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Mineurs isolés

Gisti (Groupe d'Information des Soutien des Immigrés,
CATRED (Collectif des Accidentés du Travail Retraités pour l'Egalite des droits,
CIMADE, (Service Oecuménique d'entraide)
CNAFAL (Confédération Nationale des Associations Familiales Laïques,
Femmes de la terre

Alors que la France célébre la ratification de la Convention internationale des droits de l'enfant, le gouvernement envisage de mettre en place un dispositif d'exception pour la protection des mineurs étrangers isolés. L'objectif de cette lettre ouverte est d'attirer son attention sur les dangers inhérents à un telle démarche.

Novembre 98

à Martine AUBRY
à Élisabeth GUIGOU

Objet : la protection des mineurs étrangers isolés, et le projet de création d'un dispositif d'exception pour ces mineurs.

Le 20 novembre prochain, la France célébrera la ratification de la Convention internationale des droits de l'enfant.

Parmi les enfants dont le sort est préoccupant, les mineurs étrangers isolés nécessitent tout particulièrement attention et vigilance, puisque par « nature » ils sont dépourvus absolument de tout soutien. Plus encore que d'autres mineurs isolés, leur protection et le respect de leurs droits dépendent de l'État et des pouvoirs publics.

Un État de droit, signataire de textes reposant sur les Droits de l'homme, se doit d'affirmer les principes universels et de les respecter au profit des plus démunis des démunis ; les enfants, étrangers, seuls sur le sol national. Il ne peut, au prétexte de dysfonctionnements de fait, se résoudre à renoncer à accorder à certains mineurs parmi d'autres la pleine protection à laquelle tous ont droit.

De qui s'agit-il en fait ? Quelques dizaines, au plus quelques centaines de mineurs, qui chaque année arrivent en France, parce qu'ils fuient des guerres ou des zones troublées, parce qu'ils se sont retrouvés à l'abandon dans des pays plongés dans le chaos, parce qu'ils veulent échapper à des maltraitances familiales, sociales (un mariage forcé, l'excision,...), institutionnelles, ou encore, et très souvent, parce qu'ils ont été amenés par des réseaux qui cherchent à les exploiter (proxénètes, pédophiles, esclavagistes,...). Ces enfants ne sont pas des migrants comme les autres. Ils sont avant tout des victimes ; la Convention sur les droits des enfants les concerne au premier chef.

Le droit français n'est pas impuissant à régler le problème.

L'article 56 du Code de la famille et de l'aide sociale prévoit que le mineur sans représentant légal doit être accueilli en urgence par l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance), qui avise le Procureur de la République.

Les juges pour enfants, magistrats compétents pour cette question, peuvent prononcer des mesures d'assistance éducative (article 375 du Code civil) « si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur sont en danger  », et décider de confier ce mineur à l'ASE.

Rien dans les textes n'exclut les enfants étrangers de ce dispositif, qui est un dispositif de droit commun.

Que se passe-t-il dans la réalité ? Les lois de décentralisation ont eu entre autres effets celui de donner aux Conseils généraux la responsabilité de la prise en charge des mineurs isolés et la gestion des services décentralisés de l'ASE.

Pour des motifs divers, beaucoup de Conseils généraux estiment que les cas de mineurs étrangers ne sont pas de leur ressort, et refusent de s'en charger. Des structures de l'ASE peinent à exercer véritablement leur devoir d'alerte et même d'accueil d'urgence. Des juges pour enfants refusent d'être saisis. Des juges de tutelles sont réticents à prononcer la mise sous tutelle d'Etat de mineurs étrangers. Des associations ou institutions diverses agissent localement sans véritable délégation ou mandat et sans contrôle. Les services sociaux d'aide aux étrangers sont désemparés...

Cette fuite de chacun des acteurs a priori concernés, qui tous se "renvoient la balle", laissent les principaux intéressés — des enfants déjà traumatisés, ou dupés par des adultes, particulièrement vulnérables — sans aucun soutien. On a vu des cas de mineurs placés seuls dans des hôtels, des cas de mineurs « récupérés » par les réseaux qui les avaient fait venir, etc.

Certains de ces mineurs sont demandeurs d'asile. Certains sont également « décrétés » demandeurs d'asile, parce que cette désignation délivre les autorités normalement en charge de ces dossiers embarrassants. Des demandeurs d'asile mineurs se retrouvent donc dans des zones d'attente, qui n'ont pas été prévues pour l'accueil de mineurs, où ils restent avec des adultes dans des conditions déplorables, sans l'aide psychologique que leur histoire requerrait, sans bénéficier d'aucune forme de scolarisation, etc.

Bien sûr, la constitution d'un dossier de demande d'asile leur est particulièrement difficile, et les chances pour eux d'obtenir in fine le statut de réfugié sont bien maigres.

Lorsqu'ils sont arrivés en France à l'âge de 17 ans passés (s'ils n'ont pas été considérés comme majeurs par des expertises médico-légales osseuses !), ils risqueront d'atteindre l'âge de 18 ans avant qu'on ait statué sur leur cas, et dès lors perdront tout droit à être spécialement protégés.

En résumé, on se trouve donc dans une situation de non-droit total  :

  • exclusion du régime de droit commun pour une catégorie de mineurs spécifique : les mineurs étrangers
  • inégalité de traitement sur l'ensemble du territoire
  • non assistance à personnes en danger
  • non respect du droit d'asile
  • non respect des droits de l'enfant.

Face à la dénonciation de ces carences, le gouvernement projette de créer des centres d'accueil spécialisé pour mineurs isolés demandeurs d'asile qui, placés sous la tutelle de la DPM (Direction de la population et des migrations), seraient gérés par FTDA ou d'autres associations.

Ce projet soulève plusieurs questions graves. Nous souhaitons que ces questions soient examinées vraiment, tant à la lueur des principes que la France veut honorer qu'avec pragmatisme, à la lueur des réalités et des problèmes concrets que ce projet prétend résoudre.

Les questions majeures auxquelles nous confronte ce projet sont les suivantes :

  1. Créer un dispositif spécifique pour des mineurs parce qu'ils sont étrangers serait parfaitement contraire au principe constitutionnel d'égalité et à tous les textes concernant les mineurs en France. En effet, dans tous les domaines, les législateurs ont voulu que le sort des enfants ne soit pas lié à leur nationalité ou à la régularité du séjour des adultes chargés d'eux (citons pour mémoire le droit à la scolarité, ou l'empêchement de mesures d'éloignement...). Instaurer une exception à cette règle, concernant des mineurs, n'est-ce pas créer un dangereux précédent ?

  2. Une structure normalement en charge des mineurs ayant besoin d'une protection spéciale existe : c'est l'ASE.

  3. Les acteurs de cette administration sont spécialement formés à l'accueil et au suivi des enfants en détresse. Ils constituent, avec leurs partenaires habituels, un réseau de professionnels compétents, de ressources adaptées. Pourquoi priver de la protection de cette structure des enfants justement parmi ceux qui justifieraient le plus les modes de prise en charge dont elle dispose ?

  4. Si les services de l'ASE rencontrent des difficultés particulières pour traiter des cas de certains mineurs, et par exemple pour accompagner la demande d'asile, ne faut-il pas doter ces services de moyens humains, de formations ciblées, d'outils techniques, ou les engager à faire appel à des intervenants extérieurs spécialisés, plutôt qu'utiliser les mêmes niveaux de crédits - certes au plan national et non départemental - à doter une structure de régime dérogatoire ?

  5. Si les mineurs étrangers isolés ont besoin d'une aide spécifique pour que soit étudiée leur éventuelle demande d'asile, pourquoi ne pas former quelques professionnels de l'ASE à cette question ? Ou faire appel à des spécialistes de cette question au cas par cas ? Des professionnels extérieurs déjà formés, ou des agents de l'ASE spécialement formés dans ce domaine pourraient intervenir en appui des services décentralisés de l'ASE, et éventuellement regrouper les mineurs concernés, qui bénéficieraient par ailleurs — et c'est un point central — des autres compétences de l'ASE (médico-psychologique, éducative) et d'une réelle protection physique les mettant à l'abri des proxénètes, pédophiles, membres de sectes et autres exploiteurs de mineurs...

  6. Dans le cadre du projet actuel, quel sera le sort des enfants dont la demande d'asile n'aura pas été acceptée ? Seront-ils renvoyés "chez eux" à leur majorité ? Quelle garantie de droit au séjour auront-ils après avoir passé x mois ou années sur le sol français ? A cette question, il faudra bien enfin répondre quelle que soit la solution retenue.

  7. Enfin, et c'est un point non négligeable qui permet de répondre à la question posée plus haut : pourquoi priver quelques dizaines par an (!) d'enfants de deux bénéfices considérables que la réglementation de l'Aide sociale à l'enfance permet :
    • une prise en charge éventuelle jusqu'à l'âge de 21 ans
    • l'accès à la nationalité française (l'article 21.12 du code civil ouvre en effet ce droit « à l'enfant confié au service de l'aide sociale à l'enfance »). Si la jurisprudence montre des interprétations variables de cet article, une prise en charge par l'ASE n'offre-t-elle pas a priori plus de garanties qu'un centre spécialisé pour demandeurs d'asile ?

La protection de l'enfance et le respect des droits de l'enfant concernent l'ensemble des mineurs présents sur le territoire français. Cette protection due a tout intérêt à s'exercer dans le cadre de dispositifs existants.

En effet, d'une part on évite ainsi la constitution de dispositifs parallèles, dont on sait qu'ils ne sont jamais qu'une fausse bonne solution, et qu'ils empêchent de résoudre les questions de fond à l'origine des défaillances constatées.

D'autre part, les dispositifs existants ont pour eux l'avantage de l'ancienneté de l'expérience, voire d'une véritable expertise. Il nous semble que c'est le cas des structures de droit commun en charge de la protection de l'enfance, et que là où ces structures manifestent des défaillances, il est du rôle de l'État d'y remédier, plutôt que de se lancer dans la mise en oeuvre de moyens de contournement qui sont en fait des démissions.

Nous appelons donc les instances en train de travailler au projet de création de centres pour mineurs étrangers isolés à réfléchir aux moyens de répondre à la détresse profonde des enfants concernés dans le respect du système en vigueur de protection de toute l'enfance en danger. En haut

Dernière mise à jour : 8-07-2000 19:47.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/1998/mineurs.html


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