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Jusqu'à quand la fermeture des frontières pourra-t-elle tenir lieu de politique de l'immigration ?

par Danièle Lochak

Cet article a été publié dans Hommes et Libertés n° 93, décembre 1996.

La révolte des « sans papiers » et l'attitude adoptée par le gouvernement face à leurs revendications d'un côté, les propositions extrémistes contenues dans le rapport de la commission Sauvaigo et dans l'avant-projet de loi Debré de l'autre, doivent nous inciter à sortir d'une attitude purement défensive sur la question de l'immigration. Nous ne pouvons plus nous borner à dénoncer les atteintes portées au droit de vivre en famille, l'étranglement progressif du droit d'asile, la violation des procédures prévues par la loi, le caractère inhumain des pratiques administratives : car ce discours a fait la preuve de son inefficacité.

Il y a plus de vingt ans, désormais, que la « maîtrise des flux migratoires » est devenu l'objectif prioritaire des pouvoirs publics au point de tenir lieu à lui seul de politique d'immigration. Au nom de la maîtrise des flux migratoires, qui supposait au départ uniquement de stopper toute immigration nouvelle de travailleurs, on a fermé les frontières, on a instauré des contrôles de plus en plus draconiens à l'entrée du territoire, on s'est efforcé de colmater toutes les brèches par où les « flux » pourraient encore pénétrer : d'où les entraves mises à l'entrée et au séjour en France des membres de famille, des étudiants, des demandeurs d'asile, des simples visiteurs, des conjoints de Français, soupçonnés d'être de faux étudiants, de faux demandeurs d'asile, de faux touristes, des conjoints de complaisance. L'obsession du verrouillage s'est ainsi accompagnée de l'obsession de la fraude et, parallèlement, de l'obsession de la clandestinité, avec les conséquences que l'on sait : des atteintes de plus en plus graves portées aux droits fondamentaux, le rétrécissement des garanties légales, et désormais la suspicion généralisée et l'incitation à la délation qui sapent les fondements mêmes de la démocratie.

Si l'on veut interrompre l'escalade de la répression, il faut accepter de remettre en cause ce qui est à la racine même des dérives que nous dénonçons, à savoir la fermeture des frontières. Il faut avoir le courage de s'attaquer au dogme qui présente celle-ci comme inéluctable et de poser l'ouverture des frontières comme une hypothèse non pas irréaliste ou irresponsable mais à explorer sérieusement.

Aujourd'hui où tout circule : les marchandises, les capitaux, les informations, les idées..., est-il réaliste d'admettre que seuls les hommes ne puissent pas circuler librement ? N'est-il pas important, de surcroît, de réaffirmer que la liberté de circulation, la liberté de chacun de vivre où il veut, avec qui il veut, est un droit fondamental de l'homme, qui ne doit pas être systématiquement sacrifié aux prérogatives souveraines et aux politiques protectionnistes des États ?

L'hypothèse de l'ouverture des frontières paraît d'ailleurs moins irréaliste dès lors qu'on se donne la peine de rappeler les mensonges sur lesquels repose la politique dite de fermeture des frontières, ses contradictions et ses effets pervers :

  • la fermeture des frontières est un slogan trompeur, car les frontières ne sont pas vraiment fermées. Elles sont ouvertes, mais de façon sélective et discriminatoire en fonction des nationalités, sur des bases implicitement ethniques. Et la soi-disant fermeture des frontières laisse subsister — quand elle ne contribue pas à les entretenir, par le biais de l'intérêt qu'ont les employeurs à utiliser la main d'oeuvre « clandestine » — des flux importants d'immigration irrégulière ;

  • c'est une politique qui coûte cher. Si l'on voulait chiffrer le coût de la lutte contre l'immigration irrégulière il faudrait y inclure non seulement les coûts directs : reconduites, escortes, construction et fonctionnement des centres de rétention..., mais aussi les coûts indirects, comme ceux résultant de la mobilisation d'un nombre toujours plus important de fonctionnaires, à commencer par les policiers, pour des tâches peu productives et peu motivantes, aux résultats aléatoires ;

  • c'est une politique qui entrave l'intégration des dizaines de milliers d'étrangers qu'elle maintient en situation irrégulière alors même qu'on sait d'avance qu'ils resteront en France, et qu'une partie d'entre eux finiront par être régularisés ;

  • c'est une politique qui va à l'encontre de ses propres objectifs en gênant la mobilité des étrangers : elle contraint à rester en France ceux qui envisageraient de retourner dans leur pays s'ils ne craignaient de perdre leurs droits ; elle les incite à faire venir leurs familles, qui se trouvent à leur tour comme emprisonnées à l'intérieur de nos frontières ;

  • enfin, c'est une politique à courte vue, si l'on en croit les experts qui nous prédisent qu'en l'an 2010 on aura besoin d'étrangers pour faire fonctionner l'économie française... et pour payer nos retraites. Moyennant quoi on risque fort d'être ramenés cinquante ans en arrière, à l'époque où les étrangers étaient considérés exclusivement comme un réservoir de main d'oeuvre : d'où l'intérêt qu'il y a à réfléchir dès aujourd'hui à la façon de concilier les besoins des économies occidentales avec le respect des droits des individus.

Ainsi, non seulement l'ouverture des frontières doit être considérée comme une hypothèse réaliste, mais on peut même se demander, plus radicalement encore, s'il y a une véritable alternative à l'ouverture des frontières.

Certes, pas plus que la fermeture des frontières l'ouverture des frontières — qui ne se conçoit bien entendu qu'au niveau européen — ne peut tenir lieu à elle seule de politique. Mais elle indique la perspective dans laquelle il convient de penser les problèmes de l'immigration. Il faut notamment examiner — sereinement, c'est à dire sans se laisser saisir par le fantasme d'un envahissement du nord par le sud — quelles conséquences l'ouverture des frontières peut avoir sur les flux migratoires et sur le marché de l'emploi des pays européens et imaginer des modalités de régulation permettant d'éviter les effets déstabilisateurs redoutés. La tâche n'est pas aisée, mais elle en vaut la peine.

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Dernière mise à jour : 23-11-2000 19:44.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1996/lochak/fermeture.html


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