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Circulaire du 25 juin 1998 sur l'asile territorial

Argumentaire contre la circulaire
du 25 juin 1998

Ce texte est un document de travail ; il peut
ne pas correspondre exactement à la version
soumise au Conseil d'État.

CONSEIL D'ÉTAT
SECTION DU CONTENTIEUX
REQUÊTE ET MÉMOIRE

POUR  :

  1. FRANCE TERRE D'ASILE, association régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège est : 25, rue Ganneron, 75018 PARIS, représentée par sa Présidente en exercice, domiciliée à cette fin audit siège.

  2. AMNESTY INTERNATIONAL — Section française, association régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège est : 4, rue de la Pierre Levée, 75011 PARIS, représentée par son Président en exercice, domicilié à cette fin audit siège.

  3. GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés), association régie par la loi du 1er juillet 1901, dont le siège est : 3, villa Marcès, 75011 PARIS, représenté par sa Présidente en exercice, domiciliée audit siège.

CONTRE :

  1. La circulaire (non publiée) n° NOR/INT/D/98/00138/C du 25 juin 1998, prise pour l'application de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile et du décret n° 98-503 du 23 juin 1998 (asile territorial).

Les Associations requérantes défèrent à la censure du Conseil d'État la circulaire susvisée en tous chefs leur faisant grief.

À l'appui de leur pourvoi, elles entendent faire valoir les faits et moyens ci-dessous.

FAITS

I — La loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite « loi Reseda », a apporté de profonde modifications à la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 portant création d'un Office français de protection des réfugiés et apatrides. D'une part, elle a modifié le titre de cette loi qui est désormais « loi relative au droit d'asile » ; d'autre part, elle y a intégré les articles 31 bis à 32 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 composant l'essentiel du titre VII de cette ordonnance consacré aux demandeurs d'asile ; enfin, elle a inséré dans cette loi un nouvel article 13 aux termes duquel :

« Dans les conditions compatibles avec les intérêts du pays, l'asile territorial peut être accordé par le ministre de l'Intérieur, après consultation du ministre des Affaires étrangères, à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'art. 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Les décisions du ministre n'ont pas à être motivées.

Un décret en Conseil d'État précisera les conditions d'application du présent article ».

Le décret ainsi prévu par l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952 est le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 relatif au droit d'asile (JO 24 juin 1998).

Le ministre de l'Intérieur a pris, le 25 juin 1998, une circulaire pour l'application de l'article 13 de la loi de 1952 et du décret du 23 juin 1998.

C'est cette circulaire, que le ministre n'a pas cru utile de faire publier au Journal Officiel, qui constitue la décision attaquée.

DISCUSSION

II — En l'absence de toute publication régulière de la circulaire attaquée, le délai de recours contentieux contre elle n'a pu commencer à courir et il ne saurait donc être opposé aux Associations requérantes aucune fin de non-recevoir tirée de ce que cette circulaire a été édictée plus de deux mois avant la formation du présent pourvoi.

Par ailleurs, la circulaire attaquée ayant vocation à être appliquée sur l'ensemble du territoire français et présentant en outre le caractère d'un acte réglementaire dont l'auteur est un ministre, elle relève de la compétence du Conseil d'État en premier ressort conformément aux dispositions de l'article 2, 3° et 4°, du décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 portant réforme du contentieux administratif.

Enfin, les deux Associations requérantes, dont l'objet social comprend notamment la défense des droits des demandeurs d'asile et des personnes persécutées en raison de leurs opinions, ont intérêt à poursuivre l'annulation de la circulaire attaquée.

Pour l'ensemble de ces considérations, le présent pourvoi sera déclaré recevable.

III — Au fond, la circulaire attaquée sera annulée dans diverses de ses dispositions pour avoir un caractère réglementaire et, par conséquent, émaner d'une autorité incompétente.

Il en va ainsi de son premier paragraphe qui énonce :

« La loi n° 98-349 du 11 mai 1998 définit pour la première fois l'asile territorial, protection accordée par la France sous forme d'admission exceptionnelle au séjour, sur décision du ministre de l'Intérieur après consultation du ministre des Affaires étrangères, à un étranger dont la vie ou la liberté sont menacées dans son pays ou qui y est exposé à des traitements inhumains ou dégradants, contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, lorsque ces menaces ou ces risques émanent de personnes ou groupes distincts des autorités publiques de ce pays ».

Cette dernière précision — que les menaces ou risques n'émanent pas des autorités publiques du pays d'origine du demandeur — ne résulte ni de la loi du 11 mai 1998, ni du décret du 23 juin 1998, qui ne font aucune mention, ni l'une ni l'autre, de « l'agent de persécution » que fuit l'étranger à qui l'asile territorial est susceptible d'être accordé.

De surplus, il ressort des débats parlementaires auxquels a donné lieu la discussion du projet de loi qui allait devenir la loi du 11 mai 1998, que ni le ministre de l'Intérieur ni les députés et sénateurs n'ont entendu réserver le bénéfice de l'asile territorial aux seules victimes de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques.

Ainsi le rapport au Premier ministre de la Mission d'étude des législations de la nationalité et de l'immigration (dite Mission Weil) intitulé « Pour une politique de l'immigration juste et efficace » (La Documentation française, août 1997, p. 12 et 14), se réfère-t-il, à propos de l'asile territorial, aux « situations de guerre civile ou inter-ethnique » à côté des « centaines de personnes persécutées par des groupes terroristes ou courant des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d'origine sans être pour autant des combattants de la liberté ».

Quant au rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Gérard Gouzes, il donnait pour exemples de situations justifiant l'octroi de l'asile territorial les « Libanais pendant la guerre civile » et les « ressortissants de l'ex-Yougoslavie » (Rapport du 20 novembre 1997, p. 172). Or il constant que, si les Libanais victimes de la guerre civile, et à qui un grand nombre desquels la France a d'ailleurs accordé l'asile, n'ont pas été les victimes des autorités de leur pays, qui étaient alors quasi inexistantes, en revanche de nombreux ressortissants de l'ex-Yougoslavie, notamment en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, ont été persécutés par les autorités publiques en raison de leur appartenance à une minorité ethnique ou religieuse.

Le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, M. Jean-Paul Le Déaut, écrivait de même (Rapport du 26 novembre 1997, p. 17) que l'asile territorial pouvait concerner « les personnes déplacées, contraintes à l'exil par les conflits internes, les guerres civiles, a fortiori lorsque l'autorité étatique disparaît du fait de ce conflit (comme en Somalie ou au Liberia) ou lorsque les persécutions émanent d'agents combattant l'État d'origine (le cas de l'Algérie vient naturellement à l'esprit de façon immédiate) ». Là encore, les victimes des autorités publiques ne sont pas exclues du bénéfice de l'asile territorial, même si elles ne sont pas les seules personnes visées.

Au Sénat, le rapporteur M. Paul Masson prévoyait (Rapport du 20 janvier 1998, p. 143) que l'asile territorial pouvait être accordé aux « personnes qui s'exposeraient à des persécutions notamment par des groupes terroristes en cas de retour dans leur pays d'origine », tout en ajoutant que « les persécutions ne proviendraient pas nécessairement d'un État ou n'auraient pas été rendues possibles par la tolérance d'un État ».

M. Chevènement, ministre de l'Intérieur, a d'ailleurs partagé ce point de vue quand il s'est exprimé, le 15 décembre 1997, devant l'Assemblée nationale en déclarant (JO Débats AN, p. 7815) :

« L'asile territorial est une mesure humanitaire d'urgence, qui doit rester exceptionnelle, en faveur de personnes confrontées à court terme à des risques très graves pour leur vie : homme, ou femme, traqué illégalement, victime choisie de tentatives d'assassinats, personnes engagées aux côtés de la France par leur métier ou leur activité artistique et menacées pour cette raison ».

Le ministre ne faisait aucune mention des autorités publiques, ni pour imposer, ni pour exclure qu'elles puissent être les auteurs des menaces ou des risques, laissant ainsi les deux hypothèses ouvertes.

En revenant, dans la circulaire attaquée, sur cette conception de l'asile territorial après que la loi a été votée, le ministre de l'Intérieur en méconnaît la lettre, qui ne prend pas en considération l'auteur des menaces ou des risques encourus, et l'esprit, qui a clairement été d'ouvrir l'asile territorial à certaines victimes des agissements d'autorités étatiques.

On objecterait vainement que les victimes des persécutions exercées, encouragées ou tolérées par les autorités publiques peuvent obtenir le statut de réfugié en application de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, modifiée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967. Cette circonstance n'est pas de nature à faire disparaître l'illégalité dont est entachée la disposition critiquée de la circulaire du 25 juin 1998. D'une part, parce que la volonté du législateur n'a pas été de réserver le bénéfice de l'asile territorial aux seules personnes dont la vie, la liberté ou l'intégrité est menacée par des personnes ou groupes distincts des autorités publiques. D'autre part, parce que la protection apportée respectivement par l'asile territorial et le statut de réfugié n'est pas identique, si bien que la possibilité d'obtenir l'une ne doit pas exclure la possibilité d'obtenir l'autre.

Ainsi, la Convention de Genève empêche, en principe, qu'un réfugié retourne dans son pays d'origine, un tel retour étant considéré comme un « acte d'allégeance » entraînant cessation du statut de réfugié, dès lors qu'il traduit la volonté du réfugié de se placer à nouveau sous la protection des autorités de son pays (Convention de Genève, article 1er, C, 1). Au contraire, l'octroi de l'asile territorial n'est pas incompatible avec le retour dans le pays dont le bénéficiaire a la nationalité, comme l'admet d'ailleurs le ministre de l'Intérieur dans la circulaire attaquée lorsqu'il indique que le renouvellement de la carte de séjour à un étranger ayant obtenu l'asile territorial peut être refusé en raison de « la fréquence des retours de l'étranger dans son pays d'origine au cours de l'année écoulée et (de) la durée de ses séjours (qui) démontrent qu'il n'éprouve plus de crainte particulière ». Si le ministre parle de « fréquence des retours », c'est bien qu'un retour ne suffit pas pour retirer l'asile territorial. Aussi doit-on admettre qu'en dépit des risques ou des menaces pesant sur lui dans son pays d'origine, même de la part des autorités publiques, l'étranger qui a la possibilité d'y retourner pour voir sa famille ou y mener des activités politiques, culturelles ou artistiques, il doit pouvoir choisir entre l'asile territorial et le statut de réfugié.

En déclarant le contraire dans la circulaire attaquée, le ministre a violé l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952.

IV — La circulaire attaquée énonce par ailleurs (§ I, 1, A, b, p. 4) :

« Le ressortissant étranger bénéficie d'une audition par un de ces agents (du bureau des étrangers de la préfecture). Il peut, s'il l'estime utile, demander à être assisté d'un interprète à ses frais ».

Cette disposition semble prise en application de l'article 2, alinéa 1er, du décret du 23 juin 1998 qui dispose :

« L'étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation. Il peut demander au préalable l'assistance d'un interprète et peut être accompagné d'une personne de son choix ».

Lier l'assistance d'un interprète à la condition que l'étranger en supporte la charge financière est contraire, non seulement au décret qui ne donne aucune précision en ce sens et doit donc être interprété de la façon la plus favorable au demandeur d'asile territorial puisqu'il définit un droit qui lui est reconnu, mais également au principe posé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-325 du 13 août 1993, à propos précisément du droit d'asile (Considérant n° 81, Rec. C. const., p. 237-238) :

« que, s'agissant d'un droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les personnes concernées des libertés et droits reconnus de façon générale aux étrangers résidant sur le territoire par la Constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».

Ce que le Conseil constitutionnel impose ainsi au législateur s'impose à plus forte raison encore au pouvoir réglementaire et au ministre de l'Intérieur. Or il apparaît à l'évidence qu'en mettant les frais d'interprète à la charge de l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile territorial, le ministre ne rend pas l'exercice du droit d'asile plus effectif, bien au contraire. Et l'on ne voit pas, de surcroît quelle règle ou quel principe de valeur constitutionnelle pourrait être invoqué dont la conciliation avec l'exercice du droit d'asile justifierait la restriction d'accès à un interprète.

De plus, en ne donnant pas à l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile territorial les moyens de se faire entendre et comprendre par l'agent de la préfecture qui va procéder à son audition, le ministre de l'Intérieur porte atteinte aux droits de la défense dont le Conseil constitutionnel, dans la même décision du 13 août 1993, a déclaré qu'ils devaient pouvoir être exercés par les demandeurs d'asile (décision précitée, considérant n° 83, Rec. C. const., p. 238).

Il en va d'ailleurs d'autant plus ainsi que le ministre prévoit également, dans la circulaire attaquée (§ I, 1, A, a, p. 4), que rien « ne vous (il s'adresse aux préfets) interdit, lorsque vous en avez la possibilité et que l'intéressé n'a pas auparavant déposé une demande de statut de réfugié en cours d'instruction, de l'auditionner immédiatement ». Ce qui signifie que, quand la préfecture le peut et le décide, l'intéressé est entendu dès la présentation de sa demande d'asile territorial. Il risque alors d'éprouver de grandes difficultés à contacter des personnes susceptibles de lui donner ou de lui prêter la somme nécessaire à la rétribution d'un interprète.

La mise à la charge de l'étranger des frais d'interprète est donc manifestement illégale.

V — Le Ministre écrit également aux préfets, comme il a été mentionné plus haut (§ I, 1, A, a, p. 4) :

« (L') entretien doit se dérouler dans le délai d'un mois à compter du jour de réception par vos services de la demande d'asile territorial. Cette disposition ne vous interdit pas, naturellement, lorsque vous en avez la possibilité et que l'intéressé n'a pas auparavant déposé une demande de statut de réfugié en cours d'instruction, de l'auditionner immédiatement ».

Il apparaît cependant que l'audition immédiate de l'étranger par le service des étrangers de la préfecture est en contradiction avec les articles 1er et 2 du décret du 23 juin 1998.

L'article 1er, alinéa 1er, dispose en effet :

« L'étranger qui demande l'asile territorial est tenu de se présenter à la préfecture de sa résidence et, à Paris, à la préfecture de police. Il y dépose son dossier, qui est enregistré. Une convocation lui est remise, afin qu'il soit procédé à son audition ».

Quant à l'article 2, alinéa 1er, il confirme :

« L'étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation ».

Il ressort de ces deux dispositions que, contrairement à ce qu'affirme le ministre dans la circulaire attaquée, la convocation à une date ultérieure de l'étranger en vue de son audition n'est pas une simple faculté, mais une obligation et une condition de la régularité de la procédure à l'issue de laquelle le ministre prend sa décision d'accorder ou de refuser l'asile territorial.

Car il s'agit d'une formalité substantielle qui n'est pas imposée dans l'intérêt de l'administration, afin de lui permettre de « planifier » les auditions, mais dans l'intérêt de l'étranger, afin de lui permettre de préparer son audition. La circulaire attaquée précise en effet quel est l'objet de cette audition et dans quelles conditions elle se déroule (§ I, 1, A, b, p. 4) :

« Le demandeur d'asile territorial doit être mis en mesure d'expliciter et de justifier par ses déclarations, par la remise des pièces écrites, ou par tout autre élément, les raisons pour lesquelles il estime qu'il est menacé dans sa vie ou dans sa liberté ou qu'il encourt des risques de traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ».

Comment l'intéressé pourra-t-il rassembler « des pièces écrites » ou « tout autre élément » de nature à « justifier [...] les raisons pour lesquelles il estime qu'il est menacé », s'il est auditionné dès le dépôt de sa demande d'asile territorial ?

La dispense de convocation et la faculté donnée aux préfectures d'auditionner immédiatement les demandeurs d'asile territorial sont donc illégales et seront censurées.

VI — La circulaire attaquée énonce ensuite les cas dans lesquels une demande d'asile territorial doit être instruite selon la « procédure d'urgence » (§ I, 2, p. 7).

Aux termes de l'article 9 du décret du 23 juin 1998, il est recouru à la procédure d'urgence dans les trois hypothèses suivantes :

  • « l'étranger qui demande l'asile territorial se trouve en rétention administrative, en application de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 » ;

  • « la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public » ;

  • « la demande d'asile territorial est de nature abusive, frauduleuse ou dilatoire ».

Dans la circulaire attaquée, ces trois hypothèses deviennent huit, voire neuf :

  1. L'étranger « a sollicité l'asile territorial et le statut de réfugié et dans le cadre de cette seconde demande il fait l'objet d'un refus de séjour dans les conditions prévues par l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952, alinéas 2, 3 et 4 ». Cette situation n'est pas envisagée par le décret du 23 juin, mais elle semble dans la logique des rapports entre demande de statut de réfugié et demande d'asile territorial. Dans ce cas, les deux demandes sont instruites en urgence (« par priorité » pour la demande de statut de réfugié selon les termes de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952).

  2. « La présence de l'étranger sur le territoire français constitue une menace pour l'ordre public » ;

  3. « L'intéressé est en rétention administrative » (ce que le décret envisage expressément) ;

  4. « Il est en situation irrégulière et a déposé sa demande d'asile territorial alors qu'il venait de se voir notifier une invitation à quitter la France ou un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière », la circulaire ajoutant que « c'est le cas en particulier si l'intéressé a été débouté par l'OFPRA ou la CRR postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998 sans que le directeur de l'Office ou le président de la Commission des recours n'aient saisi le ministre de l'Intérieur au titre de l'asile territorial » ;

  5. « il séjourne irrégulièrement sur le territoire français et formule sa demande d'asile territorial au moment où il est interpellé » ;

  6. La demande d'asile territorial « présente un caractère abusif, elle n'est pas assortie d'éléments nouveaux constatés et intervient [...] peu de temps après un rejet précédent d'une première demande d'asile territorial (moins de six mois) » ;

  7. La demande d'asile territorial « présente un caractère abusif, elle n'est pas assortie d'éléments nouveaux constatés et intervient [...] après deux ou plusieurs demandes d'asile territorial rejetées » ;

  8. « La demande d'asile territorial comporte une manœuvre frauduleuse décelée par les services de la préfecture (usage d'une fausse identité ou de faux documents) ».

On constate que seules les hypothèses n° 2, 3 et 8 correspondent à des cas expressément prévus par le décret du 23 juin 1998. En revanche, les hypothèses n° 1, 4, 5, 6 et 7 ajoutent aux dispositions du décret et sont donc illégales.

  • En effet, la première hypothèse (l'étranger « a sollicité l'asile territorial et le statut de réfugié et dans le cadre de cette seconde demande il fait l'objet d'un refus de séjour dans les conditions prévues par l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952, alinéas 2, 3 et 4 ») entend se placer dans la logique des rapports entre demande de statut de réfugié et demande d'asile territorial. Il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut être appliquée à tous les cas dans lesquels la demande de statut de réfugié entre dans le champ des dispositions de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952. Ainsi en va-t-il, en particulier, quand l'admission au séjour est refusée sur le fondement de l'article 10, 2°, lui-même étant la mise en œuvre d'une clause de cessation de la Convention de Genève, étrangère à la problématique de l'asile territorial.

  • La quatrième hypothèse conduit à considérer toute demande d'asile territorial présentée en dehors d'une saisine par le directeur de l'OFPRA ou le président de la CRR comme abusive ou dilatoire par le ministre, ce qui semble un peu exagéré. Une telle appréciation ne saurait être portée par voie de circulaire de façon générale et absolue, mais ne pourrait en tout état de cause résulter, à la supposer justifiée, que de la situation irrégulière dans laquelle se trouve l'intéressé, ce que la circulaire ne précise pas, et d'un examen particulier des circonstances de chaque cas dont le ministre est saisi.

  • La cinquième hypothèse est la transposition à l'asile territorial d'une pratique en matière de statut de réfugié. Il y a lieu, toutefois, d'observer qu'une demande présentée au moment où l'intéressé est interpellé peut être parfaitement fondée, notamment si l'intéressé est entré depuis peu en France et n'a pas encore eu le temps ou la possibilité de se rendre en préfecture. Là encore, donc, la règle générale est illégale, dès lors qu'elle se substitue à un examen particulier des circonstances de chaque espèce.

  • La sixième et la septième hypothèses sont proches des situations de demandes de « réouvertures » devant l'OFPRA. Dans ces cas-là, le recours systématique à la procédure d'urgence ne se justifie pas, le bien-fondé de la demande étant étroitement lié à la présence d'éléments nouveaux qui ne peut être appréciée qu'après un examen particulier de l'espèce.

À ces huit hypothèses, il faut ajouter celle, citée par la circulaire attaquée au § I, 1, B, c (p. 6) qui concerne le demandeur qui, en même temps que l'asile territorial, a demandé le statut de réfugié et pour lequel il a été fait application de la Convention de Dublin relative à la détermination de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile. La circulaire donne alors aux préfets l'instruction suivante :

« En cas de réponse positive de l'État requis, vous instruisez ou, le cas échéant, achevez d'instruire, de façon prioritaire (souligné dans le texte), la demande d'asile territorial que vous aviez différée ou suspendue ».

Cette disposition sera, elle aussi, annulée dès lors, d'une part, qu'elle ne correspond à aucune disposition correspondante figurant dans le décret du 23 juin 1998 et, d'autre part, qu'elle n'est assortie d'aucune précision quant à la nature et aux conditions de l'instruction « prioritaire » qu'elle vise.

VII — Enfin la circulaire attaquée énonce (§ I, 2, p. 8) :

« Lorsque l'étranger demande l'asile territorial lors de son interpellation (ou durant la procédure qui fait suite à cette interpellation) [...] et que, conformément au 3 c ci-dessus, vous décidez de le soumettre à la procédure prioritaire [...], il est invité à remplir séance tenante le formulaire de demande de titre de séjour et le questionnaire figurant en annexe à la présente circulaire. L'audition est faite sur la base de cet imprimé selon le cas par l'agent de la préfecture ou par un fonctionnaire chargé de la surveillance du centre de rétention. Dans ce dernier cas, il est dressé un procès-verbal d'audition joint au questionnaire ».

Outre l'illégalité que constitue le recours à la procédure d'urgence en cas de demande d'asile territorial présentée à l'occasion d'une interpellation (v. supra § VI), cette disposition de la circulaire attaquée est illégale en ce que, contrairement au décret du 23 juin 1998, elle attribue compétence aux « fonctionnaires chargés de la surveillance des centres de rétention » pour auditionner les demandeurs d'asile territorial.

L'article 2 du décret dispose en effet, comme il a déjà été dit plus haut, que « l'étranger est entendu en préfecture ». L'article 9, relatif à la procédure d'urgence, ne déroge pas à cette règle, permettant seulement que « l'étranger [soit] entendu sans délai ».

Or l'audition en préfecture par un agent du service des étrangers est une garantie, pour le demandeur, que sa demande sera examinée par une personne ayant un minimum de connaissance et d'expérience de la matière. On n'ose pas imaginer dans quelles conditions se déroulent les auditions de demandeurs d'asile territorial en centre de rétention. Le moins qu'on puisse dire est que cette disposition, comme celle qui fait l'objet de la première critique du présent recours, n'est pas de nature à rendre plus effectif l'exercice du droit d'asile. Elle est donc illégale pour violer les articles 2 et 9 du décret du 23 juin 1998, ainsi que le principe constitutionnel du droit d'asile.

PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou suppléer, les Associations requérantes concluent à ce qu'il plaise au Conseil d'État :

  • ANNULER la circulaire attaquée avec toutes conséquences de droit.

PRODUCTION :

SCP WAQUET, FARGE, HAZAN,
Avocat au Conseil d'État.

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Dernière mise à jour : 16-05-2001 18:52.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/argumentaires/2000/asile/recours.html


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