I. Le piège des sas
Si vous avez des informations à nous envoyer sur les sas : sas arobase gisti.org
Depuis la mise en place des « sas d’accueil temporaire » et l’application de la circulaire du 13 mars 2023, des associations parisiennes, dont le Gisti, constatent qu’un nombre important de personnes exilées transférées dans ces sas reviennent en Île-de-France où les expulsions de campements s’accélèrent notamment à l’approche des jeux olympiques.
10 sas sont actuellement mise en place dans les régions : Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Centre-Val de Loire, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine.
Des témoignages sur le fonctionnement des sas, notamment au sein de la permanence « réfugié.es la chapelle » à Paris dont le Gisti est membre, participent à une meilleure connaissance des pratiques en cours dans ces hébergements particuliers. De nombreuses personnes exilées sont insatisfaites des conditions des prises en charges, et de l’accompagnement que beaucoup décrivent comme mauvais, voir inexistant.
Tableau récapitulatif des sas (ville, opérateur, bâtiment et nombre de places, situation de l’hébergement d’urgence dans la région et/ou le département, informations sur les sorties de sas)
A. Les sas : un système déguisé de remise à la rue
Des associations présentes sur les campements parisiens, notamment des membres du collectif Le revers de la médaille, dénoncent le système des sas. Pour elles, il s’agit d’une remise à la rue déguisée puisque les personnes sont orientées vers des hébergements d’urgence saturés qui ne pourront pas les accueillir à moins de mettre les personnes déjà logées à la rue. En effet, les personnes restent peu de temps dans ces sas. Et de nombreuses remises à la rue « sèches » sont constatées. C’est un des rouage du nettoyage social de la capitale mis en place et qui s’accélère avec les jeux olympiques.
Dans plusieurs articles de presse, des exilé⋅es et personnels des sas reconnaissent des mises à la rue « sèches » peu de temps après l’arrivée des personnes dans les sas. Dans de nombre cas, les personnes sont envoyées dans les départements alentours et il devient encore plus difficile d’obtenir des informations. Il est difficile de savoir combien de temps elles sont prises en charge et dans quels dispositifs.
Certains sas, ouverts dans la précipitation, semblent avoir du mal à fonctionner. D’autant que dans la plupart des régions visées, les associations tirent la sonnette d’alarme depuis des années sur le manque de places d’hébergement asile ou hébergement d’urgence. De plus, afin de permettre l’ouverture de ces sas, des personnes précédemment hébergées dans ces lieux ont dû être mises à la rue, afin d’accueillir les bus des personnes venant d’Île-de-France.
Il est difficile d’obtenir des données et informations précises sur le fonctionnement de ces sas, qui semble dépendre de l’association opératrice en charge du lieu et des moyens mis en œuvre pour trouver des solutions d’hébergement durable dans le département ou la région après cette étape du sas [1].
De nombreuses personnes exilées se disent insatisfaites des conditions des prises en charges, et de l’accompagnement que beaucoup décrivent comme mauvais, voir inexistant.
B. Un encadrement des lieux à géométrie variable
Pourtant, les cahiers des charges que l’on a pu se procurer prévoient un encadrement et des normes très précises. Par exemple celui du sas de Besançon prévoit (annexe 1 de l’appel à projet) :
- un encadrement par une personne en temps plein pour 15 personnes accueillies
- la présence de l’association 24 heures sur 24
- un accompagnement administratif, sanitaire et social
- l’installation dans un lieu unique et une zone desservie par des transports en commun.
Pourtant, les conditions d’accueil et d’encadrement semblent fortement varier en fonction de la région. Par exemple, à Lyon, Bordeaux, Rouen, Toulouse ou Marseille où les exilé⋅es sont accueillis dans des lieux proches des commerces ou du centre-ville, ce qui n’est pas le cas dans les autres sas. A Montgermont, Beaucouzé, Olivet et Geispolsheim, les sas sont dans des hôtels bas de gamme et parfois vieillissant, dans des zones industrielles, éloignés du centre ville et des commerces.
StreetPress a recueilli le témoignage d’un militant de Strasbourg qui parle du sas de Geispolsheim :
« Un hôtel miteux très difficile d’accès. Il y a un bus qui passe une fois par heure, et pas tout le temps, qui vous dépose à l’entrée d’un chemin lugubre. Il faut marcher 15 minutes le long de l’autoroute. »
Certaines personnes témoignent également de manœuvres pour les forcer à déposer une demande de titre de séjour qui risque fortement d’aboutir à la délivrance d’une OQTF.
Un article du Monde relève le cas d’un couple d’Algériens, ayant reçu une OQTF quelques jours seulement après leur arrivée dans le sas de Geispolsheim, avec leur enfant de 5 mois. La famille retourne donc en Île-de-France. Après cet aller retour catastrophique pour leur situation administrative, ils sont considérés comme ayant quitté volontairement le sas, donc une remise à l’abri leur est refusée par le 115.
Des familles expliquent également avoir été forcées à déposer des demandes d’asile.
Dans un autre article du Monde de juillet 2023, des personnes témoignent de pressions pour obliger les personnes à déposer des demandes de titres de séjour ou des demandes d’asile : « On a pris mes empreintes à la préfecture et donné un récépissé pour une demande de réexamen de ma demande d’asile alors que je ne souhaitais pas faire cela, explique-t-elle. Je n’ai pas d’éléments nouveaux à apporter et je risque une nouvelle OQTF [obligation de quitter le territoire français]. On m’a expliqué que sans ça, je n’aurais pas le droit à un logement et que le 115 [l’hébergement d’urgence] à Bordeaux, c’est pire qu’à Paris, qu’on nous trouve des hébergements pour deux jours seulement. ».
Enfin, les mineurs non accompagnés sont particulièrement visés par l’orientation en sas. En attendant la décision du juge des enfants reconnaissant ou non leur minorité, ils se retrouvent souvent à devoir dormir à la rue. L’État leur propose souvent d’aller en région via le système des sas. Pourtant, non seulement les sas refusent des mineurs car ils ne sont pas prévus pour les accueillir ; mais de plus, en les éloignant de la région parisienne, cela augmente le risque d’être absent à une convocation importante, comme une audience au tribunal. En outre, les mineurs seraient dirigés vers des procédures de titres de séjour pour adultes, pour lesquels ils peuvent recevoir une OQTF alors qu’ils font encore les démarches de reconnaissance de minorité.
Quelques chiffres :
Les ministères ont annoncé un objectif de 7 000 personnes orientées par an vers ces sas. Le 14 novembre 2023, un article publié sur le site de FR3 dénombrait 32 opération de "mise à l’abri" organisée par les autorités cette année en Île-de-France, « avec 5 963 personnes prises en charge en 2023 ».
Les autorités ont procédé au petit matin « à une opération de mise à l’abri pour des personnes dormant à la rue au niveau du secteur du quai d’Austerlitz », dans le 13e arrondissement, ont écrit dans un communiqué commun la préfecture de la région d’Île-de-France et la préfecture de police de Paris.
« Sur les 221 personnes prises en charge au niveau du quai d’Austerlitz, 100 d’entre elles ont été prises en charge et orientées vers des structures d’accueil temporaire en région, ont indiqué ces préfectures. »
Le 12 décembre 2023, un article du Monde parle de l’opération d’évacuation du campement à côté du parc Delphine Seyrig dans le 19e arrondissement qui a eu lieu de 12 décembre 2023 :
Il s’agissait de la 35e opération menée par la préfecture en 2023. Plus de 3 329 personnes ont été orientées vers des sas depuis leur ouverture. Selon la préfecture, plus de 6 300 personnes ont été mises à l’abri en 2023.
Mais le 12 décembre, « "une centaine" de migrants ont été mis à l’abri, après avoir refusé pour la plupart d’être envoyés en province, ont rapporté des associations et la préfecture.
Parmi elles, seize ont finalement accepté d’être transférées vers « le sas de Strasbourg et quatre-vingt-quatre autres ont été placées dans un centre d’accueil en région parisienne ».
« Mardi, « il y avait un bus pour Angers et un pour Strasbourg, mais personne ne voulait y aller », a repris Paul Alauzy. « Si les gens refusent de monter dans les bus alors qu’ils survivent sur des campements sordides sous un pont en plein hiver, c’est bien qu’il y a un problème [quant] à la destination », a-t-il insisté. »
Dans un article du 14 septembre 2023, France info publiait un chiffre sur le taux de personnes qui restent dans ces centres après transfert : « À l’issue de leur passage dans les sas, 20% d’entre eux partent sans que l’on sache ce qu’ils deviennent, a indiqué le ministère du Logement, et 53% d’entre eux sont redirigés vers des centres d’hébergement d’urgence, dans des villes dans lesquels les dispositifs d’aide sont déjà saturés. » Ce chiffre grimpe jusqu’à 40% dans certaines villes comme à Bordeaux.
StreetPress s’est procuré des chiffres mi-novembre 2023 auprès de la préfecture d’Île-de-France et la Drihl (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement) : le taux d’occupation des sas est de 90%, selon la Direction générale des étrangers en France (DGEF) et 46% des migrants orientés sur le 115.
Seulement 38% des personnes ont été orientées vers le dispositif national d’accueil des personnes demandant l’asile (DNA), dispositif complètement saturé depuis des années, dû fait d’une volonté des différentes gouvernement de politique de non-hébergement des demandeurs et demandeuses d’asile.
En février 2024, un article du Monde révèle que : « depuis mai 2023, 52 % d’entre eux ont été orientés vers le dispositif national d’accueil, qui héberge les demandeurs d’asile le temps de leur demande de protection, 32 % vers une place d’hébergement d’urgence, 1 % vers un logement et 1 % vers un programme d’accompagnement vers le logement, détaille la préfecture du Maine-et-Loire. 14 % ont aussi quitté volontairement le sas ou "refusé leur proposition d’orientation" ».
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