Édito extrait du Plein droit n° 119, décembre 2018
« Que sont les sans-papiers devenus ? »

Un Pacte pour rien ?

ÉDITO

Le 10 décembre, lors d’une conférence intergouvernementale organisée à Marrakech par l’ONU, le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », validé en juillet dernier, a été approuvé par les représentants de 162 États. Passé presque sous silence dans certains pays, il a soulevé des réactions violentes dans d’autres, sur fond d’accusations de conspiration. Certains commentateurs et autres « faiseurs d’opinion » n’ont pas hésité à le présenter comme ouvrant la voie à des migrations incontrôlées. En Belgique, il a ainsi provoqué le départ des nationalistes flamands de la N-VA de la coalition au pouvoir.

Impulsé par des diplomates européens désireux de proposer une autre réponse à la « crise migratoire » que les « solutions » brandies par l’UE en 2015, le « Pacte de Marrakech » s’inscrit dans la continuité de diverses tentatives des Nations unies d’aboutir à une coordination des politiques migratoires, dans la mesure où presque tous les pays sont concernés par les mouvements de population. Le sommet de New York organisé par l’ONU, en 2016, avait posé les bases d’une réflexion prenant en compte les intérêts de pays très différents et cherchant à valoriser les circulations humaines. En deux ans, les déclarations d’intention initiales ont cependant largement été écornées...

Du fait des protestations émanant des partis et groupes de pression hostiles aux arrivées de migrant·e·s, la plupart des ONG se sont retrouvées dans une position paradoxale : celle de défendre un texte dont elles font une analyse très critique. Le Pacte, en effet, traite peu de la protection des droits des personnes, ou seulement sous forme de vœux pieux. En revanche, il réaffirme le droit souverain des États à accueillir ou non les personnes migrantes, conforte les politiques sécuritaires et promeut une « immigration choisie » en fonction des besoins des pays riches.

Mais les termes du texte ne vont guère au-delà de la proclamation d’objectifs assez flous. On y parle de « collecter des données précises et décomposées » sur les flux migratoires, de « minimiser les facteurs structurels qui poussent les personnes à quitter leur pays d’origine », de « limiter les abus contre les travailleurs migrants » et de « prévenir, combattre et éradiquer le trafic d’êtres humains », sans qu’aucune mesure concrète ne figure dans le Pacte.

Une grande part du débat a porté sur le caractère contraignant ou non du texte, débat plutôt curieux s’agissant d’un document aussi vague. Dans les négociations internationales, il est d’usage de recourir à ce que les Anglo-Saxons appellent « soft-law », notamment pour des sujets sur lesquels les États ont des positions très diverses, voire opposées. L’objectif est alors d’arriver à des principes que tous pourront adopter. En l’occurrence, la méthode ne s’est pas montrée d’une grande efficacité : le Pacte ne reprend même pas les principes inscrits dans la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants, adoptée en 1990, dont le socle est pourtant minimaliste... Les pays du Nord, et particulièrement ceux de l’UE, étant à la manœuvre, il était acquis dès le départ que le Pacte serait en deçà de la convention de 1990. In fine, non seulement ce texte n’impose aucune obligation aux États, mais il conforte largement les politiques mises en œuvre par les pays d’arrivée des migrations. Comment comprendre dès lors l’émoi qu’il a suscité ? Peut-être vient-il de ce que beaucoup de gouvernements, dont celui de la France, ont opté pour une signature en catimini...

Pourtant, les travaux menés au niveau international ne manquent pas pour apporter des arguments à des politiques migratoires ouvertes. Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) avait fait paraître, dès 2009, un rapport intitulé « Lever les barrières : mobilité et développement humain » qui, chiffres à l’appui, expliquait que les migrations profitaient tant aux personnes migrantes qu’aux pays d’accueil et aussi de départ. La même année, l’Unesco recensait, dans une étude, les avantages qu’il y aurait à reconnaître un droit à la mobilité pour tous. Bien d’autres enquêtes et rapports ont depuis produit des données semblables et abouti aux mêmes conclusions.

En dehors des institutions internationales, ONG, chercheurs, autorités indépendantes ne cessent de mettre en évidence les méfaits des politiques qui entravent la mobilité des personnes ou tentent de la dissuader : absence de protection pour celles et ceux qui fuient des guerres, des dictatures ou des désordres ; enfermement pour de longues durées dans des conditions inhumaines ; errance dans des parcours précaires ; abandon aux trafiquants de toutes sortes ; morts aux frontières terrestres et maritimes...

Ces voix sont cependant peu entendues. Au sein du système onusien, c’est un nouvel entrant, l’Organisation internationale des migrations (OIM) qui a imposé son paradigme et son vocabulaire : la « bonne gestion des frontières » (borders management) et la défense de « migrations sûres, régulières et ordonnées » sont la marque de son emprise. Dotée de confortables moyens financiers et matériels, c’est elle aujourd’hui qui coordonne les rares efforts intergouvernementaux destinés à « réguler » les migrations à une échelle globale, les autres agences et acteurs onusiens étant marginalisés. Les libertés individuelles et les droits fondamentaux font les frais de cette nouvelle hiérarchie institutionnelle et de l’oubli des logiques ayant conduit aux grandes déclarations et pactes internationaux. Celui de Marrakech s’inscrit dans une logique gestionnaire indexée sur les intérêts supposés (l’« immigration choisie ») des pays du Nord. Sa timidité même le rend inopérant pour contrer les fantasmes et les peurs.



Article extrait du n°119

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Dernier ajout : jeudi 11 avril 2019, 18:58
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