or de l’OFPRA », Plein Droit, n°44, décembre 1999.
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