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 Plein Droit n° 18-19, octobre 
  1992 
  « Droit d'asile : 
  suite et... fin ? » 
        Jean-Pierre Alaux 
        C'est le 16 juin que S. D., un jeune Kurde, bénéficie 
          d'un entretien à l'OFPRA devant un officier de protection. Ancien 
          participant à la longue grève parisienne de la faim des 
          déboutés (janvier-mars 1992), il a ainsi arraché 
          le droit d'être enfin entendu. Lors de sa première demande 
          d'asile, il ne l'avait pas été. Au terme de ce qu'il faut 
          bien appeler un interrogatoire, il sera débouté une nouvelle 
          fois. Aucun de ses camarades n'obtiendra d'ailleurs le statut de réfugié. 
        Dans le petit box propret qui fait penser à un aquarium, l'officier 
          de protection et le traducteur s'installent d'un côté du 
          bureau, tandis que S. D. et son témoin  exceptionnellement 
          toléré pour les grévistes de la faim  
          s'asseyent de l'autre. S. D. est invité à résumer 
          son histoire en Turquie. Le traducteur... traduit. 
         « Parlez moins fort. Vous faites trop de bruit », 
          exige soudain l'officier de protection qui, depuis le début du 
          monologue, exprime muettement quelque agacement. 
        S. D. raconte, avec émotion, son arrestation par les autorités 
          turques alors que, « gardien de village » recruté 
          d'office, il a constaté la disparition de l'arme qu'on lui avait 
          confiée. 
         « Et on ne vous garde que quinze jours en 
          prison pour ça ? », commente l'officier de 
          protection. 
        S. D. perd un peu de son sang froid devant les sarcasmes de son 
          interlocuteur. Il raconte alors qu'il se réfugie à Istanbul 
          et s'y procure un passeport. 
         « Naturellement, c'était avec l'intention 
          de rester en Turquie », ironise l'officier de protection. 
        S. D. s'efforce de garder son calme. De plus en plus souvent, 
          le traducteur est interrompu par un « ça va, j'ai compris », 
          avant qu'il ait terminé. L'officier opère désormais 
          par interrogations sans écouter les réponses jusqu'au 
          bout. 
        La narration se poursuit. S. D. finit par s'enfuir de Turquie 
          en direction de la France. Le voyage dure vingt jours dans un camion 
          où une cachette a été aménagée au 
          milieu des marchandises. 
         « Et vous êtes donc resté caché 
          trois semaines là-dedans ? Je ne vois pas comment vous avez 
          pu voyager dans ces conditions », juge l'officier de protection. 
          Puis, expert en fuites clandestines : « On contrôle 
          toujours les marchandises ! ». 
         S. D. explique que, plusieurs fois, le chauffeur l'a 
          fait descendre. Qu'il a même dû marcher, parfois de nuit, 
          en forêt. Il montre une cicatrice au front, la marque d'une branche 
          qui l'a blessé dans ces conditions. « Oui, oui, 
          moi, je m'en fais tous les jours des comme ça », 
          s'entend-il répliquer aussitôt. 
         « Est-ce que vous travaillez ? », 
          lui demande, pour finir, l'officier de protection qui n'ignore rien 
          de sa situation de clandestin. « Sans doute avez-vous essayé 
          de vous faire régulariser, n'est-ce pas ? Votre employeur 
          aurait pu le faire, vous savez ? ». A bon entendeur... 
        Le même jour, un autre jeune débouté kurde, H. A., 
          bénéficie également d'un entretien à l'Ofpra 
          dans les mêmes conditions. Un officier de protection différent, 
          qui parle le turc, écoutera son histoire avec beaucoup d'attention 
          et de neutralité, faisant l'impossible pour le mettre en confiance 
          et saisir la cohérence d'un histoire proche de la précédente. 
          On sent bien, à l'issue de l'entretien, que la précision 
          de H. A., comparable à celle de S. D., a eu, cette 
          fois, quelque pouvoir de conviction. La réponse de l'Ofpra n'en 
          sera pas moins négative, deux semaines plus tard environ. Il 
          est vrai que les officiers de protection qui assurent les entretiens 
          peuvent être contredits par leur hiérarchie. 
        
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             14-02-2001  19:48.   
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