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Projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration

Analyse et commentaires du projet Debré après examen à l'Assemblée Nationale les 17, 18 et 19 décembre 1996

Paris, le 27 janvier 1997

Sous prétexte de traquer les clandestins, l'Assemblée nationale pénalise les réguliers et multiplie les atteintes aux libertés de tous :

  • Français et immigrés hébergeants perdraient leur droit à l'intimité
  • Le renouvellement de la carte de résident deviendrait conditionnel
  • Les « ni régularisables ni éloignables » se multiplieraient
  • Le pouvoir des juges se réduirait encore au profit du pouvoir administratif
  • Les prestations familiales pourraient être supprimées à des familles étrangères ou françaises

Adopté en conseil des ministres le 6 novembre 1996, le projet de loi modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 (projet Debré) a été examiné en première lecture par l'Assemblée nationale les 17, 18 et 19 décembre 1996. Les députés l'ont largement amendé, transformant ce qui avait été présenté par le gouvernement comme un dosage équilibré entre fermeté et libéralité en un instrument de répression accentuée, renforçant notamment l'arbitraire administratif au détriment du pouvoir du juge. Nombre des propositions du rapport Philibert-Sauvaigo, écartées du projet gouvernemental, ont été réintroduites. Qu'on n'interprète cependant pas ce raidissement du projet comme le signe des excès d'une droite « dure » qui iraient au-delà des intentions d'un gouvernement raisonnable : auditionné par la commission des lois du Sénat, Jean-Louis Debré a approuvé l'essentiel des amendements des députés en se prononçant pour leur maintien.

L'analyse ci-après ne revient pas sur les dispositions qui n'ont pas été amendées par les députés. Elle vise simplement à actualiser l'étude du projet de loi gouvernemental déjà publiée par le Gisti (Voir «  Projet de loi Debré : contre le droit des gens, les libertés et l'intégration », analyse du Gisti publiée le 14 novembre 1996) avant son examen par l'Assemblée nationale. Les explications qui suivent ne portent donc que sur les dispositions modifiées, retirées ou ajoutées par les députés.

Les articles modifiés

  1. Certificat d'hébergement (article 1)
  2. Fouilles des véhicules (article 3)
  3. Cas d'attribution de plein droit d'une carte de séjour temporaire (article 4)

Les articles nouveaux

  1. Relevé des empreintes digitales (article 3)
  2. Retrait de la carte de séjour des employeurs étrangers impliqués dans le travail illégal (articles 3 bis et 3 ter)
  3. Renouvellement de la carte de résident (article 4 bis)
  4. La péremption de la carte de résident (article 4 ter)
  5. Les catégories protégées contre les mesuresd'éloignement (article 6 bis)
  6. Le regroupement familial après un divorce (article 6 ter)
  7. Interdiction administrative du territoire (article 7 bis)
  8. Les mesures transitoires de la loi Pasqua sur les jeunes (article 8 bis)
  9. Condition d'application de l'interdiction judiciaire du territoire (article 8)
  10. Retrait des allocations familiales (article 11)


Les articles modifiés

I. Certificat d'hébergement (article 1)

Visite domiciliaire

Rappel des dispositions existantes - L'Office des migrations internationales (OMI) est seul habilité à procéder aux vérifications sur place des conditions de logement demandées par le maire pour la délivrance d'un certificat d'hébergement. En cas de refus de l'occupant du logement de laisser pénétrer les agents de l'OMI, les conditions sont réputées non remplies et la délivrance du certificat est refusée.

Amendement adopté par l'Assemblée nationale

L'OMI peut procéder à des visites inopinées au domicile de l'hébergeant.

Commentaire  :

Les Français et les étrangers en situation régulière deviennent à ce point suspects (de trouble à l'ordre public ?) dès lors qu'ils invitent à leur domicile des étrangers vivant hors des frontière qu'ils perdent leur droit à l'intimité. A cette nouvelle atteinte majeure aux libertés individuelles s'ajoute le fait que la mise en place de visites inopinées des logements engendrera de légitimes réactions de refus, dont les préfectures se saisiront pour notifier des décisions négatives. Par ailleurs, au bout de combien de visites inopinées n'ayant pu aboutir du simple fait de l'absence de l'hébergeant sera-t-il considéré qu'il s'agit, de sa part, d'un refus ?

Déclaration du départ de l'étranger

Rappel des dispositions du projet de loi - Toute personne ayant signé un certificat d'hébergement et hébergé un ressortissant étranger, dans le cadre d'une visite privée (...) doit informer la mairie de sa commune de résidence du départ de l'étranger accueilli. (...) L'absence d'information n'est pas opposable au signataire du certificat d'hébergement s'il établit sa bonne foi ou s'il fait état, à bon droit, de circonstances familiales ou personnelles graves.

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

Le signataire d'un certificat d'hébergement doit notifier à la mairie de sa commune de résidence, dans un délai de huit jours, sauf circonstances personnelles ou familiales justifiées, le départ de l'étranger hébergé.

Commentaire :

Voilà donc l'obligation de déclaration de départ encadrée dans un délai très bref, une semaine. On notera également que les députés ont supprimé l'excuse de la « bonne foi » qu'avait prévu le gouvernement au bénéfice de l'hébergeant...


II. Fouilles des véhicules (article 3)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

La fouille des véhicules est applicable en Guyane dans les mêmes conditions qu'en métropole (se reporter au paragraphe III de notre analyse du projet gouvernemental).

Commentaire  :

Le renforcement des contrôles dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention de Schengen et une ligne tracée à vingt kilométres en deçà est une « mesure compensatoire » à la libre circulation instaurée dans cet espace. Dans la mesure où les départements d'outre-mer sont explicitement exclus de l'espace Schengen, il n'y a aucune raison d'instaurer sur leur territoire une telle mesure.


III. Cas d'attribution de plein droit d'une carte de séjour temporaire (article 4)

L'Assemblée nationale a introduit plusieurs amendements dans cet article du projet Debré, par suppression, modification, ou ajout :

Disposition supprimée dans l'article :

Les députés ont supprimé le droit pour les étrangers résidant habituellement en France depuis plus de quinze ans d'obtenir une carte de séjour temporaire (article 12 bis, 3¤ de l'ordonnance).

Dispositions modifiées dans l'article :

  • Les conjoints de Français entrés régulièrement en France ne pourraient obtenir une carte de séjour temporaire qu'après deux années de mariage, au lieu d'une dans le projet gouvernemental.

  • Outre les conditions limitant la régularisation des parents d'enfants français prévues par le projet gouvernemental, les députés ont ajouté que lorsque la qualité de père ou mère d'un enfant français résulte d'une reconnaissance de l'enfant postérieure à la naissance, la carte de séjour temporaire n'est délivrée à l'étranger que s'il subvient à ses besoins depuis au moins un an ou depuis sa naissance.
Disposition ajoutée dans l'article :

Une carte de séjour temporaire est délivrée à l'apatride qui réside régulièrement en France depuis plus de six mois ainsi qu'à son conjoint et à ses enfants.

Commentaire :

  • Résidence habituelle depuis plus de quinze ans. Dans son projet initial, le ministre de l'intérieur avait entrepris de faire correspondre un droit au séjour à la protection contre l'éloignement accordée aux étrangers résidant de façon habituelle sur le territoire français depuis plus de quinze ans. Il était prévu de leur accorder une carte de séjour d'un an, ce qui était déjà dérisoire au regard des attaches dont ces personnes peuvent par définition se prévaloir en France. Les députés ont, à leur manière, mis fin à ce non-sens juridique. Plustôt que d'accorder un droit au séjour aux catégories protégées contre l'éloignement, ils ont supprimé cette protection (voir article 6 bis nouveau). Ils ouvrent ainsi la voie à l'éloignement d'étrangers totalisant quinze ans et plus de séjour ininterrompu en France. Contrairement à ce qui a été soutenu à plusieurs reprises, et notamment par le ministre de l'intérieur selon lequel le nombre de personnes concernées par cette disposition ne dépasserait pas quelques dizaines, il est à craindre qu'elle en touche beaucoup plus. Ainsi, les étrangers qui auront passé l'essentiel des quinze ans en situation régulière avec une carte temporaire dont le renouvellement leur aura été refusé à l'occasion d'un « incident de parcours » (chômage, échec à un examen) ; ou encore, les jeunes entrés après l'âge de 10 ans ou entrés avant cet âge, qui ne rempliront pas les conditions prévues pour l'obtention d'un titre de séjour : selon toute probabilité, ils ne quitteront pas la France, où se trouvent les bases de leur avenir. Se poursuit ainsi le grand chantier législatif, entamé par la réforme du code de la nationalité et la loi Pasqua, visant à nier la possibilité pour les étrangers de pouvoir s'insérer dans la société française : le nombre des années passées en France ne compte plus, ni pour se voir reconnaître automatiquement la nationalité française quand on y est né et que l'on y a passé toute sa jeunesse, ni pour obtenir un droit au séjour après quinze ans de présence.

  • Conjoints de Français. Nous avions souligné que le report de la délivrance de la carte de séjour temporaire après un an de mariage constituait une absurdité dans la mesure où cela contraignait le conjoint étranger à demeurer en situation irrégulière avant de pouvoir prétendre à une régularisation (voir commentaire du projet gouvernemental). Le vote des parlementaires multiplie l'absurde par deux. D'autant plus que cette période destinée à déceler les éventuels mariages de complaisance n'a aucune utilité pratique puisque l'administration dispose à tout moment de la possibilité de retirer un titre de séjour obtenu à la suite d'un mariage frauduleux. Le Conseil d'Etat, dans un avis du 9 octobre 1992 (Abihilali), a même estimé que le préfet peut, indépendamment de toute décision judiciaire, refuser de tenir compte d'un mariage si celui-ci a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour. Enfin, ce délai de deux ans décale à nouveau la concordance entre droit au séjour et protection contre l'éloignement. Pendant toute la durée de la deuxième année de mariage, le conjoint étranger sera protégé contre l'éloignement sans pouvoir obtenir de plein droit un titre de séjour : et voilà comment les députés rétablissent la catégorie des « non-régularisables/non-expulsables » avec laquelle le projet de loi était supposé en finir.

  • Parents d'enfants français. La délivrance d'un titre de séjour temporaire aux parents d'enfants français entrés et séjournant irrégulièrement était déjà soumise à de nombreuses conditions par le projet gouvernemental. Les députés ont ajouté un nouveau cas d'exclusion pour les parents qui ont procédé tardivement à la reconnaissance de leur enfant : à défaut de pouvoir prouver qu'ils subviennent depuis au moins un an ou depuis sa naissance à ses besoins, un titre de séjour leur sera refusé. Dans notre commentaire du projet gouvernemental, nous avons souligné qu'il était matériellement impossible pour des personnes privées de droit au travail de fournir des preuves à l'administration qu'ils pourvoient aux besoins de leur enfant. Cette nouvelle exigence ne fait donc qu'aggraver l'incohérence du dispositif, à tel point que celui-ci est, en l'état, très en deçà des possibilités ouvertes par les circulaires de régularisation de 1995 et 1996.

  • Apatrides. L'article 15 de l'ordonnance prévoit la délivrance d'une carte de résident aux apatrides et aux membres de leur famille après trois ans de séjour régulier. Mais aucun texte ne réglemente leur séjour pendant ces trois premières années. Toutefois, la France est tenue de leur accorder un droit au séjour, conformément aux engagements qu'elle a pris en signant la convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides. Dans la pratique, un titre de séjour temporaire est délivré dès lors que l'Ofpra a reconnu la qualité d'apatride. Le projet n'a pour objet que d'inscrire dans la loi une obligation résultant d'un texte international. L'intention apparaît donc louable. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la condition de régularité du séjour de six mois introduite par le projet avant la délivrance de la carte de séjour temporaire. Pourquoi retarder la délivrance du titre si l'intéressé s'est vu reconnaître la qualité d'apatride ?


Les articles nouveaux

I. Relevé des empreintes digitales (article 3)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

Aux termes d'un article 8-3, pourraient être relevées et mémorisées dans un fichier les empreintes digitales de tous les étrangers qui demandent à séjourner en France, ainsi que celles de ceux qui sont en situation irrégulière ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement. Le ministère de l'intérieur pourrait consulter ce fichier pour identifier les étrangers en vue d'exécuter la mesure d'éloignement dont ils font l'objet.

Commentaire :

Il ne s'agit pas seulement de relever les empreintes digitales des seuls étrangers qui ont été interpellés en situation irrégulière ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement mais de tous ceux qui demandent à séjourner en France. L'article ne différencie pas selon la nature du séjour : va-t'on relever les empreintes des personnes qui souhaitent séjourner en France pour une durée très limitée, notamment les demandeurs de visa court séjour ? Cette disposition s'inscrit dans une logique de gestion policière de l'immigration. Dès la demande d'un titre de séjour, on prépare la possibilité d'éloigner l'intéressé.


II. Retrait de la carte de séjour des employeurs étrangers impliqués dans le travail illégal (articles 3 bis et 3 ter)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

La carte de séjour temporaire ou la carte de résident pourrait être retirée aux étrangers qui emploient des salariés démunis d'autorisation de travail.

Commentaire :

Le code du travail prévoit déjà que cette infraction peut être punie d'une peine de trois ans d'emprisonnement et 30 000 F d'amende. En outre, le juge peut prononcer une peine complémentaire de cinq ans d'interdiction du territoire à l'encontre des employeurs étrangers. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur l'intérêt d'une sanction purement administrative. En fait, cette disposition permettrait à l'administration de sanctionner un employeur étranger en l'absence de poursuites pénales ou de condamnations puisque le projet ne vise qu'une infraction et non une condamnation. Cette disposition n'a pour objet que de renforcer le pouvoir administratif et à le substituer éventuellement au pouvoir judiciaire, dont le contrôle serait dérisoire puisqu'il ne pourrait s'exercer qu'a posteriori.

Notons enfin que cette possibilité de retrait de la carte de séjour ignore toute borne et s'applique y compris à des étrangers qui ont toutes leurs attaches en France, alors qu'ils sont en principe inexpulsables  ! Une fois de plus, ce projet pourrait aboutir à priver de titre de séjour des étrangers protégés contre l'éloignement en générant des situations qu'il prétend supprimer.


III. Renouvellement de la carte de résident (article 4 bis)

Rappel des dispositions existantes - La carte de résident de 10 ans délivrée notamment aux étrangers du fait de leurs attaches en France (conjoints de Français, personnes entrées dans le cadre du regroupement familial pour y rejoindre un proche déjà résident...) est renouvelable de plein droit à son expiration.

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

Un refus de renouvellement de leur carte de résident pourrait être opposé aux étrangers qui en sont titulaires si leur présence « constitue une menace pour l'ordre public ».

Commentaire :

Cette disposition remettrait en cause un principe consacré depuis 1984, date de la loi qui pour la première fois a reconnu à certains étrangers un véritable droit de demeurer sur le territoire français sous la forme d'une carte de résident valable 10 ans et renouvelable automatiquement. Elle est fort inquiétante, à plusieurs égards :

  • la « menace à l'ordre public » est une notion floue, dont il n'existe pas de définition juridique précise. Elle n'est pas forcément liée à des condamnations pénales. Relevant de l'appréciation discrétionnaire de l'administration, la référence à une menace à l'ordre public permettrait donc au préfet de refuser à ceux des étrangers qui sont le plus intégrés en France le maintien de leur droit au séjour sans intervention d'un juge. Cette décision ne serait assortie d'aucune garantie préalable puisque le projet prévoit par ailleurs la suppression de la commission du séjour. Quant au contrôle du juge administratif, limité à la censure d'une « erreur manifeste d'appréciation », il n'interviendrait qu'a posteriori, le recours n'ayant pas de caractère suspensif.

  • la disposition envisagée permet de contourner un dispositif déjà existant, celui de l'expulsion puisqu'au refus de renouvellement peut s'ajouter une mesure de reconduite à la frontière. L'expulsion peut en effet être prononcée en raison de la menace grave pour l'ordre public. Mais, d'une part, il doit s'agir d'une menace grave (condamnation à une peine au moins égale à un an d'emprisonnement sans sursis) et, d'autre part, cette mesure est entourée d'un certain nombre de garanties de procédure, notamment le passage devant une commission d'expulsion.

Dans ces conditions, deux situations pourraient se présenter : soit l'étranger concerné fait partie d'une catégorie protégée contre l'éloignement, et le non renouvellement équivaudrait alors à une expulsion déguisée ; soit il fait partie d'une des catégories protégées mais, s'il se maintient en France, ce ne peut être que dans une situation de précarité totale. Cette dernière hypothèse étant justement celle que le projet entend supprimer.


IV. La péremption de la carte de résident (article 4 ter)

Rappel des dispositions existantes. - La carte de résident est périmée si son titulaire a quitté le territoire français pendant une période de plus de trois ans consécutifs. Cette période peut être prolongée si l'intéressé en fait la demande avant de partir ou pendant son séjour à l'étranger.

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

La carte de résident serait périmée si l'étranger n'avait pas sa résidence habituelle et permanente en France depuis plus de trois ans. Les dérogations à cette règle restent les mêmes qu'actuellement.

Commentaire :

Le texte actuel prévoit la péremption de la carte de résident si l'intéressé a quitté le territoire français de façon continue pendant plus de trois ans. A la condition d'absence continue hors du territoire français qui peut être établie de façon certaine, le projet substitue la condition de résidence habituelle et permanente, dont la définition est beaucoup plus floue.

De toute évidence cette disposition ne s'inscrit dans aucun des objectifs fixés par le gouvernement ; elle est sans rapport avec la lutte contre l'immigration irrégulière ou la « nécessité de régler des difficultés réelles de mise en oeuvre » des textes en vigueur. Il semble que son unique objet soit de permettre aux préfectures de retirer quelques cartes de résident supplémentaires chaque année. Dans cette optique, elle pourrait permettre de déstabiliser le séjour des étrangers titulaires de la carte de résident qui effectuent régulièrement des séjours, même de durée limitée, à l'étranger.

Concrètement, cette disposition pourrait toucher les retraités qui font des aller-et-retours entre la France et leur pays d'origine. Elle pourrait aussi gêner très sérieusement les étrangers qui tenteraient de repartir s'installer au pays. En cas d'échec de cette réinstallation et de retour en France, ils risqueraient de perdre leur droit au séjour. Ainsi, à trop vouloir encadrer les conditions de renouvellement des titres de séjour, une des conséquences directes de ce texte pourrait être de dissuader ces projets de retour faute d'une possibilité de repli en France.


V. Les catégories protégées contre les mesures d'éloignement (article 6 bis)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

La protection contre les mesures d'éloignement pour les étrangers justifiant d'une résidence en France depuis plus de quinze est supprimée.

Commentaire :

Cet article se combine étroitement avec la suppression du droit au séjour prévue dans le projet du ministre de l'intérieur par les députés (voir dans le chapitre «  Articles modifiés, III », le commentaire sur la résidence habituelle depuis plus de quinze ans).


VI. Le regroupement familial après un divorce (article 6 ter)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

L'étranger qui a divorcé avec le conjoint qu'il a fait venir par regroupement familial ne peut faire venir un nouveau conjoint par cette procédure qu'après un délai de deux ans à compter de la dissolution du précédent mariage. Il est prévu la même chose en cas d'annulation du mariage.

Commentaire :

Selon M. Philibert qui a défendu cet amendement en séance, il s'agit de faire obstacle aux « regroupement polygroupes ». Plus explicitement, cette disposition doit permettre d'empêcher les étrangers polygames de faire venir une seconde épouse après avoir divorcé de la première, laquelle continuerait de vivre au domicile conjugal. Elle vise donc les « divorces blancs ». A vouloir poursuivre la polygamie, même lorsqu'elle n'existe plus au regard de la loi, le travail parlementaire confine à l'absurde.

A supposer que de telles hypothèses se présentent - et dans l'affirmative, leur nombre serait sûrement dérisoire - , cette disposition n'aurait qu'une portée limitée puisqu'il suffirait pour la contourner de laisser s'écouler un délai de deux ans. En revanche, les personnes qui se remarieront en toute bonne foi seront à coup sûr pénalisées.

Par ailleurs, une disposition très semblable figurant dans le projet de loi Pasqua avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993, en raison de sa méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale. Les députés qui ont proposé cet amendement espèrent échapper cette fois-ci à la censure du Conseil constitutionnel en ajoutant, par rapport au projet de 1993, que cette disposition n'est applicable que si le divorce est intervenu dans une délai de moins de deux ans après l'admission au séjour au titre du regroupement familial. L'existence de ce délai n'atténue en rien l'atteinte portée à la vie familiale de l'intéressé.


VII. Interdiction administrative du territoire (article 7 bis)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

L'étranger « remis » aux autorités d'un État membre de l'Union européenne en application de l'article 33 de l'ordonnance pourrait, en raison de la gravité du comportement qui a motivé cette décision, faire l'objet d'une interdiction du territoire d'une durée maximale d'un an.

Commentaire :

La loi Pasqua a introduit la possibilité pour le préfet de prononcer une interdiction du territoire à l'encontre des étrangers reconduits à la frontière. Cette faculté lui serait accordée dans les mêmes conditions lorsqu'il prend une mesure de remise aux autorités d'un pays membre de l'Union européenne. On peut donc supposer que les motifs relatifs à la gravité du comportement seront interprétés de façon identique : l'interdiction du territoire serait prononcée en cas d'usurpation d'identité, de falsification de documents, de « récidivisme » dans l'entrée et le séjour irrégulier...


VIII. Les mesures transitoires de la loi Pasqua sur les jeunes (article 8 bis)

Rappel des dispositions existantes. - En vertu d'une disposition transitoire de la loi Pasqua, les jeunes étrangers entrés hors regroupement familial avant l'entrée en vigueur de la loi et qui justifient par tous moyens avoir leur résidence habituelle en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de dix ans obtiennent de plein droit une carte de résident.

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

Ce cas de délivrance de plein droit de la carte de résident est abrogé.

Commentaire :

Les députés ont opéré un alignement par le bas. Ils ont estimé que dès lors qu'une carte de séjour temporaire est accordée par le projet de loi (art. 4) à tous les étrangers justifiant avoir leur résidence en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de dix ans, il n'y a plus lieu de délivrer une carte de résident pour ceux entrés en France au même âge mais avant la loi Pasqua. Outre la différence de nature du titre de séjour, la portée de cette disposition est considérable puisque ces jeunes devront aussi justifier qu'ils sont dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans leur pays d'origine. Dans le cas contraire, ils pourront se voir opposer un refus de séjour et faire l'objet d'une mesure d'éloignement.


IX. Condition d'application de l'interdiction judiciaire du territoire (article 8)

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

La durée de l'interdiction du territoire court à compter du jour de sortie de prison de l'étranger condamné, lorsque celui-ci a fait l'objet d'une peine privative de liberté.

Commentaire :

A défaut de dispositions spécifiques sur le point de départ de l'interdiction du territoire dans le Code pénal, il y a lieu actuellement de se référer au régime habituel des peines accessoires non régies par un texte spécial. La solution communément admise est de faire débuter l'application de l'interdiction du territoire au jour où la décision de justice est devenue définitive. La durée de la peine privative de liberté s'impute donc sur la durée de l'interdiction du territoire.

Le projet de loi prévoit une solution beaucoup plus désavantageuse pour l'étranger condamné. Il ne serait plus possible de retrancher de la durée de l'interdiction du territoire le temps passé en prison.


X. Retrait des allocations familiales (article 11)

Rappel des dispositions existantes.- Pour le bénéfice des prestations familiales, seul l'allocataire doit justifier de la régularité de sa situation (Français ou étranger titulaire d'un titre de séjour).

Amendement adopté par l'Assemblée nationale :

« Lorsque l'allocataire conjoint ou concubin du père ou de la mère des enfants au titre desquels les prestations familiales sont demandées n'est pas père ou mère de ces enfants, le bénéfice de ces prestations est subordonné à la preuve de la régularité du séjour du conjoint ou concubin du parent des enfants concernés ».

Si l'on comprend bien, cet amendement supprimerait l'accès aux prestations familiales pour les couples mariés ou en concubinage dont le ou les enfants (qui peuvent être français) n'auraient pas de lien de filiation avec celui des conjoints qui est bénéficiaire de ces prestations, si l'autre conjoint, père ou mère de ces enfants, ne résidait pas en situation régulière en France.

Commentaire :

A la lecture des débats parlementaires, il n'est pas certain que les députés qui aient tous exactement perçu le mécanisme qu'il met en oeuvre, ce que traduit sa rédaction confuse. Ils y ont sans doute au moins vu la possibilité de percer une nouvelle brèche dans la protection sociale des enfants, ce qui a probablement emporté leur décision. Reste que cette nouvelle disposition aurait pour conséquence de pénaliser indistinctement étrangers et Français, et qu'elle va à l'encontre des recommandations tant de la Convention internationale des droits de l'enfant - « les Etats parties prennent toutes les mesures appropiées pour que l'enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanctions motivées par la situation juridique (...) de ses parents » - que de la Convention n¤ 118 de l'OIT, qui prévoit que le bénéfice des prestations est assuré sans condition de résidence.

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Dernière mise à jour : 27-08-2000 17:16.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/1996/debre/suite.html


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