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Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC

Chapitre I
La population étrangère sur le marché du travail : un cadrage

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Introduction

« Au XXe siècle, les plus forts courants migratoires, de 1920 à 1930 et de 1956 à 1973, ont correspondu aux périodes de croissance économique et de pénurie de main d'oeuvre » [Daguet et Thave, 1996]. Après la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics ont ainsi officiellement encouragé l'immigration de travail, dans une période de reconstruction puis de croissance. Depuis la suspension de l'immigration de travail en 1974, les pouvoirs publics ont restreint considérablement les flux d'entrées et réduit l'accès au marché du travail pour les nouveaux arrivants. L'administration ne délivre plus d'autorisation de travail aux travailleurs qui en font une première demande sauf dans le cadre de demandes spécifiques émanant d'employeurs. La délivrance d'un titre de travail, suite à une première demande ou à une demande de renouvellement, peut être refusée si cette requête n'est pas compatible avec la situation de l'emploi [1].

Pour autant, cette volonté politique d'empêcher l'installation de travailleurs immigrés non qualifiés et non européens ne signifie pas que les flux migratoires aient été subitement interrompus ou taris. Les textes fondamentaux qui régissent la République française et les conventions internationales signées par la France rendent inatteignable l'objectif d'une « immigration zéro » affiché par M. Pasqua lorsqu'il était ministre de l'Intérieur en 1993 [Weil, 1996]. En particulier le droit à l'immigration familiale demeure, au nom du droit de vivre en famille reconnu notamment par la Convention européenne des droits de l'homme. « L'immigration zéro » a fait place à « l'immigration clandestine zéro », sans que ce nouvel objectif soit lui non plus véritablement réaliste dans un pays qui compte environ 300 millions d'entrées physiques aux frontières chaque année. C'est aujourd'hui plus modestement la « maîtrise des flux » qui est mise en avant. Dans ce contexte, la question de la mesure des flux d'entrées (voir encadré 4 à la fin de ce chapitre) a acquis une grande importance politique.

Bien que l'accès de nouveaux migrants au marché du travail soit en principe désormais réduit au strict minimum, la réalité est moins simple comme l'ont abondamment illustré la question des « sans papiers » et les récentes mesures de régularisation. En tout état de cause les étrangers, immigrés récents ou plus anciens, continuent de tenir sur le marché du travail français une place spécifique, que nous allons dessiner à grands traits.

I. 1 - Les « Trente Glorieuses » : un appel massif de main-d'oeuvre immigrée

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le recours à l'immigration est devenu un objectif politique prioritaire pour les pouvoirs publics : il fallait d'une part augmenter le volume de population active pour la reconstruction et d'autre part organiser une immigration de peuplement pour pallier le déficit démographique. « En 1946, 94 % des introductions de main d'oeuvre étrangère proviennent d'Italie mais les besoins de main d'oeuvre en France ne peuvent être satisfaits par un seul pays. Le développement de l'immigration d'actifs algériens atteint alors des records et son solde est souvent supérieur aux entrées de travailleurs permanents de l'Office National d'Immigration. Les entrées de travailleurs étrangers connaissent alors une certaine expansion, et ce, dans tous les secteurs d'activité. L'importance des flux de travailleurs étrangers s'accompagne inévitablement de la perte de contrôle du pouvoir central sur les différents courants migratoires et à l'immigration de main d'oeuvre régulière s'ajoute une immigration clandestine que l'Etat ne peut chiffrer » [Viprey, 1998, p. 26].

Tableau 1 - Evolution de la part d'étrangers dans l'ensemble de la population
Année

Effectifs

Part des étrangers (en %)

femmes

hommes

femmes

hommes

Population totale 

1946 (1)

742 152

1 001 467

3,5

5,3

1954 (1) (2)

676 015

1 089 283

3,0

5,3

1962 (1)

829 731

1 339 934

3,5

5,9

1968

1 028 880

1 592 208

4,0

6,6

1975

1 381 575

2 060 840

5,1

8,0

1982

1 594 632

2 119 568

5,7

8,0

1990

1 614 250

1 982 352

5,5

7,2

Population active

1946 (1)

237 042

809 388

3,0

6,4

1954 (1) (2)

151 633

797 850

2,3

6,5

1962 (1)

165 611

927 079

2,5

7,4

1968

208 760

1 059 576

2,9

8,0

1975

298 310

1 286 030

3,7

9,4

1982

376 448

1 189 164

3,9

8,5

1990

492 381

1 127 808

4,5

7,9

(1) Les Français musulmans d'Algérie, bien que juridiquement français, sont comptés avec les étrangers.

(2) En 1954, toutes les personnes nées dans les possessions françaises d'Outre-Mer ont été recensées comme françaises.

Source  : Insee, Recensements de la population

A partir de 1954, l'analyse des recensements successifs montre une progression rapide et régulière de la population étrangère en France. La première période va de 1954 à 1975 et correspond à une phase de croissance économique. Des pénuries de main-d'oeuvre nécessitent de faire appel à l'immigration dans des proportions importantes. Le recrutement de cette main-d'oeuvre par les employeurs s'est d'ailleurs largement opéré en dehors des procédures réglementaires (passage de la visite médicale à l'ONI) mais avec l'accord tacite des pouvoirs publics. L'évolution des taux de régularisations de l'ONI suffit à illustrer l'ampleur de ce phénomène : 28 % en 1956, autour de 50 % entre 1957 et 1962, 61 % en 1963, 69 % en 1954 et enfin 79 % en 1965 [Schor, 1996].

Encadré 1 - Critère de classement et catégories d'analyse

Les notions d'étranger et d'immigré dans l'appareil statistique

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, le système statistique enregistre les individus selon le critère de la nationalité. Privilégiant les variables d'état tributaires de l'état civil, les recensements établissent une partition entre Français et étrangers mais distinguent également les personnes devenues françaises de celles qui étaient françaises à la naissance.

La notion d'étranger est définie en fonction d'un critère de nationalité et se fonde sur la situation juridique de la personne au regard du droit de la nationalité. Ainsi, plus ou moins facilement selon les législations, un étranger peut acquérir la nationalité française au cours de sa vie. L'appareil statistique les enregistre alors comme « Français par acquisition », par opposition aux « Français de naissance ».

L'immigration est, quant à elle, une notion de flux : on parle de « courants migratoires ». Cependant, on peut définir une population vivant en France issue de l'immigration. Ainsi, depuis 1990, le Haut Conseil à l'Intégration (HCI) a préconisé l'utilisation, et à terme l'institutionnalisation, de la catégorie statistique d'« immigré » fondée sur le double critère de nationalité et de lieu de naissance : « est immigrée toute personne née étrangère, dans un pays étranger, qui vit en France. Cette population se compose pour la plus grande partie d'étrangers mais aussi de personnes qui ont acquis la nationalité française » [Insee, 1997, p. 12]. Insatisfaits de la seule catégorie statistique d'immigré, certains démographes ont proposé et construit la catégorie de « personne d'origine étrangère » : il s'agirait des personnes nées en France d'un parent ou d'un grand parent ayant immigré en France. Cette catégorie ne repose sur aucun critère juridique puisqu'elle recouvre essentiellement des personnes françaises que le système statistique enregistre comme des « Français de naissance ». Le critère retenu (un parent ou grand parent immigré) peut avoir un intérêt dans l'étude des histoires familiales, mais on peut se demander quel serait le fondement de sa généralisation comme catégorie statistique : « s'il est vrai qu'on ne peut éviter d'évoquer les origines géographiques, sociales et culturelles quand on veut décrire le fonctionnement du monde social tel qu'il est, nul besoin pour cela de graver dans le marbre de l'institution statistique une nomenclature des origines qu'il faudrait imposer dans toutes les études » [Héran, 1998].

L'utilisation de la catégorie statistique d'immigré peut s'avérer féconde dans une perspective longitudinale, si on tient compte de l'ancienneté du séjour en France. En effet, les immigrés, comme définis ci-dessus, sont arrivés en France plus ou moins récemment. Selon le temps passé sur le territoire, selon, en particulier, qu'ils auront ou non été éduqués ou formés en France, qu'ils auront acquis une expérience professionnelle plus ou moins importante, leurs caractéristiques « économiques » seront plus ou moins proches de celles des « Français de naissance ». Cependant, l'analyse économique du marché du travail en coupe instantanée s'intéresse a priori plutôt aux flux migratoires, comme apport de main d'oeuvre (généralement non qualifiée). Elle peut aussi distinguer la population active selon la nationalité dans la mesure où la main d'oeuvre étrangère est soumise à des conditions particulières, telles que les discriminations légales, qui les distinguent objectivement des nationaux. Enfin, une étude des discriminations ethniques ou raciales (naturellement illégales) sur le marché du travail met sans doute en jeu des facteurs plus complexes, de nature idéologique, puisque certains étrangers n'en sont guère victimes, alors que des Français nés en France de parents français peuvent l'être.

 


 

Notes

[1] L'article R 341-4 du Code du travail précise que, concernant la délivrance d'une autorisation de travail, l'administration doit se référer à la situation de l'emploi dans la profession demandée par le travailleur étranger.

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Dernière mise à jour : 13-11-2000 17:01.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/presse/1999/cerc/chapitre-1-1.html


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