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ARGUMENTAIRE

Analyse approfondie de l'arrêt
du Conseil d'État « Gisti » du 31 mai 2006
Présentation succinte

Contexte juridique

C’est le décret n° 99-433 du 27 mai 1999 relatif à la composition des chambres des métiers et à leur électionqui avait reconnu aux étrangers non européens le droit de vote et aux ressortissants communautaires l’éligibilité – mais curieusement sans y inclure ceux de l’Espace économique européen (Norvège, Liechtenstein, Islande), malgré le principe d’égalité de traitement à leur égard issu des Accords de Porto . Le droit de vote avait alors été reconnu au bénéfice de tous les artisans par le gouvernement Jospin afin de permettre à « tous les chefs d’entreprise » dès lors qu’ils sont immatriculés au répertoire des métiers de participer au scrutin.

Prétextant une refonte du régime électoral pour introduire le vote électronique, les décrets du 27 août 2004 avaient retiré la qualité d’électeur aux artisans des pays tiers tandis qu’elles ont admis à la qualité d’éligible ceux de l’Espace économique européen.

Aucune explication à ces modifications n’a été fournie : ni dans le rapport sur les décrets, ni dans les mémoires en défense. Les motifs sont néanmoins vraisemblablement à aller chercher du côté d’un réflexe protectionniste de certains syndicats d’artisans qui ont joué de leur influence auprès du ministre des Petites et moyennes entreprises.

C’est pourquoi, en octobre 2004, le Gisti a saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret n° 2004-896 du 27 août 2004 (articles 4 et 5), ainsi que du décret n° 2004-897 du 27 août 2004 spécifique aux chambres de métiers d’Alsace et de Moselle (JO n° 197 du 26 août 1999).

Suite à une mobilisation associative et sur saisine du MRAP, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) avait en 2006 recommandé aux pouvoirs publics de restituer aux artisans étrangers des pays tiers le droit de vote en raison du caractère discriminatoire de cette exclusion. Le Premier ministre avait alors annoncé - après avoir engagé une « concertation approfondie avec les représentants des chambres de métiers » - le retour à l’état de droit existant en 1999, et ce, dans un délai de 3 mois, soit avant le 1er juin 2006 (voir le cas n°35. La recommandation « MRAP » est reproduite in extenso dans le rapport de la HALDE).

Non sans euphémisme, le gouvernement a pu ainsi annoncer, sans plus d’explications, dans le compte-rendu du Comité interministériel à l’intégration qu’il a « décidé de donner le droit de vote aux étrangers extra-communautaires aux élections des chambres de métiers et de l’artisanat dont ils sont adhérents », alors même que ce droit avait été retiré par le gouvernement précédent.

Or, la suppression du droit de vote aux artisans étrangers par les décrets de 2004 venait à rebours d’une évolution des législations depuis la Libération procédant à un alignement du statut des étrangers sur celui des nationaux en matière d’élections non politiques (établissements universitaires et scolaires, délégués du personnel dans les entreprises, etc.). De même les étrangers sont électeurs, comme n’importe quel salarié ou entrepreneur, pour les prud’hommes. Ils n’y sont néanmoins pas éligibles dans la mesure où les conseillers prud’homaux rendent la justice, ce qui constitue une prérogative régalienne réservée aux nationaux. Il pourrait en être de même pour certains élus des chambres de commerce et d’industrie dont certains élus se retrouvent dans des tribunaux de commerce.

Un arrêt approfondissant le principe d’égalité au bénéfice des étrangers non européens

En adoptant cette solution, le Conseil d’État approfondit sa propre jurisprudence lorsqu’il avait, par exemples, annulé la délibération du conseil municipal de la ville de Paris créant une allocation de congé parental d’éducation et en en réservant le bénéfice aux seules familles dont au moins un parent était français (CE 30 juin 1989, Ville de Paris et Bureau d’aide sociale de Paris c/ M. Levy) ou encore censuré un décret qui instaurait une procédure particulière pour l’accès des étudiants étrangers à l’enseignement supérieur (CE 26 juillet 1982, Gisti). De même il avait estimé qu’étaient contraires au principe d’égalité des textes limitant dans des conditions particulières la durée de validité du document de circulation délivré à certains étrangers (CE 9 février 1994, Gisti) ou réservant l’attribution de la médaille de la famille française aux parents de nationalité française [LIEN A CREER]).

La décision s'inscrit dans le prolongement d'importantes décisions du Conseil constitutionnel qui avaient reconnu que le principe d'égalité s'appliquait aux étrangers résidant régulièrement en France pour le bénéfice des prestations sociales (décision du n°89-269 DC 22 janvier 1990 à propos du minimum vieillesse) ou même, qu'en application de la Convention de Genève, un représentant étranger du HCR pouvait siéger comme dans la Commission de recours des réfugiés (décision n°98-399 DC du 5 mai 1998).

Elle reprend d’ailleurs la logique de plusieurs jurisprudences de la Cour de justice des communautés européennes, en particulier une série d’arrêts qui appliquent un principe de non-discrimination à des ressortissants de pays tiers à l’Union européenne sur le fondement des accords d’association avec ceux-ci (CJCE du 8 mai 2003, Wählergruppe Gemeinsam Zajedno, n° C-171/01 : à propos de d’une loi autrichienne qui refusait aux travailleurs turcs le droit d’être éligibles aux « chambres du travail et des employés » et CJCE, 7 juill. 2005, aff. C-374/03, Gürol).

On pense aussi à la jurisprudence de la Cour de justice concernant les capitaines de navire battant pavillon d’un Etat membre dans laquelle elle a estimé que les ressortissants de l’Union européenne ne pouvaient être écartés de ces emplois car les prérogatives de puissance publique exercées ne représentent qu’une part réduite de leurs activités (CJCE, 30 sept. 2003, aff. C-47/02, Anker ; CJCE, 30 sept. 2003, aff. C-405/01, Colegio de la Marina Mercante Espanola. V. aussi Cass. crim., 23 juin 2004, Elian Castaing).

Un arrêt faisant abstraction du principe
de non-discrimination issu du droit international
et européen

On regrettera néanmoins que le Conseil d’Etat n’ait pas jugé utile de se prononcer sur la violation par les dispositions réglementaires critiquées de l’article 11 de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, qui devait être transposées avant le 23 janvier 2006. En effet, les résidents de longue durée sont, au sens de la directive, ceux qui ont résidé de manière légale et ininterrompue sur le territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause. Or, l’article 11 de la directive pose un principe d’égalité de traitement entre ces résidents de longue durée et les nationaux concernant « g) la liberté d’affiliation et d’engagement dans une organisation de travailleurs ou d’employeurs ou toute organisation professionnelle... »

Reconnaissant qu’ « il n’est pas très aisé d’écarter ce moyen », le Commissaire du gouvernement a néanmoins estimé qu’il était inutile pour le Conseil d’Etat de se prononcer au prétexte qu’il donnerait satisfaction au Gisti sur le fondement de la violation du principe d’égalité.

On regrettera aussi que le Conseil d’Etat n’ait pas examiné le moyen sur la violation de l’article 26 du Pacte international relatif au droit civil et politique. Le Commissaire du gouvernement se contentant de rappeler que, selon l’avis Mme Doukouré (15 avril 1996), les stipulations de l’article 26 ne peuvent être invoquées que par les personnes qui soutiennent qu’elles sont victimes d’une discrimination au regard de l’un des droits civils et politiques reconnus par le pacte. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce pour le droit de voter et d’être élu dans un organisme professionnel qui n’entre pas dans le champ des stipulations de l’article 25 du PIDCP, relatif aux élections politiques.

Le Comité des droits de l’homme des nations unies a pourtant, à plusieurs reprises, écarté cette interprétation contra legem (comm. n° 172/1984, 9 avr. 1987, Broeks c/ Pays-Bas ; comm. n° 196/1985, 6 avril 1989, Ibrahima Gueye c/ France). Ainsi, dans une communication de 2002 (n° 854/1999, 26 juillet 2002 Wackenheim c/France), il a rappelé, à propos de l’interprétation française, que, « sa jurisprudence qui a établi que l'article 26 ne reprend pas simplement la garantie déjà énoncée à l'article 2, mais prévoit par lui-même un droit autonome. L'application du principe de non-discrimination énoncé à l'article 26 n'est donc pas limitée aux droits stipulés dans le Pacte. ». Pourtant dans un récent arrêt du 7 juin 2006 (Aides, Gisti, LDH, MDM, MRAP, n° 285576) le Conseil d’Etat a confirmé sa position sur la non-autonomie de l’article 26 du PIDCP.

Dans l’arrêt Gisti du 31 mai 2006, le Conseil d’État ne se prononce pas non plus sur l’applicabilité de la Charte sociale européenne. Le commissaire estime néanmoins qu’elle ne protège que « le droit syndical » stricto sensu. En outre, confirmant sa jurisprudence antérieure (CE 20 avril 1984, Ministre délégué chargé du budget auprès du ministre de l’économie et des finances c/ Mlle Valton), le Conseil d’Etat a estimé, comme dans l’arrêt Aides précité, que la charte n’est pas d’applicabilité directe. Les particuliers ne peuvent donc s’en prévaloir en justice.

Enfin, il ne s’est pas prononcé sur la violation des conventions n° 87 du 9 juillet 1948 et n° 111 du 25 juin 1958 de l’OIT, concernant respectivement la liberté syndicale et la discrimination en matière d’emploi et de profession alors même que certaines stipulations de ces conventions de l’OIT sont d’effets directs (CE, Sect, 23 avril 1997, Gisti : pour l’article 4-1 de la convention n° 118 ; CE, Ass. 19 octobre 2005, CGT : pour les articles 8-1, 9 et 10 de la convention n° 158).

Gisti, 4 juillet 2006


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Dernière mise à jour : 4-07-2006 16:26.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/argumentaires/2006/artisans/analyse.html


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