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  Plein Droit 
  n° 20, février 1993 
  Europe : un espace de « soft-apartheid » 
   
Police des étrangers et droit  
          au respect de la vie familiale
        
        Jurisprudence des organes  
          de la Convention européenne des droits de l'homme  
         
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  au sommaire 
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme 
          ne garantit comme tel aucun droit pour un étranger d'entrer ou 
          de résider dans un pays déterminé, ni le droit 
          de ne pas être expulsé d'un pays donné.  
        Si, en cette matière, les Etats contractants disposent d'un 
          pouvoir discrétionnaire de principe, ceux-ci « n'en 
          ont pas moins accepté de restreindre le libre exercice des pouvoirs 
          que leur confère le droit international général, 
          y compris celui de contrôler l'entrée et la sortie des 
          étrangers, dans la mesure et la limite des obligations qu'ils 
          ont à assumer en vertu de la Convention » [1]. 
          L'article 8
        Dès lors, selon une jurisprudence constante, l'exclusion d'une 
        personne d'un pays où vit sa proche famille peut poser problème 
        au regard de l'article 8 de la Convention ainsi libellé : 
        « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie 
          privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». 
         « 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité 
          publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence 
          est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans 
          une société démocratique, est nécessaire 
          à la sécurité nationale, à la sûreté 
          publique, au bien-être économique du pays, à la 
          défense de l'ordre et à la prévention des infractions 
          pénales, à la protection des droits et libertés 
          d'autrui ». 
         En raison de l'économie de cet article, les instances conventionnelles, 
          appelées à en appliquer les dispositions, suivent un raisonnement 
          en trois phases : 
          
         
          -  
            
Il faut d'abord apprécier, à la lumière d'un 
              faisceau de critères, précédemment dégagés 
              selon une méthode d'interprétation réaliste 
              et évolutive, si les rapports invoqués relèvent 
              de la notion de vie familiale. 
           
          -  
            
Puis, à supposer que l'article 8 soit applicable, il 
              convient, en tenant compte de la marge d'appréciation dont 
              les Etats-parties jouissent dans ce domaine, de déterminer 
              les conditions dans lesquelles la mesure incriminée est susceptible 
              de s'analyser en une ingérence dans l'exercice du droit au 
              respect de la vie familiale. 
           
          - Enfin, si une ingérence est établie, les organes de 
            la Convention en apprécient la licéité au regard 
            des exigences de légalité, légitimité 
            et nécessité, énoncées au paragraphe 2 
            de l'article 8.
 
         
         
        Le contrôle de la nécessité de la restriction en cause 
        implique une pesée minutieuse et circonstanciée des intérêts 
         général et privé  en jeu. 
        Il s'agit alors de suivre la démarche intellectuelle adoptée 
          au fil des affaires par la Commission et la Cour dans l'interprétation 
          et l'application des dispositions de l'article 8 aux décisions 
          de haute police. 
          Notion de vie familiale
        Les organes de la Convention ont, de cette question, une approche particulièrement 
        concrète. Dès lors, la notion de vie familiale, au sens 
        de l'article 8 de la Convention, a nécessairement un contenu 
        à géométrie variable et dynamique en fonction, notamment, 
        des nouveaux modes de vie en famille. 
        Tant la Commission que la Cour estiment que la vie familiale « englobe 
          pour le moins les rapports entre proches parents lesquels peuvent y 
          jouer un rôle considérable, par exemple entre grands-parents 
          et petits-enfants » [2]. 
         Encore faut-il qu'il existe, en plus de la parenté par le sang, 
          certains liens entre les personnes pour que leurs relations puissent 
          être considérées comme représentant une vie 
          familiale [3]. 
         Au nom de cet élément d'effectivité, les rapports 
          entre un homme et une femme non mariés vivant ensemble peuvent 
          ressortir au concept de vie familiale [4]. 
         En effet, pour se prononcer sur l'absence ou l'existence de la vie 
          familiale, la commission recherche, par exemple, si les personnes vivent 
          effectivement ensemble et s'il existe entre elles un rapport de dépendance 
          pécuniaire [5]. 
         En l'absence de ces éléments de fait ou de l'un d'eux, 
          cette instance a refusé la protection de l'article 8 aux 
          rapports entre un oncle et son neveu adoptif [6], 
          entre une femme mariée âgée de 26 ans et ses 
          parents [7], entre un fils adulte 
          et son père [8], ou sa mère [9]. 
         Il ne s'agit pas pour autant de critères nécessairement 
          déterminants. Ces standards, même s'ils sont souvent importants, 
          sont pris en considération parmi bien d'autres éléments 
          pour estimer l'existence de liens familiaux [10]. 
         Dans l'arrêt BERREHAB [11], 
          la Cour a considéré, en accord avec une jurisprudence 
          constante de la Commission, que la vie commune n'était pas un 
          élément indispensable pour qu'il existe une vie familiale 
          entre parents et enfants mineurs. 
         Du fait même de sa naissance, l'enfant issu d'un mariage légal 
          et non fictif s'insère dans la relation familiale existant entre 
          ses parents. Même si ceux-ci ne cohabitent pas alors, il existe 
          entre lui et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale. 
         En l'espèce, Monsieur BERREHAB, ressortissant marocain, n'avait 
          jamais vécu avec sa fille née, pendant la procédure 
          de divorce, de son union avec son épouse néerlandaise. 
          Toutefois, jusqu'à son expulsion, consécutive au refus 
          de renouvellement de son titre de séjour, le père avait 
          eu des contacts réguliers et fréquents avec son enfant. 
          La Commission [12] d'abord, puis 
          la Cour, ont donc estimé que le lien de vie familiale entre eux 
          ne s'était pas brisé. 
         Par raisonnement analogique, la Commission a étendu cette analyse 
          aux relations entre un parent non gardien et son enfant naturel [13]. 
         Dans les affaires MOUSTAQUIM c/ Belgique [14] 
          et DJEROUD c/ France [15], 
          ayant pour objet l'expulsion de migrants de la seconde génération, 
          la Commission a pris en considération tout élément 
          de fait permettant d'établir qu'en dépit des fugues, incarcérations 
          ou éloignements forcés des intéressés, les 
          liens familiaux n'avaient pas été rompus. 
         Ainsi ont été retenus, entre autres indices pertinents 
          d'une vie familiale effective, les démarches de diverse nature 
          accomplies par les familles dans l'intérêt de leurs proches 
          en vue d'obtenir la reconstitution de l'unité familiale, ou encore 
          le fait, bien que répréhensible, que le requérant 
          ait enfreint, à plusieurs reprises, l'arrêté d'assignation 
          à résidence pour se rendre dans sa famille. 
         En principe, l'article 8 garantit l'exercice d'une vie familiale 
          déjà existante. Néanmoins, dans l'affaire ABDULAZIZ, 
          CABALES et BALKANDALI [16], la 
          Cour a estimé que « il n'en résulte pourtant 
          pas que toute vie familiale projetée sorte entièrement 
          du cadre de l'article 8 »... « Quoi 
          que le mot « famille » puisse désigner par 
          ailleurs, il englobe la relation née d'un mariage légal 
          et non fictif... ». 
          Existence d'une ingérence
        Le refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour 
        à un étranger n'emporte violation de l'article 8 de 
        la Convention que si la mesure de haute police compromet décisivement 
        la possibilité de vie familiale de l'intéressé. 
        Il n'est est pas ainsi lorsqu'aucun obstacle juridique ou d'une autre 
          nature n'empêche la reconstitution de la cellule familiale dans 
          le pays de destination. 
         La Commission examine chaque situation « en tenant compte 
          de facteurs comme la relation de l'un des intéressés avec 
          ce pays, leur niveau d'intégration dans l'Etat où ils 
          résident, l'âge des enfants, la lourdeur des conséquences 
          économiques et culturelles pouvant résulter de leur éloignement 
          du lieu de séjour... » [17]. 
         La Commission prend également en considération la précarité [18] 
          ou l'irrégularité [19] 
          du séjour de l'étranger lorsqu'il a noué dans le 
          pays d'accueil les liens de famille allégués. 
         Dans l'affaire ABDULAZIZ, CABALES et BALKANDALI, les requérantes, 
          établies au Royaume-Uni légalement et à demeure, 
          se plaignaient de s'y voir privées ou menacées d'être 
          privées de la compagnie de leurs conjoints, non autorisés 
          à y rester avec elles ou à les y rejoindre en qualité 
          de mari. Après avoir souligné que les intéressées 
          n'avaient contracté mariage qu'une fois établies dans 
          ce pays en tant que célibataires, la Cour a déclaré 
          que « l'article 8 ne saurait s'interpréter 
          comme comportant pour un Etat contractant l'obligation générale 
          de respecter le choix par des couples mariés de leur domicile 
          commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans 
          le pays ». 
         En l'espèce, « les requérantes n'ont pas 
          prouvé l'existence d'obstacles qui les aient empêchées 
          de mener une vie familiale dans leur propre pays ou dans celui de leurs 
          maris, ni de raisons spéciales de ne pas s'attendre à 
          les voir opter pour une telle solution ». 
         Par contre, dans l'affaire BERREHAB, la Cour a considéré 
          que le refus de renouvellement du permis de séjour de l'intéressé 
          et la mesure d'expulsion en résultant constituaient des ingérences 
          dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale, en 
          l'empêchant pratiquement de garder avec sa fille des contacts 
          réguliers, pourtant essentiels vu le jeune âge de l'enfant. 
         L'expulsion d'une personne du territoire d'un Etat où vivent 
          des membres proches de sa famille peut certainement constituer une violation 
          de l'article 8. 
         Sur cette question, le raisonnement adopté par les organes de 
          la Convention est parallèle à celui développé 
          plus haut. Il s'agit, à la lumière des circonstances de 
          la cause, de déterminer si l'étranger expulsé a 
          raisonnablement la possibilité de recréer sa vie familiale 
          dans le pays de destination. 
         A propos de requêtes où la personne expulsée doit 
          quitter le territoire de l'Etat où elle vit avec son conjoint, 
          la Commission prend en considération la possibilité, pour 
          ce dernier, de suivre son époux(se) [20]. 
         Le lien de nationalité du conjoint et/ou des enfants avec le 
          pays qui ordonne l'expulsion n'est pas un empêchement en soi au 
          regroupement de la famille sur le territoire d'un autre Etat. 
         Dans les affaires MOUSTAQUIM c/ Belgique, DJEROUD c/ France 
          et BELDJOUDI et TEYCHENE c/ France [21], 
          la Commission a relevé l'intensité des attaches familiales 
          de ces migrants de la seconde génération dans le pays 
          d'accueil, leur forte intégration ainsi que celle de leur famille 
          dans ce pays, et, pour le troisième requérant, l'existence 
          d'un lien matrimonial de plus de vingt ans entre lui et son épouse 
          française. 
         En revanche, dans l'affaire AMGRAR c/ France [22], 
          relative également à l'expulsion d'un migrant de la seconde 
          génération, célibataire, sans enfant, dont seulement 
          quatre de ses surs étaient restées en France  les 
          autres membres de la famille étant retournés en Algérie  
          la Commission a estimé que la mesure litigieuse ne portait pas 
          atteinte à la vie familiale de l'intéressé. 
         Toutefois, elle a considéré que « compte 
          tenu de la situation particulière du requérant et, notamment, 
          de sa qualité de migrant de la seconde génération, 
          de la gravité des problèmes notamment d'insertion, auxquels 
          il se verra en toute probabilité confronté du fait de 
          l'expulsion, de ses liens faibles avec l'Algérie et de ses attaches 
          profondes avec la France, la mesure d'expulsion peut s'analyser en l'espèce 
          comme une ingérence dans le droit du requérant au respect 
          de sa vie privée protégé par l'article 8 de 
          la Convention ». 
          Licéité de l'atteinte
        Les décisions relatives à l'entrée, au séjour 
        et à l'éloignement des étrangers, portant atteinte 
        au droit au respect de la vie familiale, répondent en général 
        à la condition de légalité et poursuivent bien un 
        ou plusieurs des buts légitimes visés au paragraphe 2 
        de l'article 8 de la Convention. 
        S'agissant du refoulement d'un étranger que motive un refus 
          d'admission ou de séjour, les organes de la Convention soulignent 
          le lien unissant la politique de contrôle de l'immigration à 
          la défense de l'ordre public ou à celle du bien-être 
          économique du pays. 
         En revanche, l'appréciation de la « nécessité » 
          de l'ingérence peut poser problème. 
         Selon une jurisprudence constante, la Convention n'interdit pas, en 
          principe, aux Etats contractants de régler l'entrée et 
          la durée du séjour des étrangers. Toutefois, le 
          critère de « nécessité » implique 
          une ingérence fondée sur un besoin social impérieux 
          et notamment proportionnée au but légitime recherché. 
         Pour que l'ingérence soit justifiée, l'atteinte portée 
          par la mesure de police à la vie familiale de l'étranger 
          ne doit pas être excessive eu égard au but légitime 
          en vue duquel elle a été prise. Néanmoins, s'agissant 
          des mesures de haute police dictées par une stricte application 
          de la réglementation de l'immigration, la Commission semble admettre 
          rarement que les considérations d'ordre familial puissent l'emporter 
          sur les intérêts de l'Etat défendeur. 
         Tel n'a pour autant pas été le cas dans l'affaire BERREHAB 
          où, après avoir estimé qu'un juste équilibre 
          n'avait pas été assuré entre les intérêts 
          en jeu, la Cour, en accord avec l'avis de la Commission, a conclu à 
          la violation de l'article 8. 
         Quant au but légitime de défense du bien-être économique 
          du pays, il a été particulièrement retenu que l'intéressé 
          avait vécu plusieurs années légalement et paisiblement 
          aux Pays-Bas où il avait logement et travail, avant de se voir 
          refuser le renouvellement de son permis de séjour, et qu'en outre, 
          il y avait des attaches familiales effectives : il y avait épousé 
          une Néerlandaise et de leur mariage était issu un enfant. 
         Quant à l'ampleur de l'atteinte dans le droit de Monsieur BERREHAB 
          et de sa fille au respect de leur vie familiale, celle-ci a été 
          considérée par la Cour comme étant d'autant plus 
          grave que l'enfant, vu son jeune âge, avait besoin de rester en 
          contact avec son père. 
         Pour se prononcer sur le point de savoir si l'expulsion d'un étranger 
          délinquant ne comporte pas pour l'intéressé des 
          conséquences disproportionnées avec le but légitime 
          poursuivi, les organes de la Convention procèdent à la 
          balance entre la nature et la gravité de l'infraction commise 
          et l'ampleur de l'atteinte à la vie familiale en tenant compte 
          de la densité des liens familiaux, mais aussi sociaux et 
          culturels du requérant avec l'Etat contractant et le pays de 
          destination. 
         L'expulsion d'un étranger arrivé à l'âge 
          adulte dans le pays d'accueil où il a depuis lors tissé 
          des liens de famille ne paraît pas être justifiée 
          si l'infraction pénale reprochée n'est pas un délit 
          grave [23]. 
         Par contre, le refoulement d'un immigrant condamné pour infraction 
          à la législation sur les stupéfiants peut être 
          considéré comme une mesure nécessaire à 
          la défense de l'ordre, à la prévention des infractions 
          pénales et à la protection de la santé [24]. 
          Contrôle de proportionnalité
        Les immigrés de la seconde génération ont toutes 
        leurs attaches familiales et sociales dans le pays hôte. Ils ne 
        maîtrisent pas la langue de leur pays d'origine auquel ils ne sont 
        rattachés que par le lien juridiquement formel de la nationalité. 
        De l'avis de la Commission, en raison de ces éléments, 
          la mesure d'éloignement vers ce pays crée une situation 
          d'une telle rigueur, que ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles 
          qu'elle pourrait être justifiée comme proportionnée 
          au but poursuivi selon le paragraphe 2 de l'article 8. 
         Dans les arrêts MOUSTAQUIM [25] 
          et BELDJOUDI [26], la Cour, sans 
          reprendre ces considérants de principe, a néanmoins considéré, 
          à l'instar de la Commission, que l'expulsion des intéressés 
          avait constitué ou constituerait une violation du droit de ceux-ci 
          et de Madame TEYCHENE, épouse BELDJOUDI, au respect de leur vie 
          familiale au sens de l'article 8 de la Convention. Les requérants 
          avaient pourtant eu une conduite délinquantielle grave. 
         Dans ces deux cas, la Cour s'est livrée à un contrôle 
          de proportionnalité approfondi des intérêts en jeu 
          dont il convient de reprendre les termes pour s'en approprier le fonctionnement. 
         Dans l'affaire MOUSTAQUIM, il s'agissait d'un ressortissant marocain, 
          arrivé en bas âge en Belgique dans le cadre d'un regroupement 
          familial, et qui, depuis lors, y avait résidé jusqu'à 
          son expulsion à l'âge de 20 ans. 
         Au moment de l'arrêté d'expulsion, toute sa famille résidait 
          dans le pays d'accueil. Trois de ses frères et surs y étaient 
          nés et l'un des aînés avait déjà acquis 
          la nationalité belge. L'intéressé n'était 
          retourné au Maroc qu'à deux reprises, en vacances. Il 
          avait suivi toute sa scolarité en français. Durant son 
          adolescence, il s'était vu reprocher 147 faits délictueux, 
          dont 82 vols qualifiés, 39 tentatives de vols qualifiés 
          et 5 vols avec violence. Seuls 26 de ces faits avaient été 
          déférés devant les juridictions correctionnelles 
          belges. 
         En appel, la Cour de Liège l'avait condamné, à 
          raison de 22 d'entre eux, à diverses peines d'emprisonnement 
          pour un total de 26 mois. 
         Plus de trois ans s'étaient écoulés depuis la 
          dernière infraction reprochée à l'intéressé 
          jusqu'à l'arrêté d'expulsion. 
         Dans l'affaire BELDJOUDI, la Cour a relevé d'emblée que 
          le « passé pénal » de l'intéressé 
          « apparaît beaucoup plus chargé que celui 
          de Monsieur MOUSTAQUIM » et « qu'il importe donc 
          de rechercher si les autres circonstances de la cause  communes 
          aux deux requérants ou propres à l'un d'eux  
          suffisent à compenser cette donnée d'un poids considérable ». 
         L'arrêt révèle en effet que Monsieur BELDJOUDI 
          a été condamné à partir de l'âge de 
          19 ans à diverses peines d'un montant total de plus de dix 
          ans. Après notification de l'arrêté d'expulsion, 
          pris à son encontre en 1979 à la suite de sa condamnation 
          à la peine de huit ans de réclusion criminelle pour vol 
          qualifié, l'intéressé a récidivé. 
          Il est toutefois à noter que la mesure d'expulsion n'a pour autant 
          pas été mise à exécution. 
          Une vie familiale menacée
        Le caractère non proportionné de l'atteinte portée 
        par la mesure d'expulsion au droit des requérants au respect de 
        leur vie familiale a été déduit de quatre données 
        essentielles : 
         
         
          -  
            
La situation de « quasi-français » de 
              Monsieur BELDJOUDI : né en France de parents alors français, 
              l'intéressé est réputé avoir perdu la 
              nationalité française au 1er janvier 1963, faute 
              pour ses parents d'avoir souscrit, avant le 27 mars 1967, une 
              déclaration recognitive de ladite nationalité. Dès 
              1970, puis en 1983 et 1984, il a tenté en vain de recouvrer 
              la nationalité française. Recensé à 
              sa demande en 1971, il a été reconnu apte au service 
              national par les autorités militaires françaises. 
           
          -  
            
La force des liens de rattachement avec la France de l'épouse 
              et de la famille de Monsieur BELDJOUDI : Madame TEYCHENE, épouse 
              BELDJOUDI, est née en France de parents français. 
              Elle y a toujours vécu et en possède la nationalité. 
              Par ailleurs, toute la proche famille de Monsieur BELDJOUDI a possédé 
              la nationalité française jusqu'à 1963 et réside 
              en France depuis plusieurs dizaines d'années. 
           
          -  
            
L'absence de liens de Monsieur BELDJOUDI avec l'Algérie, 
              hormis celui de la nationalité : le requérant 
              a passé toute son existence en France, soit plus de 40 ans. 
              Il a effectué toute sa scolarité en français 
              et ne parle pas l'arabe. 
           
          - Les empêchements à la poursuite de la vie de couple 
            en cas d'expulsion de Monsieur BELDJOUDI vers l'Algérie : 
            l'installation de Madame BELDJOUDI dans ce pays constituerait pour 
            elle un véritable déracinement et se heurterait à 
            de réels obstacles pratiques et même juridiques.
 
         
        Dès lors, l'ingérence litigieuse risquerait de mettre en 
        péril l'unité, voire l'existence du ménage. 
        Récemment, la Commission a déclaré recevable la 
          requête d'un Algérien de la seconde génération 
          expulsé de France à la suite de sa condamnation à 
          la peine d'emprisonnement de trois ans et demi du chef, entre autres, 
          d'attentats à la pudeur, détournement de mineur, proxénétisme, 
          et d'infractions à la législation sur les stupéfiants. 
         Du fait de la mise à exécution de la mesure d'éloignement, 
          l'intéressé avait été séparé 
          de sa grand-mère, de ses oncles, tantes, cousins et cousines 
          qui l'ont élevé après son abandon à l'âge 
          de trois ans par ses parents [27]. 
         La jurisprudence européenne en matière de respect de 
          la vie familiale des étrangers procède d'un raisonnement 
          essentiellement casuistique. La solution de chaque affaire dépend 
          de l'examen in concreto des faits de la cause et non pas d'orientation 
          abstraite. 
         Comme le souligne Madame Sally Dolle [28] : 
         « Les organes de Strasbourg exercent une fonction judiciaire 
          quasi constitutionnelle et non une fonction législative. Ils 
          doivent examiner le grief du requérant alléguant la violation 
          de la Convention et, comme leur décision peut se répercuter 
          sur d'autres personnes placées dans une situation semblable, 
          l'obligation de l'Etat, en vertu de la Convention, consiste d'abord 
          à satisfaire le requérant si une violation apparaît ». 
         Dans son opinion concordante, exprimée en annexe de l'arrêt 
          BELDJOUDI, le juge Martens a cependant regretté que la Cour n'ait 
          pas fondé sa décision sur le principe, accepté 
          par un nombre croissant des Etats membres du Conseil de l'Europe, de 
          l'« inexpulsabilité » des « étrangers 
          intégrés », sauf circonstances très exceptionnelles, 
          instillant ainsi une dose de sécurité juridique qui, spécialement 
          dans ce domaine, lui paraît hautement désirable. 
         La Commission, comme la Cour, n'en a pas moins élaboré, 
          nous l'avons vu, une série de critères et de principes, 
          lesquels constituent une trame de lecture des situations individuelles 
          et permettent, au-delà des décisions concrètes, 
          de dégager des tendances de fond. 
         Ainsi, la garantie offerte par l'article 8 de la Convention ne 
          semble pas être très protectrice, à l'exception 
          de circonstances particulières d'espèce, lorsque le refoulement 
          de l'étranger que motive un refus d'entrée ou de séjour 
          s'inscrit dans la politique de contrôle de l'immigration de l'Etat 
          défendeur. 
         Spécialement, en matière de regroupement familial, où 
          la Cour, contrairement au Conseil d'Etat français, ne consacre 
          pas le droit pour un étranger régulièrement installé 
          dans le pays d'immigration de faire venir à ses côtés 
          sa famille. Mais les instances conventionnelles accordent une importance 
          fondamentale aux liens unissant un parent et son enfant mineur. 
         Dès lors, comme le montre l'affaire BERREHAB, elles exercent 
          un contrôle d'une particulière intensité sur le 
          caractère de nécessité que doit remplir la mesure 
          d'éloignement d'un étranger, ayant pour effet de le séparer 
          de son petit enfant. 
         S'agissant de l'expulsion des étrangers, la Commission, puis 
          la Cour, ont développé ces dernières années 
          une jurisprudence particulièrement protectrice de la vie familiale 
          des migrants de la seconde génération, qu'il s'agisse 
          de jeunes délinquants (cas de Monsieur MOUSTAQUIM) ou de délinquants 
          adultes multirécidivistes (cas de Monsieur BELDJOUDI). 
         Pour cette dernière affaire, la Cour a conclu à la violation 
          de l'article 8 en contrariété de jurisprudence avec 
          le Conseil d'Etat. 
          Le Conseil d'Etat  
          et l'article 8
        Plus généralement, la confirmation de l'extension du champ 
        d'application de la Convention à la police des étrangers 
        par le biais du droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 
        a conduit le Conseil d'Etat français, en un important revirement 
        de jurisprudence opéré en janvier et avril 1991 
        par les arrêts BELDJOUDI [29], 
        BELGACEM [30] et BABAS [31], 
        à faire application de ces dispositions aux décisions d'expulsion 
        et de reconduite à la frontière des étrangers, puis 
        à étendre cette jurisprudence aux refus de délivrance 
        d'un visa [32], d'un titre de séjour [33] 
        et d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion [34]. 
        La jurisprudence européenne développée en ce domaine 
          n'a pas été non plus sans influencer la nouvelle législation 
          interne en matière d'interdiction du territoire français. 
          C'est dire l'impact des arrêts de la Cour, lequel déborde 
          largement leur stricte portée juridique, mais aussi des 
          décisions et rapports de la Commission, sur les autorités 
          nationales, comme le relève fort justement le professeur Frédéric 
          Sudre [35]. 
          
          Hélène Clément 
          Avocat au Barreau de Paris  
        
  
         
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         Notes 
        [1] Actes du Colloque 
          sur les droits de l'homme sans frontières, Conseil de l'Europe, 
          1990, p. 127, Document d'information de M. J. Madureira. 
        [2] Arrêt MARCKX c/ 
          Belgique, 13 juin 1979, Série A, n° 31. 
        [3] Req. 7229/75, X et 
          Y c/ Royaume-Uni, D.R. 12, p. 32. 
        [4] Req. 7289/75 et 7349/76, 
          X et Y c/ Suisse, D.R. 9, p. 57. 
          Req. 12495/86, Benny JONSSON c/ Suède, D.R. 54, p. 187. 
         [5] Req. 7229/75, X et 
          Y c/ Royaume-Uni, D.R. 12, p. 32. 
         [6] ibid. 
         [7] Req. 5269/71, X et 
          Y c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 15, p. 565. 
         [8] Req. 2992/66, Harbajan 
          SINGH c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 10, p. 483. 
         [9] Req. 10375/83, S. et 
          S. c/ Royaume-Uni, D.R. 40, p. 196. 
         [10] Req. 12402/86, 
          Angela et Rodney PRICE c/ Royaume-Uni, D.R. 55, p. 224. 
         [11] Arrêt du 
          21 juin 1988, série A, n° 138. 
         [12] Rapport Commission 
          du 7/10/1986. 
         [13] Req. 12495/86, 
          Benny JONSSON c/ Suède, D.R. 54, p. 187. 
         [14] Rapport Commission 
          du 12/10/1989. 
         [15] Rapport Commission 
          du 15/3/1990. L'affaire a été rayée du rôle 
          de la Cour européenne des droits de l'homme le 23/1/1991, à 
          la suite d'un règlement amiable (arrêt, série A, 
          n° 191-B). 
         [16] Arrêt du 
          28 mai 1985, série A, n° 94. 
         [17] Actes du Colloque 
          sur les droits de l'homme des étrangers en Europe, Conseil de 
          l'Europe, 1975, p. 116, rapport de M. SILVEIRA. 
          Voir : 
          req. 5269/71, X et Y c/ Royaume-Uni, Annuaire n° 15, 
          p. 565 ; 
          req. 8244/78, UPPAL et autres c/ Royaume-Uni, D.R. 17, p. 149 
          et rapport Commission (règlement amiable) du 9/7/1980, D.R. 20, 
          p. 29 ; 
          req. 9088/80, X c/ Royaume-Uni, D.R. 28, p. 160 ; 
          req. 9478/81, X c/ République fédérale d'Allemagne, 
          D.R. 27, p. 243 ; 
          req. 9492/81, famille X c/ Royaume-Uni, D.R. 30, p. 232 : 
          req. 12122/86, S. LUKKA c/ Royaume-Uni, D.R. 50, p. 268 ; 
          req. 13078/87, FADELE c/ Royaume-Uni,, Déc. du 12/2/1990 
          (inédit) et rapport Commission (règlement amiable) du 
          4/7/1991. 
         [18] Req. 11333/85, 
          C. c/ République fédérale d'Allemagne, 
          D.R. 43, p. 227. 
         [19] Req. 9088/80, X c/ Royaume-Uni, 
          D.R. 28, p. 160 
          Req. 9285/81, X, Y et Z c/ Royaume-Uni, D.R. 29, p. 205 
          Req. 12122/86, S. LUKKA c/ Royaume-Uni, D.R. 50, p. 268 
          Req.14984/89, Andrea DE ALWIS c/ Royaume-Uni, Déc. 
          du 5/10/1990 (inédit) 
         [20] Req. 6357/73, X c/ 
          République fédérale d'Allemagne, D.R. 1, p. 77 
          Req. 8041/77, X c/ République fédérale d'Allemagne, 
          D.R. 12, p. 197 
          Req. 11278/84, Famille K et W c/ Pays-Bas, D.R. 43, p. 216 
          Req. 12461/86, Y. H. c/ République fédérale 
          d'Allemagne, D.R. 51, p. 258 
          Req. 15100/89, Déc. du 13/7/1989 (inédit). 
         [21] Rapport Commission 
          du 6/9/1990. 
         [22] Req. 16990/90, 
          Arab AMGHAR c/ la France, Déc. du 7/4/1992 (inédit). 
         [23] Req. 6357/73, X c/ 
          République fédérale d'Allemagne, D.R. 1, p. 77. 
         [24] Req. 7816/77, X et 
          Y c/ République fédérale d'Allemagne, D.R. 9, 
          p. 219 
          Req. 8041/77, X c/ République fédérale 
          d'Allemagne, D.R. 12, p. 197 
          Req. 9203/80, X c/ Danemark, D.R. 24, p. 239 
          Req. 15100/89, Déc. du 13/7/1989 (inédit) 
          Req. 19328/92, Déc. du 19/5/1992 (inédit) 
         [25] Arrêt du 
          18/2/1991, série A, n° 193 
         [26] Arrêt du 
          26/3/1992, série A, n° 234-A 
         [27] Req. 15671/89, 
          Rabah ABBAS c/ la France, Déc. du 6/12/1991 (inédit) 
          et rapport commission (règlement amiable) du 7/7/1992. 
         [28] Actes du Colloque 
          sur les droits de l'homme sans frontières, Conseil de l'Europe, 
          1990, p. 15, exposé de Mme S. Dollé. 
         [29] CE 18/1/1991, BELDJOUDI 
         [30] CE Ass., 19/4/1991, 
          BELGACEM 
         [31] CE Ass., 19/4/1991, 
          BABAS 
         [32] CE 10/4/1992, AYKAN 
         [33] CE 10/4/1992, MARZINI 
         [34] CE 10/4/1992, MININ. 
         [35] F. Sudre, Droit 
          interne et européen des droits de l'homme, PUF, 1989 ; 
          « L'influence de la Convention européenne des droits 
          de l'homme sur l'ordre juridique interne », RUDH, 1991, p. 259-274. 
         
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             6-02-2001  11:43.   
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/20/police.html 
            
  
 
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