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Analyse du projet de loi Chevènement

Avant-propos

Au-delà de la polémique née de la décision prise par le gouvernement Jospin de ne pas abroger les lois Pasqua Debré, le contenu du projet de loi Chevènement a de quoi faire tomber de haut ceux qui avaient pris à la lettre l'annonce, par le ministre de l'intérieur, d'une « réflexion d'ensemble sur les problèmes de l'immigration [...] en vue d'une refonte de la législation ».

Lorsque, dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a mis en cause « notre législation [...] rendue complexe, parfois incohérente et surtout incompréhensible, par trop de modifications successives », on pouvait penser que l'intention du gouvernement était d'éviter les écueils qu'il dénonçait. Il ne manquait pas de pistes de travail pour la refonte promise : depuis plus d'un an, les mouvements de sans-papiers ont permis de faire prendre conscience à une partie de l'opinion des impasses dans lesquelles ont mené les multiples réformes de l'ordonnance du 2 novembre 1945. A la faveur de ces luttes, un débat a commencé à s'instaurer, relayé par plusieurs parlementaires socialistes et communistes au cours de la discussion sur la loi Debré. Plus qu'à une simple abrogation, il semblait que ce contexte était favorable à l'émergence d'une autre politique des migrations. C'était d'ailleurs à une véritable rupture dans le domaine qu'invitait la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Dans sa note d'orientation du 3 juillet 1997, elle soulignait l'inefficacité des lois récentes, leur caractère déstabilisant pour les étrangers en voie d'intégration, ainsi que leur rôle dans l'accroissement des problèmes d'exclusion. Elle préconisait une démarche d'élaboration de la législation sur les étrangers qui se serait fondée sur le « respect des droits fondamentaux en dehors desquels l'Etat de droit n'est pas assuré ». On se souvient aussi que le Parti socialiste avait adopté, en avril 1997, un rapport « Pour une nouvelle politique de l'immigration et de l'intégration », fruit du travail de ses militants depuis plusieurs mois.

Cependant, comme si rien n'avait été dit ni pensé sur la question, le gouvernement a choisi de mettre en oeuvre une mission d'étude chargée « d'analyser la situation présente et de proposer des règles simples, réalistes et humaines pour l'entrée et le séjour des étrangers ». Le Gisti était, dès le début, très réservé sur cette méthode. Il nous semble en effet que la question des flux migratoires doit faire enfin l'objet, en France, d'un débat aussi large et public que possible(cf la Lettre ouverte à Lionel Jospin du 10 juillet 1997, Plein-Droit n° 35.). Le petit mois d'enquête dirigée par Patrick Weil auprès de spécialistes (fussent-ils proches du « terrain »), ne pouvait en aucune façon répondre à cette nécessité de débat. A posteriori, la démarche s'apparente presque à un écran de fumée. Car nombre des « innovations » du projet, supposées inspirées par le rapport Weil, étaient déjà perceptibles à la lecture de la circulaire de régularisation du 24 juin, rédigée plus d'un mois auparavant...

Le bilan tiré par Jean-Pierre Chevènement des travaux de la mission Weil confirme nos inquiétudes. On nous propose une énième réforme de l'ordonnance de 45, parée aujourd'hui de toutes les qualités puisqu'elle est marquée « de l'esprit du Conseil National de la Résistance », et par « une inspiration progressiste fondamentale » (avant-projet d'exposé des motifs). C'est oublier un peu vite qu'à l'origine ce texte différait assez peu, sur la forme comme sur le fond, de la réglementation en vigueur à la veille de la guerre(cf Plein Droit n° 29-30, Cinquante ans de législation sur les étrangers). On aurait pu imaginer qu'à défaut d'abroger les lois Pasqua et Debré, le ministre de l'intérieur choisirait d'en modifier les dispositions les plus contestables. Ce n'est à l'évidence pas son objectif principal.

Certes, des ouvertures - qui s'inscrivent dans le respect des engagements internationaux de la France, notamment la Convention européenne des droits de l'homme - apparaissent dans le domaine de l'accès au séjour (asile territorial, reconnaissance de la « vie privée et familiale », malades étrangers). Dans le même ordre d'idées, il est envisagé d'obliger les consulats à motiver - mais dans certaines circonstances seulement - les refus de visas. La rétention judiciaire, créée par la loi Pasqua, serait abrogée.

Mais le principe de la « double peine » est maintenu ; l'hypothèse d'une dépénalisation du séjour irrégulier, émise par le rapport Weil, a été écartée ; la durée de la rétention est allongée, et un nouveau cas de rétention est prévu ; l'obligation, pour recevoir un hôte étranger, de faire viser un certificat d'hébergement par le maire est confirmée ; malgré quelques aménagements, le regroupement familial reste subordonné à des conditions très restrictives ; la Commission du séjour instaurée par la loi Joxe, qui permettait de contrôler l'administration, déjà neutralisée par la loi Pasqua et éliminée par la loi Debré, n'est pas rétablie. Et surtout, le projet Chevènement conserve, comme fils conducteurs, trois principes largement inspirés des précédentes réformes (mais que ne ferait-on pas, au nom du « consensus républicain » !) :

  • la toute puissance de l'administration, notamment à travers l'omniprésence de la référence à l'« ordre public » - notion qui peut aisément être utilisée pour faire obstacle, même pour des faits mineurs, à toute délivrance ou tout renouvellement d'un titre de séjour -, facteur d'insécurité juridique pour les étrangers installés en France ;

  • la suspicion, renforcée en particulier à l'égard des conjoints de Français, qui verraient s'allonger le délai avant lequel ils pourraient bénéficier d'un statut stable, malgré le maintien d'un contrôle préalable au mariage ;

  • la précarisation juridique des étrangers, par la multiplication des hypothèses de délivrance de titres de séjour temporaires au détriment du statut de résident : cette tendance, en germe dans la loi Debré, est accentuée par le projet Chevènement.

Ce projet peut être modifié au cours du débat parlementaire qui va s'engager. Le Gisti espère, en proposant ici une analyse détaillée de ses dispositions, faire apparaître la nécessité d'en corriger les aspects les plus nocifs.

Cependant, il reste persuadé que le choix fait par le gouvernement d'ajouter des rustines à un dispositif usé est un mauvais calcul à long terme, qui ne règlera en aucune façon les problèmes révélés au grand jour par les sans-papiers en 1996, pas plus qu'il n'est susceptible de redonner un sens à l'Etat de droit.

GISTI, 21 septembre 1997

Avertissemement

Le projet "Chevènement" "relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et à l'asile" modifie l'ordonnance du 2 novembre 1945 (texte de l'ordonnance de 45 dans son dernier état, c'est à dire tel que modifié par la loi Debré du 24 avril 1997), ainsi que la loi du 25 juillet 1952 portant création de l'OFPRA, le Code pénal et le Code de la sécurité sociale. Le commentaire qui suit porte sur la version remise au Conseil d'Etat et soumise, pour avis, à la Commission consultative des droits de l'homme le 15 septembre 1997. Il y est cependant fait parfois référence, lorsque c'est utile, aux étapes qui ont précédé : circulaire du 24 juin 1997, propositions du rapport Weil et avant-projet de loi avant arbitrages interministériels.

Nota bene : Compte tenu de l'existence d'accords bilatéraux, le régime applicable aux Algériens et aux Tunisiens ne relève pas, sauf pour les dispositions relatives à l'éloignement du territoire, de l'ordonnance du 2 novembre 1945. En principe, les articles du projet relatifs à la délivrance des titres de séjour ne les concernent donc pas. Faut-il en conclure que les innovations dans ce domaine - cartes de séjour attribuées au titre de la "vie privée et familiale", de l'asile territorial et de l'état de santé - ne bénéficieraient ni aux Algériens ni aux Tunisiens ?

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Dernière mise à jour : 26-08-2004 18:08 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/publications/1997/chevenement/avant-propos.html


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