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Droit d’asile : la France décidément peu empressée de reconnaître les persécutions fondées sur le genre
Les femmes peuvent constituer un groupe social au titre de la Convention de Genève. Tel est le sens de l’important arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 16 janvier 2024. Si elles établissent être exposées à des persécutions fondées sur leur genre, qu’il s’agisse de violences physiques ou psychologiques, de violences sexuelles, économiques ou conjugales, les femmes peuvent donc, en théorie, obtenir le statut de réfugié en France.
La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a rendu le 9 juillet dernier trois décisions pour des femmes persécutées en raison de leur genre : elle n’a accordé le statut de réfugié qu’à une femme afghane et l’a refusée à deux autres, l’une albanaise, l’autre mexicaine.
Rappelant l’évidence, et avec plusieurs années de retard sur la plupart des pays européens [1], la Cour reconnaît dans le premier dossier qu’en Afghanistan les femmes « sont, dans leur ensemble, perçues d’une manière différente par la société afghane » et constituent donc un groupe social au sens de la Convention de Genève. Dans les deux autres, concernant les requérantes mexicaine et albanaise, elle livre une interprétation extrêmement restrictive de l’arrêt de la CJUE. Selon elle, les Albanaises et les Mexicaines persécutées en raison de leur genre, ne sont pas éligibles au statut de réfugié.
Pour arriver à une telle conclusion, la Cour relève que le Mexique et l’Albanie ont adopté un ensemble d’instruments internationaux et de législations nationales pour promouvoir l’égalité et lutter contre les violences vécues par les femmes. Elle en conclut que les violences dont celles-ci sont victimes sont désormais réprouvées par ces sociétés et ne constituent donc plus des normes sociales, morales ou juridiques. Ce faisant, la Cour s’abstient d’examiner si ces mesures ont ou non des effets concrets : pourtant, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) lui-même, dans son rapport du 7 mai 2024 sur le Mexique, relevait qu’« aucun des protocoles et des lois en matière de violence envers les femmes ne s’est avéré efficace, en raison de l’impunité et de la corruption au sein des services judiciaires et juridiques », et que le taux de féminicides y reste très important.
La CNDA fait donc abstraction de la réalité des violences vécues par les femmes et refuse d’examiner l’effectivité de la protection offerte par leurs pays d’origine, pourtant à la base de l’examen de toute demande d’asile quel qu’en soit le fondement.
La France tenait, avec l’arrêt de la CJUE, l’opportunité d’opérer une réelle avancée en matière de protection des femmes persécutées en raison de leur genre. Elle se contente du strict minimum : les femmes afghanes sont bien persécutées en raison de leur genre, les autres, si leurs gouvernements affichent un volontarisme de façade, attendront.
Signataires :
- Ardhis
- La Cimade
- Dom’Asile
- Elena-France
- Fasti
- Fédération nationale des CIDFF
- Fédération Nationale Solidarité Femmes
- Femmes de la terre
- Gisti
- LDH
- Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie- LFID
- Planning Familial
- Rajfire
Voir aussi :
- les éléments du dossier contentieux
[1] « Droit d’asile : la France doit protéger les femmes persécutées en raison de leur genre », communiqué collectif, 14 juin 2024
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