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Rapport « Immigration, emploi et chômage » du CERC

Chapitre III
L'histoire des discriminations légales sur le marché du travail

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III.1 - L'accumulation des discriminations légales avant 1945

Pendant longtemps, aucune mesure de contrôle a priori n'était effectuée sur l'entrée et le séjour [28] mais les autorités disposaient d'un pouvoir discrétionnaire total en matière d'expulsion. La procédure d'expulsion a commencé à être très légèrement encadrée à partir de la loi du 3 décembre 1849. Cette longue période de liberté des flux migratoires va être suivie à la fin du XIXe siècle des premières mesures de contrôle exercée sur la population étrangère. Jusqu'à la crise économique et politique des années 1880, le patronat et les autorités sont restés favorables à l'immigration et à la concurrence que les immigrés exerçaient vis-à-vis des ouvriers plus anciennement installés. Le patronat conservera ensuite cette position favorable à l'immigration [29]. Les grandes compagnies minières et métallurgiques cherchent toutefois peu à peu à organiser l'immigration à leur avantage en mettant en place dans les années 1880 des systèmes de recrutement collectif à distance de jeunes hommes célibataires à qui sont offerts des contrats à durée limitée.

III.1.1 - Premières convulsions xénophobes de la fin du XIXe et impact sur la situation juridique des étrangers

A partir des difficultés des années 1880 au moment de la Deuxième révolution industrielle [30] et jusqu'à la fin du siècle, la pression xénophobe s'accentue. Le nombre d'incidents graves opposant ouvriers français et étrangers se multiplie, et culmine entre 1881 et 1893. Les Belges sont tout particulièrement visés et de nombreuses manifestations de xénophobie à leur égard sont notées jusque dans les premières années du XXe siècle. La violence atteint son paroxysme à Aigues-Mortes en 1893 avec la tuerie de nombreux Italiens travaillant dans les salines. Le climat xénophobe et antisémite sera particulièrement virulent au moment de l'affaire Dreyfus.

i - Débats parlementaires et premières mesures de contrôle sur les étrangers

La question de l'opportunité de laisser s'installer en France les étrangers a été soulevée dès les années 1880 à l'occasion du débat parlementaire sur la nationalité. Si certains élus rejetaient les étrangers et dénonçaient, entre autres motifs, l'afflux excessif d'immigrants venant « accaparer des places et des emplois que nos nationaux occuperaient tout aussi bien qu'eux », les partisans de l'intégration finiront par l'emporter finalement avec la loi sur la nationalité du 26 juin 1889 en invoquant la faiblesse de la natalité française, l'intérêt de la défense nationale ou encore les besoins économiques de la France [Laval-Reviglio, 1996, pp. 85-87].

En janvier 1887, il est décidé que les étrangers nouvellement installés devront être recensés et le décret du 2 octobre 1888 impose pour la première fois une déclaration de résidence à la mairie à tous les étrangers et leur famille dans les quinze jours après leur arrivée en France. La non application de ce décret conduit à la loi du 9 août 1893 « relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national », qui impose à tous les travailleurs étrangers résidant en France de s'inscrire sur un registre d'immatriculation des étrangers de la commune de leur domicile tandis qu'obligation est faite aux personnes logeant des étrangers d'en signaler la présence dans les vingt-quatre heures. Avec ce « régime de la déclaration », l'étranger devait mentionner sa profession. Interdiction est faite aux employeurs d'embaucher les étrangers qui ne se sont pas soumis à ces formalités. Si cette loi permettait un contrôle policier sur les étrangers, elle n'apportait aucune restriction légale à l'emploi, au travail et à la circulation des étrangers : du point de vue économique, on demeure bien dans un contexte libéral [Lochak, 1985].

Lors des débats sur la loi de 1893, des élus soulèvent de nouveau la question de la concurrence exercée par les étrangers sur le marché du travail. Certains évoquent la somme exorbitante que représente l'ensemble des salaires pris en France par les travailleurs étrangers. Les boulangistes dénoncent la concurrence exercée par les étrangers au détriment des travailleurs français, à l'origine de la dégradation de leurs conditions de vie, de la baisse des salaires et des niveaux de vie. Antoine Jourde, républicain socialiste et boulangiste propose en 1893 à la Chambre la taxation des ouvriers étrangers ou de tous les employeurs d'ouvriers étrangers dans l'industrie privée et l'agriculture et propose que « défense soit faite à l'Etat, aux départements ou aux communes pour les travaux qu'ils ont à faire exécuter, d'employer des ouvriers étrangers » [Laval-Reviglio, 1996, p. 94]. Au plus fort de l'affaire Dreyfus en 1895, Michelin propose un projet de loi préconisant d'écarter de la Fonction publique tous les descendants d'étrangers jusqu'à la quatrième génération. Un projet de loi du 25 novembre 1899 « contre les étrangers » expose ainsi ses motivations : « l'étranger est partout, il envahit la banque, les professions libérales, il accapare à son profit certains commerces, certaines industries qui jusqu'alors étaient entre les mains des Français ». [Mekachera, 1993, p20].

ii - Premières interdictions sur le marché du travail

A partir de cette époque, « les critères de l'appartenance nationale vont devenir des éléments fondamentaux servant à "découper" le marché du travail en zones interdites, permises ou fortement conseillées à ceux qui ne font pas partie du "club". La notion extensive et manipulable à souhait de "souveraineté nationale" et de "Fonction publique" est à cet égard le moyen de légitimation le plus répandu » [Noiriel, 1988, p. 283].

Si les étrangers étaient empêchés d'accéder aux emplois de fonctionnaires, la même évolution se dessine dans les professions « libérales ». Les avocats se retranchent derrière un décret de 1810 pour écarter les postulants étrangers. Les médecins obtiennent en 1892, après une forte mobilisation de la corporation (toujours au moment de la montée de la xénophobie), que l'exercice de la profession soit interdit aux praticiens non munis de diplômes français  ; le système des équivalences est supprimé. Les dentistes et les sages-femmes obtiennent les mêmes avantages.

Dans le monde ouvrier, tous les secteurs travaillant pour l'Etat sont peu à peu réservés aux travailleurs français au nom de la « sécurité nationale ». C'est dans les Chemins de fer que le problème apparaît avec le plus de netteté. Dès 1888, la direction de la Compagnie d'Orléans exige la nationalité française, puis rapidement toutes les compagnies effectuent cette épuration.

Reprenant la proposition de 1893 du député Jourde, le décret Millerand du 10 août 1899 permet à l'administration de fixer la proportion maximale d'étrangers employés dans des travaux entrepris à la suite de marchés proposés par l'Etat, les départements ou les communes et impose aux industriels de ne faire appel aux étrangers que dans des proportions comprises entre 5 % et 30 % des effectifs. En 1900, des dockers français iront jusqu'à faire grève pour faire appliquer ce décret.

Les autorités locales ne sont pas en reste et légifèrent également dans le même sens [Milza, 1995, pp. 152-153]. Dans le milieu des années 1890, la municipalité marseillaise interdit la pratique du commerce ambulant aux Italiens pour la réserver aux seuls citoyens français. Dans le département du Doubs, les Italiens ne peuvent être rempailleurs de chaises ambulants car l'exercice de cette profession est réservé aux travailleurs nationaux. A Cannes, les cireurs de bottes ont dû se faire naturaliser pour échapper à la rigueur des arrêts municipaux, et ils sont à peine tolérés à Sète, La Ciotat, Montpellier et Lyon où, à la moindre bagarre, ils peuvent être interdits ou expulsés. A Nice, le pouvoir municipal élu en 1896 sur le thème « Nice aux Niçois » s'applique à affecter aux nationaux les emplois distribués par la mairie. L'adjudication des kiosques à journaux est réservée aux Français, les musiciens italiens de l'harmonie municipale sont congédiés et la mairie va poursuivre une politique protectionniste, dirigée notamment contre les cochers de fiacre transalpins.

Mis à part ces pratiques, les interdictions d'étrangers s'arrêteront finalement à la Fonction publique, aux secteurs travaillant pour l'Etat ou à des professions libérales, ce qui était déjà considérable même si ces secteurs représentaient encore une part réduite des emplois [31].

III.1.2 - La rupture de 1914-1918 et les années 1920

i - Naissance d'une politique de main-d'oeuvre, premières cartes d'identité et persistance de mesures exceptionnelles de temps de guerre

En raison de la pénurie de main-d'oeuvre due à l'économie de guerre, la période qui va de 1914 à 1918 voit « la naissance d'une politique de la main d'oeuvre » [Viet, 1996, pp. 20-26]. Cette politique se caractérise par deux axes, une « fonction de placement » avec la création d'offices ou bureaux sous la double tutelle du ministère du Travail et de l'Intérieur et un recours organisé à un demi-million de travailleurs des colonies et de l'étranger, la main d'oeuvre « exotique » comme on dit alors. Un décret du 14 septembre 1915 permettra en effet à l'Etat de recruter par réquisition près de 80 000 Algériens. Au total, 132 000 Maghrébins travaillaient en remplacement des Français dans les fermes et les usines d'armement ; leur liberté de circulation était très limitée et les récalcitrants étaient passibles du conseil de guerre. Plus de 140 000 Chinois viendront également en France pour contribuer à l'effort de guerre. « On peut voir là l'ébauche d'une réglementation spécifique du travail migrant en même temps que le début de l'institutionnalisation du double marché français/étranger » [Lochak, 1985, p161]. Il s'agit d'un tournant décisif pour la politique d'immigration qui se dessine derrière la mise en place de cette nouvelle politique du placement : « Si le droit du travail, droit transnational, était reconnu à tous les travailleurs pourvus d'un emploi, quelle que soit leur nationalité, le « droit » au travail, droit national non garanti, pouvait dorénavant épouser les caprices de la conjoncture et les réserves des syndicats ouvriers, en induisant des réflexes administratifs et juridiques de défense de l'emploi national. Si bien qu'une protection de l'emploi aux accents discriminatoires pouvait se greffer sur une protection légale issue d'un droit du travail indifférent aux origines » [Viet, 1996, p. 22].

Sur le plan du contrôle du séjour, on va passer entre 1914 et 1918 du régime de la déclaration au régime de l'autorisation avec des préoccupations de police en vue de contrôler la présence et les déplacements des étrangers [Lochak, 1995a]. La première carte d'identité autorisant le séjour, prévue par une circulaire de juin 1916, est officialisée par un décret du 2 avril 1917 [32]. Obligatoire pour tout travailleur, elle est délivrée par le préfet pour tout étranger de plus de 15 ans appelé à séjourner plus de quinze jours en France et doit être visée à chaque changement de résidence. Ce dispositif est complété par la tenue d'un fichier central des étrangers au ministère de l'Intérieur. Le décret du 21 avril 1917 précise, s'agissant des travailleurs, que la carte d'identité est délivrée sur présentation du contrat d'embauche visé par les services de placement. La carte comporte un visa qui doit être renouvelé tous les ans et la profession est précisée.

Dès son invention en 1917, la couleur joue un rôle important dans cette politique de classement et d'affectation de la main-d'oeuvre : le vert est attribué au travailleur immigré de l'industrie et le chamois à celui de l'agriculture. Avec la multiplication des catégories la palette se diversifie : jaune pour l'agriculteur, gris-bleu pour le travailleur industriel, vert pour le non travailleur, bleu avec texte à l'encre rouge pour l'artisan, orange pour le commerçant. Après la guerre, on optera pour le rouge s'il s'agit d'une carte de séjour temporaire, le vert pour la carte ordinaire et le bleu pour le résident étranger « privilégié ». On ne sait toutefois pas exactement quelles pratiques réelles recouvraient ces règles définissant les premières cartes de séjour réservées aux travailleurs.

ii - Les années 1920

A la fin de la guerre, l'immigration est une nécessité pour la reconstruction du fait des immenses pertes de la guerre. La croissance de l'immigration sera très forte dans les années 1920, avec 250 000 immigrations annuelles de 1921 à 1926.

Après avoir rapatrié la main d'oeuvre « exotique » jugée inassimilable et insuffisamment productive, le gouvernement maintient les organismes mis en place pendant la guerre et cherche à passer des conventions de travail et d'immigration avec d'autres pays. Les services patronaux de recrutement à l'étranger sont constitués ou réactivés après la première guerre mondiale dans les secteurs de la sidérurgie, des mines ou de l'agriculture afin de pallier le manque de main d'oeuvre consécutif à la Grande guerre, notamment dans les départements sinistrés de l'Est et du Nord. Les services patronaux fusionneront pour former en 1924, sous l'égide du Comité des Forges (le CNPF de l'époque), la Société générale d'immigration agricole et industrielle. Ces activités des organisations patronales à l'étranger sont facilitées par l'Etat qui se cantonne à nouveau dans son rôle de police. Cette systématisation du recrutement d'immigrés non qualifiés permet au patronat d'opérer une forte segmentation interne de la main d'oeuvre.

S'opposant au patronat, la CGT a obtenu dès le début des années 1920 un droit de regard pour limiter la concurrence étrangère sur le marché du travail, par l'intermédiaire des organismes paritaires dans lesquels elle siège, notamment les offices de placement créés lors de la guerre [Noiriel, 1988, p. 119]. Elle s'oppose à l'immigration, véritable « armée de réserve » utilisée par le patronat pour peser sur les salaires et les conditions de travail [33].

A la xénophobie de la droite qui dénonce le « complot juif » et stigmatise les « métèques » ou les étrangers impliqués dans l'agitation politique, la gauche ne s'oppose d'ailleurs pas toujours farouchement [Milza, 1988, p. 35]. Si elle soutient des étrangers impliqués dans son combat politique, elle exprime des réticences au danger que représenterait l'immigration en période de chômage. « Ainsi, l'étranger était courtisé quand son combat servait celui de certains nationaux mais marginalisé quand son existence matérielle semblait menacer celle des Français » [Milza, 1988, p. 36].

iii - Des décisions prises lors des crises passagères (1920-21, 1924 et 1927)

Le poids de la conjoncture s'avère essentiel et les décisions politiques relatives aux étrangers sont prises lors des crises passagères de 1920-21, de 1924 et de 1927. Le chômage devient alors immédiatement perçu comme la conséquence d'un excès de main-d'oeuvre étrangère.

Ainsi, le député socialiste Albert Inghels interpelle le gouvernement le 28 janvier 1921 en invoquant un argument qui allait faire florès par la suite, celui de la subsidiarité de la main-d'oeuvre étrangère « Il ne doit être fait appel aux étrangers qu'à titre de complément dans une mesure propre à garantir les droits de nos nationaux » [Laval-Reviglio, 1996, p. 95]. Le 17 décembre 1920, le gouvernement avait déjà décidé que tout travailleur étranger doit présenter un certificat d'engagement visé par les services du ministère du Travail. Un décret de juin 1922 donne au maire ou au commissaire de police un rôle en matière d'immigration. Quand l'étranger vient demander à la mairie une carte d'identité, le maire doit notamment évaluer « les sentiments francophiles, les moyens d'existence, la conduite, la moralité et les fréquentations de l'étranger » et vérifier si l'intéressé travaille pour son compte ou pour autrui, s'il possède la carte verte (agriculture) ou la carte chamois (industrie), s'il possède un contrat d'embauche pour le département, etc. Ces tracasseries participent à l'accentuation de la surveillance et à la stigmatisation des étrangers. Jusqu'à la fin des années 1930, l'application des mesures de contrôle des étrangers par les maires variera fortement selon les communes et selon les périodes, tantôt par ignorance, tantôt par malveillance [Pierre, 1998].

Avec la crise de 1924, une offensive anti-étrangère de plus grande ampleur est déclenchée à la Chambre. Les étrangers se voient affublés du qualificatif d'indésirables et, fait nouveau, ce ne sont plus des membres de la droite nationaliste mais des députés de gauche, surtout les radicaux, à l'image de leur représentant Édouard Herriot. Ce dernier invoque des questions de sécurité et demande le 20 mars 1924 qu'on " assainisse le marché du travail » en invoquant le problème du débauchage des étrangers et de la concurrence déloyale pour les ouvriers français [Laval-Reviglio, 1996, p96]. Ce thème est repris le 6 avril 1925 par Léon Jénouvrier, sénateur de la gauche républicaine qui dénonce l'embauche par les patrons de l'industrie de la main-d'oeuvre étrangère agricole, portant préjudice à l'agriculture et aux ouvriers français. Il dénonce en l'étranger « cet indésirable qui se livre aux pires excès », qui « du jour où il ne travaille plus, frappe » et de citer les ouvriers italiens ou polonais « qui la plupart du temps sont d'excellents ouvriers mais aussi parfois des êtres exécrables ».

Le ministre du Travail radical-socialiste, Antoine Durafour proposera un texte de loi le 5 novembre 1925, discuté rapidement les 7 et 8 juillet 1926 à la Chambre et adopté sans discussion au sénat le 6 août 1926. Pour le député Georges Mazerand, républicain de gauche, qui expose l'objectif de ce texte, « il importe de canaliser l'afflux des travailleurs venus de l'extérieur vers les professions et les régions où leur concours peut nous être utile. Il ne faut pas qu'ils entrent dans des professions ou des régions déjà encombrées et où, par suite de cet afflux, il en résulterait pour nos nationaux des perturbations graves telles que le chômage ou l'avilissement des salaires » [Laval-Reviglio, 1996, p. 96]. Si le texte initial avait le seul objectif affiché d'interrompre la débauche d'ouvriers agricoles vers l'industrie, il couvrira en fait tous les salariés étrangers. Cette loi du 11 août 1926, modifiant les décrets de 1917, innove en consacrant l'existence de la carte d'identité portant la mention « travailleur ». Entre temps, la carte d'identité avait déjà été transformée en carte à durée limitée et payante.

Jusque là, tout étranger régulièrement entré en France possesseur de la carte d'identité d'étranger qui existait depuis 1917, pouvait se faire librement embaucher. Avec la loi du 11 août 1926, la carte est établie au vu d'un contrat de travail. La loi du 11 août 1926 interdit à quiconque d'employer un étranger non muni de cette carte  ; il devient même impossible d'employer un étranger dans une profession autre que celle mentionnée sur la carte, pendant un délai d'un an après la délivrance de la carte afin d'éviter toute embauche de l'ouvrier étranger par un autre employeur [Viet, 1996, p31]. Désormais l'administration disposera d'un moyen commode pour accorder plus ou moins de cartes de travailleur, et dans la pratique, l'application sera effectivement variable selon le contexte économique et politique [Lochak, 1995a, Laval-Reviglio, 1996, p. 97].

La crise économique de 1927 est une nouvelle occasion pour les parlementaires d'interpeller le gouvernement à propos du chômage et du problème de l'immigration. C'est dans ce contexte que le débat sur la nationalité se déroule et s'achèvera par la loi du 10 août 1927. Comme lors des débats de la précédente loi de 1889, les arguments xénophobes et racistes ne sont pas absents. Des élus craignent que les naturalisations ne remettent en cause « la vraie race française [qui] est de granit » ; d'autres préconisent de n'accepter que les plus assimilables (d'abord les Italiens, Belges, Espagnols, Suisses français) et veulent écarter les « éléments mal assimilables », au premier rang desquels les « Orientaux » et « Levantins », suspectés d'être davantage enclin à la criminalité. Les relents de racisme et d'antisémitisme ne sont plus le seul fait des députés nationalistes extrémistes, comme lors des débats de la fin du XIXe siècle, mais aussi d'élus modérés, de républicains et de socialistes [Laval-Reviglio, 1996, pp. 88-91]. Finalement, les fortes préoccupations liées à la natalité, à la défense nationale et à la nécessité de protéger l'empire colonial l'emporteront comme lors des débats de la fin du XIXe siècle au détriment des préoccupations liées à la protection de la main d'oeuvre française. La loi de 1927 apparaît à première vue très libérale mais elle laisse une large part d'arbitraire à l'administration en matière de naturalisation [Laval-Reviglio, 1996, pp. 88-92]. Dans la pratique, les naturalisations deviennent moins nombreuses et plus difficiles du fait du climat d'exacerbation des concurrences et de la xénophobie. Ce phénomène contribue à renforcer la segmentation du marché du travail.

Le climat anti-étranger de 1927 aboutira à l'adoption de la loi du 26 mars 1927, complétée par des décrets jusqu'en 1928, exigeant de tout étranger, et non plus du seul travailleur, qui veut résider plus de deux mois en France, la possession d'un carte d'identité valable deux ans. Cette disposition institue de facto la notion d'étranger en situation irrégulière. De nombreux travailleurs « illégaux » deviendront ainsi menacés de refoulements qui feront des ravages dans les années 1930, notamment parmi les juifs d'Europe Centrale. Un décret prévoyait en outre des cas de retraits laissant une large part à l'arbitraire administratif puisqu'était notamment prévu le cas où l'étranger cessait « d'offrir les garanties désirables », auquel cas il avait huit jours pour quitter le territoire.


Notes

[28] Sur ce point, voir les passages éclairants de Stéfan Zweig (1944) dans le Le monde d'hier. Souvenirs d'un européen, Le Livre de poche, pp.477-481 (repris in Plein Droit n°32, juillet 1996, pp. 33-34).

[29] Pour une explication économique de cette position traditionnelle du patronat, et celle opposée des syndicats, se reporter à la deuxième partie de ce dossier consacrée aux théories économiques.

[30] L'emploi industriel connaît un important repli de 1876 à 1886.

[31] Malgré l'industrialisation rapide, près de 60 % de la population est encore rurale au tout début du XXe siècle. Un peu plus de 40 % de la population active travaille encore dans l'agriculture, 30 % environ dans l'industrie et le reste dans les services. Les professions libérales ne représentent que 0,4 % de la population active contre trois fois plus aujourd'hui. La part des personnes travaillant dans la Fonction publique et les secteurs travaillant pour l'Etat était relativement faible et a également beaucoup cru par la suite. Au début du siècle, l'Etat compte environ un demi million de fonctionnaires civils, soit entre 2 et 3 % de la population active (sources  : Marchand et Thélot, 1997, Le travail en France. 1800-2000, Essais et Recherches, Nathan  Alternatives Économiques n°165, décembre 1998, p. 33).

[32] La carte d'identité pour les nationaux sera introduite bien plus tard sous Vichy.

[33] La théorie économique permet de comprendre ces positions traditionnelles opposées du patronat et des syndicats (cf deuxième partie de ce dossier).

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Dernière mise à jour : 13-11-2000 16:46.
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