Article extrait du Plein droit n° 80, mars 2009
« Sans papiers, mais pas sans voix »

Les pratiques de la PAF sur la sellette

Trois tracts et deux affiches dénonçant les pratiques et l’existence de la police aux frontières (PAF). Une plainte déposée par le ministère de l’intérieur pour « diffamation et injures publiques à l’encontre d’un corps constitué de l’État ». Neuf personnes interpellées dont trois poursuivies. Un procès en correctionnelle très médiatisé mobilisant plusieurs centaines de personnes. Une relaxe mais une procédure en appel. Une affaire à suivre.

À Rennes, les politiques d’immigration de plus en plus restrictives – conjuguées aux politiques de redéploiement géographique de l’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile – ont contribué à fabriquer une hausse du nombre de personnes dites sans papiers. Si diverses associations interviennent de longue date sur le terrain de l’immigration, la naissance d’un collectif local de soutien aux personnes sans papiers, en 2002, matérialise l’intention de plusieurs militants d’étendre et de renforcer localement l’opposition aux logiques de « maîtrise des flux migratoires ». Cette opposition se construit contre le travail préfectoral du « service des étrangers » mais aussi contre le bras armé de la chasse aux sans-papiers, à savoir la police aux frontières (PAF).

Cette police, nous dit-on, fait son travail. En pratique, à Rennes aussi, cela signifie : arrestations d’étrangers à domicile, interpellations devant les écoles des parents sans papiers, menottage quasi systématique des étrangers interpellés, arrestations d’étrangers aux guichets des préfectures ou devant les locaux associatifs, irruption dans les procédures de mariages mixtes… Par ailleurs, régulièrement, notre collectif de soutien aux personnes sans papiers reçoit des témoignages de personnes, étrangères ou françaises, qui évoquent des contrôles d’identité douteux, souvent à la gare et dans le métro. Douteux car fondés sur la couleur de peau ou la langue utilisée et ainsi souvent qualifiés de « contrôles au faciès ». C’est pourquoi nous avons toujours jugé important de dénoncer les pratiques – et l’existence même – de la PAF.

Si cette police spéciale a fait l’objet de plusieurs tracts et actions depuis 2002, un nouvel événement a fait à nouveau déborder le vase en mars 2008. En effet, au retour d’une sortie scolaire, sept lycéens étrangers d’une même classe sont contrôlés par la PAF sur ces mêmes critères douteux. L’un est interpellé et placé en rétention après avoir subi des examens médicaux (pileux, génitaux et osseux) visant à contester son âge. Une forte mobilisation du lycée de l’élève a permis de lui éviter l’expulsion et il a pu bénéficier d’une régularisation « humanitaire ».

À la suite de cet événement, le 2 avril 2008, notre collectif organise deux rassemblements visant à dénoncer, à nouveau, les pratiques et l’existence de la PAF. Le premier rassemblement a lieu devant la gare, l’autre devant les locaux de la PAF. Cette action est somme toute « classique » dans sa forme et dans son déroulement : une cinquantaine de personnes rassemblées, diffusion de trois tracts différents et de deux affiches, visibilité par banderoles et présence des médias.

« Diffamation et injures publiques  »

2 C’est en juin dernier que notre collectif apprend qu’une plainte a été déposée par le ministère de l’intérieur pour « diffamation et injures publiques à l’encontre d’un corps constitué de l’État  ». Ce sont les trois tracts et les deux affiches diffusées lors de l’action du 2 avril qui servent de supports à la plainte. Une enquête préliminaire menée par la police judiciaire s’ouvre alors, afin de trouver ceux que la police appelle les « animateurs » du Collectif. Neuf personnes sont auditionnées. Parmi celles-ci, plusieurs sont membres de notre collectif (bien qu’impliquées à des degrés différents) mais deux n’en font pas partie : la directrice de l’association – la Maison internationale de Rennes – qui accueille nos assemblées générales hebdomadaires et la personne qui héberge notre site internet. Toutes ces personnes se retrouvent interrogées sur leur degré de proximité et leurs liens avec notre collectif, sur le nom des participants à l’action du 2 avril ou encore sur leur opinion quant au contenu des écrits incriminés. Des photos et des vidéos sont utilisées durant les auditions pour faire reconnaître les participants à l’action contre la PAF.

Finalement, sur les neuf personnes auditionnées, trois seront poursuivies et accusées d’avoir « proféré des injures publiques envers une administration publique ou un corps constitué, en l’espèce les fonctionnaires du ministère de l’intérieur, par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel en ayant participé à l’élaboration, à la distribution, à la diffusion publique et à la lecture d’un tract et de deux affiches  » (extrait de l’avis d’huissier). Ces trois personnes étaient présentes lors du rassemblement devant la PAF et elles ont été choisies pour les raisons suivantes : avoir lu un des tracts incriminés pour la première ; avoir sonné à l’interphone de la PAF afin que les policiers entendent la lecture du tract pour la seconde ; avoir répondu aux journalistes pour la troisième.

Deux des trois tracts incriminés sont rédigés sur un ton ironique et satirique : l’un met en scène des agents fictifs de la PAF, l’autre expose, sans complexe, leurs pratiques (professionnelles) telles qu’elles ont pu être rapportées par différents témoignages. Le troisième tract explique de manière plus informative ce qu’est la PAF. Si l’on se fonde sur les avis d’huissiers, une bonne quinzaine d’extraits servent de support à la plainte. Morceaux choisis :

« Ben maintenant, on peut interpeller les enfants, les mettre en garde à vue avec leurs parents.  »

« Oui oui, notre métier autorise l’enfermement des enfants.  »

« En plus, si le sans-papiers te fait chier ou est trop bruyant, des fois t’as le droit de le calmer par une petite piqûre ou de l’attacher dans l’avion. »

« Je suis pour se lever tôt, et souvent, dès six heures le matin, à 10 ou 12 de la PAF, on est d’attaque pour cueillir un sans-papiers à son domicile. […] Et comme l’ambiance est bonne entre nous, on se marre ensuite de la tête que certains font.  »

« Par exemple : on se met devant la Croix-Rouge […] et là on les attrape comme des mouches. Sinon on se met à la gare ou dans le métro, et on s’occupe particulièrement des Noirs et des Arabes. Comme le corps c’est scientifique, on les contrôle au faciès.  »

« Rassemblement à la gare SNCF (métro Gares) pour dénoncer les pratiques discriminatoires de la PAF !  »

« Un acharnement sélectif. Les méthodes brutales de la police aux frontières (arrestation, perquisition) visent en priorité, dans l’esprit de ses agents souvent familiers des idées racistes, les Noirs et les Arabes.  »

Quant aux deux affiches intégrées à la plainte, elles contiennent les messages suivants : « La PAF aime les blagues racistes  »  ; « Police aux frontières, bras armé de la xénophobie d’État ! »

Des poursuites individuelles

La poursuite de trois de ses membres est jugée arbitraire par notre collectif. L’action du 2 avril était une action collective. De plus, elle était organisée par des militants qui cherchent à fonctionner de manière horizontale, qui n’ont pas de responsable (notre collectif n’est pas une association déposée en préfecture mais un regroupement informel)… Ce fonctionnement est systématiquement affiché et revendiqué par notre collectif.

Nous déplorons également cette attaque du ministère parce qu’elle s’inscrit dans un climat où beaucoup de critiques des politiques d’immigration du gouvernement français sont réprimées : attaques répétées contre le Réseau Éducation sans frontières (voir article p. 3) ; plainte à l’encontre de SOS soutien aux sans-papiers à la suite des révoltes des personnes sans papiers dans les centres de rétention administrative (CRA) ; condamnation en première instance d’un syndicaliste de Mulhouse pour avoir dressé un parallèle entre les pratiques gouvernementales et l’État vichyste ; remise en cause de la présence et du rôle de la Cimade dans les CRA… Que ce soit à un niveau local, pour le collectif de Rennes, ou à un niveau plus large, une forme de liberté d’expression et d’opinion contre les politiques d’immigration françaises dérange et apparaît comme le principal objet des poursuites judiciaires.

À Rennes, cependant, beaucoup de personnes ont dénoncé ces attaques aux libertés fondamentales. Depuis le début, le fond et la forme de la procédure qui vise notre collectif ont provoqué de vives réactions. Dès le mois de juin, nos appels à la solidarité et à la mobilisation sont entendus. Plusieurs centaines de personnes rejoignent les rassemblements que nous organisons pour la liberté d’expression et d’opinion contre les politiques d’immigration. Les communiqués de presse et les déclarations publiques se succèdent. Bien des organisations – associatives, politiques, syndicales – sont choquées et l’écrivent. Des sites internet et des collectifs rediffusent, par solidarité, les écrits incriminés que nous avons, sur le conseil de nos avocats, retirés de notre propre site. Les avocats du syndicat des avocats de France (SAF) s’expriment aussi. Plusieurs élus du conseil régional, du conseil général, du conseil municipal ne sont pas en reste. Le jour du procès, il y aura même un préavis de grève déposé à l’Éducation nationale permettant de se rendre à l’audience.

Compte tenu du caractère arbitraire du choix des prévenus, notre collectif entendait opposer une défense la moins individualisée possible. Cela passe d’abord par le choix de trois avocats « militants » : Mélanie Le Verger, avocate au barreau de Rennes, spécialiste en droit des étrangers ; Muriel Brouquet-Canale, du cabinet Leclerc, avocate au barreau de Paris, spécialiste du droit de la presse ; Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis, président du Gisti. La défense collective passe ensuite par la tentative d’organiser une procédure de comparution volontaire, par laquelle une trentaine de personnes demanderont à être jugées elles aussi. Cette démarche s’est largement inspirée des procès contre les faucheurs d’OGM. Enfin, quatre témoins de moralité rallieront la défense : le président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine, la vice-présidente nationale de la Ligue des droits de l’homme, une élue adjointe à la mairie de Rennes, la présidente du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) d’Ille-et-Vilaine.

Après un report du procès, demandé et obtenu par la défense le 19 septembre 2008, les trois membres du collectif sont appelés à comparaître le 12 décembre 2008. Un rassemblement de soutien, appelé par notre collectif, réunit plusieurs centaines de personnes devant la Cité judiciaire de Rennes, avant et pendant l’audience. Des prises de parole, des remerciements… La presse qui interviewe à droite, à gauche…

Commence alors un vrai marathon : à 14 heures nous entrons, à 19 heures nous ressortons, à peine 30 minutes de pause. Nous avons pris des heures de congé, demandé des autorisations d’absence exceptionnelle, fait grève pour être là.

Acte 1 – On pose le cadre. D’entrée de jeu, les avocats demandent deux modifications de taille : 1) que tombe l’accusation d’« injures » pour un vice de forme ; 2) que soient entendues comme prévenues les trente personnes qui se portent comparantes volontaires. Le procureur (on l’appelle aussi le parquet, le ministère public) ne voit pas de réels inconvénients à la première demande, du moment que la diffamation est jugée. En revanche, concernant la demande de comparution volontaire, il démonte et considère cette procédure comme dangereuse car elle « violerait une disposition d’ordre public  » : l’autorité qui poursuit ne doit pas être l’autorité qui juge. S’il a décidé de poursuivre trois personnes, ce sont ces trois personnes qui doivent être jugées. Si le juge acceptait la procédure de comparution volontaire, on pourrait envisager cela comme une « prise en otage  » du ministère public. Le juge et ses assesseurs suivent le procureur, les demandes des avocats seront jointes au fond du dossier, mais pas acceptées comme telles. Les trente comparants volontaires ne seront donc pas entendus.

Acte 2 – On entend les « méchants ».

Après une lecture rapide des motifs d’accusation et des relevés principaux de l’enquête policière, nos trois prévenus sont appelés à la barre. Les questions portent sur l’implication dans l’action, le mode de fonctionnement du collectif, l’appréciation personnelle des écrits incriminés (ce qui engendre une lecture de ces écrits à plusieurs reprises).

« Depuis quand participez-vous au collectif ? Comment fonctionne-t-il ? Êtes-vous d’accord avec ses idées ? Revendiquez-vous ses écrits ? » Les « méchants » rappellent le principe de décision collective, la responsabilité collective, et donc l’absurdité de ce procès. Ils clament que nous ne condamnons dans ces tracts que la triste et injuste réalité que vivent des milliers de personnes sans papiers, chaque jour, chaque nuit, en France. Et que c’est ça, le scandale.

Acte 3 – Les témoins

. Viennent ensuite à la barre les témoins de moralité. Ils prêtent serment. Ils évoqueront le sort effectif fait aux personnes sans papiers à Rennes et en France, montrant par là même que rien de ce qui est écrit dans les tracts incriminés n’est faux, insisteront également sur l’étrangeté de ce procès, qui semble être de fait un procès contre la liberté d’expression. Leur parole portera ainsi sur la dénonciation d’une dérive des autorités dans leur répression des forces de contre-pouvoir. La caricature et la satire sont timidement avancées comme un moyen légitime de traduire la contestation. Le procureur fait la moue… Un assesseur demande au président du Conseil général comment il aurait agi, lui, en chef de service, si « ses » salariés avaient été l’objet de ce type d’écrits. Une fois de plus, l’enjeu est dégonflé, on ramène le procès à la dimension d’une protection de salariés par un chef de service. Exit le débat sur la liberté d’expression. Exit le sort des personnes sans papiers…

Acte 4 – Le ministère public

. Le procureur fait alors son réquisitoire : il félicite la bonne tenue de l’auditoire, apprécie la qualité des témoins cités par la défense… Puis martèle qu’on ne peut cependant se moquer de tout, même si la cause des sans-papiers est une cause noble et si notre combat est « charitable » et juste. Il affirme qu’il faut penser qu’on est en train de monter une population contre l’autre, à savoir les Français contre leur police. Au passage, il déplore notre focalisation sur les agents de la PAF car, comme il nous le rappelle, les gendarmes participent aussi régulièrement aux arrestations des personnes sans papiers. Il plaide enfin que nous avons bien raison de penser aux enfants des personnes sans papiers, mais qu’il serait bon de penser aussi aux enfants des fonctionnaires qui travaillent à la PAF. Morceaux choisis :

« Les policiers ont une déontologie, quand même. Bien sûr, il peut y avoir des dérapages.  »

« Papa, tu fais des contrôles d’identité ?

« Oui mon chéri !

« Tu les fais au faciès ?

« Non, pas toujours !  »

Bref : oui à la liberté d’expression mais dans une certaine limite ! Cette limite, c’est la diffamation. Selon le procureur, les tracts de notre collectif n’ont pas fait passer de message politique mais ont traîné des policiers – simples exécutants d’une politique – dans la boue. Leur honneur est sali ! Il demande une peine d’amende, même si celle-ci n’est que symbolique.

Dernier acte – La parole est à la défense. Les avocats adoptent une stratégie en trois volets : la question de la liberté d’expression, entaillée par la plainte pour diffamation ; l’histoire, le fonctionnement, les actions du collectif ; la situation des personnes sans papiers en France et la véracité de ce que le collectif a écrit, preuves à l’appui. Ils en reviennent alors à la violence des pratiques policières qui ont été dénoncées publiquement, reprennent des témoignages d’arrestations musclées, rappellent la politique du chiffre du ministère de l’intérieur qui cause cette traque aux personnes étrangères, pointent l’existence de « fiches techniques » expliquant aux policiers comment maîtriser les personnes sans papiers lors des expulsions, relatent les cas de personnes mortes pendant leur éloignement forcé…

L’affaire est mise en délibéré jusqu’au 12 janvier 2009. Nous sommes une trentaine le 12 janvier à entendre les paroles du juge. Malgré le pessimisme de beaucoup d’entre nous, c’est la relaxe ! Le juge évoque le critère de la bonne foi et la protection de la lutte militante, dans un contexte marqué par une politique active du pouvoir en matière d’immigration. Cet « activisme » nécessite que la liberté d’expression soit préservée. Nous n’en croyons pas nos oreilles. Nous avons gagné.

Mais la joie est de courte durée. Cinq jours plus tard, le procureur fait appel de la décision du tribunal correctionnel.

Affaire à suivre donc…



Article extrait du n°80

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Dernier ajout : mardi 3 novembre 2015, 12:39
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