[Logo]
[Bienvenue] [Le Gisti ?] [Adresses] [Bienvenue] [Plan du site] [Recherche] [Aide]
[Idées] [Formations] [Pratique] [Le droit] [Publications]
     

Guide de l'entrée et du séjour des étrangers en France

Introduction (2/2)

Publication périmée !
Voir la nouvelle édition

Lire la première partie

Pasqua bis, ter, quater...

Ces gages donnés à l'opinion n'empêchent pas la déroute de la gauche aux élections législatives de mars 1993, qui ramènent au pouvoir une droite plus puissante que jamais. À court de propositions concrètes susceptibles de résoudre le seul problème qui menace sérieusement la cohésion de la société française, à savoir le chômage, le nouveau gouvernement s'empare de la question de l'immigration et fait adopter précipitamment par le Parlement trois textes : la loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité et obligeant notamment les jeunes nés en France de parents étrangers à « manifester leur volonté » de devenir français pour acquérir la nationalité française ; la loi du 10 août 1993 facilitant les contrôles d'identité ; et la loi du 24 août 1993 complétée par celle du 30 décembre 1993 modifiant les conditions d'entrée, d'accueil (sic) et de séjour des étrangers en France.

La loi du 24 août 1993, au cœur du dispositif mis en place par le ministre de l'Intérieur, est tout entière sous-tendue par une philosophie implicite selon laquelle les étrangers n'ont aucun droit à être en France ni à y demeurer. Ils ne peuvent par conséquent y jouir d'aucune protection, sinon celle que l'on consent, discrétionnairement, à leur accorder. Les possibilités de regroupement familial sont restreintes et des sanctions sévères menacent ceux dont la famille se maintient irrégulièrement sur le territoire ; les mariages entre Français et étrangers sont placés sous haute surveillance et le droit au séjour des conjoints de Français est limité, en vertu de la suspicion systématique qui pèse sur les mariages mixtes ; les personnes entrées en France alors qu'elles étaient enfants se voient retirer la garantie de pouvoir y demeurer après leur majorité ; les étrangers en situation irrégulière perdent tout droit aux prestations de sécurité sociale, même s'ils ont travaillé et cotisé plusieurs années ; les demandeurs d'asile doivent obtenir des préfectures une autorisation de séjour avant de pouvoir présenter leur demande à l'OFPRA, etc.

Ces textes marquent donc une nette régression de la condition des étrangers dans le sens d'une précarité accrue. Et l'application stricte de ces textes par une administration moins accessible que jamais à des considérations de simple humanité en démultiplient encore les conséquences néfastes. Familles disloquées, conjoints séparés, femmes enceintes et malades privés de soins, enfants non scolarisés, Algériens rapatriés de force vers l'Algérie... : on pourrait sans peine allonger la liste des situations dramatiques engendrées par des textes excessivement rigoureux mis en œuvre avec une brutalité peu commune.

À force de présenter la lutte contre l'immigration clandestine comme une priorité nationale et vitale, on a aussi suscité l'apparition de pratiques qui sapent les fondements mêmes de la démocratie et de l'État de droit : la violation délibérée des garanties de procédure prévues par une loi déjà bien peu contraignante pour ne pas prendre le risque de voir un seul étranger échapper à la reconduite à la frontière ; la suspicion généralisée à l'égard des étrangers ; la propension - spontanée ou encouragée - des agents de l'administration à dénoncer les étrangers en situation irrégulière ; les poursuites pénales engagées contre les personnes qui, en hébergeant l'un d'entre eux, se rendent coupables du délit d'aide à l'entrée ou au séjour irréguliers d'un étranger en France.

Le réveil des « sans-papiers »

Les mouvements de « sans-papiers » qui se sont multipliés à partir de mars 1996 ont fait apparaître les impasses d'une politique d'immigration fondée sur le « tout répressif » et l'irréalisme de l'objectif « immigration zéro », même corrigé en « immigration clandestine zéro ». En prévoyant d'accorder à certaines catégories d'étrangers – celles que la loi Pasqua avait privées de l'accès à la carte de résident – une carte de séjour temporaire, la « loi Debré » du 24 avril 1997 prenait acte de l'impossibilité d'appliquer strictement les textes adoptés quatre ans plus tôt.

Mais l'essentiel des dispositions de la loi Debré avait une portée répressive : confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière, mémorisation des empreintes digitales des étrangers qui sollicitent un titre de séjour, accroissement des pouvoirs de contrôle de la police, restriction des pouvoirs du juge en matière de rétention, d'un côté ; possibilités nouvelles données à l'administration de retirer un titre ou de refuser son renouvellement, suppression des garanties de procédure, de l'autre.

Le gouvernement avait dû renoncer en revanche, sous la pression d'une opinion brusquement réveillée, à l'une des dispositions du projet de loi qui était pourtant le plus ardemment réclamée par les membres de sa majorité : celle qui visait à contrôler plus étroitement les personnes, françaises ou étrangères, hébergeant des visiteurs étrangers et à les « responsabiliser » en les obligeant à déclarer le départ de ces visiteurs de leur domicile. L'émotion qui, en février 1997, s'est emparée de larges couches de la population, n'a probablement pas été étrangère à la défaite de la droite aux élections législatives de mai-juin 1997.

Le gouvernement de gauche porté au pouvoir par cette défaite, tout en apportant certains assouplissements à la législation en vigueur, a pourtant choisi de laisser subsister un grand nombre des dispositions contestées des lois qui l'ont précédée : les lois Pasqua de 1993 et Debré de 1997. Certes, la loi Chevènement a supprimé le certificat d'hébergement et créé une carte « vie privée et familiale » pour ceux qui ont des attaches en France sans remplir les conditions d'obtention d'une carte de résident ; elle a allégé le nombre et la densité des contrôles pour les étrangers dont l'intérêt personnel coïncide avec les intérêts de la France : investisseurs, intellectuels, chercheurs, boursiers du gouvernement français, artistes... ; enfin, elle a officialisé l'« asile territorial », pour les étrangers qui ont besoin de protection mais ne remplissent pas les critères de la Convention de Genève.

Elle n'a pas rompu pour autant avec la logique qui prévalait antérieurement : si la loi a ouvert plus largement la porte à des régularisations, c'est en consacrant la précarité de la situation des étrangers ainsi régularisés, qui n'obtiennent qu'une carte temporaire ; la « double peine » n'a pas été remise en cause, pas plus que beaucoup des dispositions jugées scélérates de la loi Debré (mémorisation des empreintes digitales ou confiscation des passeports notamment) ; et la durée maximum de la rétention a été portée de dix jours à douze jours.

De Chevènement à Sarkozy

La loi Chevènement avait été présentée comme un texte d'équilibre, susceptible de recueillir un consensus et destiné par conséquent à durer. On a pu le croire un instant, car le gouvernement issu des élections de mai-juin 2002 n'a pas immédiatement annoncé, comme il était devenu rituel à chaque alternance, de modification de l'ordonnance de 1945.

C'est en octobre 2002 qu'il a été pour la première fois question de réformer la législation existante – dans un sens libéral au demeurant, lorsque le ministre de l'Intérieur a annoncé sa volonté d'assouplir le régime de la « double peine » ; et c'est en février 2003 seulement que la presse a dévoilé l'existence d'un avant-projet de loi destinée à réformer – cette fois dans le sens d'une sévérité accrue – l'ordonnance de 1945. Il est vrai que la question de l'immigration avait déjà fait irruption dans les débats sur la loi pour la sécurité intérieure (LSI), notamment à propos de la prostitution et de la faculté donnée aux préfets de retirer leur titre de séjour aux auteurs des nouvelles infractions créées par la loi (mendicité agressive, racolage passif, etc.).

Adopté par le conseil des ministres en avril, le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, dans lequel ont été inclues les dispositions sur la double peine, a été définitivement adopté le 28 octobre, après une seule lecture dans chaque assemblée, le gouvernement ayant déclaré l'urgence, et le texte a été promulgué le 26 novembre.

Le premier objectif de la réforme mis en avant par son promoteur est de « mettre fin à l'incapacité de l'État à maîtriser les flux migratoires ». Ceci suppose de renforcer le dispositif répressif (ainsi, par exemple, la durée maximum de la rétention administrative passe de douze à trente-deux jours, le fichage des demandeurs de visas ou de titres de séjour est généralisé, les sanctions du séjour ou du travail irréguliers sont aggravées), mais aussi de traquer la fraude partout où elle peut surgir. Parmi les mesures les plus symptomatiques de cette obsession de la fraude figurent la volonté de faire échec aux « paternités de complaisance » (les parents d'enfants français sont désormais privés de l'accès direct à la carte de résident), le contrôle accru sur le mariage des étrangers, ou encore le nouveau régime des attestations d'accueil qui reprend plusieurs des dispositions qui figuraient dans le projet Debré de 1997 et finalement abandonnées parce qu'elles avaient fait descendre cent mille personnes dans la rue.

La réforme est aussi placée – ce qui est plus nouveau – sous le signe de la lutte contre le communautarisme. Dans ce contexte, la thématique de l'intégration, omniprésente, a des effets ambivalents. Elle justifie la réforme de la « double peine », que ne doivent plus subir ceux qui ont construit leur vie en France ; mais, outre que les modifications apportées au régime de l'expulsion et de l'interdiction du territoire français ont une portée bien plus limitée qu'on n'a voulu le faire croire, il a suffi que le gouvernement soit désavoué par le juge administratif à propos d'une affaire très médiatisée [1] pour que, dans les deux mois, une proposition de loi soit déposée puis votée par le parlement, élargissant les possibilités d'expulsion, ce qui montre la fragilité des quelques acquis obtenus. L'intégration entraîne aussi une précarisation de la condition des étrangers, dès lors que l'accès à des titres de séjour de longue durée est subordonné à des gages préalables d'intégration – d'une « intégration républicaine dans la société française », est-il même précisé.

Autre point saillant de la réforme : le renforcement sensible des pouvoirs des maires, compétents pour contrôler les attestations d'accueil, vérifier les conditions de logement et de ressources pour le regroupement familial, contrôler les mariages en tant qu'officiers d'état civil, et associés à la délivrance des titres de séjour puisqu'un de leurs représentants siègera dans les commissions du titre de séjour et qu'ils pourront être consultés pour apprécier la condition d'intégration.

Enfin, la loi reflète le souci de l'harmonisation communautaire, ce qui est logique, puisque, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1999, la politique d'immigration et d'asile a cessé de relever de la seule compétence des États membres, qui devront désormais transposer dans leur droit interne les normes élaborées à quinze et bientôt à vingt-cinq. Parmi les dispositions qui manifestent l'influence des textes communautaires, déjà adoptés ou en préparation, on peut citer : la suppression pour les ressortissants des États membres de l'obligation de détenir un titre de séjour ; la mémorisation des photographies et des empreintes digitales des étrangers qui sollicitent un titre de séjour ou un visa (au moment où l'on discute à Bruxelles d'un règlement communautaire visant à introduire des éléments d'identification biométriques dans les documents de séjour et de voyage des étrangers) ; le passage de trois à cinq ans du délai pour obtenir une carte de résident et la subordination de son obtention à un critère d'intégration...

*

De cette histoire mouvementée de l'ordonnance du 2 novembre 1945 résulte une réglementation de plus en plus répressive, mais aussi de plus en plus complexe. Ce Guide ne peut pas, dans les limites qui sont les siennes, fournir les réponses à toutes les questions que rencontrent les étrangers et ceux qui les conseillent. Son objectif est plus modeste mais néanmoins ambitieux : il vise, grâce à une présentation logique et ordonnée de la réglementation, à fournir un certain nombre de cadres permettant de s'orienter dans le maquis des textes, de mieux comprendre les pratiques administratives, de savoir repérer celles qui sont manifestement illégales, et le cas échéant de pouvoir les contester en justice.

 


Notes

[1] Il s'agissait de l'imam de Vénissieux, installé en France depuis plus de vingt ans, donc protégé contre la « double peine », et qui avait néanmoins fait l'objet d'une mesure d'expulsion après avoir donné, en juin 2004, à un quotidien lyonnais une interview dans laquelle il justifiait le droit pour un mari de battre sa femme adultère : son expulsion en urgence absolue avait été suspendue par le tribunal administratif.

Pour commander un cahier ou un guide

Pour s'abonner aux publications

En haut

Dernière mise à jour : 28-11-2006 13:45 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/2005/entree/intro-2.html


Bienvenue  | Le Gisti ?  | Adresses  | Idées  | Formations  | Pratique  | Le droit  | Publications
Page d'accueil  | Recherche  | Plan du site  | Aider le Gisti  | Autres sites

Comment contacter le Gisti