Article extrait du Plein droit n° 6, janvier 1989
« Les demandeurs d’asile »

RMI : un minimum refusé

Dans les circonstances actuelles, on pouvait prévoir que les demandeurs d’asile resteraient exclus du droit au revenu minimum garanti : toujours cette même crainte, obsessionnelle, qu’une politique trop généreuse n’attire vers la France un flux accru de (faux) demandeurs d’asile... D’autres pays, comme la Belgique, cependant, n’ont pas eu cette attitude frileuse, qui contredit l’esprit, sinon la lettre, de la Convention de Genève.

Face au projet initial du gouvernement, qui réservait le bénéfice du revenu minimum d’insertion aux seuls étrangers titulaires d’une carte de résident ou d’un titre équivalent, et qui consacrait de nouvelles discriminations entre Français et étrangers, les associations se sont mobilisées pour que le droit au RMI soit reconnu sans exclusive, et dans les mêmes conditions qu’aux Français, à l’ensemble des étrangers résidant régulièrement en France [1].

S’agissant des demandeurs d’asile, les associations faisaient remarquer qu’ils attendent souvent trois à quatre ans, voire davantage, avant de recevoir la réponse définitive à leur demande, et que si, pendant cette période d’attente, ils sont dotés d’autorisations provisoires de séjour leur donnant le droit de travailler, il s’agit pour beaucoup d’entre eux d’un droit fictif, compte tenu de la précarité de leur titre qui doit être renouvelé tous les trois mois, de la situation du marché de l’emploi, et de leur mauvaise connaissance de la langue française. Elles demandaient donc qu’ils ne soient pas exclus du droit au revenu minimum d’insertion.

À la trappe

Le rapporteur du projet de loi devant l’Assemblée Nationale, Jean-Michel Belorgey, faisant siennes ces préoccupations, avait déposé au nom de la Commission des Affaires sociales un amendement prévoyant que les demandeurs d’asile pourraient prétendre au RMI au bout d’un an de séjour en France, c’est à dire à partir du moment où ils cessent de percevoir l’allocation d’insertion : proposition raisonnable, puisqu’elle ne pouvait être considérée comme créant un « effet d’appel » supplémentaire et qu’elle apparaissait simplement comme une réponse pratique aux dysfonctionnements actuels de la procédure d’admission au statut de réfugié, qui maintient les demandeurs d’asile pendant des années dans une situation précaire.

Cette proposition n’a même pas été discutée en séance publique. Après que le ministre de l’Intérieur ait fait part de sa crainte que le versement du RMI à des catégories trop nombreuses d’étrangers ne crée un « appel d’air » au-delà des frontières, cet amendement et quelques autres sont passés à la trappe à l’occasion d’un arbitrage entre les représentants du parti socialiste, le groupe parlementaire et le gouvernement. En contrepartie, celui-ci s’est engagé à donner des moyens supplémentaires à l’OFPRA afin qu’il puisse statuer plus rapidement sur les demandes d’asile...

Demander que soit reconnu aux demandeurs d’asile le droit au RMI n’était pourtant pas une revendication irresponsable ou démagogique. Outre des arguments d’opportunité, ou si l’on préfère de simple « humanité », de solides arguments juridiques plaidaient en ce sens. En effet, l’article 23 de la Convention de Genève stipule que « les États contractants accorderont aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire le même traitement en matière d’assistance et de secours publics qu’à leurs nationaux ». Or, compte tenu du caractère recognitif du statut de réfugié, les demandeurs d’asile doivent (devraient...) être considérés comme des réfugiés en puissance et se voir reconnaître, à titre conservatoire, les mêmes droits que ces derniers.

Cette interprétation de la Convention de Genève, penseront certains, est exagérément favorable aux demandeurs d’asile et risque d’ouvrir la porte à bien des abus. C’est pourtant l’interprétation qui a prévalu en Belgique, où le « minimex », créé par une loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d’existence, est versé aux candidats réfugiés ; et lorsque ce versement a été refusé à certains d’entre eux par les centres publics d’assistance sociale (CPAS) dont ils dépendaient, les instances de recours ont annulé ces refus en se fondant tant sur la législation interne (la loi du 8 juillet 1976 prévoit que « toute personne a droit à l’aide sociale », et que « celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine ») que sur l’article 23 de la Convention de Genève : dès lors que l’intéressé est candidat réfugié, qu’il séjourne habituellement sur le territoire de la commune, et qu’il est dans le besoin, il a droit à recevoir « l’aide à laquelle pourraient prétendre des Belges se trouvant dans les mêmes conditions ».

« Une vie conforme à la dignité humaine »

Cette attitude très ferme est d’autant plus remarquable qu’elle a été maintenue même dans des hypothèses extrêmes. Ainsi, la Chambre des recours provinciale du Hainaut a condamné le CPAS de Charleroi à verser à un Ghanéen auquel le statut de réfugié avait été refusé et qui avait reçu l’ordre de quitter le territoire une aide financière équivalente au minimex, estimant qu’en attendant que la mesure d’expulsion soit exécutoire il devait « disposer de moyens suffisants pour mener une vie conforme à la dignité humaine » [2].

La Chambre des recours provinciale de Liège a de même condamné le CPAS de Liège à verser le minimex à des candidats réfugiés, y compris dans l’hypothèse où il était allégué que le demandeur, primitivement installé à Charleroi, était venu à Liège pour percevoir l’aide financière qu’on lui avait refusée à Charleroi. La Chambre des recours ne s’est pas arrêtée à ces considérations, non plus qu’au fait que la ville de Liège, en raison des aides plus avantageuses qui y sont distribuées, connaît un afflux important de candidats réfugiés. Elle a estimé qu’il convenait de s’en tenir à une application stricte des textes, et qu’au demeurant la présence à Liège de l’intéressé était imputable au CPAS de Charleroi qui, en n’exécutant pas ses obligations légales, l’avait poussé à se réfugier sur un territoire où il pouvait prétendre à une aide lui permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine [3].

Tant par l’invocation de l’article 23 de la Convention de Genève que par la reconnaissance du droit de toute personne à disposer d’un minimum de ressources, le droit belge est, en ce domaine, décidément bien en avance sur le droit français !




Notes

[1Et aussi, bien entendu, à tous ceux qui, aux termes de l’ordonnance de 1945, reçoivent de plein droit la carte de résident et/ou ne sont ni expulsables ni reconductibles à la frontière, mais auxquels l’administration refuse abusivement la délivrance de ce titre.

[2Chambre des recours provinciale du Hainaut, 24 février 1988. La décision est reproduite dans Tijdschrift voor Vreemdelingenrecht n° 49, mai-juin-juillet 1988.

[3Chambre des recours provinciale de Liège, 8 décembre 1987 et 18 avril 1988 (même source).


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Dernier ajout : mardi 3 juin 2014, 18:00
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