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  |   | Plein Droit n° 14, juillet 1991« Quel droit à 
  la santé pour les immigrés ? »
 Annie Thébaud-MonyCatherine Lepetit
 En France, comme dans les autres pays industrialisés, 
          la tuberculose a beaucoup régressé au cours du XXème 
          siècle. Ceci est dû en partie à l'amélioration 
          des conditions de vie de fractions importantes de la société 
          française, surtout depuis le début des années 50, 
          et à l'application du traitement antibiotique. Cependant, aujourd'hui, 
          la tuberculose n'a pas disparu et demeure un indicateur d'inégalités 
          sociales, les groupes sociaux dans lesquels l'incidence est la plus 
          forte étant toujours ceux qui vivent en situation de précarité 
          sociale et économique. Dans les pays d'industrialisation ancienne, 
          la prévalence de la tuberculose est faible en moyenne nationale. 
          Mais elle reste élevée dans les communautés d'origine 
          étrangère. C'est le cas en France.   Un débat existait dans la première moitié 
          du siècle, entre ceux qui attribuaient la tuberculose à 
          la « misère physique et morale »  aux 
          « comportements à risque », dirait-on aujourd'hui  
          caractéristique de la « culture ouvrière », 
          et ceux qui y voyaient une conséquence des conditions de vie 
          très dures des ouvriers au début du siècle. De 
          même, aujourd'hui, des thèses s'affrontent concernant la 
          tuberculose : « maladie importée », 
          « maladie de la transplantation », de la « condition 
          immigrée », ou conséquence des conditions de 
          vie et de travail faites aux travailleurs immigrés en France. 
          Une représentation dominante s'est imposée, dans le corps 
          médical en particulier, mais aussi dans l'opinion publique, qui 
          fait de la tuberculose la maladie des migrants, éveillant (ou 
          réveillant) les très anciennes images xénophobes 
          de la « peste » et de la contamination apportée 
          et répandue par l'étranger [2]. La maîtrise de la chimiothérapie antituberculeuse remonte 
          à près de quarante ans. Depuis lors, les instances scientifiques 
          et médicales internationales préconisent le traitement 
          ambulatoire ; les rapports d'experts de l'Organisation mondiale 
          de la santé (1964, 1974, 1982), affirment avec force depuis plus 
          de vingt ans l'inutilité de la cure en sanatorium. Or la 
          France est un des seuls pays au monde à avoir maintenu des sanatoriums 
          en exercice. Outre la « nécessité économique » 
          des professionnels qui y travaillent et font pression pour le maintien 
          de cet appareil sanatorial qui les fait vivre, des pratiques se perpétuent 
          parmi les médecins, en particulier les pneumologues, qui prescrivent 
          encore à certains malades des séjours de longue durée 
          en sanatorium. Selon la Société française de pneumologie, ces 
          pratiques sont justifiées non pour des motifs d'ordre médical, 
          mais pour des « considérations d'ordre médico-social » 
          (1984). Parmi celles-ci figurent en particulier le fait d'être 
          immigré. La répartition sociodémographique des cas de tuberculose 
          met en évidence d'importantes disparités selon la catégorie 
          socioprofessionnelle et la nationalité. La sur-représentation des ouvriers non qualifiés, des 
          chômeurs et des non assurés sociaux parmi les malades montre 
          que la relation pauvreté/tuberculose demeure d'une criante actualité 
          dans la société française de la fin du XXème 
          siècle. Les disparités selon les nationalités font surgir la 
          question centrale de la maladie « importée » 
          ou « produite ». Les données recueillies 
          dans l'étude au regard de l'ancienneté d'immigration (celle-ci 
          est en moyenne de huit ans) écarte la première hypothèse. 
          L'immigration la plus récente concerne une minorité de 
          malades (réfugies du sud-est asiatique, certains Maliens). Les 
          malades maliens arrivés entre 1962 et 1984, sont tous des hommes 
          jeunes (20-30 ans) et vivent pour 85 % d'entre eux en habitat collectif, 
          le plus souvent surpeuplé (Montreuil est la « deuxième 
          ville malienne » après Bamako). Les réfugiés 
          du sud-est asiatique, hébergés dans deux centres d'accueil 
          (Vaujours, Noisy-le-Sec) arrivent pour la plupart de camps de réfugiés 
          dans lesquels les conditions de vie étaient particulièrement 
          dures. Les Algériens, qui représentent 23 % des malades 
          d'origine étrangère sont d'immigration beaucoup plus ancienne 
          et dispersée dans le temps : 21 % des malades algériens 
          sont nés en Île-de-France, 18 % sont arrivés 
          en France après 1971, 55 % entre 1945 et 1970 et 6 % 
          avant 1945. En revanche, deux facteurs jouent un rôle déterminant 
          dans la survenue de la tuberculose. En premier lieu intervient la contamination 
          dont le principal foyer est le domicile du malade, surtout si 
          le taux d'occupation par pièce est élevé. C'est 
          le cas des malades résidant en habitat collectif. Mais il faut 
          aussi rappeler qu'au recensement de 1982, l'indice de peuplement en 
          Seine Saint-Denis fait état de 24 % de logements surpeuplés. Le deuxième facteur important dans la genèse de la maladie 
          est l'état des défenses immunitaires de l'individu. 
          Contaminée par le bacille de Koch, une personne en bonne santé 
          pourra « virer sa cuti » sans avoir la tuberculose. 
          En revanche, celle-ci se déclarera si le malade atteint est en 
          état de moindre défense. C'est le cas de tous ceux qui, 
          pour des raisons diverses, ont de mauvaises conditions de santé. Pour certains malades, la tuberculose apparaît au terme d'un 
          long processus d'atteintes à la santé ou d'épuisement 
          lié aux conditions de vie et de travail. C'est en particulier 
          le cas d'ouvriers algériens ou marocains, occupant en France 
          depuis de longues années des emplois non qualifiés, pénibles 
          et souvent insalubres. L'histoire de M. Irzit, cinquante et un 
          ans, d'origine marocaine, illustre ce processus. Il habite seul dans 
          une chambre vétuste, en immeuble. « Je suis arrivé en France en 1957. J'ai travaillé 
          chez Renault, puis Chausson. Maintenant, je suis cariste chez X... (entreprise 
          sous-traitante de manutention). Ma femme est au Maroc, dans le Sud et 
          j'ai six enfants. Je vais tous les ans là-bas. Mais là-bas, 
          il n'y a pas de pluie, pas de culture, un peu d'élevage. Depuis 
          quatorze ans, il ne pleut pas... Depuis plus de trois ans, j'étais malade. Au commencement, 
          j'avais mal au ventre et aux reins. Il m'arrivait d'être toujours 
          fatigué. J'ai un travail très dur comme cariste, très 
          dur... tout le monde m'appelle, je suis toujours debout, 8  par 
          jour. J'ai une sonnerie (bip, bip), ils m'appellent tout le temps. Avant, 
          quand j'avais mal au ventre, j'ai été opéré 
          de l'appendicite. Et puis une fois, le travail, c'est très très 
          dur. J'ai toujours, toujours mal, je fais un grand effort pour travailler. 
          Et puis cette fois là, j'ai fait un malaise. Après, j'étais 
          très fatigué. J'allais, obligé, au boulot. Et le 
          médecin, il n'a pas trouvé ma maladie.  Une fois, j'ai travaillé à l'usine jusqu'à 
          midi et je suis avec mon camarade à manger ma gamelle. Je ne 
          peux pas me lever, j'ai un malaise. Ils m'ont transporté à 
          l'hôpital Bichat. Je suis resté vingt-six jours comme ça 
          à l'hôpital... quatre piqûres par jour pendant vingt-six 
          jours. Puis je suis resté quinze jours chez moi. Je suis retourné 
          travailler mais j'ai toujours mal partout. Le médecin m'a envoyé 
          au spécialiste. J'ai mal à l'oreille droite. J'ai toujours 
          du bruit dans ma tête parce qu'à l'usine, il y a beaucoup 
          de bruit. Après, j'ai arrêté quinze jours le travail. 
          Je rentre le 7 août 1983. Le chef m'a dit : « Il 
          faut prendre des vacances ». Je suis parti, toujours malade. 
           Quand je rentre, le médecin (du travail) me dit : 
          « Il faut prendre des médicaments ; il ne faut 
          pas continuer cariste ». Il a dit à mon contremaître 
          de chercher une autre place. Je décharge des caisses dehors. 
          Alors là, j'ai très froid, il y a beaucoup de courant 
          d'air. Le 21 décembre, à l'usine, il y a une semaine 
          de chômage technique. Je me dis que peut-être cela va aller 
          mieux.  Mais peu à peu, ma maladie augmente jusqu'au 2 janvier. 
          Le docteur me donne des médicaments pendant quinze jours. J'ai 
          mal aux reins, je ne peux pas bouger. Je ne peux pas manger. Je retourne 
          au docteur, il m'envoie à la clinique, j'ai très mal là 
          (au niveau de l'estomac), je ne peux pas marcher, j'ai 39° de fièvre. 
          Ils me font un tubage à l'estomac. Rien. Après, je retourne 
          au docteur qui m'envoie passer une radio. Là, la dame me dit : 
          « Il faut aller tout de suite à l'hôpital Beaujon. » 
          Et voilà. Je suis resté quatorze jours à l'hôpital, 
          puis ils m'ont envoyé au sanatorium (huit mois). Le docteur 
          dit que maintenant les poumons ça va bien. Mais moi, je me 
          sens pas vraiment bien, et quand je monte l'escalier, je suis très 
          essoufflé ». Cet itinéraire, au cours duquel se conjuguent pénibilité 
          du travail et genèse de la maladie, illustre les « mécanismes 
          sociaux de l'usure », dont parle F. Cribier [3]. 
          D'autres histoires pourraient être rapportées qui illustrent 
          ces mêmes mécanismes. Dans le cas de ces travailleurs venus 
          d'ailleurs, de multiples facteurs socio-économiques (conditions 
          de vie et de travail) et socioculturels (isolement, séparation 
          familiale, difficultés face aux multiples démarches administratives 
          nécessaires à la vie en France, incompréhension 
          linguistique) peuvent contribuer à ce processus d'usure dont 
          la tuberculose devient le symptôme. Le traitement antibiotique de la tuberculose permet de faire disparaître 
          les symptômes en quelques semaines. Cela signifie qu'après 
          cinq à six semaines de traitement, le malade ne se sent plus 
          malade, même s'il doit impérativement continuer à 
          prendre des médicaments pendant plusieurs mois pour assurer sa 
          guérison. Dans l'accès au diagnostic, on observe des différences 
          selon la nationalité des malades, tant dans les premiers symptômes 
          ressentis que dans le choix de la première structure de soins 
          à laquelle ils se sont adressés. Les malades français 
          consultent dès l'apparition de symptômes précoces 
          non spécifiques tandis que les malades d'origine étrangère, 
          en particulier lorsqu'ils sont issus de groupes socio-économiques 
          très défavorisés, sont amenés à consulter 
          seulement en présence de symptômes aigus et souvent en 
          situation d'urgence. De ce fait, la suspicion du diagnostic de tuberculose 
          est posée plus rapidement quand il s'agit d'un malade étranger 
          amené à l'hôpital et présentant des symptômes 
          aigus que lorsqu'un médecin généraliste se trouve 
          en présence de symptômes peu différenciés 
          chez un malade français. La décision de départ au sanatorium n'est pas un choix 
          des malades mais une décision sans appel du médecin et/ou 
          de l'assistante sociale, décision souvent appuyée, pour 
          convaincre le malade, sur l'argument de la contagion : « Quand ils m'ont dit que c'est une maladie contagieuse, 
          j'ai pas voulu prendre de risque. Et puis le petit est toujours après 
          moi. C'est surtout à l'hôpital, ils m'ont isolé 
          et ils m'ont foutu la trouille. Le docteur, à T., il m'a 
          dit : « votre maladie n'est plus contagieuse trois jours 
          après le traitement ». J'ai demandé : « alors 
          qu'est ce que je fais là ? ». Il m'a dit : 
          « c'est par sécurité » (M. Y., 
          34 ans, Algérien). Certains expriment leur préférence pour un traitement 
          ambulatoire qui leur permet de rester chez eux : « Moi, j'ai dit : « faut me laisser les 
          comprimés, je vais les prendre les comprimés ». 
          Mais ils n'ont pas confiance » (M. T., 30 ans, 
          Malien). Le temps de séjour au sanatorium a toujours été 
          plus long que ce qui avait été annoncé au malade 
          avant son départ : « L'assistante sociale a dit : « Tu restes 
          là-bas deux mois », et moi je suis resté cinq 
          mois. Je ne sais pas pourquoi » (M. T. 24 ans, 
          Malien). « Vous allez à B. pour vous reposer pendant un 
          mois... N'importe comment, à tous ceux qui sont à B., 
          ils disent ça les toubibs, et puis une fois qu'on y est, ils 
          vous gardent. Dans l'ensemble, les gens veulent sortir et ce qu'on dit 
          là bas, c'est que les médecins gardent les gens pour se 
          faire des ronds ». (M. W., 43 ans, Français 
          originaire de Martinique). Le temps du sanatorium est un temps mort, un temps vide dans un environnement 
          perçu comme indifférent sinon hostile : « On fait rien, on reste là-bas sans rien faire, 
          seulement prendre les médicaments et c'est tout, on reste là 
          c'est tout. Si j'ai envie de sortir, ils me donnent un petit papier. 
          Il n'y a pas d'occupation. Seulement il faut descendre le matin à 
          six heures chercher les comprimés. On les prend et après, 
          il n'y a rien à faire de la journée ». (M. T., 
          24 ans, Malien). « On joue au flipper, on va se promener, y'a rien à 
          faire. À partir de 10 heures (du soir) il faut que tout le monde 
          dorme. On va au café du village ». (M. S., 
          31 ans, Malien).« Dans une seule chambre on est déjà 
          cinq ; y en a qui fument, qui boivent, qui font du bruit, et puis 
          moi j'aime pas les Noirs et les Arabes. Je suis pas raciste... mais 
          enfin les gens se mettent à fumer, à boire, y a même 
          un type qui se baladait en état d'ivresse dans les couloirs. 
          Certains ne prennent pas les médicaments et il y a pas de contrôle. 
          Je ne faisais rien de toute la journée, les livres, les petites 
          balades dans les couloirs, la télévision, c'est tout » 
          (M. T. 31 ans, Français originaire de La Réunion). « Il n'y a aucune occupation, que la promenade, c'est 
          ce que je reproche, le manque d'ambiance. Les gens s'ennuient. C'est 
          devenu comme un hospice de vieillards. J'aurais aimé apprendre 
          quelque chose, un petit métier. Quand on est malade, c'est déjà 
          pas drôle, mais rien pour soutenir le moral. Et puis il y 
          a du bruit le soir, certains sont bourrés » (M. A.T., 
          56 ans, Algérien). D'une part cette situation conduit à d'importants surcoûts, 
          pour la sécurité sociale, la prise en charge financière 
          d'un malade envoyé en sanatorium étant 100 à 
          200 fois plus élevée que celle d'un malade traité 
          à domicile. D'autre part, le fait de privilégier la logique institutionnelle 
          dispense, en quelque sorte, les médecins hospitaliers d'un véritable 
          travail d'adaptation de la prise en charge à la diversité 
          socio-économique et socioculturelle des malades. Infantilisés 
          par le séjour en sanatorium, les plus défavorisés 
          d'entre eux, en particulier ceux d'origine étrangère, 
          sont les plus susceptibles d'abandonner le traitement avant terme, faute 
          d'information.  Enfin, cette logique institutionnelle marginalise les malades non assurés 
          sociaux (nombreux dans notre étude) puisque l'accès à 
          des soins remboursables leur est interdit. Leur précarité 
          justifierait une prise en charge institutionnelle leur permettant d'être 
          nourris et logés quelque temps pour pouvoir guérir. Paradoxalement, 
          ce sont les seuls malades à qui, pour raison économique, 
          le sanatorium n'est pas prescrit. Par ailleurs, certaines conséquences socio-économiques 
          sont directement liées d'une part aux formes de prise en charge, 
          d'autre part au statut du malade par rapport à l'emploi. Les 
          longs arrêts de travail se traduisent par d'importantes pertes 
          de salaire qui conduisent parfois le malade et sa famille à de 
          pénibles difficultés financières. Or ce sont principalement 
          les ouvriers non qualifiés qui partent le plus longtemps au sanatorium. Pour certains malades en situation de précarité, l'arrêt 
          de travail a eu pour conséquence la perte d'emploi : ainsi 
          un malade malien âgé de 25 ans a perdu son emploi 
          pour la deuxième fois lors d'une rechute de tuberculose. Il connaissait 
          le traitement et voulait le prendre chez lui. Le médecin a refusé 
          et l'a envoyé au sanatorium. Il y a passé sept mois. Au 
          retour, l'entreprise de nettoyage a refusé de le reprendre. En outre, des décisions d'inaptitude pour tuberculose, après 
          la guérison, de la part de médecins du travail, sont également 
          citées comme obstacle à une nouvelle embauche. D'autres conséquences atteignent l'équilibre familial 
          (mères de famille dont les enfants ont dû être placés 
          en institution), ou se traduisent par une rupture d'autonomie (personnes 
          âgées qui, une fois hospitalisées, n'ont pu rentrer 
          chez elles). Enfin, chez ceux qui ne se sont jamais sentis malades, dont la maladie 
          a été dépistée sur clichés radiologiques 
          sans qu'ils ne présentent aucun symptôme, le séjour 
          en sanatorium engendre un sentiment durable de très grande vulnérabilité 
          et la peur d'une rechute : « Les médecins, ils insinuent qu'il vous reste 
          une espèce de fragilité, qu'on a quelque chose qui reste. 
          Je ne peux pas dire depuis quand je suis malade. Ca m'a beaucoup surprise 
          d'apprendre que j'avais cette maladie. Elle a été suspectée 
          au cours d'un dépistage radiologique annuel. Je ne me suis jamais 
          sentie malade, mais je me suis fait beaucoup de souci surtout que le 
          médecin s'est vraiment appesanti ». (Mme H., 
          29 ans, Algérienne, secrétaire médicale). De manière générale, les malades rencontrés 
          se plaignent de ne recevoir, de la part des médecins, que peu 
          ou pas d'information concrète sur les mécanismes de la 
          maladie, du traitement et de la guérison. Une jeune femme algérienne, née en France, butte, sans 
          recours, sur l'incompréhensible :  « Au cours de ma grossesse, on m'a fait passer une radio 
          obligatoire. J'avais passé la radio au 7e mois de grossesse. 
          Ils ont attendu la visite du 8e mois pour me le dire. Ils m'ont dit 
          d'aller voir le pneumologue au dispensaire. Là, ils m'ont dit 
          que je devais immédiatement me faire hospitaliser au sanatorium [...]. 
          Je ne comprenais rien. J'ai demandé des explications, je me sentais 
          très bien, pas du tout malade [4] ! Comment avais-je pu l'attraper cette maladie ! 
          Comment ? Au contact d'autres gens ? Je n'ai jamais très 
          bien compris. Ils m'ont dit que les Africains, les Maghrébins, 
          les Asiatiques sont plus sensibles à la tuberculose que les Français... 
          c'est vrai ça ? Ils m'ont dit que ma tuberculose peut revenir 
          comme ça un jour.  « Quand je suis sortie du sanatorium, ils m'ont dit d'aller 
          voir le gynécologue pour me faire mettre un stérilet, 
          qu'il fallait surtout pas que je sois enceinte à nouveau avant 
          quatre ou cinq ans. Le médecin m'a dit que c'était la 
          grossesse qui m'avait provoqué la tuberculose. Cela nous inquiète 
          beaucoup mon mari et moi... » (Mme M., Algérienne, 
          25 ans). La plupart des malades savent seulement qu'ils ont une « maladie 
          des poumons ». Français et Algériens disent 
          avoir entendu parler de la tuberculose, à l'école ou par 
          les médias. Les Marocains y voient « la silicose + 
          une tâche au poumon » (cette représentation est 
          probablement liée pour nombre d'entre eux à leur expérience 
          de mineur). Les Maliens et les Sénégalais, pour la plupart, 
          « se sentent malades » sans savoir quelle est la 
          maladie dont ils souffrent. En dépit de la diversité des malades atteints de tuberculose, 
          la représentation qu'en ont les médecins apparaît 
          focalisée autour de trois portraits-type :  
           le tuberculeux « Nord-Africain » ou « Africain 
            noir », 
           l'éthylique ou le fou sans domicile fixe, 
           les vieux. 
         Ces trois groupes de malades ont, aux yeux des médecins, des 
          caractéristiques communes dont certaines formes de déviance 
          et leur incapacité à prendre correctement leur traitement 
          de façon autonome. Ces portraits-type, représentations 
          dominantes des malades tuberculeux, justifient la prescription du séjour 
          en sanatorium. Ainsi, aux yeux des médecins, la tuberculose apparaît 
          toujours comme le signe d'une certaine marginalité sociale, ce 
          qui rend nécessaire, selon eux, au nom des « considérations 
          médico-sociales », un séjour en sanatorium qui 
          relève alors d'un contrôle social quasi coercitif surtout 
          lorsqu'il tend à devenir une mesure destinée préférentiellement 
          sinon exclusivement aux malades d'origine étrangère. 
 
 
         La situation décrite n'est pas, nous le savons, limitée 
          à la Seine Saint-Denis. Il existe une contradiction entre cette inertie institutionnelle très 
          forte que symbolise la cure sanatoriale et l'exclusion des soins pour 
          de nombreux malades non assurés sociaux. Les conditions de prise 
          en charge de 103 d'entre eux, ont été étudiées 
          à partir de l'expérience d'un dispensaire de soins gratuits 
          de Médecins du Monde après diagnostic par des structures 
          publiques de santé. La plupart des malades ont reçu par 
          Médecins du Monde quinze jours de traitement gratuit puis 
          ont été perdus de vue. La gratuité effective d'un 
          traitement ambulatoire antituberculeux dans les structures publiques 
          de santé serait une réponse. Mais ces patients, dont l'histoire 
          personnelle et « médicale » est souvent complexe 
          et difficile à comprendre, justifieraient d'une attention plus 
          grande et plus individualisée que la moyenne des malades.  C'est l'inverse qui se produit en raison d'une méconnaissance, 
          par les médecins, de cette histoire. Plus que les malades français, 
          les malades d'origine étrangère sont pris dans des filières 
          institutionnelles qui empêchent pour eux toute possibilité 
          de choix. Les dernières recommandations du Haut-Conseil à l'Intégration, 
          concernant l'exigence du titre de séjour pour bénéficier 
          des soins, ne vont-elles pas faire obstacle encore davantage à 
          une prise en charge efficiente des malades étrangers, non seulement 
          lorsqu'ils sont atteints de tuberculose, mais de toute autre maladie ? 
 
 
          
           
            Chauvenet A., Médecine au choix, médecin 
              de classe, PUF, 1978.
 
 Cottereau A. « La tuberculose : maladie urbaine 
              ou maladie de l'usure au travail ? Critique d'une épidémiologie 
              officielle : le cas de Paris », Sociologie du 
              Travail, avril-juin 1978, 192-225.
 
« La tuberculose en 1987 et évolution des années 
              antérieures », Rapport du Service Central de 
              la Tuberculose en Seine Saint-Denis, Bondy, 1988.
 
Lepetit C., Thébaud-Mony A., Grosset J., 
              « La tuberculose en Seine-Saint-Denis. les cas mis au 
              traitement en 1984 », Rev. Mal. Resp. , 
              1988, 5, 129-136.
 
Lepetit C., Thébaud-Mony A. « Tuberculose 
              respiratoire en Seine Saint-Denis : résultats du traitement », 
              Rev. Mal. Resp. , 6, 451-456.
 
Société de Pneumologie de langue française. 
              (1984). « Recommandations pour le traitement de la tuberculose 
              en France », Rev. Mal. Resp. , 1984, 
              1, 59-62.
 
Thébaud-Mony A., Lepetit C. « Les filières 
              de soins des nouveaux cas de tuberculose respiratoire en Seine-Saint 
              Denis en 1984-1986 », Revue d'épidémiologie 
              et de Santé Publique, 37, 327-335. 
 
 
           Notes[1] Ce texte s'appuie sur 
          les résultats d'une recherche faite par l'équipe ISIS 
          en 1984-88, concernant la prise en charge des 578 malades tuberculeux 
          mis au traitement au cours de l'année 1984 dans le département 
          de la Seine Saint-Denis. Nous avons étudié les filières 
          de soins et le vécu du traitement par les malades, et interviewé 
          des médecins. [2] Thébaud-Mony A., 
          « Besoins de santé et politique de santé ». 
          Thèse pour le doctorat d'État, Paris V Sorbonne, 
          1980. Cf. sur ce point le paragraphe concernant l'action sanitaire internationale 
          avant la première guerre mondiale, p. 21-24. [3] Cribier F., « Itinéraires 
          professionnels et usure au travail : une génération 
          de salariés parisiens », Le Mouvement social, juillet-septembre 
          1983, 124. [4] En France, le dépistage 
          radiologique peut conduire à l'identification d'anomalies à 
          la radio sans aucun symptôme. En l'absence de vérification 
          bactériologique de la présence du bacille tuberculeux, 
          il est très difficile de savoir s'ils s'agit véritablement 
          ou non d'une tuberculose active.  
 
           
            Dernière mise à jour : 
             31-07-2001  11:18.  Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/14/tuberculose.html
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