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ZONE D'ATTENTE :
DEUX RAPPORTS ACCABLANTS DE L'ANAFÉ

Bilan des observations des audiences
du 35 « quater » au tribunal de grande instance de Bobigny 
(2)

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c) L'interprétariat

« [L'étranger] peut également demander au président ou à son délégué le concours d'un interprète ». — article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945

« Le président nomme un interprète si l'étranger, qui ne parle pas suffisamment la langue française, le demande » — article 6 al. 2 du décret du 15 décembre 1992

Les difficultés linguistiques rencontrées par les étrangers lors des audiences se retrouvent à plusieurs stades durant la procédure au tribunal.

Tout d'abord, il y a le litige que soulèvent presque systématiquement les avocats du ministère de l'Intérieur, lorsqu'il apparaît, lors de l'audience, que le requérant ne parle pas la langue du procès-verbal. Le représentant du ministère de l'Intérieur fait alors observer que pour l'audience, les étrangers sollicitent le bénéfice d'un interprète dans une langue différente de celle qui apparaît avoir été employée lors de la procédure administrative, préalable à la comparution devant le juge délégué. Il va parfois jusqu'à souligner que l'étranger doit comprendre cette langue ; du fait que celle-ci est mentionnée par l'ONU, comme étant la langue officielle du pays dont il est originaire. Le 30 janvier, l'avocat du ministère de l'Intérieur soutient même que tous les étrangers présents à l'audience parlent français puisqu' « ils ont eu des entretiens à l'aéroport et que les papiers qui leur ont été présentés ont même été signés ». À la sortie du tribunal, l'observateur présent accompagne 10 étrangers qui ont été libérés. Seuls un Sénégalais et un Sierra Leonais parviennent à s'exprimer en français. Le 17 janvier, on a frôlé l'absurde, quand face à une Sierra Leonaise ne parlant pas l'anglais [4], l'avocate du ministère de l'Intérieur indique au juge que c'est à la requérante de prouver qu'elle ne comprend pas l'anglais.

Certains étrangers parlent de manière imparfaite la langue, dite officielle, de leur pays [5]. Il est évident que la communication devient alors problématique. Certains juges décident de suspendre leur examen, le temps qu'un interprète soit présent ; alors que d'autres se contentent de l'interprète anglais ou poursuivent la séance en français. Ainsi le 9 janvier, un Iranien déclare ne parler que le persan. L'audience se déroule quand même en l'absence d'interprète.

D'autres irrégularités dans la procédure apparaissent. À de nombreuses reprises, l'interprétariat se déroule de manière très succincte. L'interprète traduit uniquement la décision de maintien ou de remise en liberté, sans apporter d'explication complémentaire (audience du 23 janvier). Le lendemain, alors que l'interprète en crio et peul est présent à l'audience, la traduction pour les Sierra Léonais se fait automatiquement en anglais. Le juge souligne à plusieurs reprises que l'anglais est la langue officielle du pays. Là encore, l'interprète anglais intervient seulement pour traduire la décision du juge. Seules les personnes qui font signe qu'elles ne comprennent pas ou très peu, se voient assistées de l'interprète en crio / peul. À aucun moment, le juge n'a demandé à ce dernier de se présenter, lorsqu'un étranger de nationalité sierra léonaise passait à l'audience. Il en sera de même pour les ressortissants du Congo (RDC).

Enfin, certaines procédures se déroulent sans interprète (audience du 30 janvier). Le 14 janvier, les étrangers avaient eu la chance d'avoir un interprète en anglais. Un Afghan, de langue pachtou, une jeune Sierra Leonaise qui parlait crio, un Tamoul ainsi que les Ghanéens ont dû s'en contenter.

Enfin, les deux observations suivantes résument à elles seules les résistances à l'encontre du droit de se faire assister d'un interprète. Le 28 décembre, un jeune Malien de 22 ans, après s'être présenté, indique avec un fort accent, qu'il ne parle pas le français. La juge explose alors de rage : « Il dit en français, qu'il ne parle pas français. De qui se moque-t-il ? Veut-il faire dépenser davantage d'argent à la France, pour lui payer un interprète ? Et bien soit, allons-y ! ». L'argent dépensé le 28 décembre est économisé durant l'audience du 18 janvier, lorsqu'un étranger maintenu en zone d'attente est demandé à la barre pour servir d'interprète en lingala à un autre.

d) Comportement général des juges
durant l'examen des dossiers

L'attitude des magistrats qui ont assuré les audiences durant cette campagne est extrêmement variable. Certains, lorsqu'ils statuent sur les différentes procédures, prennent le temps nécessaire pour comprendre le cheminement des requérants et les raisons de leur demande. D'autres, du fait de l'absence d'avocat, semble-t-il, expédient rapidement les dossiers. Mais ce qui surprend davantage, ce sont les attitudes de connivence entre certains juges et les avocats du ministère de l'Intérieur.

Durant des audiences, des présidents essaieront, malgré l'absence d'avocats, de respecter le déroulement de la procédure. Mais il faut rappeler que l'absence de conseil est un handicap important pour les étrangers, qui devrait conduire les juges à reconnaître leur impossibilité de statuer, les étrangers devant être libérés. Face à cette situation, des magistrats s'emploient à rééquilibrer la « balance », recourant à différents stratagèmes, pour que l'étranger ait l'impression d'avoir un procès équitable...

Tout d'abord, il y a ceux qui, tout en paraissant de bonne foi, font preuve d'amateurisme. Il faut évidemment préciser que le roulement à la présidence des audiences du 35 quater est incessant, tandis que les représentants du ministère de l'Intérieur, présents quotidiennement, se dotent d'une jurisprudence à jour. Le 29 décembre, la juge interroge longuement les personnes maintenues et semble vouloir les aider. Pourtant, elle ira jusqu'à demander à une jeune femme enceinte si elle pense que son état est compatible avec la zone d'attente ! Face à un jeune Kurde, la juge constate que la procédure est nulle du fait de l'absence d'interprète... en arabe. Elle lui demande alors s'il préfère rester en zone d'attente ou aller dans une association. Sur les huit dossiers instruits, deux personnes ont été libérées.

Lors de l'audience du 18 décembre le juge prononce une seule prolongation sur 26 dossiers, en l'absence d'avocats. Elle concerne une jeune femme sierra leonaise de 18 ans, qui parle très peu l'anglais. En raison, semble-t-il, de la « rigidité » de l'interprétariat, à la question du juge « Souhaitez-vous un avocat ? », la jeune femme répond non. Profitant de cette aubaine, le juge a immédiatement prononcé la prolongation, en « oubliant » de procéder à l'examen de sa situation. L'audience a duré deux minutes.

D'autres juges se montrent assez attentifs vis-à-vis des étrangers. Ils soulèvent des problèmes de santé (audience du 25 décembre) ou veillent au confort des personnes maintenues lors de l'audience. Le 26 décembre, la juge demande qu'on apporte une chaise pour que l'étranger puisse s'asseoir en attendant que l'ordonnance soit rédigée.

Enfin, des présidents d'audience pointent les dysfonctionnements du maintien en zone d'attente, en adoptant une attitude plutôt ironique à l'égard de l'avocat du ministère de l'Intérieur (audiences 15 décembre et du 17 janvier).

Si de tels petits gestes ou conduites, qui pourraient paraître anodins, sont mentionnés, c'est pour mieux souligner leur caractère exceptionnel par rapport à des audiences qui sont le plus souvent totalement extravagantes.

À plusieurs audiences, il a été noté que les échanges entre certains juges et le représentant du ministère de l'Intérieur ressemblent fort à de la connivence. Certains juges vont jusqu'à omettre d'interroger les étrangers (audience du 27 décembre). Ainsi, il peut en découler un traitement rapide des situations. On en oublie la gravité des dossiers ; le passage au tribunal n'est ni plus ni moins qu'une formalité du maintien en zone d'attente, par laquelle doivent transiter les personnes en attendant que leur demande d'asile ait été examinée par le ministère des Affaires étrangères (MAE). Le juge se contente parfois d'enregistrer les demandes formulées par la PAF, sans les remettre aucunement en question.

À ces irrégularités de procédures durant les audiences s'ajoutent les dérapages verbaux, nombreux au cours de la période d'observation :

Le 23 décembre, le magistrat tente d'expliquer qu'il est incompétent pour statuer sur la demande d'asile. Puis il dit durement à l'étranger : « (...) il faut le temps d'instruire votre demande. On ne peut pas, rien qu'en vous regardant, vous accorder l'asile ou non. Si c'est fait trop vite, c'est mal fait. Vous pouvez repartir si vous le souhaitez. »

Audience du 28 janvier, une femme de quarante ans, originaire de RDC, est maintenue en zone d'attente pour 8 jours, avec un bébé d'un an. Elle déclare que si on la ramène, on la renvoie à la mort (...) On pose la question de sa capacité à comprendre le français. Mais la juge hurle qu'elle le comprend suffisamment pour avoir fait une demande d'asile.

e) Les mineurs isolés

« L'article 35 quater n'a pas distingué la situation des mineurs de celle des majeurs. Cette non-distinction permet à l'administration de maintenir les mineurs au même titre que les majeurs en zone d'attente. Il faut donc se référer aux principes de droit commun et aux dispositions internationales lorsqu'on est amené à prendre la défense d'un mineur maintenu en zone d'attente. »
Guide de l'accès des étrangers au territoire français – ANAFE – 1996.

« Les États parties veillent à ce que [...] b) Nul enfant ne soit privé de liberté de manière illégale ou arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit n'être qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible. »Article 37 de la Convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant.

« Le juge peut relever d'office la nullité pour défaut de capacité d'ester en justice. » Article 120 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile.

« Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte : le défaut de capacité d'ester en justice (...) » Article 117 du nouveau code de procédure civile.

L'article 35 quater ne spécifie aucune procédure particulière concernant le maintien en zone d'attente des mineurs isolés. L'administration a choisi de leur appliquer la même procédure qu'aux adultes. Pourtant, pour placer un mineur en zone d'attente il faut lui avoir notifié au préalable deux décisions, l'une de refus d'entrée sur le territoire et l'autre de placement en zone d'attente. Toutes les deux comportent des conséquences en droit et ouvrent des voies de recours (très théoriques). Elles ne devraient par conséquent pas être opposées à un mineur sans représentant légal. De ce fait, le maintien en zone d'attente d'un mineur isolé est illégal même pendant les quatre premiers jours. Ce n'est pourtant qu'au terme de ces quatre premiers jours que la jurisprudence de la cour d'appel de Paris impose au juge chargé d'apprécier l'opportunité de la prolongation du maintien en zone d'attente d'ordonner la libération des mineurs en raison de leur incapacité juridique. Lors de la grève des avocats commis d'office, l'irresponsabilité de certains juges et le comportement suspect d'avocats, ayant en charge la défense de ces adolescents, voire jeunes adultes (c'est à dire dont l'âge est compris entre 18 et 21 ans), ont attiré à plusieurs reprises l'attention des observateurs. Quant à ceux qui étaient accompagnés par des adultes, leur sort a généralement suivi celui de l'adulte accompagnateur.

Face à l'augmentation de ces jeunes demandeurs d'asile, le recours à la détermination « scientifique » de leur âge, notamment par l'intermédiaire de l'examen osseux, est souvent utilisé par le ministère de l'Intérieur. Il permet de reconnaître majeurs de jeunes garçons ou jeunes filles, qui d'après l'avocat du ministère de l'Intérieur, « mentent sur leur âge pour se sortir de cette mauvaise situation ». Certains magistrats considèrent que ces tests médicaux sont fiables [6], mais n'hésitent pas à demander parfois une vérification, en cas de désaccord entre la défense du mineur et l'avocat du ministère de l'Intérieur. Ce fut le cas pour un jeune Turc de quinze ans [7] dont la demande d'asile n'avait pas été enregistrée et qui a vu son maintien prolongé. De manière assez étonnante, la PAF a parfois tendance à jouer au « forum-shopping ». Si une décision d'un juge délégué requiert un nouvel examen osseux, elle représente le dossier quelques jours plus tard, en espérant bénéficier d'une « connivence expéditive »... Le 12 janvier, B. S., né en 1983 en Sierra Leone, est présenté à l'audience. Il a déjà été présenté devant le juge délégué qui avait ordonné un nouvel examen à l'Hôtel Dieu. Or, la PAF n'hésite pas à le représenter sans que l'examen médical ne soit fait. Pour justifier un tel comportement, l'avocate du ministère de l'Intérieur estime que l'administration n'a pas à prendre en charge le coût de ce second examen. Elle ajoute : « Il n'a qu'une carte d'identité sierra leonaise qu'on peut contrefaire. » Il n'y a donc pas eu de 2ème examen et la juge le déclare majeur. Le 35 quater est applicable et il est maintenu.

D'autres juges doutent de la validité de l'examen osseux. Il faut préciser que ces tests sont très contestables — et contestés —, notamment parce qu'ils se réfèrent à des ensembles statistiques établis sur des populations nord-américaines, qui plus est, avant la seconde guerre mondiale. Par conséquent, leur utilisation pour les populations concernées est parfaitement inadaptée.

Quand la minorité s'avère évidente, malgré la mauvaise foi du représentant du ministère de l'Intérieur, les adolescents sont libérés et présentés au parquet des mineurs [8]. La transition entre les deux instances judiciaires, lorsqu'elle a lieu, relève cependant de l'improvisation administrative. La police refuse parfois d'accompagner ces jeunes personnes, prétextant que cela n'entre pas dans ses fonctions.

Le 23 janvier, une Sierra Leonaise mineure, dont les papiers mentionnent un âge de 14 ans, tandis que le test osseux indique 12 ans et demi, est remise en liberté sans qu'aucune mesure ne soit prise par le juge. L'interprète raconte alors aux observateurs que la greffière l'a emmenée pour la remettre à l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Le 6 janvier, un jeune Sierra Leonais, S. D., né le 3 décembre 1983 d'après sa carte d'identité, est décrété majeur (test osseux, dentaire et développement sexuel selon la PAF). Cependant, la juge s'interroge sur sa protection et lui propose de bénéficier d'un encadrement « jeunes majeurs ». Le jeune homme accepte. Il est alors transmis au parquet des mineurs, pour un accompagnement ASE dans le cadre des 18-21 ans. Or le juge des mineurs ne voudra pas le recevoir puisque officiellement il est majeur. Sur le conseil d'une interprète, il partira, sans sauf conduit, en direction de la gare du Nord, pour rejoindre Amsterdam, où, paraît-il, il existe un camp de réfugiés pour les gens de Sierra Leone. L'interprète sera incapable de nous donner la moindre précision sur cet hypothétique camp, mais déclarera aux observateurs : « en Hollande, il sera à l'abri ».

Certaines audiences laissent pantois lorsque personne ne soulève l'exception de minorité alors qu'elle ne fait aucun doute. Il nous appartient de dénoncer ces faits qui mettent en lumière le mépris de certaines règles de droit fondamental telle que l'incapacité d'un mineur d'ester en justice.

C'est ainsi que certains juges ne retiennent pas « la possibilité de soulever d'office le défaut de capacité d'une partie » (article 117 et s. du nouveau code de procédure civile), qui leur permet de déclarer nulle la procédure dont fait l'objet l'étranger mineur, puisqu'en droit commun, les mineurs doivent être représentés à l'audience par un parent ou un tuteur. Le pouvoir d'appréciation de l'opportunité du maintien en zone d'attente, pourtant clairement défini par la loi [9], est ici écarté délibérément ou par ignorance. Le 23 janvier, un jeune Congolais de Kinshasa de 17 ans, aurait pu en bénéficier ; l'ignorance du magistrat l'en a empêché.

À l'opposé, la liberté, lorsqu'elle est accordée par le juge, peut aussi déboucher pour ces mineurs sans accompagnateur sur l'inconnu. Les prises en charge effectives font défaut. Le 26 janvier, un jeune Sierra Leonais, B. B., né le 3 juillet 1983, qui ne parle que le peul, déclare au cours de l'audience qu'il a 18 ans. Il le répète plusieurs fois, incapable de dire un mot de plus en français. La juge s'en tient à ses dires. Il sortira, totalement isolé ; il a été battu comme la plupart des étrangers présentés lors de cette audience. Incapable de dire un mot en français ou en anglais, il est pris en charge par les observateurs. À la sortie, certains d'entre eux demandent à la juge si elle ne pense pas qu'on lui a soufflé cette unique phrase et qu'il est curieux, à la différence d'autres présentés ce même jour, qu'il n'y ait pas eu le moindre test médical. Le silence de la magistrate sera la seule réponse.

À différentes reprises des comportements douteux d'avocats venant défendre des étrangers en zone d'attente ont été observés. Les faits semblent connus de la police et des interprètes. En effet, des jeunes filles mineures, assistées d'avocat, ont pu être libérées en raison d'irrégularités flagrantes lors de leur maintien en zone d'attente sans que leur minorité ne soit soulevée.

C'est ainsi que le 31 janvier le substitut du procureur qui avait été alerté n'avait pu intervenir pour la protection de deux jeunes filles. Dans leur dossier figurait un procès-verbal précisant qu'elles avaient déclaré être majeures, alors que leur document d'identité attestait du contraire. À aucun moment, cette pièce n'avait été mentionnée lors de l'examen.

Un garçon et deux filles sont reconnus mineurs. Une des jeunes filles, Sierra Leonaise, déclare en crio avoir un frère ici dont elle ne connaissait pas l'adresse. Alors que tous trois étaient retenus dans une petite pièce en attendant d'être présentés au juge des enfants, les observateurs présents ont vu un avocat en civil aller leur parler à deux reprises en langue africaine. La juge l'a fait sortir une fois, mais il revient leur parler puis fait un grand clin d'œil à son confrère en robe dans la salle. À la fin de l'audience, le greffier lui aussi témoin du manège, ajoute qu'elles vont aller dans un foyer d'où elles s'enfuiront dans deux jours. « Elles ont maintenant des numéros de téléphone ».

Le 28 décembre, un jeune Congolais arrive en France avec le passeport de son frère aîné. En effet, sa mère réside en France avec l'aîné, mais ne remplit pas les conditions du regroupement familial. La juge estime qu'il n'y a pas coïncidence entre les noms de famille des prétendus frères et de la mère. Puis elle ajoute qu'elle ne peut établir aucune corrélation entre l'acte de naissance, produit à l'audience et la personne présente. Par la suite, la juge ne voit pas l'intérêt de nommer un administrateur ad hoc puisque, dit-elle, la mère détient l'autorité parentale. Elle venait pourtant de dire que le lien de parenté était inexistant. Vingt minutes après le jugement, l'enfant s'écroule en larmes, appelle sa mère. Il est emmené dans une pièce attenante où on l'entend pleurer, sangloter, crier : « je veux mourir ». On entend des bruits de chaises renversées. La juge est imperturbable et paraît ne rien entendre.

Le 4 janvier un étranger se dit mineur, l'examen osseux le dit majeur. La juge remarque que selon elle « il paraît bien jeune ». Malgré cette remarque la juge s'estime liée par l'examen et ne demande aucune expertise.

Le 26 janvier, Mlle D., une enfant de 14 ans est présentée à l'audience. Sur le passeport, il est mentionné qu'elle est de nationalité française, née le 10 juin 1986 à Epinay-sur-Seine. Elle est arrivée avec sa mère malienne, qui est entrée sans problème sur le territoire. Soupçonnant un passeport falsifié, la PAF a retenu l'enfant seule du 22 au 26 janvier. Il semble que l'enfant n'a reçu aucune visite de la part de sa famille. Aucun membre de sa famille n'a été prévenu que la fillette était présentée à cette audience, où elle arrive seule, avec comme seule langue le bambara. La juge décide d'envoyer l'enfant devant le substitut, afin qu'il contacte la mère.

f) Notification de la décision
et de la possibilité d'appel

« L'ordonnance est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué. [...] Le droit d'appel appartient à l'intéressé, au ministère public et au représentant de l'État dans le département. » — Article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945

« Le magistrat fait connaître verbalement aux parties présentes le délai d'appel et les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé. Il les informe également que l'appel n'est pas suspensif » — Article 7 du décret du 15 décembre 1992

Certains jours, il a été constaté que les juges ne notifient pas leurs droits aux personnes qui comparaissent ou ne le font que de manière partielle. Ainsi, à aucun moment, ils ne demandent aux personnes au début de l'audience si elles souhaitent être assistées d'un avocat commis d'office. De même, à l'issue de l'audience, ils omettent de dire à l'étranger qu'il a la possibilité de faire appel. En l'absence d'avocat, l'irrégularité demeure...

En revanche, certains juges informent toutes les personnes de la possibilité de faire appel (audience du 22 décembre), mais dans ce cas, il est rare que l'intéressé comprenne le sens de la démarche. La difficulté peut être d'autant plus importante quand la traduction n'est pas assurée. Plusieurs observateurs disent avoir essayé d'avertir les interprètes de la nécessité de faire appel, mais sans avoir pu entrer en contact avec les étrangers.

Lorsque le juge rend sa décision, les étrangers sont déjà fragilisés par une procédure et des informations complexes. On leur demande de signer la notification d'une décision qui ne leur a pas été forcément traduite. Et on n'hésitera pas à prendre trente secondes, pour leur indiquer où ils doivent signer.

Le 25 janvier, la juge, après lecture de l'ordonnance indique : « Vous êtes libre, mais je vous invite à prendre vos dispositions pour quitter le territoire français le plus vite possible, sous peine de vous exposer à un nouveau retour en prison ».

g) Possibilité d'obtention du sauf-conduit

« Si le maintien en zone d'attente n'est pas prolongé au terme du délai fixé par la dernière décision de maintien, l'étranger est autorisé à entrer sur le territoire sous le couvert d'un visa de régularisation de huit jours. »Article 35 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945

Les explications des juges lorsque les personnes maintenues sont libérées, sont très variables et vont du plus lapidaire au plus détaillé, lorsqu'elles sont données. Entre ceux qui expédient les dossiers dans des délais très brefs [10] et ceux qui acceptent de prendre du temps pour expliquer un tant soit peu ce qui attend les demandeurs d'asile à la sortie du tribunal, la « marge » est parfois importante.

Ainsi, des juges indiquent systématiquement aux personnes libérées la possibilité d'obtenir un sauf-conduit à Roissy et de se rendre ensuite sous huit jours à la préfecture afin de déposer leur demande d'asile (audiences du 22 décembre et du 18 janvier). Mais le langage juridique et la rapidité des explications ne facilitent pas toujours la compréhension bien que le président de l'audience et les interprètes aient une attitude très conciliante.

D'autres magistrats soulignent cette possibilité, de façon sporadique et lapidaire. Certains n'en font pas du tout mention. C'est ainsi que la juge présente à l'audience les 23 et 25 janvier, qui libérera une grande partie des étrangers du fait de l'absence d'avocat commis d'office, ne leur signalera à aucun moment la possibilité d'obtenir un sauf-conduit.

Enfin, plusieurs juges s'inquiètent, en cours d'audience, de savoir comment les personnes libérées vont regagner Roissy pour retirer leur sauf-conduit. Le 9 janvier, la juge trouve scandaleux que ce document ne leur soit pas remis sur place. Elle demande alors à la cantonade si les associations ne pourraient pas s'en charger. Le 17 janvier, le juge souligne l'inertie des autorités de contrôles aux frontières à l'officier présent et exprime fortement des doutes quant au fait que cette pratique change un jour. Cependant il semblerait qu'un dispositif soit en cours de réflexion entre la justice et la police pour trouver une solution à la délivrance des sauf-conduits à la sortie des audiences.

Il est à noter qu'un des arguments avancés par la PAF pour que les audiences du 35 quater se déroulent directement dans l'enceinte de la zone d'attente est justement la facilité de délivrance des sauf-conduits à l'issue des audiences ; alors que ces documents pourraient tout à fait être établis sur place à Bobigny, tel que cela était d'usage il y a quelques années.

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Notes

[4] Ce qui n'a pas empêché que l'entretien du MAE se déroule en anglais.

[5] Le 27 décembre, la PAF n'hésite pas à présenter la liste des langues de l'ONU dans lesquelles les demandeurs sont censés s'exprimer (cf. annexe). Le juge suspendra cependant l'audience pendant une heure vingt, afin de rechercher des interprètes en poulha, penjabi, pashtou ou farsi, crio et peul. De même, le 17 janvier, du fait que l'interprète en langue hindi était absent, le président suspend l'examen en attendant que l'interprète arrive (3 heures d'attente pour la personne).

[6] Audience du 25-01-2001

[7] Audience du 25-12-2000

[8] Audience du 07-01-2001 : une mineure chinoise libérée et présentée au parquet des mineurs.

Audience du 08-01-2001 : 2 mineurs libérés et présentés au parquet des mineurs.

Audience du 30-01-2001 : 4 mineurs sont présentés, un seul examen médical a été effectué. Un sera libéré pour absence d'avocat (malgré l'expertise médicale le déclarant majeur) ; 2 autres sont libérés pour être présentés ensuite au parquet des mineurs. Enfin un dernier est maintenu en ZA pour « retour volontaire », alors qu'il avait refusé d'embarquer auparavant !

[9] Guide de l'accès des étrangers au territoire français et du maintien en zone d'attente – ANAFE – 1996.

[10] Le 26 janvier, 63 dossiers ont été présentés en trois heures. Cette surabondance donne en moyenne, 3 minutes environ par dossier !

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Dernière mise à jour : 2-04-2001 21:37.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/2001/zone-attente/audiences/bilan-2.html


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