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Guide de la protection sociale des étrangers en France

Chapitre 2
Les étrangers face
à la protection sociale

Publication périmée !
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Présentation | Sommaire détaillé | Introduction

  1. Un accès de plus en plus restreint aux droits sociaux
    1. Les restrictions législatives et réglementaires
    2. Les entraves à l'exercice des droits
  2. Le "coût social" des étrangers : une question mal posée
  3. Les étrangers face aux différents risques
    1. La maladie
      1. La couverture sociale
      2. La consommation médicale
    2. Les accidents du travail
    3. La vieillesse
    4. Les prestations familiales et les aides au logement
    5. Le chômage et la pauvreté
    6. Le recours aux services sociaux
  4. Les autres apports de l'immigration
    1. L'apport économique
    2. Le renouvellement de la population active et le financement des retraites
    3. L'apport démographique
  5. Le FAS
    1. Le financement du FAS
    2. Les missions du FAS
    3. Le fonctionnement du FAS
    4. LE FAS, un piège pour les associations ?

Les étrangers sont les premières victimes des politiques de restriction budgétaire menées dans le domaine de la protection sociale. En même temps, on les désigne volontiers comme responsables de gaspillages et de fraudes, et, par voie de conséquence, des difficultés financières de la sécurité sociale (voir par exemple le rapport rédigé par deux parlementaires, Charles de Courson et Gérard Léonard, sur Les fraudes et les pratiques abusives, qui a été publié en septembre 1996 à La Documentation Française). Tous les chiffres connus permettent pourtant de réfuter ces assertions gratuites et mensongères.

Les véritables causes du déficit de la sécurité sociale n'ont rien à voir avec la population étrangère résidant en France. A cet égard, les étrangers constituent des boucs émissaires commodes aux problèmes financiers de la protection sociale.

A. Un accès de plus en plus restreint
aux droits sociaux

Le climat xénophobe a pour effet de rendre l'accès au système de protection sociale de plus en plus difficile pour les étrangers.

1. Les restrictions législatives et réglementaires

Les étrangers ont toujours été écartés du bénéfice de certaines prestations, sous prétexte qu'elles sont financées par l'impôt et non par les cotisations sociales. Il en va ainsi de l'allocation supplémentaire du Fonds de solidarité vieillesse ou invalidité (ex-FNS) et de l'allocation aux adultes handicapés. Les étrangers étant astreints, au même titre que les nationaux, au paiement des impôts, on ne voit pas au nom de quelle logique cette discrimination perdure.

Mais en dehors même de ces discriminatins anciennes, les restrictions à l'obtention des droits se sont multipliées depuis une dizaine d'années et on s'est éloigné de l'égalité des droits. Les rares avancées en matière d'accès à la protection sociale pour les étrangers n'ont pu être arrachées qu'au prix de recours devant les tribunaux, notamment pour contraindre la France à respecter ses engagements internationaux.

La condition de régularité de séjour des étrangers, de leur conjoint, de leurs enfants est devenue la règle pour la quasi totalité des dispositifs sociaux, alors que dans le même temps les nouvelles lois ont abouti à refuser des titres de séjour à un nombre croissant d'étrangers résidant en France et appelés à y demeurer. La conjonction du durcissement des textes sur le séjour et le travail des étrangers et des conditions d'accès aux droits sociaux aboutit à exclure de nombreux étrangers des droits fondamentaux normalement garantis par la protection sociale.

2. Les entraves à l'exercice des droits

Les étrangers ne sont pas frappés seulement par cette exclusion inscrite dans les textes. Ils ont aussi de plus en plus de difficultés à obtenir concrètement ce que le droit leur garantit.

On déplore souvent la grande complexité des règles de la protection sociale qui rend l'accès aux droits difficile pour de nombreux citoyens, notamment pour ceux qui se trouvent en situation précaire et doivent fournir de nombreuses pièces justificatives. Que dire alors de l'étranger qui se voit soumis à des conditions supplémentaires souvent très restrictives ? Pour lui, le droit est encore plus complexe et d'un accès souvent insurmontable.

Même munis d'un titre de séjour, les étrangers doivent en outre subir de multiples tracasseries administratives lorsqu'ils veulent faire valoir leurs droits. Dans un environnement hostile, les pratiques administratives illégales visant à leur dénier les droits sociaux ont tendance à se développer.

Il n'est finalement pas étonnant que, comme le montrent plusieurs études, les étrangers soient surreprésentés parmi les personnes éligibles ne percevant pas certaines prestations.

B. Le « coût social » des étrangers :
une question mal posée

Parler du "coût social" des étrangers revient à poser la question de savoir s'ils coûtent plus qu'ils ne rapportent à la protection sociale. Or cette question n'a, d'un point de vue économique, aucun sens, en raison de la logique même de fonctionnement de la protection sociale. Celle-ci est en effet fondée sur la solidarité entre différentes catégories : entre bien-portants et malades ou handicapés, entre actifs et retraités, entre personnes disposant d'un emploi et chômeurs, entre ménages peu nombreux et familles nombreuses, etc. Elle vise à protéger ou indemniser ceux qui en raison de leur âge, de leur état de santé, de leur situation, supportent des risques plus importants ou se trouvent dans le besoin et cela en vue d'assurer non seulement le bien-être de chacun mais le bien-être collectif. Les uns "paient" pour les autres, étant entendu que chacun peut se retrouver, définitivement ou temporairement, dans telle ou telle catégorie et "coûter" plus qu'il ne "rapporte" ou "rapporter" plus qu'il ne "coûte" à la société. Et il en va de même pour les étrangers qui ne constituent pas une catégorie homogène.

De plus, la notion de "coût social" qui serait calculé à un moment donné ne correspond pas à la logique même du système qui couvre les individus contre les aléas de la vie de la naissance à la mort : un individu "coûte" durant sa jeunesse, paie des cotisations et des impôts quand il est travailleur actif, puis "coûte" de nouveau quand il est à la retraite. Un étranger arrivé en France à l'âge adulte présente d'ailleurs l'avantage pour la société d'accueil de limiter le coût d'entretien et de formation des jeunes : ce coût a déjà été assuré par la société d'origine.

Il convient aussi de garder à l'esprit qu'une logique strictement comptable laisse échapper les autres coûts subis par les étrangers : conditions de vie et de travail plus difficiles, ségrégation sociale, mépris de la société environnante... Sans parler du coût du coût subi par les famille ou les couples qu'on sépare, du coût subi par les enfants et les parents à qui on interdit de vivre ensemble.

Une autre idée fausse est souvent associée à celle du "coût social" : la qualité ou la générosité du système de protection sociale serait le principal facteur d'explication de l'immigration. Ce raisonnement revient à considérer l'immigration comme un choix, pour ainsi dire sur catalogue, entre plusieurs destinations, en fonction d'avantages connus à l'avance. Ce raisonnement relève largement du fantasme, le même fantasme que celui qui avait pronostiqué l'arrivée massive de millions d'Européens de l'Est après la chute du mur du Berlin : ils ne sont pas venus, et ce en dépit d'une forte hausse du chômage et d'une forte dégradation du niveau de vie dans les pays d'Europe centrale et orientale. Ce raisonnement ignore totalement la réalité de l'immigration. Emigrer est le plus souvent un recours extrême, un déracinement douloureux, qui n'est pas déterminé par des calculs purement financiers mais bien davantage par des considérations familiales, linguistiques, politiques et géographiques.

Si la notion de "coût social" n'a pas de sens, il peut être néanmoins utile, pour combattre les préjugés et les idées fausses, d'analyser les prestations versées aux étrangers et les contributions qu'ils versent dans les différents domaines de la protection sociale. En effet, l'opinion selon laquelle les étrangers bénéficieraient davantage que les autres de la protection sociale est assez répandue. A la question : " En France, diverses prestations sont distribuées en cas de maladie, de chômage, de retraite, de maternité, etc. A votre avis, quelle est la catégorie de population qui en bénéficie le plus ? ", ce sont "les étrangers, les immigrés" qui arrivent en tête des réponses, devançant les pauvres, les ouvriers, les chômeurs, les familles et les personnes âgées (enquête "Conditions de vie et aspirations des Français", CREDOC, 1995). Il est donc important de montrer que tel n'est pas le cas.

On ne dispose pas toujours d'éléments très précis sur les dépenses et les recettes occasionnées par les étrangers pour différents domaines de la protection sociale. On peut néanmoins affirmer, sur la base d'études sérieuses, qu'ils reçoivent moins qu'ils ne cotisent pour les retraites et la maladie - or ce sont les deux branches qui représentent plus des trois-quarts des dépenses de protection sociale et qui ont toujours été les plus fortement déficitaires : les étrangers contribuent donc de fait à en limiter le déficit.

A l'inverse, les étrangers cotisent moins qu'ils ne reçoivent pour les prestations familiales (dont le régime n'est déficitaire que depuis 1994) et pour les indemnités de chômage alors que l'UNEDIC est excédentaire (près de 25 milliards de francs en 1995). Enfin, on peut penser qu'ils "coûtent" plus que la moyenne de la population en matière d'aide sociale, bien que les chiffres fassent ici défaut.

Il faut noter, de plus, que les statistiques dont on dispose ont été élaborées à une époque où la condition de régularité du séjour n'était pas systématiquement exigée ; or aujourd'hui, beaucoup d'étrangers se retrouvent exclus du bénéfice des prestations alors qu'ils ont cotisé.

Le temps n'est plus, certes, où l'on pouvait évaluer à cinq milliards le solde entre les cotisations et les prestations des étrangers et par conséquent l'apport représenté par les étrangers à la sécurité sociale, en raison d'une plus grande jeunesse de cette population (A. Cordeiro, "La sécurité sociale et les immigrés", Les Temps modernes, n° 452-454, 1984). L'écart entre cotisations et prestations s'est réduit et pourrait même s'inverser, car les dépenses de protection sociale des étrangers tendent à s'aligner sur celles des Français en raison du rapprochement des structures socio-démographiques des uns et des autres (G. Le Moigne , L'immigration en France, PUF, Que Sais-je ?, 1995). En particulier, la proportion des étrangers dans la population active diminue et devient pratiquement identique à leur proportion dans la population totale : les étrangers représentent désormais environ 6% des actifs et 6% de la population (INSEE, Les étrangers en France, 1994).

Un examen des dépenses de protection sociale des étrangers dans les différents domaines de la protection sociale confirme l'absurdité de vouloir isoler les étrangers des nationaux : les étrangers se trouvent, à quelques nuances près, dans une situation comparable à celle de la catégorie socio-professionnelle dans laquelle ils sont sur-représentés, à savoir les ouvriers (selon les chiffres du recensement de 1990, 57,9 % des actifs étrangers sont ouvriers, contre 28,5% des actifs français). Pour tous les domaines de la protection sociale (la santé, les accidents du travail, les retraites, l'indemnisation du chômage, etc.), les étrangers sont proches des ouvriers français. En d'autres termes, on découvre qu'à âge égal, ce n'est pas la nationalité qui peut expliquer des comportements en lien avec la protection sociale, mais bien davantage la situation sociale.

C. Les étrangers face
aux différents risques

1. La maladie

Les études montrent que les dépenses d'assurance maladie des étrangers sont en moyenne plus faibles que celles des Français. De fait, les dépenses de santé croissent avec le niveau de vie et l'âge ; or les étrangers ont un niveau de vie plus faible et ils sont plus jeunes que la moyenne de la population.

a) La couverture sociale

La couverture sociale dont bénéficie un usager a des répercussions sur sa consommation médicale et sur son recours aux soins préventifs. Or, en moyenne, les étrangers disposent d'une couverture sociale nettement moins importante que celle des Français qui sont en général mieux protégés que les étrangers.

Lorsqu'ils sont affiliés à l'assurance maladie, les Maghrébins, autres Africains et Asiatiques sont en moyenne trois à quatre fois plus souvent démunis d'une couverture complémentaire que les Français.

Couverture maladie (en pourcentage)

Couverture
maladie (%)

Français

Etrangers

dont
Européens
du Sud

dont
Maghrébins

dont autres
africains
et asiatiques

100% sécurité sociale

10,5

8,4

12,9

4,8

4,1

Sécurité sociale et couverture complémentaire

77,8

56,4

63,4

53,6

50,1

Sécurité sociale seule

11,7

35,2

23,7

41,6

45,9

Total

100

100

100

100

100

Répartition calculée seulement sur les affiliés à la sécurité sociale, à l'exclusion des bénéficiaires de l'aide médicale et des individus qui ne disposent d'aucune couverture sociale. Source : INSEE, enquête sur la santé, 1991.

Les étrangers se trouvent en outre plus souvent démunis de toute couverture sociale : 0,2% des Français sont dans ce cas, contre 1,9% des étrangers hors Communauté européenne. Les étrangers âgés non ressortissants de la Communauté européenne sont particulièrement nombreux à ne bénéficier d'aucune couverture médicale : 10,6% des plus de 60 ans sont dans ce cas. La proportion de ces exclus est encore plus importante pour les étrangers âgés provenant d'Afrique noire (Ministère des Affaires sociales, SESI, Enquête décennale santé, 1992).

Etendue de la couverture maladie

Etendue de la couverture maladie (%)

Français

Etrangers

dont CEE

dont hors CEE

dont Maghrébins

dont autres hors CEE

Sécurité sociale
dont :

Sécurité + complémentaire

Sécurité sociale seule

99,4

 

84,7

11,7

97,9

 

59,1

38,8

99,3

 

68,2

31,1

95,9

 

52,3

43,6

99,5

 

52,5

47,0

93,0

 

52,3

40,7

Sans sécurité sociale dont :

aide médicale

aucune couverture maladie

0,6

 

0,2

0,2

2,1

 

0,0

1,2

0,7

 

0,0

0,0

4,1

 

0,0

1,9

0,5

 

0,0

0,2

7,1

 

0,0

3,4

autre

0,3

0,9

0,7

2,2

0,3

3,7

TOTAL

100

100

100

100

100

100

Source : Ministère des Affaires sociales, SESI, Enquête décennale santé, 1992

b) La consommation médicale

Les étrangers consultent en moyenne moins souvent les médécins généralistes, les spécialistes et les dentistes. Les femmes étrangères consultent moins que les Françaises alors même qu'elles suivent en moyenne davantage de consultations obligatoires liées à la maternité du fait de leur fécondité plus forte.

Nombre de consultations de médecin par an

Nombre moyen de séances de médecin par an

Français

Etrangers

dont Européens du Sud

dont Maghrébins

dont autres Africains et Asiatiques

Ensemble

Enfants

Hommes

Femmes

Personnes âgées

6,6

6,1

3,9

7,0

10,1

4,6

3,7

3,1

5,7

9,2

5,7

3,8

3,9

6,1

9,2

3,7

3,7

2,4

5,5

3,1

3,2

1,9

3,5

4,8

n.s.

Nombre moyen de séances de dentistes par an

1,4

1,1

1,1

1,3

0,4

Source : INSEE, enquête sur la santé, 1991

Les étrangers séjournent dans les hôpitaux à peu près autant que les Français, mais pour des motifs sensiblement différents. Ayant davantage d'enfants en moyenne, les étrangères sont plus souvent hospitalisées que les Françaises pour des raisons liées à la grossesse et à l'accouchement. Les hommes le sont plus souvent pour des traumatismes, des maladies infectieuses, parasitaires, de l'appareil respiratoire, du système ostéo-articulaire. Une partie de ces hospitalisations provient de conditions de vie, de logement et surtout de travail plus pénibles en moyenne (les travailleurs étrangers sont fortement représentés dans les professions à risques). Les étrangers non-européens sont en revanche beaucoup moins hospitalisés pour des pathologies liées à l'alcool (INSEE, Les étrangers en France, 1994).

Nombre de séjours à l'hôpital par an (1991-92)


Français

Etrangers

dont CEE

dont hors CEE

dont Maghrébins

Nombre moyen de sorties d'hospitalisation par an et pour 100 habitants

17,3

18,0

23,3

14,7

11,6

Source : Ministère des Affaires sociales, SESI, Enquête décennale santé, 1991-1992.

2. Les accidents du travail

Les étrangers représentent souvent une main-d'oeuvre industrielle assujettie aux tâches les moins qualifiées, les plus dures, pénibles et les plus risquées. Cette main-d'oeuvre est davantage victime d'accidents du travail et de maladies professionnelles, notamment dans la métallurgie et le bâtiment. Au total, les étrangers subissent 14% des accidents du travail et 18% des accidents entraînant une incapacité permanente alors qu'ils ne représentent qu'un peu plus de 6% de la population active. Parmi les accidents du travail dans le bâtiment et travaux publics impliquant une incapacité permanente, plus de 30% touchent des étrangers alors qu'ils représentent moins de 17% des effectifs de ce secteur (CNAM, Statistiques des accidents du travail). On peut de nouveau relever ici l'inanité de la notion de "coût social" en matière de protection sociale : si les étrangers "coûtent" davantage en matière d'accidents du travail, n'en paient-ils pas aussi le prix fort ?

3. La vieillesse

Les travailleurs immigrés assureraient 9,2% des cotisations vieillesse du régime général et recevraient 5,7% des prestations selon une estimation portant sur des données de 1989 (G. Le Moigne, L'immigration en France, précité). Ils permettent donc de limiter le déficit des caisses de retraite.

Ils sont en effet beaucoup plus jeunes en moyenne : au recensement de 1990, les étrangers de plus de 65 ans représentent 3,4% de la population, alors que les étrangers d'âge actif (de 20 à 64 ans) représentent 6,9% de la population. En outre, ils ont une espérance de vie plus courte, de sorte qu'ils ne perçoivent une retraite que sur une durée plus brève. Enfin, nombreux sont ceux qui ne pensent pas ou ne peuvent pas (voir ci-après) réclamer leurs droits après un retour au pays avant l'âge de la retraite, surtout dans le cas de séjours relativement courts en France), et les veuves sont nombreuses à ne pas réclamer leurs pensions de réversion.

La part des retraites dans le total du revenu moyen par ménage est en conséquence beaucoup faible pour les étrangers que pour les Français (voir tableau). Logiquement, la différence est plus faible pour les populations étrangères plus âgées en moyenne, issues de flux d'immigration plus anciens comme les Italiens ou les Espagnols.

Montant annuel moyen des retraites pour l'ensemble
des ménages en 1990

Nationalité

Retraites (en francs)

Indice (Français = 100)

Français

Etrangers

Italiens

Espagnols

Portugais

Autres de l'UE

Algériens

Marocains

Tunisiens

Autres

31 234

11 629

24 050

24 414

4 904

23 988

12 681

2 655

4 123

10 776

100,0

37,2

77,0

77,3

15,7

76,8

40,6

8,5

13,2

34,5

Note : il s'agit des retraites moyennes pour tous les ménages résidant en France, et il ne s'agit donc pas des retraites moyennes versées aux ménages percevant effectivement des retraites. Source : INSEE, Enquête sur les revenus fiscaux, 1990.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger les économies faites par les organismes de retraite résultant des pertes de droits. Les étrangers retournés dans leur pays d'origine sont parfois dans l'incapacité de faire valoir leurs droits à la retraite : mis à part pour les ressortissants de quelques pays ayant signé une convention bilatérale avec la France, l'étranger ne peut en effet liquider sa retraite à 60 ans que s'il est présent sur le sol français en situation régulière de séjour ou, si, établi dans son pays d'origine, il parvient à revenir en France muni d'un titre de séjour.

Rappelons aussi que s'il a cotisé durant toute sa vie active, l'étranger retraité qui retourne vivre dans un pays étranger perd définitivement sa couverture maladie. Cette situation est d'autant plus injuste que cet étranger est contraint de contribuer au système d'assurance maladie jusqu'à sa mort : sa pension de retraite continue d'être diminuée des cotisations sociales destinées à une assurance maladie dont il est définitivement exclu !

Les étrangers âgés se voient par ailleurs refuser le droit aux prestations du Fonds de Solidarité Vieillesse (l'ex-allocation supplémentaire du FNS) en contradiction avec les principes constitutionnels rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 janvier 1990 et avec les engagements internationaux de la France dans le cadre de la Communauté européenne et de l'OIT (voir infra).

4. Les prestations familiales et les aides au logement

Les prestations familiales versées aux familles étrangères résidant en France représenteraient 10,7% des dépenses du régime général et les cotisations des étrangers 6,3% (chifres de 1989, cités par G. Le Moigne, op. cit.). Les étrangers reçoivent donc en moyenne plus de prestations familiales qu'ils ne versent de cotisations.

On ne saurait cependant voir là une des causes des problèmes financiers de notre protection sociale. En effet, le fameux "trou" de la sécurité sociale a pour origine les déficits dans les branches maladie et vieillesse qui représentent plus des trois-quarts des dépenses de protection sociale, alors que la branche famille ne représente qu'environ 10% des dépenses et qu'elle était largement excédentaire jusqu'en 1994.

Si les familles étrangères en France touchent un montant supérieur en moyenne c'est d'abord en raison de la structure démographique et de la fécondité de cette population : les familles étrangères sont plus jeunes et plus nombreuses, or les prestations familiales augmentent avec la taille de la famille. Le plus faible niveau des revenus est un second facteur d'explication, dans la mesure où certaines prestations sont versées sous condition de ressources.

D'après les statistiques officielles, les familles étrangères représentent 8,7% des bénéficiaires allocataires de la branche "famille" en 1993. En réalité, les statistiques sont faussées : d'une part parce que les naturalisations ne sont pas toujours actualisées ; d'autre part parce que les familles sont comptabilisées comme étrangères en fonction de la nationalité de l'allocataire (le père ou la mère), ce qui n'implique pas que les enfants le soient, et encore moins qu'ils le resteront (la quasi-totalité des enfants de couples "mixtes" sont déjà français et, en se basant sur les travaux de l'INED, on peut estimer qu'environ les deux tiers des enfants étrangers dont les parents sont étrangers et perçoivent des prestations familiales seront français à l'âge adulte). Au total, plus des trois-quart des prestations versées aux familles étrangères sont destinées à les aider à élever des enfants français ou appelés à le devenir.

Si les prestations familiales versées aux familles étrangères semblent représenter a priori des sommes importantes, on constate qu'en réalité à situation égale, les familles étrangères bénéficient globalement d'avantages moindres. Ainsi, par exemple à situation égale de revenu et de taille, les familles étrangères bénéficiaient en 1985 d'aides au logement inférieures de 15 à 20% en moyenne à celles des familles françaises, car elles habitaient moins souvent dans des logements conventionnés qui, seuls, ouvrent droit à l'aide personnalisée au logement (APL), dont le montant est supérieur à celui de l'allocation de logement familiale (source : A. Chastand, "L'immigré et sa famille : les prestations familiales des immigrés", Revue de droit sanitaire et social, 1990).

Par ailleurs, depuis 1987, les enfants étrangers venus rejoindre leur(s) parent(s) établis en France en dehors de la procédure du regroupement familial n'ouvrent plus droit aux prestations familiales, bien que les parents versent des cotisations.

Enfin, il faut rappeler que les prestations familiales ne sont pas versées en principe pour les enfants demeurés au pays. Il n'en va différemment que pour les ressortissants de l'Espace économique européen et ceux d'une quinzaine de pays ayant passé une convention avec la France (essentiellement les pays Maghreb et d'Afrique francophone). Encore ces derniers ne perçoivent-ils que des prestations très inférieures à celles versées aux familles résidant en France.

Le nombre des familles restées au pays et bénéficiaires de prestations familiales a été divisé par près de quatre entre 1978 et 1994 (source : CNAF). Comme le niveau moyen des prestations déjà très bas a également baissé, les dépenses ont chuté encore plus fortement au point de ne représenter en 1994 qu'une goutte d'eau : environ 0,08% des prestations versées par les caisses d'allocation familiales. En proportion du total des prestations familiales, elles sont six fois plus importantes en Belgique (0,5% des prestations versées) et 42 fois plus importantes aux Pays-Bas (3,4% des prestations versées). En effet, ce dernier pays accorde les mêmes droits aux familles résidentes et aux familles étrangères restées au pays, sans pratiquer aucune discrimination, alors que les étrangers extra-communautaires représentent une proportion sensiblement identique de la population aux Pays-Bas et en France.

Pour les pays ayant passé une convention bilatérale avec la France (Maghreb et Afrique noire essentiellement), les montants versés ont été divisés par plus de 10 en 20 ans. Plusieurs facteurs ont joué de manière conjointe.

  1. La condition d'activité salariée a été fortement durcie fin 1985, provoquant une importante diminution du nombre de bénéficiaires : en un an, les dépenses ont chuté de 35% au niveau national. En excluant les travailleurs indépendants (entrepreneurs, commerçants, artisans), les retraités, les pré-retraités, les personnes ayant un emploi précaire, au chômage, en longue maladie etc., la CAF de la région parisienne avait vu ses dépenses baisser de 45%. Depuis 1986, l'extension du chômage et du travail précaire parmi les étrangers n'a pu que renforcer cet effet discriminant.

  2. Le nombre de familles bénéficiaires a également diminué en raison du fort ralentissement de l'immigration, des départs, de la baisse du nombre d'étrangers en France et du regroupement en France des familles.

  3. On ne peut écarter non plus l'hypothèse que beaucoup d'étrangers ne font même plus valoir leurs droits pour des raisons liées aux tracasseries administratives, aux difficultés à fournir tous les documents ou parce que cela n'en vaut pas toujours la chandelle. En s'astreignant à fournir tous les justificatifs nécessaires, un travailleur salarié ivoirien ne pouvait espérer obtenir en 1994 que 15 francs par enfant et par mois ; sachant que cet avantage est limité à quatre enfants et n'est pas directement versé à la famille mais à un organisme de son pays, on comprend facilement que ce travailleur ivoirien préfére parfois s'épargner les démarches d'une demande...

  4. Enfin les barèmes ont souvent été révisés à la baisse, baisse parfois couplée avec des changements défavorables de taux de change. Les montants moyens en direction des pays ayant passé une convention ont diminué de plus de 40% entre 1980 et 1994 (en francs constants). En 1994, ils représentent par enfant 10% des allocations familiales versées en France et seulement 5,2% si l'on prend en compte l'ensemble des prestations familiales. En définitive, un enfant résidant en France (français ou étranger) donne droit en moyenne à près de 20 fois plus qu'un enfant résidant dans un de ces pays, alors que les cotisations versées par le travailleur sont les mêmes dans les deux cas. Ce chiffre est encore très en deçà de la réalité : d'une part, ces estimations sont effectuées en comptabilisant les familles de plus de quatre enfants comme des familles de quatre enfants ; d'autre part, les tailles moyennes réelles sont bien supérieures à celle des familles bénéficiaires de prestations familiales résidant en France.

En ce qui concerne les ressortissants de la Communauté européenne, la France a longtemps refusé d'exporter ses prestations pour les familles restées au pays. Suite à sa condamnation dans l'arrêt PINNA, elle a du se résoudre en 1990 à exporter une partie de ses prestations familiales vers les pays membres de la Communauté européenne en parvenant toutefois à y déroger pour certaines prestations.

Il faut savoir que les Français travaillant dans un Etat membre bénéficient de prestations parfois beaucoup plus avantageuses pour leur famille restée en France. Ainsi en 1993, trandis qu'on dénombrait environ 3 000 ressortissants de la Communauté européenne (et moins de 7 000 enfants) bénéficiant des prestations familiales françaises pour leur famille restée au pays, on dénombre 3 700 familles françaises (et 7 200 enfants) résidant en France et bénéficiant de prestations en provenance de la seule Belgique ! Si l'on prend le Luxembourg, plus de 8 500 familles françaises (et 14 000 enfants) perçoivent des prestations, et ces prestations, belges ou luxembourgeoises sont supérieures en moyenne aux prestations françaises versées. Et l'on peut faire la même constatation à propos des Pays-Bas : un travailleur français percevait en 1994 environ 15 000 francs en moyenne par enfant resté en France, soit près du double de ce que reçoit en moyenne un travailleur néerlandais travaillant en France pour ses enfants demeurés aux Pays-Bas.

Contrairement aux idées reçues, la réciprocité en matière d'exportation des prestations familiales, et plus généralement l'égalité des droits, profite largement à la France et à ses ressortissants. On oublie trop souvent qu'accorder la parité aux étrangers revient aussi souvent à étendre les droits des 1,7 millions de Français résidant à l'étranger, dont la moitié dans la Communauté européenne.

5. Le chômage et la pauvreté

Travaillant davantage dans les secteurs en crise (bâtiment, industrie), les étrangers sont les premiers et les plus durement touchés par le chômage. Outre des pratiques discriminatoires à l'embauche bien connues et de très fortes difficultés d'intégration au marché du travail pour les plus jeunes, les étrangers sont plus souvent les victimes des licenciements, ce qui ne peut être imputé qu'en partie à leur ancienneté en moyenne plus faible. L'accès à de nombreuses professions et à certains secteurs importants comme la fonction publique leur est par ailleurs fermé.

Si le taux de chômage a été multiplié par 2,75 chez les Français entre 1975 et 1990, il a quadruplé chez les étrangers. En 1994, leur taux de chômage était de 24,5% contre 11,6% pour les Français (source : INSEE). Pour les ressortissants de pays n'appartenant pas à la Communauté européenne, le taux de chômage atteignait même 32,6% en 1994.

En 1992, les étrangers représentaient 12% des chômeurs et recevaient 10% du total des dépenses de l'Unedic au titre de l'indemnisation du chômage (alors qu'ils représentent un peu plus de 6% des personnes actives). Les indemnités moyennes sont plus faibles que celles reçues par les Français, notamment parce que les derniers salaires à partir desquels sont calculées les indemnités sont eux-même plus faibles. L'allocation unique dégressive (AUD), introduite en 1993, indemnise beaucoup plus mal le chômage, notamment quand celui-ci survient à la suite d'emplois précaires, mal payés ou de courtes durées, où sont plus fortement représentés les étrangers. L'AUD a en conséquence probablement accentué la différence, déjà constatée avant la réforme, dans l'indemnisation moyenne du chômage des étrangers et des Français.

Les chômeurs étrangers connaissent des période de chômage plus longues que les Français (420 jours en moyenne contre 380, en 1994, selon le ministère du Travail). Devenant plus souvent chômeurs de longue durée que les Français (39,6% contre 32,3%, en 1992, selon l'INSEE), ils se trouvent de ce fait plus souvent en fin de droits.

Cette plus grande difficulté à sortir du chômage se reflète dans la part des étrangers parmi les bénéficiaires du RMI : environ 16 %, bien que les conditions d'attribution soient plus restrictives pour eux. Ce nombre élevé est aussi la conséquence du refus d'accorder les prestations du fonds de solidarité vieillesse ou invalidité aux étrangers âgés ou handicapés : les étrangers à qui on refuse l'allocation du fonds de solidarité vieillesse ("minimum vieillesse" ou "minimum invalidité") ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sont alors contraints de demander le RMI, d'un montant plus faible.

Au total, la grande exclusion touche davantage les étrangers. Une enquête de l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED) effectuée en 1995 à Paris montre que les personnes nées à l'étranger, quelle que soit leur nationalité d'origine ou actuelle, sont plus nombreuses à se trouver parmi les personnes sans-domicile. L'INED explique ce constat ainsi : "Ces personnes ont donc connu des ruptures dans leur vie dues aux migrations, parfois dans des circonstances difficiles, lors de guerres ou de conflits ; certaines, de par la couleur de leur peau ou leur apparence physique, se sont heurtées au racisme ; pour d'autres, de nationalité étrangère, le problème de la régularisation de leurs conditions de séjour se pose, rendant plus complexe l'obtention d'un logement stable" (Marpsat et Firdion, "Devenir sans-domicile : ni fatalité, ni hasard", Population et Sociétésn° 313, INED, 1996).

6. Le recours aux services sociaux

Contrairement à des idées reçues, l'importance des charges sociales dans un département ou une région n'est pas corrélée avec la présence d'une forte communauté étrangère (G. Le Moigne, op. cit.).

L'accès des étrangers aux services sociaux est différencié. La population étrangère bénéficie moins des services d'aide en nature telles que les aides ménagères, mais davantage de l'aide médicale. Elle est peu représentée dans des secteurs comme celui des centres d'aide par le travail, mais davantage, surtout en région parisienne, dans les centres d'hébergement et de réadaptation sociale pour les personnes sans logement. Les étrangers ont moins recours aux services subventionnés de garde des enfants : lorsque la mère est active, les enfants de moins de 3 ans d'une mère étrangère sont 8,2% à fréquenter les crèches subventionnées contre 11,9% des enfants d'une mère française : ils sont 13,1% à être gardés par une nourrice agréée (et donc à pouvoir bénéficier des prestations sociales servies par les CAF et des réductions d'impôts correspondantes) contre 25,4% des enfants de mère française (source : INSEE, enquête famille).

D. Les autres apports
de l'immigration

On ne saurait évaluer l'apport des étrangers en termes strictement comptables, en se bornant à mettre à l'actif du bilan les seules cotisations sociales et autres impôts payés par les étrangers. Il faut tenir compte des apports démographiques, économiques, culturels, qui ne se laissent pas tous chiffrer.

1. L'apport économique

Les étrangers sont surtout présents dans le bâtiment et l'industrie, et dans une moindre mesure dans le secteur des services marchands. Prétendre renvoyer les étrangers constitue une aberration économique quand on sait que certains secteurs et le maintien de certaines activités en France reposent sur la présence de cette main-d'oeuvre, qui représente un peu plus de 6% de la population active (1,6 millions). Elle remplit encore souvent un rôle spécifique, et n'est généralement pas substituable par la main-d'oeuvre française. L'économie française demeure encore dépendante du travail fourni par les immigrés comme le montrent les enquêtes trimestrielles de l'INSEE sur les difficultés de recrutement dans certains secteurs de l'industrie tels le bâtiment, l'électronique et la plasturgie : des goulots d'étranglement nécessitant un appel aux étrangers apparaissent dès que la conjoncture économique s'améliore. La spécificité de la main-d'oeuvre étrangère se reflète au travers de la composition de la population active : 58% des étrangers sont ouvriers contre 29% des Français (INSEE, 1990).

La population étrangère participe également à l'activité économique et à l'emploi en France par sa consommation, qui tend à se rapprocher fortement de celle des fractions de la population française dont elle est socialement la plus proche, c'est-à-dire les familles ouvrières (Moutardier, in Economie et Statistique, INSEE, 1992). Un scénario d'exclusion des étrangers montre qu'il en résulterait une baisse du marché intérieur, notamment en matière de biens de consommation, et par voie de conséquence une déstabilisation de nombreux secteurs, une forte dégradation du marché du travail et de nombreuses suppressions d'emploi.

L'apport économique des étrangers se manifeste aussi par le fait qu'ils participent massivement aux créations d'entreprises : le nombre des commerçants, artisans et chefs d'entreprise de nationalité étrangère est passé de 60 000 en 1982 à 90 000 en 1989 (INSEE, Données sociales 1996). Or on estime que 100 artisans nouvellement installés créent aussitôt 40 emplois.

Selon une enquête de 1994, la propension à créer une entreprise s'élève à 18 pour 10 000 adultes français et à 47 pour 10 000 étrangers non ressortissants de l'Union Européenne (Bonneau et Francoz, in INSEE, Données sociales 1996). Cette propension à créer une entreprise est très supérieure à celle des Français dans quasiment tous les secteurs de l'économie, et plus particulièrement dans le commerce, la construction et l'industrie. Cette propension s'explique notamment par le fait que devenir travailleur indépendant est souvent la seule issue possible pour de nombreux étrangers soumis aux discriminations croissantes sur le marché de l'emploi salarié. Sur le plan de l'intégration le phénomène est également positif, car la petite entreprise familiale constitue le plus souvent non pas une démarche de repli comme on tend à le croire, mais un premier pas vers l'intégration (voir par exemple Payrault, L'intégration silencieuse. La petite entreprise chinoise en France, L'Harmattan, 1995).

2. Le renouvellement de la population active et le financement des retraites

Le vieillissement de la population active implique que la France devra sans doute d'ici quelques années recourir à nouveau à une immigration importante pour des raisons économiques : 100 000 personnes par an est une hypothèse envisagée en 1991 par l'INSEE pour faire face aux dépenses croissantes de l'assurance vieillesse (Blanchet et Marchand, Economie et Statistique, 1991). Le rapport Boissonat rédigé pour le Commissariat général au Plan (Le travail dans vingt ans, 1995) recommande également l'appel aux travailleurs étrangers pour pallier au vieillissement de la population active. Des travaux récents de l'INSEE montrent qu'un solde migratoire de 50 000 personnes par an dès aujourd'hui serait encore insuffisant pour éviter que la population active ne diminue dès 2005. Les flux devront même être très supérieurs à ce chiffre pour le financement des retraites (Brondel, Guillemot, Lincot et Marioni, in Economie et Statistique n° 300, INSEE, 1996). Cet apport permettra de maintenir le rapport entre actifs et retraités à un coût modéré : les coûts d'entretien, d'éducation et de formation des personnes arrivant à l'âge adulte en France ont déjà été assurés par la société de départ ; le pays d'accueil n'a donc pas à les prendre en charge.

3. L'apport démographique

Les travaux effectués sous l'égide de l'Institut national d'études démographiques ont montré qu'environ quatorze millions de personnes vivant en France en 1986 - dont dix millions de nationalité française - avaient au moins un grand-parent étranger (M. Tribalat, Cent ans d'immigration, étrangers d'hier, Français d'aujourd'hui, PUF-INED, 1991, et INED, Populations. L'état des connaissances, La Découverte, 1996). On estime que le nombre des seules personnes nées et résidant en France serait inférieur de six millions sans l'apport de l'immigration étrangère depuis cent ans (Daguet, in INSEE, Données sociales 1996). Ces chiffres montrent la force du processus d'intégration et le poids de l'immigration dans la croissance de la population française. Sans cet apport depuis le début du siècle, la croissance démographique aurait été réduite de 40%.

Cet apport démographique tend à s'amenuiser en raison du fort ralentissement de l'immigration et en raison de la baisse de la fécondité des femmes étrangères qui se rapproche de celle des Françaises (le nombre moyen d'enfants, l'indice conjoncturel de fécondité, est passé de 1,84 à 1,71 entre 1982 et 1990 pour les Françaises, celui des étrangères de 3,16 à 2,81). Sans l'apport des étrangères la natalité serait encore plus faible qu'elle ne l'est aujourd'hui : 14,3% des nouveaux nés en 1993 ont au moins un parent étranger, dont plus d'un tiers (5,4%) sont issus de couples "mixtes" (Launay, in INSEE Première, 1995).

E. Le FAS

Il est indispensable, pour terminer ce panorama des structures et des mécanismes de la protection sociale, d'évoquer l'existence du FAS (Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles) qui joue un rôle important dans la politique française d'intégration.

Le FAS est un établissement public administratif disposant de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, placé sous la tutelle du ministère des affaires sociales et du ministère du budget.

Le FAS a été créé en 1958 dans le but d'améliorer la protection sociale et les conditions de vie "des travailleurs musulmans d'Algérie en métropole et de leurs familles". Sa compétence a été étendue en 1964 à tous les travailleurs étrangers, et en 1966 à d'autres groupes sociaux posant des problèmes d'adaptation comparables à ceux des travailleurs étrangers (cette disposition visait essentiellement les populations nomades et les Français musulmans rapatriés d'Algérie).

Aujourdhui, il est chargé de mettre "en oeuvre une action sociale familiale s'adressant à l'ensemble de la population immigrée résidant en France" (CSS, art. L. 767-2).

1. Le financement du FAS

Le FAS est "financé notamment par les contributions des organismes, services et administrations assurant le versement des prestations familiales" (CSS, art. L. 767-2). Il est alimenté à 90% par les régimes de prestations familiales, le reste provenant de prêts et avances et du Fonds social européen. Cette participation de la branche famille est justifiée par la non exportation intégrale des prestations familiales pour les familles restées au pays : " la participation des régimes de prestations familiales est fondée sur la différence qui existe entre les prestations familiales que perçoivent les familles de travailleurs étrangers restées dans leur pays et celles qu'elles percevraient si elles résidaient en France. Toutefois, cette différence ne donne pas lieu à un calcul chiffré " rappelait une note officielle en 1979 (Direction de la Population et des Migrations, "Le Fonds d'action sociale pour les travailleurs migrants", Migrations Informations n° 22, janvier 1979). Le code de la sécurité sociale précise d'ailleurs que le montant de ces contributions est fixé chaque année par décret " compte tenu du nombre de travailleurs étrangers relevant de chacun des régimes " (art. L. 767-2).

Ainsi, l'existence du FAS, présenté comme un instrument d'intégration des immigrés, a été aussi un moyen de justifier la non exportation hors de France métropolitaine les prestations dues aux familles des travailleurs immigrés. Cette catégorie n'incluait pas seulement, à l'origine, des étrangers : comme le rappelle la Cour des Comptes dans son rapport sur le FAS (1993), il s'agissait, lors de sa création en 1958, de " compenser, en matière de prestations familiales, l'application du principe de territorialité aux Algériens [donc plus précisément, avant l'indépendance de l'Algérie, aux travailleurs musulmans provenant dAlgérie] vivant en métropole et dont les enfants résidaient en Algérie ".

Les organismes de sécurité sociale habilités à verser les prestations familiales (la CNAF et la Mutualité sociale agricole) contestent désormais leur participation au budget du FAS qui ne se traduit par aucun pouvoir réel de décision ou de contrôle et qu'ils considèrent comme une charge que l'Etat leur fait supporter indûment. Ils omettent toutefois de rappeler que cette participation constitue la contrepartie des prestations familiales qu'ils ne versent pas aux familles de travailleurs étrangers et qu'elle est au demeurant de trois à quatre fois inférieure au différentiel entre les prestations effectivement versées et les prestations qui seraient dues si elles étaient intégralement exportées. Il est vrai qu'il est d'autant plus facile d'oublier l'origine de cette participation que son montant n'a jamais été calculé à partir des prestations dues et qu'il est fixé arbitrairement chaque année par décret.

2. Les missions du FAS

Le FAS concourt à " favoriser l'insertion sociale et professionnelle des travailleurs et de leurs familles par la mise en oeuvre d'une action sociale familiale et des programmes sociaux ". Depuis 1985, il entre également dans sa mission de " concourir à des projets de retour volontaire de ces travailleurs dans leurs pays d'origine ".

Ses grands domaines d'intervention sont le logement (foyers ou cités), la formation (formation professionnelle, alphabétisation, préformation-retour, etc.), l'action sociale et familiale et l'action éducative. Il ne mène pas directement d'actions mais reverse ses fonds à des organismes publics ou parapublics (HLM, Sonacotra, Education) ou privés (associations).

De plus en plus, le FAS subventionne des projets visant non seulement les populations étrangères mais aussi des populations françaises dans des quartiers ou des logements à forte proportion d'immigrés. Ainsi, un quart des personnes hébergées dans les foyers Sonacotra sont françaises. La Cour des comptes relevait en 1993 que " les actions [du FAS] touchent de plus en plus fréquemment un public beaucoup plus large que les populations d'origine immigrée ".

L'existence d'une institution spécifique comme le FAS n'est pas exempte d'effets pervers : un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 1981 soulignait que, si le FAS est un " instrument financier d'une action spécifique non négligeable, [il est] en même temps un alibi pour faire moins en faveur des immigrés de la part des financeurs de droit commun ". De nombreux organismes ont ainsi pu arguer de l'existence du FAS pour se désengager ou refuser d'intervenir auprès des populations immigrées.

3. Le fonctionnement du FAS

Depuis 1983, des immigrés siègent au conseil d'administration du FAS. De 6 sur 48 membres en 1983, leur nombre est passé à 9 sur 42 membres en 1990. Six membres sont désignés par le gouvernement et trois par les syndicats, ce qui ne permet pas d'assurer une véritable représentativité des personnes ainsi nommées.

La réforme de 1983 a également mis en place la régionalisation du FAS qui a démultiplié les instances de décision : chaque CRIPI (commission régionale pour l'intégration des populations immigrées) est présidée par le préfet de région et composée à l'image du conseil d'administration national.

Le président du conseil d'administration est nommé par le gouvernement.

Les décisions sont soumises à l'approbation des autorités de tutelle.

4. Le FAS, Un piège pour les associations ?

Le conseil d'administration du FAS est censé gérer librement le budget, mais, dans les faits, la répartition des actions subventionnées a toujours été imposée par les pouvoirs publics. La Cour des comptes a constaté à deux reprises, en 1981 et 1993, que le FAS " était dessaisi d'une large part de ses attributions au profit des administrations centrales de l'Etat en ce qui concerne le choix des organismes subventionnés et des concours qui leur sont accordés ". La Cour des comptes a par ailleurs critiqué en 1993 le manque de transparence de la gestion budgétaire, l'imprécision des critères de décision et l'insuffisance de contrôle pour les quelque 9 000 interventions du FAS. Le FAS a aussi été critiqué pour des décisions qui lui échappent en grande partie, tel le choix des organismes ou des associations subventionnés.

Depuis sa création, le FAS a été un instrument des politiques d'immigration menées par les gouvernements successifs. Les associations liées à l'immigration et notamment les associations d'immigrés qui se sont développées depuis 1981 ont été incitées à se tourner vers le FAS pour obtenir des subventions plutôt que vers les modes de financement communs, ce qui les a rendues extrêmement dépendantes, via le FAS, des pouvoirs publics. Cette forte dépendance fait que le sort de ces associations est suspendu aux aléas de la politique d'immigration et des choix gouvernementaux. Comme le budget alloué au FAS est de surcroît en baisse sensible depuis quelques années, l'incertitude qui pèse sur de nombreuses associations ne peut que s'accentuer.

En instituant un financement spécifique et, en pratique, exclusif pour les associations liées à l'immigration, le FAS s'est ainsi révélé être un piège pour bon nombre d'entre elles.


Le guide de la protection sociale des étrangers en France

Table des matières générale

Introduction

Partie introductive - la protection sociale et les étrangers :

  • Chapitre 1 - Les principales structures de la protection sociale en France
  • Chapitre 2 - Les étrangers face à la protection sociale
  • Chapitre 3 - Les conventions internationales en matière de protection sociale

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Dernière mise à jour : 28-09-2002 16:52 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/1997/social/chapitre-2.html


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