ODSE - Observatoire du droit à la santé des étrangers

Inclure l’Aide médicale de l’Etat (AME) dans le régime général de Sécurité sociale
Comment combattre les idées reçues ?

1- Qui sont aujourd’hui les bénéficiaires de l’AME ?

Les bénéficiaires de l’AME sont des personnes en grande précarité qui résident depuis plus de trois mois en France et dont les revenus sont inférieurs à 720 euros par mois.

Comme les autres personnes précaires, ils sont plus souvent exposés à des risques de santé en raison de leurs conditions de vie (hébergement précaire, ressources, insalubrité, vie à la rue, précarité énergétique etc.). Or, les bénéficiaires de l’AME ont un accès plus tardif aux soins alors même qu’ils peuvent présenter des pathologies plus graves que l’ensemble des assurés sociaux [1].

Aujourd’hui, le budget annuel de l’AME de droit commun représente 0,47% du total de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) [2].

2- Pourquoi fusionner alors qu’une aide existe déjà ?

◦ Pour répondre à un enjeu de santé publique de prévention et d’accès aux soins

L’existence du double régime a des conséquences très concrètes dans l’accès à la prévention, à la vaccination et aux soins. Les bénéficiaires de l’AME ne sont pas des assurés sociaux, ils n’ont pas l’obligation d’avoir un médecin traitant et sont donc exclus d’emblée des programmes de prévention de la CNAM (programme M T Dents, programme de prévention de la santé bucco-dentaire, pour les enfants, les adolescents et les femmes enceintes ; campagnes de dépistage systématique des cancers du côlon et du sein ; campagnes intermittentes pour le dépistage du cancer du col de l’utérus ; programme Sophia pour l’accompagnement des malades chroniques : diabétiques et asthmatiques etc.).

Alors que la prévention est aujourd’hui affichée comme un objectif majeur de la politique de santé, en exclure des personnes en précarité donc particulièrement exposées à des problématiques de santé est particulièrement inadapté en matière de santé publique.

Par ailleurs, comme le montre le dernier rapport de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde, ces populations sont peu vaccinées, puisque à peine un tiers des patients sont à jour pour la coqueluche, la rougeole, la rubéole et les oreillons, tandis qu’un sur deux est vacciné contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la tuberculose.

Enfin, les bénéficiaires de l’AME n’ont pas de carte vitale ce qui induit des démarches administratives plus lourdes que pour les détenteurs de carte vitale, parfois et encore trop souvent prétextes à des refus de soins de la part des professionnels de santé.

◦ Pour faire réaliser des économies à notre système de santé

Faciliter l’accès aux soins par un meilleur accès aux droits permet d’éviter des surcoûts liés aux retards des soins et protège les finances hospitalières. En effet, le coût de la prise en charge d’une maladie qui atteint le stade de l’urgence est beaucoup plus élevé que celui de son traitement au long cours : plus on tarde à soigner une pathologie, plus les traitements seront lourds, donc coûteux, comme le montrent plusieurs études en France et en Europe. Selon une étude menée dans 3 pays européens, les économies vont de 9 à 69% selon les pathologies et les pays [3]. De plus, les hôpitaux des zones les plus touchées par la précarité, qui aujourd’hui soignent de nombreux bénéficiaires de l’AME, bénéficieront d’une simplification du traitement administratif de ces personnes pour couvrir ces frais par l’assurance maladie. L’intégration de l’AME dans le régime général favoriserait par ailleurs l’accès à la médecine de ville, essentielle pour un dépistage et un traitement précoce des maladies chroniques, et viendrait limiter la convergence vers les services d’urgence hospitaliers, souvent saturés et dont les coûts sont plus importants pour la société.

◦ Pour faciliter le travail des professionnels de santé, du social et des caisses d’assurance maladie par une simplification administrative.

L’existence de dispositifs différents, avec des règles distinctes, induit non seulement des ruptures de droit pour les personnes qui passent d’un statut à l’autre, mais également la co-existence des services au sein des CPAM avec des personnels formés différemment qui ne savent pas toujours répondre aux questions qui concernent l’un et l’autre dispositif. 2018 en fut une nouvelle preuve : pendant des mois et des mois, les CPAM, sur ordre de la CNAM, ont refusé d’accorder aux personnes n’ayant plus de titre de séjour l’accès à leur complémentaire santé pendant douze mois comme le prévoyait pourtant la loi. Ces personnes se sont également vu refuser l’accès à l’AME : ce sont donc des milliers de personnes qui pendant des mois n’ont plus eu accès ni à la CMU-C, ni à l’AME et ont dû avancer des frais de santé.

◦ Parce qu’il est urgent d’enrayer le renoncement aux soins

Les bénéficiaires de l’AME ont accès plus tardivement et plus difficilement à cette prestation d’aide sociale. La complexité des démarches concernant l’AME est soulignée par le Défenseur des droits comme un frein majeur, facteur de renoncement aux droits et aux soins, ainsi que de refus de soins [4].

◦ Parce qu’il est nécessaire de poursuivre les efforts entamés dans la stratégie pauvreté

Il est primordial de poursuivre la politique volontariste de simplification et de fusion des prestations entamée avec l’aide à la complémentaire santé (ACS) par l’intégration de l’AME dans l’Assurance maladie.

◦ Pour mettre fin à l’instrumentalisation politique qui menace chaque année l’AME

Intégrer l’AME dans le régime général de la sécurité sociale lèverait la menace annuelle qui pèse sur cette prestation sociale lorsque le budget de l’AME est examiné au sein de la loi de finances.

Chaque année, la santé des étrangers malades est prise en otage dans l’hémicycle dans des débats qui n’ont que peu à voir avec des enjeux de santé publique, mais bien plus sur la base d’enjeux de postures politiciennes. Au moment de la loi asile et immigration en juin 2018, le groupe LR du Sénat a fait voter un amendement restreignant l’accès aux soins aux seules urgences sans en envisager les conséquences. Le gouvernement et les député.e.s dans leur majorité avaient rétabli le système antérieur.

Aujourd’hui, il est temps de venir recentrer les débats sur les seules questions de santé publique, de santé des personnes et de simplification administrative et d’éteindre par la fusion des dispositifs ces instrumentalisations politiques.

◦ Parce que nos voisins européens l’ont fait : l’exemple de l’Espagne et du retour à un système de santé universel en septembre 2018

En 2012 le Gouvernement conservateur, par un Décret royal, a décidé de restreindre l’accès aux soins des personnes sans papiers aux seules urgences alors qu’elles bénéficiaient préalablement du système de droit commun à l’égal des citoyens espagnols. La justification budgétaire était avancée, la décision s’avèrera idéologique. Une étude épidémiologique réalisée sur 6 ans, 3 ans avant le Décret et 3 ans après a révélé une augmentation de 15% du taux de mortalité de la population migrante sans-papiers entre les deux périodes [5]. Sur la base des constats et d’enjeux de santé publique, et convaincus par les professionnels de santé qui avaient résistés à ces restrictions en matière d’accès aux soins, le gouvernement espagnol a décidé en juin 2018 de réintégrer dans la couverture maladie universelle les personnes sans-papiers.

3- Pourquoi n’est-il pas aberrant de demander une telle réforme ?

Parce que l’AME n’a pas toujours existé. Jusqu’en 1993, aucune condition de régularité au séjour n’était demandée pour pouvoir bénéficier de l’Assurance maladie. C’est par la volonté du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua et la loi d’août 1993, que l’accès à l’Assurance maladie a été conditionné à la régularité du séjour.

En 1999, la Couverture Maladie Universelle (CMU) et l’AME sont créées, la CMU dépendant alors de l’Assurance maladie, l’AME de l’aide sociale. Seuls les étrangers en situation irrégulière en viennent à dépendre de l’Aide sociale via l’AME.

Ce régime différentié vient discriminer les personnes étrangères dans l’accès aux soins, aux yeux des personnels de santé mais aussi auprès du grand public du fait de l’instrumentalisation politique de certains partis et personnalités politiques.

4- Pourquoi cela ne créerait-il pas un appel d’air ?

Parce que les personnes ne viennent pas en France pour se faire soigner. « Historiquement, les études sur la santé des immigré.e.s ont montré un effet de sélection par la « bonne santé » des candidat.e.s à la migration. Cela se traduit par un meilleur état de santé des immigré.e.s comparé aux personnes nées en France, du fait notamment de la moindre fréquence relevée de maladies chroniques. Depuis les années 2000 cependant, cet effet est moindre et l’on observe que l’état de santé des immigré.e.s, sur le territoire français, se dégrade avec la durée de leur résidence. Cette évolution est principalement liée à des conditions de vie moins favorables, qu’il s’agisse du logement, du travail, de l’accès aux services, aux biens ou encore aux soins » [6].

5- Quelles sont les institutions qui préconisent cette réforme ?

 

De l’IGAS à l’Académie de médecine en passant par le Défenseur des droits

De nombreuses institutions se sont prononcées pour intégrer l’AME dans la sécurité sociale : • L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection des finances (IGF) dans des rapports de 2007 et 2010 ; • Le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) ; • Le Conseil national de politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) ; • Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) en 2017.

En mars 2014, dans son rapport sur « Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME », le Défenseur des droits recommandait que « la dualité des dispositifs CMU/AME - aujourd’hui PUMa/AME - soit reconsidérée de façon à simplifier les modalités d’intervention des CPAM, les démarches administratives des professionnels de santé et faciliter l’accès à la médecine de ville des bénéficiaires actuels de l’AME7 ».

Il y a un an, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS pour 2018), le même Défenseur des droits, en audition devant la Commission des affaires sociales, réaffirmait son soutien à cette réforme. Cette même Commission venait de voter à l’unanimité un amendement demandant un rapport du gouvernement au parlement sur la « mise en œuvre de l’intégration [de l’AME] dans l’assurance maladie et de l’accès pour tous à une complémentaire santé pour les plus précaires », montrant par là son intérêt pour une telle réforme.

Plus récemment, l’Académie nationale de médecine, le 20 juin 2017, a dans son rapport intitulé « Précarité, pauvreté et santé » préconisé cette même fusion des dispositifs [7].

6- La coexistence actuelle d’un système assurantiel et celui de l’AME basé sur la solidarité est-elle un obstacle à la fusion ?

Lors des débats parlementaires du PLFSS pour 2018, cette opposition a été présentée comme un obstacle à la fusion par la Ministre de la Santé. Or, notre système de sécurité sociale ne repose pas et n’a jamais reposé sur le seul principe assurantiel. En effet, avant la réforme de la PUMA les bénéficiaires de la CMU « de base » ne versaient déjà aucune cotisation, et étaient donc affiliés sur le principe de la solidarité entre cotisants et non cotisants.

La réforme de la PUMA a encore élargi ce type d’affiliation, toute personne, française ou résidant régulièrement sur le territoire, ayant le droit d’être affiliée en son nom propre sur le seul critère de résidence, sans cotisations liées au travail. Les deux systèmes existant, AME et sécurité sociale sont fondés sur le principe de solidarité, et il serait tout à fait faisable en ce sens d’intégrer les bénéficiaires de l’AME au régime général.

29 novembre 2018

Signataires :

 Fas (Fédération des acteurs de la solidarité)
 MDM (Médecins du monde)
 ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers)
 Uniopss (Union Nationale Interfédérale des œuvres et Organismes Privés non lucratifs Sanitaires et Sociaux)


[2Aujourd’hui, le budget annuel de l’AME de droit commun s’élève à 923,7 millions d’euros, soit 0,47% du total de l’ONDAM fixé le 4 décembre 2017 par le législateur à 195,2 milliards.

[3FRA : Cost of exclusion from healthcare. The case of migrants in an irregular situation, 2015.

Voir aussi : M.Guillon, M.Celse, P.Y.Geoffard : Economic and public health consequences of delayed access to

[4Le défenseur des droits « les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMUc, de l’ACS et de l’AME » Rapport remis au Premier ministre, 2014, 45 pages.


Vous pouvez retrouver ce communiqué sur le site
www.odse.eu.org

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Dernier ajout : mercredi 5 décembre 2018, 11:05
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