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Plein Droit n° 56, mars 2003
« Les spoliés de la décolonisation »

Le combat d´Ayed D. pour la dignité

Propos recueillis par Antoine Math et Alexis Spire

Ancien tirailleur marocain, Ayed D., est aujourd’hui âgé de soixante-neuf ans et sa trajectoire est marquée par les multiples discriminations légales qu’un étranger « au service de la France » a pu cumuler tout au long de sa vie. C’est par hasard, dans le train, que nous avons rencontré ce retraité chaleureux et combatif qui a accepté de nous raconter sa vie.

Depuis sa naissance au Maroc sous protectorat français (« Le Maroc c’était aussi la France »), Ayed n’a connu que le drapeau français partout où il a vécu. Orphelin de père, il part à l’âge de huit ans en Algérie à plus de 360 kilomètres de la maison familiale, pour y travailler dans les vignobles des colons français. A la fin des années 1940, lorsque les Marocains sont accusés d’être impliqués dans les premiers troubles entre colons et indépendantistes, il est raccompagné à la frontière marocaine par les gendarmes français.

Isolé du reste de sa famille et ne trouvant pas de travail, il est enrôlé dans l’armée à dix-huit ans comme appelé puis souscrit un engagement. En 1955, après quelques mois de combats au Maroc, il est envoyé en métropole avec soixante collègues du 4e régiment de tirailleurs marocains « non, pas Marocains, Français, tirailleurs français » insiste-t-il. Il connaîtra de nombreuses villes de garnison (Dijon, Auxerre, Besançon, Le Mans, Courquedan, Saint-Malo), passera 1re classe, brigadier, recevra diverses médailles dont une citation comme croix de guerre. En 1964, sur injonction du roi du Maroc, il est renvoyé de l’armée alors qu’il a servi pendant une douzaine d’années. On lui propose alors de retourner au Maroc mais pas de devenir français : « on m’a dit que je n’avais pas le droit de rester dans l’armée française, je ne voulais pas aller dans l’armée marocaine, ni retourner au Maroc, alors j’ai dit vive les libertés civiles ». Pour la nationalité, « je n’y comprenais rien, j’ai pensé toute ma vie que j’étais né et étais resté français », « français, c’est français », « mon pays, c’est là où je mange mon pain ».

Après ces années passées sous les drapeaux, rien ne lui a été proposé. Il n’a jamais touché la prime d’engagement promise ni les quatrevingt dix jours de préavis pourtant inscrits sur son livret militaire. Durant ces douze ans, l’armée n’a jamais cherché à lui apprendre à lire et à écrire, ni à lui donner une formation. Aujourd’hui, pour le calcul de sa retraite, la période de service au Maroc de 1952 à 1955 n’est pas comptée et l’armée a versé des cotisations ridicules pour les périodes suivantes, comme en atteste son relevé de carrière. Ainsi, plus de quarante ans plus tard, il paie encore les pratiques discriminatoires de l’État français.

De l’armée au chantier

Dans le privé, Ayed a connu également des employeurs véreux, en particulier dans le bâtiment où il a travaillé comme coffreur puis bétonneur. Il se souvient de l’époque où le patron emmenait les ouvriers chaque jour d’Annemasse à Genève pour y travailler et les logeait dans des bungalows placés « à côté des chantiers », « sans lumière ni chauffage » (« on chauffait nous-mêmes en brûlant du bois »), moyennant un loyer prélevé sur le salaire.

Un jour, Ayed prend la tête de la contestation et se fait licencier pour avoir dirigé le mouvement de grève ; quelque temps après, on lui notifie une mesure d’expulsion après intervention du patron auprès de l’inspecteur du travail. Il se cache, part alors travailler à la chaîne dans une usine de fabrication de colle et parvient à régulariser sa situation administrative. Quatre de ces années de travail dans le privé ne sont pas reportées sur son relevé de carrière de retraite, faute d’avoir été déclarées par ses anciens patrons.

A l’occasion d’un retour au Maroc, il se marie en 1966 ; sa femme le rejoint en France en 1970 et ils décident de s’installer en Alsace où ils vivent avec leurs huit enfants.

En 1976, Ayed entre à la SNCF mais, comme il est étranger, il ne peut bénéficier du statut réservé aux Français en raison des discriminations inscrites dans le statut des cheminots. Les étrangers sont acceptés à la SNCF mais à condition de travailler avec un statut discriminatoire créé de manière ad hoc spécialement pour eux. Il est affecté au remplacement des rails, des traverses et transporte des matériaux avec les draisines.

Contrairement aux cheminots qui partent à cinquante-cinq ans avec une bonne retraite (proche du dernier salaire), Ayed a été obligé, en raison de sont statut, de travailler jusqu’à l’âge de soixante-deux ans alors qu’il ne s’est jamais arrêté depuis l’âge de huit ans. Cependant comme ses divers employeurs (les colons d’Algérie, l’armée, les employeurs du bâtiment) ne l’ont pas déclaré ou l’ont cantonné dans un statut dégradé, sa retraite est finalement d’un montant très faible ; elle est tellement insuffisante qu’elle est complétée par l’allocation supplémentaire (l’ex-FNS) pour lui permettre d’atteindre le niveau du minimum vieillesse. Initialement, même cette prestation minimale lui était refusée, comme à tous les autres étrangers non communautaires.

Cette discrimination, qui sera finalement supprimée en 1998, a d’ailleurs conduit Ayed à demander la nationalité française après la retraite à soixante-trois ans. Ce faisant, il évite aussi une autre discrimination fondée sur la nationalité, la « cristallisation » de sa retraite de combattant qu’il peut toucher à taux plein - 420 euros par an - alors qu’elle serait de 48 euros s’il était resté Marocain.

Mais la naturalisation ne supprime pas l’énorme discrimination subie à la SNCF. Syndiqué à la CGT de 1976 à 1995, Ayed a beaucoup milité comme cheminot mais il n’a pas le souvenir que les syndicats de la SNCF se soient battus pour dénoncer le statut discriminatoire qui était le sien[1].

Il est néanmoins fier d’évoquer les actions militantes, les distributions de tracts, les ventes de journaux, les participations au 1er mai, et se souvient s’être battu avec la CGT pour obtenir la carte de retraité SNCF qui lui permet désormais de circuler gratuitement. Ce droit aussi, la SNCF ne voulait pas l’accorder aux étrangers au même titre qu’aux autres cheminots retraités...

Aujourd’hui, Ayed est toujours très actif dans son quartier et à l’ATMF, l’association des travailleurs maghrébins de France (anciennement association des travailleurs marocains de France). Il ressent les discriminations qu’il a subies comme une atteinte à sa dignité et conserve la conviction qu’il devra toujours se battre pour obtenir ses droits.


Notes

[1] Contrairement aux syndicats de la RATP qui se sont récemment accordés pour supprimer la clause de nationalité, une majorité des syndicats de la SNCF s’oppose toujours à la suppression de cette condition de nationalité à la SNCF, quitte, en pratique, à se satisfaire des discriminations subies depuis des décennies par les étrangers embauchés sous statut au rabais.

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Dernière mise à jour : 21-06-2012 14:27 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/56/combat.html


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