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Plein Droit n° 68, avril 2006
« 
(Dé)loger les étrangers »

Introduction :
Les règles de l'inhospitalité

Fanny Petit
Chargée de mission à l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (AITEC)

Si le droit au logement est reconnu depuis la loi Besson de 1990, les autorités publiques ne sont pas contraintes de le garantir [1]. Avec 3,2 millions de personnes mal logées – et ce chiffre double si on prend en compte les situations de grande fragilité [2] – le phénomène n’est pas conjoncturel. Les incendies très meurtriers de l’année 2005 (48 morts, dont 29 enfants), ont rendu visible l’ampleur de cette crise. Ils ne sont malheureusement que le résultat d’une politique continue de précarisation touchant particulièrement les étrangers.

Le parc privé récent, aussi bien locatif qu’en accession à la propriété, devient inaccessible. L’hébergement chez des tiers et la sous-location sont choses courantes, les bidonvilles se (re)déploient aux abords des autoroutes et sous les ponts, l’habitat précaire tend à se banaliser, la rue devient l’ultime « refuge » des victimes de ces choix politiques.

L’accès au logement n’est pas uniquement conditionné par des niveaux de solvabilité très élevés, mais par une série de critères plus ou moins subjectifs (statuts social et familial, état civil et administratif, origine géographique…), qui éloignent très vite ceux qui ne rentrent pas dans les normes du système actuel et renforcent les difficultés des personnes d’« origine immigrée ». Les pratiques de discrimination des bailleurs privés et sociaux pèsent sur les trajectoires résidentielles des étrangers ou présumés tels, et redoublent les effets des inégalités sociales. Les grilles d’analyse xénophobes sont reprises par un certain nombre d’acteurs clés de nos institutions. Les pratiques sélectives des commissions d’attribution rendent l’accès aux logements sociaux des immigrés, appréhendés comme une « catégorie à risques », quasiment impossible. L’idée qu’au-delà d’un certain seuil, le foncier et l’immobilier se dévalorisent montre que la ségrégation fonctionne, y compris au cœur du secteur social de l’habitat [3], et exerce en retour sur les populations un effet de marquage social redoutable.

Les orientations sélectives de l’action publique – « une gestion ethnique du logement » [4] – vont dans le sens d’une négation du droit à la mobilité et aboutissent à la formation de quartiers à forte concentration d’immigrés, captifs d’une offre réduite. Le parc social et la multiplicité des offres locatives devraient avoir un rôle déterminant dans la mise en œuvre du droit au logement et garantir la possibilité, pour chacun, de choisir son lieu de vie et son parcours résidentiel.

Au lieu de cela, le mouvement de retrait de l’État s’opère à plusieurs niveaux. Après la réforme de 1977 consécutive au rapport Barre [5], il se désengage de la construction massive de logements sociaux et ne mène pas de politique de relance d’une offre de logements abordables. A contrario, l’État s’engage dans des politiques de démolition/reconstruction qui contribuent à la privatisation du logement social et diminuent l’offre locative. Mesure emblématique du refus assumé de loger les plus pauvres, la réforme de la loi SRU [6] permet à certaines municipalités de perpétuer leur politique de ségrégation sociale.

Par les lois de décentralisation de 2003, l’État a confié aux élus locaux le soin et les moyens de définir les politiques de peuplement de leurs communes, avec le risque de faire prévaloir sur le droit, des choix politiques de répartition et de préférences ethniques. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet boomerang de la mixité : par souci d’« équilibre », on écarte un certain nombre de personnes, souvent les plus précaires… et au passage on sélectionne celles qu’on veut garder.

Les immigrés, étrangers ou présumés tels, bloqués dans les segments les plus dégradés du logement social, quand ils n’en sont pas interdits d’accès faute de régularité du séjour, se voient dans l’impossibilité d’obtenir une quelconque mobilité résidentielle et s’éloignent progressivement des baux de droit commun.

Si on a longtemps hésité entre traitement spécifique et prise en charge par le droit commun, on bascule aujourd’hui dans une période où l’appartenance à une catégorie de migrants devient déterminante dans l’accès au logement, plus souvent envisagé comme moyen de contrôle que d’insertion. La situation des demandeurs d’asile est à cet égard emblématique : cantonnés dans un dispositif spécifique sous-dimensionné, leur hébergement est de plus en plus vu, non comme la modalité d’un accueil durable mais comme un dispositif permettant de les contrôler et devant favoriser leur expulsion quand ils sont déboutés.

Ces migrations, envisagées comme provisoires, évoquent aussi la vieille rengaine du travailleur immigré dont le séjour est conditionné par son seul statut de travailleur. Le passage d’une immigration temporaire à une immigration durable aurait pourtant dû interroger le devenir des foyers, inadaptés aux mutations qui marquent le vécu des travailleurs immigrés en France. Au contraire, le caractère temporaire de l’offre de logement se renforce, en lien avec les statuts de plus en plus fragiles des étrangers, ces « indésirables oiseaux de passage » [7].

Ne construisant pas assez de logements sociaux, les pouvoirs publics multiplient les offres d’hébergement d’urgence. Ces derniers ne font pas office de relais mais, de plus en plus, le précaire et le provisoire sont prorogés. L’inflation d’une offre plus ou moins mafieuse – les marchands de sommeil – contribue également au développement de logements de seconde zone.

Dans ce contexte, nombreux sont ceux qu’on peut appeler, les « intermittents du logement ». Un peu partout, on observe le retour de l’habitat spontané, comme au milieu du XIXème siècle ou après la Seconde Guerre mondiale, quand les pouvoirs publics, dépassés par l’ampleur de la crise, admettaient la situation. Outre-mer, les récentes destructions des bidonvilles de Guyane ont montré que la régularisation foncière est subordonnée à une sélection des populations.

Un toit est pourtant un droit fondamental, sans lequel l’accès aux autres droits est compromis. Pour certains, ce droit est virtuel, puisque lié à un statut qu’ils n’ont pas ou qu’on ne veut pas leur accorder. La situation des Rroms est ainsi d’autant plus précaire qu’ils sont « exclus de la lutte contre l’exclusion ». Les rares interventions de la puissance publique favorisent leur dispersion dans des résidences sociales pour « leur apprendre à habiter » et « les accompagner » dans leur insertion sociale. On assiste au renouveau des cités de transit, sas d’adaptation, qui deviennent pérennes. De leur côté, les demandeurs d’asile sont réduits à vivre dans la rue. Et ce, dans l’inhumain espoir que ces « réfugiés en orbite », errant d’un pays à l’autre faute de politique d’accueil, retournent de guerre lasse vers les régions qu’ils ont fuies.

Parfois ils rejoignent les sans-papiers ou les étudiants n’ayant pas pu renouveler leurs titres de séjour et trouvent, dans le logement très privé des marchands de sommeil, une solution aussi coûteuse qu’insalubre. Oubliés des statistiques, ils le sont d’une puissance publique qui ne s’intéresse à leurs conditions d’hébergement que lorsqu’il s’agit de faciliter arrestations et expulsions [8].

Tout l’enjeu qui consisterait à renouveler l’approche et la dualité immigration/intégration au profit d’une approche plus souple migrations/territoires semble compromis dans le contexte actuel de contrôle et de répression. On pense fixité là où on devrait penser mobilité, sédentarité là ou on pourrait imaginer circulation. Assignés à résidence, les immigrés se retrouvent bloqués dans leurs parcours résidentiels et les étrangers sont parqués pour être mieux « gérés ». Rien d’étonnant dans un pays qui considère que l’hospitalité peut constituer un délit [9].


Notes

[1] La plate forme pour le droit au logement opposable regroupe plus de 60 organisations et rappelle que l’État est garant du droit au logement. Contact ATD Quart Monde : olivier.nodelanglois@wanadoo.fr

[2] « L’État du mal logement en France », rapport annuel 2006, Fondation Abbé Pierre.

[3] Voir à ce propos les travaux de Patrick Simon, chercheur à l’INED. Entre autres, « Le logement social en France et la gestion des “populations à risques” », Hommes et Migrations, n° 1246, nov-déc 2003.

[4] Voir l’article de Sylvie Tissot et Pierre Tévanian, « La "mixité" contre le choix ».

[5] Sous l’influence du rapport Barre (1977), la politique gouvernementale va préférer à l’aide à la pierre, dévoreuse de budget, une aide à la personne à travers l’APL, avec pour présupposé que la croissance devrait amener les familles à sortir rapidement du système d’aides…

[6] L’article 55 de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain, votée en décembre 2000, impose à toute commune de plus de 3500 habitants, au nom de l’« équilibre », de prévoir au moins 20 % de logement social sur son territoire. Il a été modifié en janvier 2006 afin d’assouplir le quota. L’un des amendements prévoit, par exemple, que les logements HLM achetés par leurs occupants dans le cadre de l’ « accession sociale à la propriété » seront comptés dans le quota de 20 % pendant cinq ans.

[7] Guy Boudimbou, « Stratégies résidentielles des immigrés congolais en France, entre retour et installation », Les Annales de la recherche urbaine, Mobilités, n°59-60, juin 1993.

[8] Que l’on pense notamment aux attestations d’accueil ou aux difficultés faites aux associations qui domiciliaient – sans pour autant héberger – les demandeurs d’asile.

[9] Article L 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers (Ceseda).

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Dernière mise à jour : 12-04-2006 12:56 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/68/introduction.html


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