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 ACTIONS COLLECTIVES  
        
        
         Un film documentaire de Bertrand Tavernier,  
          avec la collaboration de Nils Tavernier 
         10/12/2001 
           Extrait du dossier de presse du film : «  En décembre 
          1997, Bertrand Tavernier apporte son soutien à un groupe de sans-papiers 
          lyonnais qui entament une grève de la faim pour protester contre 
          la double peine. Un accord est trouvé, mais la grève reprend 
          quelques mois plus tard, faute de solution réelle. Bertrand Tavernier 
          décide alors de prendre sa caméra et de donner longuement 
          la parole à ces hommes et ces femmes que personne ne veut écouter ; 
          ces hommes et ces femmes qui se battent pourtant pour l'un des principes 
          fondateurs de notre droit : nul ne peut être puni deux fois 
          pour la même faute.   
        
        
        Toute personne ayant commis un délit est passible 
          d'une condamnation. Si cette personne est étrangère, en 
          plus de la condamnation, une deuxième mesure peut être 
          prise : l'expulsion du territoire national. Soit à 
          titre administratif (on parle alors d'Arrêté Ministériel 
          d'Expulsion), soit à titre judiciaire (c'est l'Interdiction du 
          Territoire National, qui peut être provisoire ou définitive). 
          C'est ce qu'on appelle la « double peine ». 
        L'un des grands principes du droit stipule pourtant 
          que « nul ne peut être puni deux fois pour le même 
          délit ». 
        Ces vingt dernières années, la double 
          peine aurait concerné directement environ 17 000 personnes 
          en France et indirectement (parents, proches) plus de 100 000. 
          (Source : Michaël Faure, Voyage au pays de la double peine, 
          L'Esprit frappeur, 2000). » 
        
        
        
        
        Comment définir simplement le scandale que constitue 
          la double peine ? 
        Bertrand Tavernier : C'est tout simplement, 
          Ahmed le dit très bien dans le film, le fait que la loi n'est 
          pas la même pour tous. Jean Costil de la Cimade prend l'exemple 
          d'un hold-up fait par trois personnes, deux français et un étranger. 
          À leur sortie de prison, les deux Français sont libres, 
          l'étranger, lui, est expulsé. 
        Olivier Cyran : Ce qui est particulièrement 
          révoltant, c'est que ces gens qui pourraient être nos voisins, 
          nos amis, nos frères, se retrouvent condamnés à 
          une peine que nous dans la même situation qu'eux nous n'encourerions 
          pas. Il s'agit de personnes qui ont vécu toute leur vie ici, 
          qui sont le produit de la société française, y 
          compris dans leur délinquance, et un beau jour la France les 
          rejette. Personne, même de droite, même favorable à 
          la répression, ne peut s'empêcher de reconnaître 
          le caractère particulièrement injuste de la double peine 
          en découvrant ce genre de cas. 
        C'est humainement choquant mais aussi juridiquement révoltant : 
          il y a un principe de loi fondateur inscrit dans la constitution, c'est 
          que personne ne peut être condamné deux fois pour le même 
          délit. Or ces personnes sont condamnées à la prison 
          et à l'expulsion.  
        
        
        Bertrand Tavernier : Moi, ce qui me frappe 
          c'est la suppression de la seconde chance. On ne laisse pas une seconde 
          chance à ces gens-là. Ils ne nient pas qu'ils ont commis 
          des actes de délinquance, le film est très clair là-dessus. 
          Mais ils estiment qu'ils ont payé et ils veulent simplement passer 
          à autre chose. Ahmed Hassaine le dit dans le film : en prison 
          il a côtoyé des meurtriers, des auteurs de crimes de sang. 
          Ils ont purgé leur peine comme lui mais eux sont réinsérés. 
          Les personnages dont je me suis inspiré pour faire L'appât, 
          qui sont associés à des meurtres particulièrement 
          terrifiants, assortis de torture, vont sortir, pouvoir repartir dans 
          la vie, et c'est normal. Alors que certains de ces double peine, 
          qui sont tombés pour 2 grammes  et 2 grammes 
          on le sait très bien, il peut s'agir plutôt de consommation 
          que de vente, c'est à l'appréciation des flics et du juge  
          sont comme condamnés à vie... 
        Olivier Cyran : La double peine contredit 
          l'idée que la prison vise non seulement à sanctionner 
          mais aussi à réinsérer. À sa sortie de prison 
          l'individu est censé réintégrer pleinement la société 
          française. À contrario la double peine est souvent une 
          peine à vie : une fois expulsé il est extrêmement 
          difficile de rentrer, et ensuite c'est la clandestinité. Sur 
          le plan humain, politique et juridique, c'est une aberration. 
        Bertrand Tavernier : C'est d'autant plus injuste 
          que ces gens montrent leur envie de se réinsérer de toutes 
          les façons possibles. Ils ont des preuves : mariage, enfant, 
          travail. Or on ne veut pas les entendre. C'est comme si tous ces faits 
          n'avaient aucune valeur aux yeux des institutions. Et ces institutions 
          ne s'intéressent pas non plus aux conséquences de leurs 
          décisions : au fait qu'elles vont briser des familles, démolir 
          des vies, traumatiser des enfants, qui auront ensuite toutes les raisons 
          d'en vouloir à la société française. On 
          nous parle sans arrêt du problème des familles monoparentales : 
          voilà comment la justice les fabrique. C'est terrifiant. Si j'avais 
          tourné deux jours, on pourrait ne pas les croire, mettre leur 
          bonne volonté en doute, mais j'ai suivi ces gens sur trois ans 
          ! Ils ont toujours prouvé qu'ils voulaient repartir, travailler, 
          s'occuper de leur famille. S'il y a un effort réel de se réinsérer, 
          pourquoi contrecarrer cet effort ? 
        
        
        Olivier Cyran : Il est important de souligner 
          combien la double peine est non seulement injuste mais également 
          parfaitement stupide. La justification des mesures d'éloignement 
          est la protection de l'ordre public. Le but atteint est exactement inverse. 
          Dans 80 % des cas, la personne expulsée fait tout pour revenir 
          en France, là où elle a toute sa vie, ses attaches. C'est 
          très long, très dur, certains y perdent la vie, mais dans 
          la plupart des cas ils reviennent. Une fois en France, ils sont condamnés 
          à une clandestinité qui les conduit souvent à récidiver, 
          ne serait-ce que pour survivre. La double peine créé beaucoup 
          plus de problèmes qu'elle n'en résout. Même un souci 
          purement cynique d'efficacité devrait conduire à arrêter 
          cette folie. 
        Bertrand Tavernier : Moi je trouve qu'il y 
          a un gâchis inouï quand le ministère public ose faire 
          appel contre un type qui vient de réussir à annuler sa 
          dernière année d'interdiction du territoire. On nous parle 
          toujours d'une justice engorgée, débordée. Et là 
          on va dépenser du temps, de l'énergie et de l'argent, 
          on va recommencer une procédure, re-siéger, refaire de 
          la paperasse, pour cinq mois de la vie de ce type. C'est complètement 
          imbécile, les électeurs ne sont même pas au courant. 
          On dépense l'argent public pour maintenir une espèce de 
          répression impitoyable et imbécile. L'État français 
          n'est pas prêt à lui faire cadeau ne serait-ce que d'un 
          an de vie. C'est une logique totalement criminogène, on fabrique 
          des gens en état de révolte. Ahmed Hassaine a ce raisonnement 
          dans le film : si je paye pour une perpète, autant la mériter. 
         
        
        
        Dans votre film la magistrature est vraiment montrée 
          du doigt.  
        Bertrand Tavernier : Oui. Le film d'Arn° Klarsfeld, 
          par exemple, faisait l'impasse là-dessus, il ne disait pas un 
          mot sur les juges de la Cour d'appel. Ça m'avait frappé. 
          Ça revenait à exonérer les premiers responsables. 
          Mais c'est venu de manière complètement spontanée, 
          pragmatique. La première fois que j'ai rencontré Lila 
          Bouguessa, elle m'a parlé de la manière dont on avait 
          condamné son mari, dont on l'avait condamnée, et elle 
          a éclaté en sanglots. Finidori, c'est un nom que je ne 
          connaissais pas, et il est apparu spontanément dans quatre, cinq, 
          six témoignages... On sait que certains présidents expédient 
          les cas de manière expéditive et se livrent à des 
          mots d'auteur qui sont dignes d'Henri Jeanson. Je voulais permettre 
          à des gens de raconter la manière dont ils ont été 
          traités par certains juges. Pour certains c'est un souvenir terrible. 
          Je pense au juge qui condamne Moncef à l'exil et qui lui dit : 
          « je vous envoie dans un pays où le soleil brille et 
          où le soleil est toujours bleu. » C'est abominable. 
        
        
        Bertrand Tavernier : Je ne peux pas répondre. 
          Je sais que certains barreaux sont réputés plus répressifs 
          que d'autres. La cour d'appel de Lyon doit beaucoup aux gens qui y siègent. 
          Mais ça ne se passe pas qu'à Lyon. J'ai eu un tas d'autres 
          exemples. 
        Olivier Cyran : C'est vrai que le président 
          de la Cour d'appel de Lyon, M. Finidori, est un cas extrême, 
          on sait de notoriété publique qu'il est mégretiste. 
          En même temps il ne fait que pousser à l'extrême 
          une logique que l'on constate ailleurs et qui tient simplement au problème 
          du fonctionnement de la justice. Presque tous les juges, même 
          des juges proches de la gauche, utilisent l'Interdiction du Territoire 
          National (ITN) comme une peine bateau. Même en comparution immédiate, 
          dès qu'ils tombent sur un délinquant étranger, 
          quel que soit le délit, la peine d'interdiction du territoire, 
          provisoire ou définitive est quasiment systématiquement 
          appliquée. 
        
        
        Bertrand Tavernier : Au départ elle 
          devait ne sanctionner que certains délits, mais les lois Pasqua 
          ont étendu son champ d'application. Cette peine qui devait à 
          l'origine servir à punir des crimes graves s'applique maintenant 
          très largement à la petite délinquance. 
        Olivier Cyran : Il y a deux cent délits 
          qui peuvent donner lieu à une ITN ! 
        Bertrand Tavernier : Ce qui est terrible avec 
          la double peine, c'est son côté irréversible. On 
          a l'impression qu'une fois qu'on a mis le doigt dans cet engrenage on 
          ne peut plus en sortir. Mieux vaut à la limite être un 
          vrai criminel : votre cas sera mieux examiné. Il y a le 
          cas de Finidori, mais des juges aux opinions politiques moins extrêmes 
          ont les mêmes pratiques. 
        Olivier Cyran : C'est aussi parce que le législateur 
          le leur permet. La loi leur dit clairement ce qu'ils peuvent et ce qu'ils 
          ne peuvent pas faire. Rien ne les oblige évidemment à 
          prononcer l'ITN, et certains juges qui connaissent les conséquences 
          qu'elle entraîne pour le justiciable s'abstiennent. Mais le plus 
          souvent, soit par ignorance soit par habitude, le juge applique l'ITN ; 
          quand bien même existe une circulaire comme la circulaire Guigou 
          (inspirée par la commission Chanet) qui demande aux juges de 
          respecter la vie familiale (ce qu'ils sont tenus de toute façon 
          de faire étant donné l'article 8 de la Convention 
          Européenne des Droits de l'Homme, qui fait obligation au juge 
          de respecter la vie familiale). Une circulaire n'a pas force de loi. 
        
        
        Bertrand Tavernier : D'une certaine manière 
          je trouve que quelqu'un comme Élisabeth Guigou, en tant que ministre, 
          est la première responsable. C'est à elle que l'on doit 
          demander des comptes. Et puis je trouve détestable la lâcheté 
          des élus, qui ont été élus pour s'occuper 
          de ce genre de problèmes et qui ne vont pas sur le terrain. À 
          Lyon seuls deux élus verts de Villeurbanne se sont déplacés. 
          On a essayé d'alerter les socialistes, on s'est heurté 
          à un mur. Les élus ne font pas leur travail, ils sont 
          démissionnaires. Je trouve scandaleux que le maire socialiste 
          n'aille pas voir les grévistes de la faim. Il peut être 
          embêtant pour lui de signer un papier, peut-être perdrait-il 
          des voix, mais qu'il n'aille pas voir, écouter la parole de quelqu'un 
          qui met sa vie en danger, c'est un scandale ! 
        Olivier Cyran : On ne peut pas dire que les 
          hommes politiques sont complètement ignorants. Ils font semblant 
          de ne pas savoir, ils évitent d'être confrontés 
          à une évidence qui les mettrait mal à l'aise. Il 
          y a un texte intéressant, c'est un télégramme que 
          François Mitterrand a envoyé à Jean Costil de la 
          CIMADE-Lyon qui à l'époque faisait une grève de 
          la faim avec un double peine. Ce télégramme date 
          du 17 avril 1981, il était en pleine campagne. 
        Bertrand Tavernier : En campagne ils 
          sont toujours au courant ! 
        Olivier Cyran : Le télégramme 
          dit ceci : « C'est une atteinte aux droits de l'homme 
          que de séparer de leur famille et d'expulser vers un pays dont 
          bien souvent ils ne parlent même pas la langue des jeunes gens 
          nés en France ou qui y ont passé une partie de leur jeunesse. 
          Ces pratiques sont inacceptables. Si je suis élu président 
          de la République je demanderai au gouvernement d'y mettre immédiatement 
          fin et de présenter les dispositions législatives nécessaires 
          pour que nul désormais ne puisse avoir recours à ces pratiques. » 
          Il promet d'abolir la double peine dès qu'il sera élu. 
          Vingt ans après elle n'a jamais été si prospère. 
        Bertrand Tavernier : Le témoignage 
          d'Ahmed Hassaine est formidable à cet égard. Il explique 
          que toute sa famille votait à gauche, et que la gauche a perdu 
          une bonne trentaine de voix. Et je ne pense pas, si l'on raisonne de 
          manière bêtement cynique, que le fait de maintenir Ahmed 
          Hassaine dans cette situation leur en fasse gagner. 
        Olivier Cyran : Je ne pense pas. Qui parmi 
          les électeurs sait que la double peine existe ? Qui sait 
          ce qui se passe dans les palais de justice ? Non, c'est lié 
          à un état d'esprit général, au statut des 
          étrangers, ... 
        Bertrand Tavernier : Valéry Giscard 
          d'Estaing a dit que personne ne pouvait être puni deux fois pour 
          le même délit. Si Giscard se retrouve à gauche de 
          la « gauche plurielle », c'est que quelque part 
          il y a eu une erreur d'aiguillage. Agostin° le dit très 
          bien à la fin du film : la double peine, ce n'est pas un 
          choix de police ou de justice, c'est bien un choix de politique générale. 
          J'ai failli l'ajouter comme carton final mais j'ai préféré 
          terminer le film sur le visage de Moncef Dridi, tout étonné 
          que je lui demande s'il a un rêve. Je me souviens toujours de 
          la fin d'un film qui m'avait marqué, Le Jugement des Flèches 
          de Samuel Fuller, qui se terminait par « Et c'est à 
          vous d'écrire la fin de cette histoire. » C'est 
          comme ça que l'on devrait terminer certains films. 
        Propos recueillis par Vital Philippot, octobre 
          2001 
        
  
           
            Dernière mise à jour : 
             
            11-12-2001  22:49
            .   
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