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Conseil national des populations immigrées
Groupe de travail « Egalité des droits »

Rapport

Rapport présenté par Danièle Lochak en septembre 91

Danièle Lochak est professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et présidente du Gisti.


Préambule

L'évolution spontanée du droit français tend vers une assimilation croissante des étrangers aux nationaux et donc vers une plus grande égalité des droits dans la plupart des domaines. Un certain nombre de discriminations subsistent néanmoins, dont beaucoup ne paraissent pas justifiées par les caractères propres de la situation d'étranger.

A l'heure où l'intégration est à l'ordre du jour, et où les plus hautes juridictions de notre pays sont venues rappeler qu'on ne pouvait subordonner le bénéfice de certains droits à une condition de nationalité, il paraît à la fois opportun et nécessaire, tant pour des raisons de principe que pour des raisons juridiques, d'accélerer l'évolution entamée, et de faire disparaître des lois et réglements les restrictions empêchant l'accès des étrangers à l'égalité des droits avec les nationaux.

Le présent rapport se propose donc, après avoir exposé les données actuelles de la situation, de dresser l'inventaire des différences de traitement dont on peut penser, au regard des textes et de la jurisprudence, qu'elles sont illégales ou inconstitutionnelles, ou dont l'existence ne correspond à aucun impératif constitutionnel et dont la suppression paraît souhaitable au regard des objectifs d'intégration et d'insertion.

Exposé des motifs

La situation actuelle

1. Les lois françaises s'appliquent en principe à l'ensemble des individus résidant en France, qu'ils soient Français ou étrangers. Ce principe ne connaît que deux exceptions : d'une part l'existence d'une convention internationale peut conduire à écarter l'application du droit interne aux nationaux de l'Etat cocontractant, d'autre part, en matière de statut personnel (filiation, mariage, divorce...), c'est normalement la loi du pays d'origine de l'intéressé qui s'applique.

L'applicabilité de principe de la législation françaises aux étrangers n'implique pas pour autant une identité de situation juridique entre nationaux et étrangers :

  • il existe en premier lieu des textes spécifiques régissant les étrangers : c'est le cas pour tout ce qui a trait aux conditions d'entrée et de séjour sur le territoire français, ainsi qu'aux mesures d'éloignement ;

  • on trouve en second lieu dans les textes d'application générale des dispositions spécifiques concernant les étrangers, qui dérogent aux principes généraux établis pour les Français : ainsi de l'autorisation de travail exigée par l'article L.341-2 du Code du travail, qui déroge au principe de la liberté du travail, ou encore du régime des publications étrangères, fixé par l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse modifié par le décret-loi du 6 mai 1939, qui déroge au principe de la liberté de la presse ;

  • enfin, l'accès à certains droits et prérogatives est subordonné à une condition de nationalité française, complétée le cas échéant par une condition de réciprocité qui permet d'en accorder le bénéfice aux étrangers lorsque la législation de l'Etat dont ils sont ressortissants accorde des droits et prérogatives identiques aux Français.

2. Les différences de traitement entre nationaux et étrangers s'expliquent en gros par trois types de considérations :

  • le principe de la souveraineté étatique, qui permet à chaque Etat de réglementer comme il l'entend l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire, et qui constitue un facteur irréductible de différenciation entre la situation juridique des nationaux et celle des étrangers et qui a des répercussions sur toute une série de domaines ;

  • la référence à l'Etat-nation qui, en réservant aux nationaux l'exercice de la citoyenneté, exclut par là-même les étrangers d'un ensemble de droits qu'on considère comme étant liés à la citoyenneté (les droits politiques et les droits "civiques") ;

  • l'idée qu'il faut protéger la collectivité nationale contre les risques que peuvent lui faire courir la présence ou l'influence étrangères, tant sur le plan de la sécurité et de l'ordre public qu'en matière économique (concurrence sur le marché du travail par exemple).

3. Il faut croire que la force de ces considérations tend à s'émousser avec le temps, puisqu'on constate dans beaucoup de domaines un alignement progressif de la condition des étrangers sur celle des nationaux, qui se manifeste notamment par la suppression de la condition de nationalité d'un grand nombre de textes.

Cette tendance, qui se reflète également dans les conventions internationales, s'explique par une conception plus exigeante des droits de l'homme : l'existence de discriminations fondées sur la nationalité n'apparaît plus comme une chose naturelle, surtout lorsque sont en cause les droits fondamentaux. A cela s'ajoute le fait que les étrangers ne sont plus "de passage" dans les pays où ils résident, mais y sont pour la plupart installés durablement : les restrictions apportées à leurs droits ont donc des conséquences plus graves, et elles sont moins aisées à justifier.

S'il existe bien une évolution positive, elle ne touche pas de la même façon tous les domaines.

  • Dans la sphère des droits civils, en dépit de l'article 11 du Code civil qui dispose que "l'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra", la condition des étrangers est pratiquement alignée sur celle des nationaux (sous réserve de l'application de la loi nationale en matière de statut personnel). Il est en effet acquis en jurisprudence que les étrangers jouissent en France de tous les droits privés qui ne leurs sont pas refusés par une disposition expresse de la loi ; or les lois qui subordonnent l'exercice d'un droit à une condition de nationalité sont désormais extrêmement rares en matière civile.

  • Dans la sphère des droits économiques et sociaux, ce qui frappe est le contraste entre les droits sociaux (qu'il s'agisse des droits reconnus aux travailleurs ou de la protection sociale) d'un côté, les droits économiques, et notamment l'accès à une activité lucrative, de l'autre. En matière sociale ne subsistent plus que des discriminations limitées, dont la plupart apparaissent comme des séquelles d'une époque révolue, et qui devraient être de ce fait relativement aisées à éliminer. En matière économique, en revanche, on a assisté à partir de la fin du XIXè siècle à un rétrécissement progressif du champ des activités professionnelles accessibles aux étrangers — évolution qui s'est accélérée pendant l'entre-deux guerres sous la pression des groupes d'intérêt corporatifs soucieux de protéger l'activité économique des nationaux contre la concurrence étrangère ; un très grand nombre de professions, non seulement dans le secteur public et para-public mais aussi dans le secteur privé, restent aujourd'hui encore fermées aux étrangers, sans qu'aucun motif tiré de l'intérêt national ou de considérations d'ordre constitutionnel le justifie. C'est sur ce point, comme on le dira plus loin, qu'il convient donc de faire porter l'essentiel des efforts en vue d'assurer l'égalité des droits entre étrangers et nationaux.

  • Dans la sphère des droits publics et politiques, les étrangers restent exclus du droit de vote ainsi que d'autres droits considérés traditionnellement comme des attributs de la citoyenneté : tel l'accès à la fonction publique ou le droit de participer à l'exercice de la justice, même à titre non professionnel. Dans ce domaine non plus la situation n'est pas pour autant figée et des évolutions sont parfaitement envisageables. On constate en effet que des droits qu'on avait tendance à considérer comme "politiques" ont parfois basculé du jour au lendemain dans la catégorie des droits sociaux, qu'il n'y avait plus dès lors aucune raison de refuser aux étrangers (tel le droit de siéger dans un comité d'entreprise ou dans le conseil d'un établissement scolaire ou universitaire, ou encore le droit de participer à l'élection des conseillers prud'hommes). Et un principe apparemment aussi bien établi que l'exclusion des étrangers de la fonction publique n'a pas empêché de leur reconnaître récemment le droit d'être titularisés dans des corps de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Accélérer l'évolution entamée

Les raisons de s'attacher à faire disparaître de la législation les discriminations qui subsistent et qui ne sont justifiées par aucun impératif d'ordre constitutionnel sont d'abord des raisons d'opportunité, ensuite des raisons juridiques.

1. Dans la perspective de favoriser l'intégration des populations immigrées, la suppression des discriminations est doublement nécessaire :

  • sur le plan pratique, il est évident que les discriminations constituent ou peuvent constituer un obstacle à l'insertion, notamment professionnelle : il s'agit là d'un constat quasiment mathématique lorsque plusieurs millions d'emplois et plusieurs dizaines de professions et métiers sont fermés aux étrangers.

  • sur le plan symbolique, les conséquences ne sont pas moins importantes, puisque discrimination signifie exclusion et différence. Le fait de se voir interdire l'accès à certains droits, simplement parce qu'on n'a pas la nationalité française, alors qu'on est exactement dans la même situation qu'un autre, qui est Français, ne peut que provoquer un sentiment d'exclusion, voire d'injustice chez les intéressés. Symétriquement, l'existence de discriminations conforte les Français dans l'idée qu'il existe une différence fondamentale entre les étrangers et les nationaux, et qu'il est normal que des droits égaux ne soient pas accordés aux uns et aux autres. C'est pour cette raison qu'il est aussi important de supprimer les discriminations qui ne touchent matériellement qu'un petit nombre de personnes (telle l'allocation supplémentaire du FNS ou l'accès à la profession de médecin) que les autres.

Il convient d'insister sur le fait que l'exclusion dont sont victimes les étrangers, notamment en matière d'emploi, a également des répercussions sur ceux d'entre eux qui acquièrent la nationalité française. C'est ainsi que les jeunes de nationalité étrangère qui ont été scolarisés en France et sont parfaitement intégrés culturellement à la société française voient leurs perspectives professionnelles rétrécies dès le départ, puisqu'ils savent que l'accès à certains métiers, et notamment à la fonction publique, est subordonné à leur naturalisation préalable, procédure longue et dont le résultat n'est jamais absolument certain ; ils ont donc spontanément tendance à se diriger vers les professions pour lesquelles la nationalité française n'est pas exigée. Même les jeunes nés en France, qui deviennent Français à leur majorité, peuvent être indirectement victimes de ces dispositions discriminatoires, dès lors que le choix d'une formation ou l'inscription à un concours se fait parfois avant l'âge de 18 ans — sans compter que la délivrance d'un certificat de nationalité dont la production sera exigée pour s'inscrire à un concours ou postuler à un emploi intervient généralement de longs mois après la majorité de l'intéressé.

2. Sur le plan juridique, il existe des données nouvelles dont il convient de tenir compte.

  • En premier lieu, les conventions internationales imposent de plus en plus souvent l'égalité de traitement entre nationaux et étrangers. Si la législation française a évolué de telle façon qu'elle se trouve globalement plutôt en avance sur le contenu de ces conventions, il arrive néanmoins qu'elle se trouve en contradiction avec telle ou telle de ces conventions : ainsi, le fait de réserver le droit à l'allocation adulte handicapé ou à l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité aux Français ou aux étrangers bénéficiaires d'une clause de réciprocité (voir infra) viole le principe d'égalité de traitement posé par la Convention 118 de l'OIT pour l'ensemble des prestations de sécurité sociale (voir en ce sens les rapports successifs de la Commission d'experts chargée de veiller à l'application des conventions) ; de même, la France viole les obligations qui lui sont imposées par le Traité de Rome, telles que la Cour de justice les a interprétées, en continuant (à l'instar de ses partenaires il est vrai) à subordonner à une condition de nationalité l'accès à l'ensemble des emplois publics.

  • C'est précisément l'incidence du droit communautaire qui constitue le second élément nouveau. En effet, si la France n'est évidemment pas tenue, juridiquement, d'accorder aux ressortissants des pays tiers les droits qu'elle doit ou devra accorder aux ressortissants communautaires, la situation des seconds ne pourra pas ne pas avoir de répercussions indirectes sur celle des premiers. Ainsi, si l'on assouplit la condition de nationalité française pour laisser accéder les ressortissants des Etats membres à un grand nombre d'emplois jusque là réservés aux Français, y compris dans la fonction publique, on aura fait la démonstration que la condition de nationalité est dans de nombreux cas une disposition d'inspiration purement protectionniste, et nullement l'expression d'une nécessité constitutionnelle. Comment, dans ces conditions, maintenir intactes les discriminations existantes ?

    Les circonstances dans lesquelles le Conseil constitutionnel a été amené à rendre sa décision du 22 janvier 1990 sont tout à fait symptômatiques à cet égard : en effet, le texte dont le Conseil s'est trouvé saisi visait à faire bénéficier les ressortissants de la CEE de l'allocation supplémentaire du FNS afin de mettre le Code de la sécurité sociale en conformité avec le Traité de Rome ; le Conseil constitutionnel l'a invalidé parce qu'il laissait subsister une discrimination injustifiée en ce qui concerne les autres étrangers résidant régulièrement en France. On a là une illustration parfaite de l'incidence indirecte que ne peut manquer d'avoir le droit communautaire sur la condition de l'ensemble des étrangers.

  • Le troisième élément nouveau, c'est précisément le fait qu'à six mois d'intervalle les deux plus hautes juridictions françaises — le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel — ont affirmé de façon plus nette qu'elles ne l'avaient fait jusque là que les discriminations à l'encontre des étrangers ne sont pas forcément licites, et que, s'agissant de la protection sociale, elles sont même a priori illicites.

    Pour déclarer inconstitutionnelle la disposition du Code de la sécurité sociale excluant les étrangers non bénéficiaires d'une convention de réciprocité du bénéfice de l'allocation supplémentaire du FNS, le Conseil constitutionnel s'est fondé sur l'idée que si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, c'est "à la condition de respecter les engagements internationaux souscrits par la France et les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République".

    Le Conseil d'Etat, de son côté, dans un arrêt du 30 juin 1989, Ville de Paris c/ Lévy, a annulé la délibération du Conseil de Paris créant une allocation de congé parental d'éducation parce qu'elle excluait de son bénéfice les familles étrangères extra-communautaires, estimant que rien ne justifiait cette différence de traitement entre résidents parisiens en fonction de leur nationalité. On peut déduire de cette décision que le versement de prestations d'aide sociale facultatives ne peut être subordonné à une condition de nationalité.

    La décision du Conseil constitutionnel invite clairement les pouvoirs publics à modifier le Code de la sécurité sociale, dans ses dispositions concernant non seulement l'allocation supplémentaire du FNS, mais toutes les prestations analogues, également subordonnées à une condition de nationalité, dont l'inconstitutionnalité ne fait désormais plus de doute. A moyen terme, cette décision devrait obliger le législateur et le pouvoir réglementaire à procéder à un "toilettage" de l'ensemble de la législation et de la réglementation en vigueur, pour l'épurer des dispositions qui, sur la base du considérant de principe figurant dans la décision du 22 janvier 1990, doivent être également considéréres comme inconstitutionnelles.

C'est dans cette perspective qu'ont été formulées les propositions qui suivent. Le CNPI, toutefois, n'a pas entendu se limiter à réclamer la suppression des discriminations dont l'inconstitutionnalité ou l'illégalité est clairement établie ; il propose également la suppression de toute une série de discriminations qui, sans être inconstitutionnelles, paraissent néanmoins inopportunes pour les raisons rappelées ci-dessus.

Propositions

Nous nous proposons de faire ici l'inventaire des différences de traitement qui subsistent dans la législation française et dont il paraît nécessaire de reconsidérer le bien-fondé. Nous n'avons pris en considération que les discriminations qui résultent immédiatement de la législation applicable. Ont par conséquent été laissées en dehors de notre champ d'investigation :

  1. les discriminations qui ne résultent pas des textes, mais des pratiques ; la législation française (art. 416 et 187-1 du Code pénal) punit du reste les discriminations dans le domaine de l'emploi, dans la fourniture de biens et de services, ou encore dans l'accès aux services publics.

  2. les discriminations de fait qui trouvent leur origine, pour les étrangers comme pour les Français, dans l'inégalité des conditions sociales ;

  3. les discriminations qui résultent — pour les femmes plus particulièrement — de l'application du statut personnel ; sur ce point, qui ne relève pas d'une simple réforme législative, le CNPI souhaite qu'une réflexion approfondie soit rapidement engagée, qui puisse déboucher sur des propositions concrètes ;

  4. les discriminations qui ne se trouvent pas directement dans les textes, mais sont la conséquence indirecte des règles régissant l'entrée et le séjour des étrangers sur le territoire français. Ce qui n'empêche pas les membres du CNPI de penser que certaines de ces discriminations sont regrettables, voire choquantes : telle les difficultés rencontrées par les étrangers pour vivre en famille, en raison des conditions excessivement rigoureuses mises au regroupement familial (le CNPI a pris position sur ce point dans son avis du 7 décembre 1989) ; telle encore la double peine qui frappe les étrangers lorsqu'à la condamnation pénale s'ajoute l'expulsion ou — plus grave encore — l'interdiction définitive du territoire français en cas de condamnation pénale pour infraction à la législation sur les stupéfiants.

Si le présent rapport se limite aux dispositions législatives et réglementaires directement discriminatoires, c'est à dire qui subordonnent le bénéfice d'un droit à une condition de nationalité, c'est parce que les autres sources de discrimination ont déjà fait l'objet, en son sein ou au sein d'autres instances, de nombreux débats, et ont déjà débouché sur une série de propositions.

Les libertés publiques

Dans le domaine des libertés publiques — libertés individuelles ou libertés collectives telles que liberté de réunion et d'association, liberté de la presse, etc... — les discriminations sont d'autant moins tolérables que ces libertés sont la concrétisation des droits les plus fondamentaux de l'homme dont tout individu, quelle que soit sa nationalité, devrait pouvoir se prévaloir.

L'exercice de ces libertés par les étrangers subit pourtant, dans les faits, des restrictions importantes, et cela pour deux raisons essentielles :

  • d'une part, les règles sur le séjour, qui sont par essence discriminatoires puisque l'étranger, contrairement au national, n'a jamais de droit absolu à se maintenir sur le territoire français, ont pour effet d'apporter des restrictions importantes à certaines libertés. On citera à titre d'exemple : la possibilité que donne le décret du 18 mars 1946 d'interdire à un étranger de séjourner dans certains départements ou de l'assigner à résidence ; la rétention administrative, qui revient à priver un étranger de sa liberté en dehors de toute procédure pénale et même en l'absence de toute infraction pénale ; ou encore l'expulsion ou l'interdiction — éventuellement définitive et sans possibilité de relèvement — du territoire français, qui s'apparentent dans certains cas à un véritable bannissement.

  • d'autre part certaines libertés s'exerçant dans la sphère publique sont susceptibles de comporter une dimension politique, ce qui conduit le législateur ou l'exécutif à en contrôler plus étroitement l'exercice par les étrangers.

On laissera ici de côté, pour les raisons indiquées plus haut, les discriminations qui sont la conséquence indirecte des règles régissant l'entrée et le séjour des étrangers en France, et dont la suppression supposerait une modification de ces règles générales. Si l'on se limite aux textes régissant directement l'exercice de certaines libertés publiques, c'est dans le domaine de la liberté de la presse que subistent les principales discriminations :

  • d'une part, le directeur d'une publication périodique doit être de nationalité française. Ceci en vertu de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1881, ou plutôt de l'interprétation qu'en donne la jurisprudence : en effet, si cet article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance de 1944 sur la presse, prévoyait explicitement que le directeur d'une publication périodique devait être de nationalité française, une loi de 1952 a modifié cette disposition de telle sorte qu'elle ne fait plus référence à la nationalité du directeur de la publication mais prévoit que le directeur, et éventuellement le co-directeur, ne doivent pas avoir été privés de leurs droits civiques par aucune condamnation judiciaire ; mais la jurisprudence a interprété cette disposition comme imposant implicitement la nationalité française au directeur et au co-directeur de la publication. (On notera que le même régime s'applique en matière de communication audiovisuelle, la loi du 30 septembre 1986 imposant à tout service de communication audiovisuelle d'avoir un directeur de la publication qui doit remplir les mêmes conditions de capacité que celles prévues par la loi sur la presse).

    Outre que l'interprétation jurisprudentielle du texte peut prêter à contestation (la condition de n'avoir pas été privé de ses droits civiques indique moins l'intention du législateur de réserver la fonction aux Français que la volonté d'en exclure ceux qui ont commis un crime ou un délit incompatible avec son exercice), cette exclusion peut se révéler à la fois gênante et illogique en pratique. En effet, la loi du 9 octobre 1981 a permis aux étrangers de se regrouper librement en associations, soit seuls, soit avec des Français ; or dans le cas où ces associations éditent des publications, elles ne peuvent désigner comme directeur de la publication le président de l'association, comme cela se fait habituellement. On relève qu'il y a d'ailleurs quelque illogisme à admettre qu'un président d'association puisse être de nationalité étrangère, mais non un directeur de publication.

  • d'autre part, les publications étrangères restent soumises en France à un régime dérogatoire au droit commun, résultant d'un décret-loi du 6 mai 1939 (lequel a modifié dans un sens restrictif l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881). Bien qu'il s'agisse d'un texte de circonstances, comme l'indique assez la date à laquelle il a été pris, ce décret-loi n'a jamais été abrogé, contrairement au décret-loi du 12 avril 1939 sur les associations étrangères abrogé en 1981. Or ce texte, qui permet au ministre de l'Intérieur d'interdire "la circulation, la distribution ou la mise en vente en France des journaux ou écrits périodiques ou non, rédigés en langue étrangère", ainsi que "des journaux ou écrits de provenance étrangère rédigés en langue française imprimés à l'étranger ou en France", soumet les publications réputées étrangères à un véritable régime de police, qui est la négation même de la liberté de la presse.

L'impact de ce texte, qui fait peser une menace virtuelle sur les publications rédigées par les étrangers résidant en France, dépasse d'ailleurs largement la situation de ces derniers. En effet, il est couramment utilisé pour freiner la diffusion en France d'ouvrages pornographiques (ou réputés tels : c'est sur ce fondement que les autorités françaises ont pendant longtemps interdit la diffusion en France de l'oeuvre de Henry Miller) — ou d'inspiration nazie[1] ; et l'interprétation très large donnée à la notion de "provenance étrangère" par le gouvernement et entérinée par le Conseil d'Etat a par exemple permis, en 1969, de faire interdire l'édition française de la revue "Tricontinental" éditée par Maspero, ou encore un ouvrage intitulé "L'ascension de Mobutu", rédigé, édité et imprimé en France par un éditeur français, mais dont l'auteur avait la nationalité belge...

Ces dispositions, qui reviennent à instituer un régime de contrôle préventif, sont manifestement en contradiction avec l'article 11 de la Déclaration de 1789, au termes duquel "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi". Elles contredisent également l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : "Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et sans considérations de frontière", complété par l'article 14 qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité. Elles contredisent enfin le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui contient des dispositions analogues.

Les droits sociaux

1. En tant que travailleurs, les étrangers se sont vu progressivement reconnaître les mêmes droits que les nationaux, qu'il s'agisse de la réglementation des conditions de travail ou de la participation dans l'entreprise. Deux droits leur restent toutefois refusés :

  • le droit d'exercer les fonctions de délégués mineurs
    (art. L. 712-11 du Code du travail). La raison avancée pour justifier cette exclusion est que ceux-ci sont investis, pour tout ce qui touche à la sécurité, d'attributions d'ordre public dépassant la simple fonction représentative de délégué du personnel ;

  • le droit de siéger dans les Conseils de prud'hommes
    (art. L. 513-2), exclusion qui s'étend d'ailleurs aussi aux employeurs. Là encore, on avance que les conseillers prud'hommes, bien que n'ayant pas la qualité de magistrats, rendent des jugements exécutoires et exercent de ce fait une autorité de droit public ;

  • le droit de siéger dans les comités techniques régionaux et nationaux de prévention des accidents du travail — exclusion qui semble n'avoir d'autre fondement qu'une circulaire ministérielle du 1er juillet 1946 (no 106 S.S.).

Les arguments juridiques invoqués ne sont pas aussi déterminants qu'on le prétend. Il faut rappeler, en effet, que les mêmes arguments ont longtemps servi à écarter les étrangers du droit de vote aux élections prud'homales, qui finalement leur a été accordé sans que cela soulève la moindre objection. Par ailleurs, on admet que les étrangers sont éligibles dans les Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, alors que ceux-ci ont des compétences en partie analogues à celles des délégués mineurs et peuvent notamment exiger l'arrêt des machines en cas de danger.

Dans la perspective de la suppression des discriminations entre travailleurs étrangers et travailleurs français, ces dispositions devraient donc être modifiées. C'est en ce sens que s'est d'ailleurs déjà prononcé le CNPI dans son avis du 10 mai 1990 relatif à l'éligibilité aux conseils de prud'hommes et aux organismes consulaires.

2. L'accès aux prestations

Dans l'accès aux prestations sociales, l'assimilation des étrangers aux nationaux est largement réalisée ; le principe de l'égalité de traitement en matière de droits sociaux est d'ailleurs explicitement rappelé par la plupart des conventions internationales relatives à la protection des travailleurs migrants et de leurs familles (cf. notamment la Convention n° 97 de l'OIT sur les travailleurs migrants, et la Convention n° 118 sur l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale). Deux types de discriminations subsistent toutefois.

  1. Les unes sont indirectes. Elles résultent :

    • de ce que l'assimilation des étrangers aux nationaux est subordonnée à une condition de séjour régulier pour l'attribution de certaines prestations : c'est le cas, depuis la loi du 29 décembre 1986, pour les prestations familiales, qui ne sont dues que pour les enfants nés en France ou entrés dans le cadre d'un regroupement familial régulier. Même lorsqu'une telle condition n'est pas exigée par le texte, comme pour les prestations d'assurance maladie, on constate une tendance de plus en plus fréquente des caisses de sécurité sociale à refuser — illégalement — de verser des prestations aux ayants-droit dépourvus de titre de séjour.

    • de l'application du principe de territorialité, qui, par la force des choses, exclut plus fréquemment les étrangers que les Français du bénéfice de certains droits, même si formellement il n'instaure pas de discrimination fondée sur la nationalité. Les prestations familiales, en particulier, ne sont versées pour les enfants restés au pays que sur la base de conventions passées entre la France et le pays d'origine, et selon un barême différent. Elles cessent du reste d'être versées lorsque le travailleur est au chômage ou en pré-retraite (le CNPI, dans son avis du 7 décembre 1989, a demandé la suppression de cette clause d'activité).

    C'est également en vertu du principe de territorialité qu'il est impossible, sauf convention internationale, de liquider les retraites depuis l'étranger. Cette règle touche les travailleurs d'un certain nombre de nationalités retournés chez eux avant l'âge de 60 ans et qui ne résident plus en France à ce moment, en particulier les Chiliens et les Brésiliens, ressortissants de pays avec lesquels il n'existe pas de convention internationale. De même, il est impossible, en l'absence de convention spécifique, d'exporter les rentes invalidité et les rentes d'accident du travail ou de maladie professionnelle (au mieux l'intéressé aura droit, en matière d'accident du travail ou maladie professionnelle, à un capital représentant trois ans de rente), et le suivi médical, en cas de retour au pays, n'est pas pris en charge par la sécurité sociale. Le principe de territorialité, que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs refusé d'ériger en principe à valeur constitutionnelle, ne suffit pas à justifier le maintien en vigueur de ces règles, qui non seulement apparaissent comme discriminatoires mais s'apparentent à une spoliation pure et simple, dans la mesure où les personnes ont cotisé tout au long de leur vie professionnelle en France et ont acquis les droits correspondants.

  2. D'autres discriminations sont directes, c'est à dire inscrites dans les textes. Certaines prestations dites « non contributives », c'est à dire financées par l'impôt et non par les cotisations, ne sont en effet versées aux étrangers que s'ils peuvent se réclamer d'un accord international. On allègue parfois l'idée que ces prestations sont fondées sur l'idée de solidarité et non d'assurance, pour justifier cette exclusion ; mais, outre que c'est là une conception singulièrement étroite de la solidarité sociale, limitée aux seuls nationaux, on voit mal au nom de quelle logique les étrangers devraient en être écartés, puisqu'ils sont astreints, au même titre que les nationaux, au paiement de l'impôt.

    Le débat sur la légitimité de cette exclusion paraît de toutes façons désormais dépassé. Outre que le refus de verser ces allocations (notamment l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité et l'allocation aux adultes handicapés) contredit les obligations souscrites par la France lorsqu'elle a ratifié les Conventions n° 97 et 118 de l'OIT (bien que la France soutienne qu'il s'agit là de prestations d'assistance, n'entrant pas dans le champ de ces conventions, la commission d'experts chargée de veiller à l'application des conventions a à plusieurs reprises émis l'avis inverse), le Conseil constitutionnel a clairement dit dans sa décision du 22 janvier 1990 que l'exclusion des étrangers du bénéfice de ces allocations était inconstitutionnelle. Le raisonnement utilisé à propos de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité vaut en effet pour toute une série d'autres allocations, et notamment :

    • l'allocation aux adultes handicapés (art. L. 821-1 du Code de la sécurité sociale)
    • l'allocation aux vieux travailleurs salariés (art. L. 811-1)
    • l'allocation aux vieux travailleurs non salariés (art. L. 812-1)
    • l'allocation aux mères de famille (art. L. 813-1) où la condition de nationalité s'étend non seulement à l'allocataire mais à ses enfants, puisqu'elle n'est versée qu'aux femmes qui ont élevé des enfants français !

    Il appartient par conséquent au gouvernement de prendre à très bref délai l'initiative d'une modification des dispositions précitées du Code de la sécurité sociale.

    Tel est d'ailleurs l'avis exprimé dans le rapport Marchand sur l'intégration des immigrés (Doc. AN n° 1348, 11 mai 1990), dont la proposition ndeg. 34 est ainsi formulée : « Supprimer la condition de nationalité actuellement applicable à l'attribution de plusieurs prestations non contributives de sécurité sociale et envisager son remplacement par une condition de durée de résidence ».

    En ce qui concerne la suppression de la condition de nationalité, on peut faire remarquer qu'indépendamment des considérations juridiques, qui paraissent décisives, des considérations d'opportunité plaident dans le même sens. On peut en effet penser que parmi les étrangers qui ne peuvent prétendre au versement de ces allocations beaucoup perçoivent — ou pourraient percevoir — le RMI, en raison de la modicité ou de l'absence de leurs ressources. Leur ouvrir droit à ces allocations permettrait de les faire sortir du dispositif RMI, dont la finalité n'est pas de remédier à l'absence de ressources des personnes handicapées ou âgées, mais de réinsérer dans la vie sociale et professionnelle des personnes capables de travailler.

    L'idée de fixer une condition de durée de résidence — pour éviter que ces allocations ne soient versées à des étrangers dont le séjour en France serait très récent et dont on pourrait suspecter qu'ils sont venus s'y installer uniquement pour bénéficier des avantages vieillesse du régime de sécurité sociale français — apparaît en revanche comme une fausse bonne idée :

    • On notera en premier lieu que le versement de deux au moins des allocations concernées — l'allocation aux vieux travailleurs salariés et l'allocation aux vieux travailleurs non salariés — est de toutes façons subordonné à la condition d'avoir exercé une activité professionnelle sur le territoire métropolitain ou dans les DOM pendant vingt-cinq ans.

    • Même pour les autres allocations, la crainte qui sous-tend la proposition semble vaine, compte tenu des conditions strictes auxquelles sont subordonnées l'entrée en France de nouveaux travailleurs ou la régularisation de ceux qui se trouvent déjà sur le territoire. Et s'agissant des ressortissants communautaires, pour lesquels le problème pourrait effectivement se poser, il n'est pas certain, comme le reconnaît le rapport Marchand, qu'une telle condition de résidence serait jugée compatible avec les dispositions du Traité de Rome dès lors qu'elle ne serait pas également applicable aux Français. Mais dans ce cas elle risquerait de pénaliser les Français qui reviendraient en France après avoir accompli une bonne part de leur carrière professionnelle à l'étranger... ce qui n'est évidemment pas souhaitable non plus.

    • Ajoutons que si l'on décidait de fixer une condition de résidence, sa durée serait particulièrement délicate à déterminer. Car si le Conseil constitutionnel, dans une décision du 23 janvier 1987, a estimé que la fixation d'une condition de résidence pour l'octroi de prestations sociales n'emportait pas par elle-même une discrimination contraire à la Constitution, c'est à condition, a-t-il ajouté, que la durée de résidence ne soit pas fixée de telle façon qu'elle aboutisse à mettre en cause le droit à la protection de la santé et à la sécurité matérielle garanti à tous, et notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, par le Préambule de la Constitution de 1946 (lequel dispose également que "tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence").

    Dans ces conditions, on se trouve face à un double dilemme. En ce qui concerne sa durée, ou bien la condition de résidence est fixée de telle façon qu'elle exclut une partie importante de ceux qui pourraient y prétendre, et elle viole le Préambule ; ou bien elle est fixée à un niveau très bas, et dans ce cas elle n'a guère d'utilité. En ce qui concerne son champ d'application, ou bien elle s'applique uniquement aux étrangers, et elle viole à la fois le principe constitutionnel d'égalité et le Traité de Rome ; ou bien elle s'applique à tous, et elle lèse les Français qui se sont expatriés pour aller travailler à l'étranger. On comprend que les décrets d'application de la loi du 27 janvier 1987, qui permettait d'introduire une condition de résidence dans le régime de l'allocation supplémentaire du FNS et de l'AAH, n'aient jamais été pris, et on se demande, en fin de compte, pourquoi le rapport Marchand maintient sa proposition dont il démontre qu'elle est à peu près impossible à mettre en oeuvre.

    Dans le cadre de l'aide sociale, certaines prestations ne sont versées aux étrangers, sauf convention particulière, que s'il remplissent une condition de résidence, d'une durée parfois très longue. Il s'agit notamment :

    • des aides en espèces ou en nature accordées aux personnes âgées et/ou infirmes privées de ressources suffisantes (durée de résidence de 15 ans !) ;

    • de l'aide médicale à domicile, subordonnée à une condition de résidence de 3 ans.

    Sur ce point, on se bornera à reprendre la proposition du Rapport Marchand : "Supprimer toute condition de nationalité et de résidence pour l'accès aux différentes formes d'aide sociale" (proposition n° 35) et les arguments invoqués pour la justifier : "Eu égard à la nature des prestations d'aide sociale, qui sont, pour la plupart, attribuées après un examen personnalisé de la situation du demandeur, pour répondre à une situation urgente créée par une insuffisance de ressources, il paraît à la fois humainement souhaitable et financièrement peu risqué de prôner l'ouverture à tous les étrangers de toutes les formes d'aide sociale sans condition de résidence". D'autant, ajoute le rapport, qu'aux termes de l'article 124 du Code de la famille et de l'aide sociale les prestations sont réservées aux personnes résidant en France, c'est à dire, dans l'interprétation qu'en a donné le Conseil d'Etat, qui y demeurent dans des conditions présentant un minimum de permanence et de stabilité. On ajoutera simplement que le refus de certaines prestations fondé sur la nationalité ou sur l'absence d'une durée suffisante de résidence serait certainement contraire aux dispositions précitées du Préambule de 1946.

    Il convient enfin de rappeler qu'en ce qui concerne les prestations facultatives d'aide sociale instituées par les collectivités locales, les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat ont, à deux occasions au moins, rappelé l'interdiction des discriminations fondées sur la nationalité (à propos de l'allocation parentale d'éducation instituée par la Ville de Paris, dont il a déjà été fait mention plus haut, et à propos d'une aide accordée aux travailleurs privés d'emploi instituée par le BAS de Chatillon, et jugée illégale par le tribunal administratif de Paris dans un jugement du 2 janvier 1986).

L'accès aux emplois publics et para-publics

Il faut distinguer ici les emplois de fonctionnaires et les emplois dans le secteur para-public (entreprises publiques et caisses de sécurité sociale).

1. L'accès à la fonction publique.

L'accès à la fonction publique est considéré, on le sait, comme un droit civique, et donc un attribut de la citoyenneté ; trois millions et demi d'emplois de fonctionnaires de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux sont ainsi réservés aux nationaux. L'énormité du chiffre conduit à s'interroger sur le bien-fondé d'une telle exclusion et des arguments généralement invoqués pour la justifier. Car si l'on peut comprendre, dans le cadre de l'Etat-nation, le refus de confier à un étranger des fonctions qui l'associent à l'exercice de l'autorité étatique (police, armée, magistrature, impôts...), cette explication ne vaut plus à partir du moment où la majorité des fonctionnaires accomplissent des tâches qui ne leur confèrent aucune prérogative particulière.

La vraie raison de cette exclusion est sans doute à rechercher ailleurs : dans le souci de réserver aux nationaux un domaine où il seront à l'abri de la concurrence, ou encore dans le refus de faire bénéficier les étrangers des avantages (relatifs) attachés à la condition de fonctionnaire. La preuve en est que tout en refusant de recruter des étrangers sur des postes de fonctionnaires, on accepte de les recruter, pour accomplir les mêmes tâches, sur des emplois d'auxiliaires ou de contractuels. Le phénomène revêt des dimensions caricaturales dans l'éducation nationale, où l'on recrute comme maîtres-auxiliaires, pour pourvoir des emplois dans les disciplines et les régions déficitaires, des étudiants étrangers plus ou moins qualifiés et qui n'ont pas toujours, juridiquement, le droit de travailler (quand ils ne sont pas, tout simplement, dépourvus de titre de séjour régulier !)

Le moment paraît donc venu de repenser l'ensemble de la question, d'autant que, de façon paradoxale, le développement de l'Etat-Providence, en multipliant le nombre des emplois publics, a multiplié le nombre d'emplois fermés aux étrangers, alors précisément que les fonctionnaires font de plus en plus souvent le même métier que les salariés du secteur privé. L'illogisme de la situation est tel qu'elle ne pourra pas être maintenue indéfiniment.

Le législateur a d'ailleurs introduit lui-même une brèche dans le système, en prévoyant que des personnes de nationalité étrangère pourraient être recrutées et titularisées dans les corps de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans les mêmes conditions que les Français (décret du 6 juin 1984 relatif au statut des enseignants-chercheurs de l'enseignement supérieur, pris en application de la loi du 26 janvier 1984, et décret du 30 décembre 1983 relatif au statut des corps de chercheurs, pris sur le fondement de la loi du 15 juillet 1982). Brèche étroite, sans doute, mais qui atteste que l'exclusion générale des étrangers de la fonction publique n'a rien d'inéluctable et qu'elle ne résulte d'aucun impératif constitutionnel catégorique.

L'idée d'ouvrir certains corps de la fonction publique aux étrangers finira par paraître d'autant plus naturelle que les ressortissants communautaires vont pouvoir, à bref délai, y accéder. On sait en effet que si l'article 48 du Traité exclut du principe de l'égalité de traitement l'accès aux "emplois dans l'administration publique", la Cour de justice des communautés européennes a interprété restrictivement cette exception, comme s'appliquant uniquement aux emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique, et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat et des autres collectivités publique. Une bonne partie des emplois de fonctionnaires devraient donc s'ouvrir dans les années qui viennent aux ressortissants des Etats-membres dans des secteurs comme la recherche, l'enseignement, et les hôpitaux, pour lesquels des directives sont d'ailleurs en préparation à Bruxelles.

On pourrait par conséquent s'inspirer des critères dégagés par la Cour de Luxembourg pour définir les corps et les emplois accessibles aux non nationaux. Sur le plan juridique, on ne voit guère d'obstacles à une telle ouverture. Et sur le plan de l'opportunité la mesure ne présenterait pas seulement des avantages pour les intéressés, notamment pour les jeunes de nationalité étrangère auxquels de nouveaux emplois deviendraient ainsi accessibles (comme enseignants, comme infirmier(e)s ou aides soignant(e)s, comme travailleurs sociaux, par exemple) ; elle aurait aussi des effets bénéfiques du point de vue de l'intérêt général, compte tenu des graves problèmes de recrutement qui affectent beaucoup des secteurs concernés, en offrant de surcroît des garanties accrues de compétence puisque les intéressés rempliraient les mêmes conditions de diplôme et auraient à passer les mêmes concours que les Français.

2. Les entreprises publiques

Le principe d'exclusion de la fonction publique s'est étendu, comme par contagion, à la plupart des emplois du secteur public nationalisé, ce qui représente un million à un million et demi d'emplois supplémentaires fermés aux étrangers.

Les principales entreprises publiques ne peuvent, sur le fondement des textes actuellement en vigueur, embaucher que des agents de nationalité française. C'est le cas à EDF et GDF, dont le personnel est soumis à un statut fixé par un décret du 22 juin 1946, à la SNCF (décret du 1er juin 1950 fixant le statut des cheminots), à la RATP, à Air France, tant en ce qui concerne le personnel navigant — l'article L 421-4 du Code de l'aviation civile impose la nationalité française aux pilotes professionnels — que le personnel au sol, les ressortissants communautaires étant toutefois assimilés désormais aux nationaux.

La condition de nationalité française ne figure pas ou plus, en revanche, dans le statut du mineur, applicable au personnel des houillères et des entreprises de production d'hydrocarbures comme Elf-Aquitaine, ni dans le nouveau statut du personnel de la SEITA.

Les exclusions existantes paraissent parfaitement arbitraires, en ce sens qu'elles ne sont manifestement justifiées par aucune considération d'intérêt national mais reflètent uniquement le souci de réserver aux nationaux un certain contingent d'emplois. Dans la mesure où la plupart d'entre elles concernent également les ressortissants communautaires elles sont clairement contraires au Traité de Rome, comme cela a été jugé par la Cour de Justice à propos des chemins de fer belges. Mais plus généralement, on peut douter de la constitutionnalité ou de la légalité des textes législatifs et réglementaires qui prévoient de telles discriminations à l'embauche alors que le personnel des entreprises publiques n'a pas la qualité d'agent public et encore moins de fonctionnaire.

3. Les caisses de sécurité sociale

Les organismes de sécurité sociale, y compris lorsqu'ils recrutent du personnel soumis au droit commun du travail et régi par des conventions collectives, n'acceptent les étrangers que dans des postes subalternes, n'impliquant pas de participation directe au service public de la protection sociale.

La base juridique de cette exclusion est des plus fragile, puisqu'elle se fonde uniquement, semble-t-il, sur deux lettres ministérielles des 19 octobre 1979 et 16 octobre 1980. On ne trouve en effet ni dans la loi et les règlements, ni dans les conventions collectives, de disposition imposant une condition de nationalité. La première de ces lettres indique aux caisses qu'elles doivent limiter le recrutement de personnel étranger aux postes qui n'impliquent pas de participation directe et effective au service public de la protection sociale. La seconde précise que doivent être considérés comme participant directement à cette gestion, outre les agents de direction et les agents comptables : les agents habilités par délégation du directeur ou de l'agent comptable à ordonnancer et payer les dépenses, encaisser les recettes, contrôler l'assiette des cotisations ; les agents qui, par délégation, même tacite, exercent une fonction d'autorité ; les agents dont les fonctions requièrent l'agrément d'une autorité publique.

On peut sérieusement se demander si les caisses, en refusant d'embaucher des personnes de nationalité étrangère, ne se mettent en infraction avec les dispositions du Code pénal qui répriment toute discrimination à l'embauche, et sur lesquelles de simples lettres ministérielles ne peuvent à l'évidence prévaloir...

Pour justifier ces exclusions, on avance que les emplois en question impliquent une participation à l'exécution d'un service public — justification qui, compte tenu de l'évolution qu'on a pu constater par ailleurs (voir plus loin), n'a plus guère de sens aujourd'hui. Dans le cas précis des organismes de sécurité sociale, ces exclusions semblent d'autant plus paradoxales que les étrangers sont désormais admis à siéger dans les conseils d'administration des caisses sur un pied d'égalité avec les Français.

L'accès aux emplois du secteur privé

1. Les emplois de salariés

Les emplois de salariés du secteur privé interdits aux étrangers sont relativement peu nombreux. Les étrangers ne peuvent être employés dans les salles de jeu. Ils ne peuvent être pilotes professionnels, même dans des compagnies privées (sauf s'ils sont ressortissants d'un Etat membre de la CEE). Pour être embauchés comme professeurs, ou même comme surveillants, dans un établissement d'enseignement privé, ils doivent obtenir préalablement une autorisation spéciale du recteur accordée après avis du conseil de l'éducation nationale de l'académie, autorisation qui peut être retirée dans les mêmes formes. Pour accéder aux fonctions de professeur dans l'enseignement techniques ils doivent y avoir été autorisés par une décision spéciale du ministre de l'Education nationale.

Dans la mesure où l'accès à ces professions est subordonné à un certain nombre de garanties de compétence et/ou de "moralité", on voit mal les raisons qui justifient les restrictions spécifiques mises à l'accès des étrangers de ces emplois.

2. Les professions indépendantes industrielles et commerciales

Ici, en revanche, les restrictions sont très nombreuses. Sans que la liste soit exhaustive, on relève que les étrangers ne peuvent, sauf disposition plus favorable d'une convention internationale, ni tenir un débit de boissons (art. L 31 du Code des débits de boissons, dans sa rédaction issue d'un décret-loi du 29 juillet 1939), ni gérer un débit de tabac (la gestion des débits de tabacs, liée au monopole de l'Etat, étant assimilée, d'une façon qu'on peut juger excessive, à une fonction publique), ni exploiter un cercle de jeu ou un casino (art. 3 de la loi du 15 juin 1907 modifiée par la loi du 9 juin 1977), ni se livrer à la fabrication et au commerce des armes et munitions (décret du 14 août 1939) — cette dernière exclusion se comprenant mieux que les autres.

Ils ne peuvent diriger ni une entreprise de spectacles (art. 4 de l'ordonnance du 13 octobre 1945), ni un établissement privé d'enseignement technique (art. 70 du Code de l'enseignement technique) — exclusion d'autant plus incompréhensible qu'elle n'existe pas sous cette forme aussi radicale dans le cas de l'enseignement secondaire. Ils ne peuvent pas être directeur ou gérant d'une agence privée de recherche (loi du 28 septembre 1942 modifiée par la loi du 23 décembre 1980), non plus qu'exercer à titre individuel ou comme dirigeant d'entreprise des activités privées de surveillance, de gardiennage ou de transport de fonds (art. 5 de la loi du 12 juillet 1983), à moins qu'ils ne puissent se prévaloir dans ce dernier cas d'un accord de réciprocité.

Ils ne peuvent être directeurs ni d'une publication périodique ou d'un service de communication audiovisuelle, comme on l'a rappelé plus haut, ni d'une société coopérative de messagerie de presse (art. 11 de la loi du 2 avril 1947) et ne peuvent pas siéger dans le comité de rédaction d'une entreprise éditant des publications destinées à la jeunesse (art. 4 de la loi du 16 juillet 1949).

Ils sont encore exclus de tout un ensemble de métiers du secteur des transports (les professions de transporteur routier, fluvial, ou aérien sont réservées aux Français, sous réserve des conventions internationales), des assurances (les courtiers et agents généraux doivent être français aux termes de l'article R 511-4 du Code des assurances) ou de la bourse et du commerce (la nationalité française est exigée des courtiers de marchandises assermentés et des remisiers et gérants de portefeuille, les textes réservant toutefois l'application des conventions internationales, du traité de Rome, et les dérogations individuelles accordées par le ministre).

3. Les professions agricoles

L'article L. 413-1 du Code rural dispose que les exploitants de nationalité étrangère — sauf s'ils sont ressortissants de la CEE ou si leurs enfants sont français — ne peuvent bénéficier du statut du fermage et du métayage.

4. Les professions libérales

Du côté des professions dites "libérales", qui portent en l'occurrence bien mal leur nom, la fermeture est également la règle.

S'agissant des professions de santé, les textes en vigueur imposent aux médecins, aux chirurgiens-dentistes et aux sages-femmes une double exigence de nationalité française et de possession d'un diplôme d'Etat français, sous réserve des accords de réciprocité conclus avec des Etats étrangers, des dérogations individuelles accordées par le ministre de la Santé dans le cadre d'un quota fixé annuellement, et des dispositions communautaires (art. L 356 du Code de la santé publique). Des règles analogues régissent l'exercice de la profession de pharmacien ou de vétérinaire (respectivement, l'article L 514 du Code de la Santé publique et l'article 309-1 du Code rural). L'octroi des autorisations individuelles tient notamment compte des "attaches particulières avec la France" de l'intéressé. Depuis la loi du 25 juillet 1985, les étrangers peuvent en revanche exercer la profession de masseur-kinésithérapeute.

Les architectes (art. 10 et 11 de la loi du 3 janvier 1977), les géomètres-experts (loi du 7 mai 1946 modifiée par la loi du 15 décembre 1987 qui a ouvert la profession aux ressortissants communautaires), et les experts-comptables (ordonnance du 19 septembre 1945) doivent également avoir en principe la nationalité française.

Les mêmes exclusions touchent les membres des professions judiciaires. Dans ce dernier cas, on invoque, de façon commode plus que véritablement convaincante, le fait qu'ils participent au fonctionnement du service public de la justice. Doivent ainsi avoir la nationalité française non seulement les notaires, les huissiers et commissaires priseurs ainsi que les administrateurs judiciaires et mandataires liquidateurs (art. 5 et 21 de la loi du 25 janvier 1985), ce qui peut éventuellement se justifier par leur statut d'"officiers ministériels", mais aussi les avocats : la règle, ancienne, a été maintenue par la loi du 31 décembre 1971 réorganisant la profession, qui réserve toutefois l'application des conventions internationales, de sorte que les avocats étrangers peuvent exercer en France s'ils bénéficient d'une convention de réciprocité ou s'ils sont ressortissants d'un Etat membre de la CEE).

Si quelques unes des exclusions que l'on vient de passer en revue s'agissant des emplois et professions du secteur privé peuvent se rattacher à des préoccupations d'indépendance nationale ou d'ordre public, auxquelles le Conseil constitutionnel serait éventuellement tenté d'accorder la valeur d'"objectifs de valeur constitutionnelle", la plupart traduisent simplement la volonté de protéger les nationaux contre la concurrence étrangère : très souvent, d'ailleurs, les mesures restrictives ont été prises à une époque relativement récente — soit dans l'entre-deux guerres, soit après la guerre —, sous la pression des milieux professionnels concernés. Or le souci des membres d'une profession de se protéger contre la concurrence ne suffit évidemment pas à justifier, au regard des principes à valeur constitutionnelle, l'existence de différences de traitement entre nationaux et étrangers : dès lors que ceux-ci ont été autorisés à s'établir et travailler en France, ils doivent en effet pouvoir se réclamer des principes posés par le préambule de la constitution de 1946 : "chacun a le droit d'obtenir un emploi", et "nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines".

Des modifications importantes de la législation et de la réglementation paraissent donc nécessaires dans tous les domaines que l'on vient de passer en revue, tant pour des raisons d'opportunité que pour des raisons juridiques de mise en conformité avec la Constitution. Il s'agit non pas tant, comme dans le cadre communautaire, de permettre à des étrangers de venir s'installer en France pour y exercer ces différentes professions — ce que les règles relatives au séjour ne permettent de toutes façons pas —, que de permettre aux étrangers résidant en France, dont la plupart y ont été élevés et scolarisés, d'accéder aux mêmes emplois et professions que les Français, dès lors qu'ils remplissent les mêmes conditions de diplômes et présentent les mêmes garanties de compétence (et de "moralité" lorsque celles-ci sont exigées). Le principe devrait donc être celui de la non discrimination, les professions fermées aux étrangers devant être l'exception. On pourrait, pour faire le départ entre les unes et les autres, s'inspirer là encore des critères dégagés par la Cour de justice des communautés européennes pour cerner les "activités participant à l'exercice de l'autorité publique".

La collaboration au fonctionnement
des services publics

Les étrangers ont pendant très longtemps été exclus de toutes les formes de collaboration au service public, alors même que cette collaboration ne s'accompagnait pas de l'exercice de prérogatives de puissance publique.

Une évolution nette s'est toutefois dessinée dans ce domaine, s'inscrivant dans le contexte du développement de la participation des usagers à la gestion des services publics et des efforts entrepris par les pouvoirs publics pour favoriser l'intégration de la population immigrée dans la société française. Ainsi, à l'instar de ce qui s'est produit au niveau de l'entreprise, la condition de nationalité a été supprimée pour l'accès à l'électorat, et même à l'éligibilité, dans toute une série de secteurs, et les étrangers sont représentés, au même titre que les Français, dans les organes de gestion d'un nombre croissant de services publics : dans l'éducation nationale, où ils sont électeurs et éligibles au titre d'usagers (élèves, étudiants ou parents d'élèves) dans les conseils à tous les niveaux d'enseignement ; dans le logement, où ils sont électeurs et éligibles dans les conseils des OPHLM et des OPAC depuis 1983 et 1986 ; dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale depuis 1982 ; dans les organes d'administration des sociétés mutualistes depuis 1985 ; dans les conseils d'administration des entreprises du secteur nationalisé depuis 1983, etc...

Un certain nombre d'exclusions subsistent, qui concernent essentiellement le domaine de la justice et les organismes corporatifs.

  1. La participation au fonctionnement de la justice , même à titre non professionnel, reste pour l'instant entièrement reservée aux Français : il faut avoir la nationalité française pour être juré, assesseur des tribunaux pour enfants ou des tribunaux des affaires de sécurité sociale, ou pour siéger dans les conseils de prud'hommes, dans les tribunaux de commerce ou dans les tribunaux paritaires des baux ruraux. Le droit de vote lui-même n'est reconnu aux étrangers que pour les élections prud'homales, les ressortissants communautaires ayant de plus le droit de voter pour désigner les assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux.

    Il conviendrait au minimum de mettre fin à ces incohérences en attribuant le droit de vote à tous les étrangers pour toutes les élections mais aussi, comme on l'a dit plus haut, de leur reconnaître le droit de siéger dans toutes les instances de type paritaire, dans la mesure où ce droit est perçu plus comme le prolongement des droits sociaux reconnus aux travailleurs que comme un droit de nature politique.

    Il conviendrait de même de supprimer la condition de nationalité — qui n'a pas grand sens — pour l'accès aux fonctions de médiateur (art. R. 524-13 du Code du travail) ou de conciliateur (alors qu'elle n'est pas prévue pour l'accès aux fonctions d'arbitre ou d'expert).

  2. En ce qui concerne les organismes corporatifs — chambres consulaires ou ordres professionnels — on constate également une très grande incohérence des règles applicables.

    Ainsi, l'électorat et l'éligibilité dans les organismes consulaires (chambres de commerces et d'industrie, chambres d'agriculture, chambres des métiers) sont réservés aux Français, les ressortissants communautaires étant toutefois électeurs et éligibles dans les chambres d'agriculture. Le fait que ces organismes revêtent la forme juridique d'établissements publics ne paraît guère une raison suffisante pour maintenir ces exclusions, comme l'atteste l'exemple cité plus haut de l'enseignement et des offices de HLM.

    En ce qui concerne les ordres professionnels, la situation varie beaucoup selon les professions concernées : ainsi, les étrangers sont exclus à la fois du droit de vote et de l'éligibilité dans le cas des géomètres-experts et des experts-comptables ; ils peuvent voter mais ne sont pas éligibles dans les ordres des professions de santé (médecins, chirurgiens-dentistes ou sages-femmes) ainsi qu'à l'ordre des architectes ; enfin, aucune restriction n'est prévue dans les textes s'agissant de l'ordre des pharmaciens, de l'ordre des vétérinaires et de l'ordre des avocats.

    Cette incohérence même est le signe qu'aucune raison décisive ne justifie les exclusions existantes. Il est probable qu'elles s'expliquent essentiellement par le fait que les professions libérales sont de toutes façons à peine entr'ouvertes aux étrangers, comme on l'a montré plus haut. A partir du moment où, comme nous le proposons, ceux-ci devraient pouvoir y accéder dans les mêmes conditions que les Français, leur exclusion des organismes qui ont pour fonction la gestion de la profession n'auraient plus de raison d'être.

Les discriminations diverses

  • Les bourses d'enseignement secondaire, auxquelles les jeunes étrangers accèdent normalement dans les mêmes conditions et selon les mêmes critères que les jeunes étrangers, lorsqu'ils résident en France avec leur famille (décret n. 73-1054 du 21 novembre 1973) sont réservées en pratique, en vertu d'une instruction interne, à ceux dont l'ensemble de la famille réside en France (les deux parents et tous les frères et soeurs à charge). Il conviendrait de mettre fin à cette pratique, dont la légalité paraît douteuse.

  • Les textes qui prévoient l'indemnisation des victimes d'une infraction lorsque l'auteur de celle-ci est inconnu ou insolvable (art. 706-3 et s. du Code de procédure pénale) excluent de son bénéfice les étrangers qui ne sont pas titulaires d'une carte de résident ou bénéficiaires d'un accord de réciprocité. Cette discrimination est d'autant plus choquante qu'elle n'existait pas dans le texte initial (loi du 3 janvier 1977) et a été introduite par la loi du 2 février 1981 dite "Sécurité et Liberté". Elle touche d'ailleurs aussi les ressortissants communautaires, et à ce titre elle a été déclarée contraire au Traité de Rome par la CJCE (arrêt du 2 février 1989, affaire 186/87, I.W. Cowan, rendu à propos du refus d'indemniser un touriste victime d'une agression lors d'un séjour à Paris).

Notes

[1] Mais l'interdiction n'est pas possible si ces mêmes ouvrages sont de provenance purement française. Ce qui montre que le maintien en vigueur du texte ne se justifie même pas par des considérations d'opportunité !

 

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Dernière mise à jour : 19-11-2000 12:48.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1991/lochak/cnpi.html


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