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HORS-COLLECTION

La santé est en danger

Réforme de l'aide médicale État (AME)
et de la couverture maladie universelle (CMU)

Argumentaire du Gisti en vue de la saisine
du Conseil constitutionnel

1. L'affirmation du droit à la protection de la santé
2. L'interdiction de priver ce droit de garanties légales
3. La réforme est en contradiction avec tous les aspects qui viennent d'être évoqués
4. La réforme méconnaît la compétence du législateur

Introduction

La réforme de l'Aide Médicale d'Etat prévoit d'imposer le paiement du ticket modérateur et du forfait hospitalier aux bénéficiaires de cette prestation, c'est à dire aux étrangers en situation irrégulière et aux ressortissants français résidant habituellement hors du territoire français.

Lorsqu'il sont appliqués à des personnes qui justifient de revenus suffisants, ou qui bénéficient d'une mutuelle, le ticket modérateur et le forfait hospitaliers ont peu d'effets dissuasifs. Mais, lorsqu'ils s'appliquent à des personnes en situation précaire et à faible revenus, ils deviennent un « ticket d'exclusion » qui est, au mieux, fortement dissuasif, et qui, dans la plupart des cas, entraîne l'impossibilité d'accéder aux soins.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le mécanisme de la couverture maladie universelle prévoit que les personnes gagnant moins de 542 euros (3600 F) par mois ne paient pas le ticket modérateur et le forfait hospitalier : 4 millions de personnes sont actuellement sous plafond de ressources, et bénéficient de cette dispense.

Une personne sans-papiers, qui a généralement des revenus faibles et irréguliers, et inférieurs au seuil de 542 euros, ne peut pas débourser régulièrement 10 ou 15 euros pour consulter un médecin, et, à plus forte raison, acquitter le forfait hospitalier. La même observation vaut pour beaucoup de français de l'étranger bénéficiaires de l'AME, qui reviennent en France en situation de précarité.

Ce n'est donc pas une « responsabilisation », comme l'a prétendu l'auteur de l'amendement, mais une privation pure et simple de soins. Ce n'est pas davantage un alignement sur le droit commun, comme l'ont prétendu les auteurs de l'amendement, puisque, dans le droit commun, seules les personnes ayant des revenus supérieurs à 542 euros acquittent le ticket modérateur et le forfait hospitalier.

Certes, les enfants, les femmes enceintes (seulement pendant les quatre derniers mois de la grossesse) et les personnes atteintes de maladie grave continueront de bénéficier d'une prise en charge intégrale. Mais cette dérogation est l'aveu même qu'en l'absence de dispense, ces personnes ne bénéficieraient pas d'un réel accès aux soins. Par ailleurs, la distinction entre des maladies graves et des maladies qui ne le seraient pas n'a aucune pertinence en matière de santé publique : une affection simple qui n'a pas été soignée ou dépistée à temps, faute de consultation médicale, ne sera prise en charge que lorsqu'elle sera devenue grave, ou difficilement curable. Une personne fragile qui n'a pas accès aux soins peut mourir d'une grippe. Une personne qui, pour des raisons financières, ne consulte un médecin qu'en dernière extrémité, peut ignorer les symptômes d'une maladie grave (cancer, sida, tuberculose) qui, même si elle est ensuite prise en charge, ne pourra plus être efficacement soignée.

Toutes les associations prodiguant des soins ou de l'aide aux personnes en situation de précarité ont cherché, sans succès, à rappeler ces évidences aux auteurs du texte et au gouvernement :

  • les associations prodiguant des soins aux personnes en difficulté (Médecins du Monde et Médecins sans Frontières)

  • les associations de lutte contre la pauvreté (les associations regroupées dans l'Uniopss, ATD-Quart Monde, etc.)

  • les associations de lutte contre le Sida (Act-Up...)

  • l'ensemble du mouvement mutualiste (La Mutualité française et la Fédération des Mutuelles de France...)

  • les syndicats de médecins (MG-France...)

Cette réforme n'est pas seulement absurde et dangereuse : elle est aussi contraire aux principes constitutionnels, car elle méconnaît à la fois la compétence du législateur et le droit constitutionnel à la protection de la santé.

1. L'affirmation du droit à la protection de la santé

Ce droit est doublement consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : sous l'angle de la protection de la santé publique, d'une part, et sous l'angle de la protection du droit à la santé de chaque individu, d'autre part.

La protection de la santé publique est une exigence de valeur constitutionnelle. Le Conseil l'a notamment rappelé à propos de l'interdiction de la publicité en faveur du tabac. Il a énoncé qu'il était possible d'apporter des limites à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété dès lors que la prohibition de la publicité était fondée sur « les exigences de protection de la santé publique, qui ont une valeur constitutionnelle » (décision 90-283 DC du 8 janvier 1981, 15 ème considérant). Le « principe de protection de la santé publique » a ensuite été réitéré dans la décision 90-287 DC du 16 janvier 1991 (24ème considérant).

Le législateur ne peut donc prendre aucune mesure qui ait pour objet ou pour effet de porter atteinte à la protection de la santé publique, par exemple en affaiblissant la prévention ou le dépistage de certaines maladies, et notamment des épidémies ou des malades contagieuses.

Mais la protection de la santé n'est pas seulement une exigence de caractère collectif. C'est aussi un droit reconnu à chaque individu. Ce droit trouve son fondement dans le 11 ème alinéa du préambule de 1946, en vertu duquel la Nation « garantit à tous, (...) la protection de la santé ». La jurisprudence constitutionnelle en a fait application à de nombreuses reprises (par exemple, décision 89-269 DC du 22 janvier 1990, § 24 à 26).

A la différence du droit à la protection sociale, dont le Conseil estime, en l'état actuel de sa jurisprudence, qu'il ne bénéficie aux étrangers que s'ils séjournaient en France de manière stable et régulière, le droit à la santé est un droit reconnu à toute personne humaine. Il a un champ d'application plus restreint que le droit à protection sociale, qui a des objectifs beaucoup plus larges que la simple protection de la santé. Mais, en contrepartie, le droit à la protection de la santé, dont le périmètre est plus restreint, ne peut être conçu que comme une droit absolu, car son exercice conditionne celui de tous les autres droits, et que celui qui en privé est atteint dans son intégrité physique.

Il serait en effet impensable qu'une personne se voit refuser un accès à des soins indispensables, et soumises à de graves dangers pour sa santé, du seul fait qu'elle est en situation irrégulière sur le territoire français.

2. L'interdiction de priver ce droit de garanties légales

2.1. En matière de protection des droits fondamentaux, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a depuis longtemps posé le principe du « cliquet anti-retour ». Selon ce principe, « s'il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la constitution de modifier des textes anciens ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions (...), l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnelle » (Décision 86-210 DC du 29 juillet 1986, AJDA 186, p. 527).

2.2. Cette règle a reçu application en matière de droit au logement ( Décision 94-359 DC du 19 janvier 1995), de droit au développement et à la protection de la famille (Décision 97-393 DC du 18 décembre 1997).

Elle s'applique également s'agissant du droit à la protection de la santé. Ainsi, la décision 90-287 DC du 16 janvier 1991 vérifie que la modification du régime d'homologation des tarifs conventionnels des soins apportés par les établissements privés de santé « n'a pas pour effet de priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle » et ne « remettent pas en cause le principe de protection de la santé publique proclamé par le 11ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ».

De même, la décision 89-269 du 27 janvier 1990 (§ 26) énonce que l'action du législateur doit « fixer des règles appropriées tendant à la réalisation de l'objectif (de protection de la santé) défini par le préambule ». Illustrant ce principe, elle relève que la « diminution de la part des honoraires médicaux qui restera, en définitive, à la charge des assurés sociaux » est « de nature à permettre une application effective du principe posé par les dispositions » du 11ème alinéa du préambule de la constitution de 1946.

Tout récemment, dans la décision 2002-463 DC du 12 décembre 2002 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, le conseil a énoncé que le tarif forfaitaire de responsabilité de la sécurité sociale doit être fixé « de telle façon que ne soient pas remises en cause les exigences du 11ème alinéa du préambule de la constitution de 1946 ».

Examinée sous l'angle de ces principes, l'inconstitutionnalité de la réforme de l'AME apparaît manifeste.

3. La réforme est en contradiction avec tous les aspects qui viennent d'être évoqués

3.1. Elle méconnaît directement l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique. En effet, des centaines de milliers de personnes démunies mais présentes de manière permanente sur le territoire ne pourront se faire soigner, ou hésiteront fortement à le faire. Cette situation ne peut que favoriser la propagation de maladies contagieuses ou d'épidémies, et notamment des « maladies de la pauvreté », comme la tuberculose, ou de maladies qui ne sont pas encore éradiquées dans les pays d'origine des étrangers en situation irrégulière. Les sans-papiers échapperont, de plus, à tous les dispositifs de prévention ou de dépistage précoce, qui sont généralement présentés comme l'avenir de la santé publique en France.

3.2. Elle méconnaît le droit à la protection de la santé reconnu à tout individu. Ce n'est pas exagérer que d'affirmer que cette réforme mettra en péril la santé, et, dans un certain nombre de cas, la vie, de ceux qui en feront les frais. On pourrait en citer d'innombrables exemples : un étrangère en situation irrégulière qui, faute de consultations gynécologiques régulières, ne s'apercevra pas en temps utiles qu'elle est atteinte d'un cancer du sein ; un étranger séropositif que ne sera pas informé en temps utiles de son état ; un enfant, théoriquement à l'abri de la réforme, mais qui contractera une maladie contagieuse véhiculée par ses parents, et non dépistée, car ceux ci ne consultent pas régulièrement un médecin.

3.3. Elle constitue une régression dans la protection du droit à la santé, et, à ce titre, viole le principe selon laquelle le législateur ne peut faire modifier le régime des droits et libertés fondamentaux que pour en assurer un exercice effectif.

La combinaison de la Couverture Maladie Universelle, pour les Français résidant en France et les étrangers en situation régulière, et de l'AME, avait constitué, malgré certaines limites, un progrès important dans la protection de la santé publique. La réforme en cause revient sur cet acquis.

Elle va d'ailleurs bien au delà, puisque des dispositifs de prise en charge intégrale des soins pour les étrangers en situation régulière existaient avant la réforme de 1999. Même en 1993, lorsque fut adoptée, par la loi dite « Pasqua », la législation la plus restrictive vis à vis des étrangers, le droit d'accès aux soins de ces étrangers n'a pas été remis en cause.

4. La réforme méconnaît la compétence du législateur

4.1. Le nouvel article L 251-2 du code de l'action sociale et des familles, tel qu'il est issu de la modification contestée, prévoit, en son avant dernier alinéa, que la « participation des bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat est fixée dans les conditions énoncées à l'article L 322-2 et à la section 2 du chapitre II du titre II du livre III » du code de la sécurité sociale, c'est à dire par décret en Conseil d'Etat.

Le dernier alinéa du nouveau texte prévoit que « Les dépenses restant à la charge du bénéficiaire en application du présent article sont limitées dans des conditions fixées par décret ».

C'est dire que les principes même qui gouverneront la participation des bénéficiaires ne sont pas fixés par le législateur, mais laissés à l'entière appréciation du pouvoir réglementaire, sans que le législateur ait fixé aucun principe encadrant son action.

Ainsi, la loi ne fixe aucune règle plafonnant le taux de cette participation qui pourra atteindre, dans certains cas, des montants prohibitifs (surtout si on les compare aux ressources des intéressés). Elle ne fixe pas de cas d'exonération totale pour les personnes privées de toutes ressources. Elle ne fixe que quelques cas de dispenses, très lacunaires : il n'y a pas de dispense pour les personnes âgées, pas de dispense pour les femmes enceintes dans les 5 premiers mois de la grossesse, etc.

La loi aurait dû, à tout le moins, fixer les règles minimales permettant la garantie du principe de l'accès effectif, pour tous, aux soins essentiels.

4.2. Or, en application de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales accordée aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » et détermine les principes fondamentaux « du droit de la sécurité sociale ».

Par la disposition contestée, le législateur a renoncé à fixer les principes du « droit de la sécurité sociale ». Il faut préciser, sur ce point, qu'il n'y a pas lieu de distinguer, pour l'application cette disposition de l'article 34, ce qui relève de la sécurité sociale et ce qui relève de l'aide sociale. En effet, cette distinction technique et totalement contingente ne peut déterminer la frontière de la compétence constitutionnelle du législateur. Certes, l'expression sécurité sociale n'inclut les formes accessoires et complémentaires de protection, comme l'épargne-retraite (décision 97-388 DC du 20 mars 1997, p. 31). Mais, par « sécurité sociale », il faut nécessairement entendre le socle essentiel de la protection sociale, et, à ce titre, les aide sociale, qui n'est rien d'autre, par certains de ses aspects, que la sécurité sociale des plus pauvres. Une fois ce champ d'application précisé, il est clair que le législateur n'a pas épuisé sa compétence en matière de « principe fondamentaux de la sécurité sociale ».

Surtout, il n'est pas besoin d'épiloguer sur ce dernier point , il est manifeste que la garantie fondamentale qu'est le droit à la santé pour les plus démunis se trouve abandonnée au bon vouloir du pouvoir réglementaire.

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Dernière mise à jour : 20-03-2003 10:36 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/2003/ame-cmu/saisine.html


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