Accord franco-britannique sur l’immigration

« Nous, associations et personnes solidaires, dénonçons ce marchandage cynique de vies humaines »

Tribune collective parue dans Le Monde du 8 octobre 2025

Dans une tribune parue dans le journal Le Monde, un collectif de responsables associatifs et de citoyens français et britanniques s’inquiète des conséquences de la mesure « one in, one out », jugée « aussi illégale qu’irréalisable » et plus proche du calcul électoral que du choix pragmatique.

Le 10 juillet, à Londres, lors du 37ᵉ sommet franco-britannique, Emmanuel Macron et Keir Starmer ont annoncé un dispositif rebaptisé par la presse britannique « one in, one out », ce qui signifie littéralement « un qui entre, un qui sort ». Présenté comme une « voie légale et sûre », cet accord réduit en réalité des trajectoires humaines singulières à une opération comptable. Les personnes en exil ne sont plus envisagées comme des sujets de droit, avec leur vulnérabilité et leur singularité, mais comme des unités substituables dans un jeu politique.

Pour chaque personne renvoyée en France après avoir tenté de rejoindre les côtes anglaises en small boat par la Manche, une autre personne, sélectionnée en France, pourra entrer avec un visa au Royaume-Uni. Autrement dit, les deux gouvernements établissent un système d’échange contrôlé, où chaque arrivée irrégulière est compensée par une entrée dite « légale ». Ce mécanisme transforme le droit d’asile en monnaie d’échange, renforce l’externalisation des frontières et piétine l’essence même de la convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Ce mécanisme révèle une rupture profonde avec l’esprit du droit d’asile et des conventions internationales. Avec le « one in, one out », le droit de demander une protection contre les persécutions dépend de l’expulsion d’une autre personne qui, elle aussi, aurait potentiellement besoin d’être protégée. Résultat : des personnes ayant fui des pays comme le Soudan, l’Afghanistan, la Syrie ou encore l’Erythrée sont criminalisées, détenues au Royaume-Uni, puis renvoyées en France, sans qu’elles puissent avoir une quelconque visibilité sur leur avenir. Cette logique absurde transforme un droit fondamental en délit et le devoir de protection en gestion policière.

Pour être « éligible » à l’entrée sur le territoire britannique, les personnes doivent répondre à un certain nombre de critères inapplicables à leur situation. Un exemple parlant, bien qu’il ne soit pas rédhibitoire, consiste à « prioriser » les personnes ayant déjà passé six mois consécutifs au Royaume-Uni, dans une situation administrative régulière et dans les cinq dernières années. Une absurdité criante, sans parler de la lourdeur administrative du processus et du besoin de documents qui empêche les familles de prétendre à ce système. Pendant tout le temps de la procédure, aucune protection n’est garantie en France : pas de statut, pas de droits, pas d’hébergement et une menace permanente d’interpellation et d’expulsion. Et, in fine, une arrivée au Royaume-Uni déterminée par un tirage au sort arbitraire, avec pour les plus chanceux un visa de trois mois, sans possibilité de travailler. Les mineurs non accompagnés, quant à eux, sont exclus du dispositif et laissés hors de toute voie sûre, exposés à des risques accrus, au même titre que les apatrides.

Drames évitables

A cela s’ajoute le règlement Dublin III, qui enferme les personnes exilées dans une impasse : demander l’asile uniquement dans le premier pays européen où leurs empreintes ont été prises, là où l’accueil est souvent indigne et l’avenir inexistant. Pour ces personnes prises dans le piège de Dublin, le Royaume-Uni devient la seule échappatoire. Mais l’accord « one in, one out » ferme aussi cette porte : il exclut toutes les personnes ayant déjà sollicité l’asile ailleurs en Europe. Le verrouillage est total : expulser d’un côté, bloquer de l’autre, refuser partout. Alors, il ne reste qu’une seule option, la plus dangereuse : traverser la Manche. Une femme et deux enfants sont morts il y a quelques semaines, et la semaine dernière nous apprenions encore la découverte d’un corps dans le port de Dunkerque. Voilà où mènent Dublin et « one in, one out » : à des drames évitables, conséquences de choix politiques.

Si cette politique perdure, ce n’est pas parce qu’elle fonctionne, mais parce qu’elle sert les intérêts électoraux des gouvernements successifs des deux côtés de la Manche. Il est plus simple d’agiter les peurs, de désigner l’étranger comme une menace, de mettre en scène une fermeté factice, que d’engager une réforme profonde de l’accueil et du respect des droits fondamentaux. Une telle réforme serait pourtant moins coûteuse et éviterait que des êtres humains ne meurent étouffés dans des camions, se noient dans la Manche ou périssent comprimés dans des embarcations de fortune. Accuser les personnes exilées rapporte des voix et alimente des carrières, alors même que des vies sont sacrifiées. Ce choix délibéré de la facilité et du mensonge est une faillite politique, sociale et morale.

Nous, associations et personnes solidaires à la frontière franco-britannique, dénonçons ce marchandage cynique de vies humaines. Nous refusons que le droit d’asile soit transformé en loterie, qu’on décide qui sera protégé et qui sera rejeté. Nous refusons qu’au nom d’une prétendue « voie sûre », on légalise le renvoi forcé, on organise l’errance et on normalise l’arbitraire. La seule voie sûre est celle qui respecte, sans troc, la dignité et les droits fondamentaux de toutes et tous. Le droit d’asile est inaliénable : il doit être garanti, pas négocié.


Premiers signataires de la tribune :

  • Sophie-Anne Bisiaux, coprésidente de l’association Migreurop
  • Caroline Cottet, présidente du Refugee Women’s Centre
  • Didier Duriez, président du Secours catholique
  • Camille Gourdeau, présidente de la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-es ;
  • Monique Guyot-Berni, présidente de la Cimade
  • Jade Lamalchi, déléguée générale de l’Auberge des migrants
  • Bruno Morel, président d’Emmaüs France
  • Camille Niel, cheffe de mission de Médecins sans frontières
  • Vanina Rochiccioli, coprésidente du Groupe d’information et de soutien des immigré(e)s
  • Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble Alpes

Voir aussi : la liste complète des signataires

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Dernier ajout : jeudi 9 octobre 2025, 15:54
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