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 Plein Droit n° 18-19, octobre 
  1992 
  « Droit d'asile : 
  suite et... fin ? » 
PAYS 
  D'EXIL : SRI-LANKA 
        Conclusions originelles de la mission d'enquête 
        
        De retour d'une mission d'enquête au Sri-Lanka, 
          organisée en décembre 1991, les quatre rapporteurs, 
          agents de l'Ofpra et du HCR, ont rédigé un rapport, classé 
          « confidentiel » (voir l'article« Duplicité 
de rapports de mission à l'Ofpra »), 
          dont on lira ci-dessous la conclusion (pages 48 à 50) à 
          peu près intégrale. L'avant-propos précise que 
          « les vues exprimées dans ce rapport reflètent 
          les opinions de leurs auteurs et ne sont pas nécessairement partagées 
          par le Haut Commissariat pour les réfugiés, les Nations 
          unies, l'OFPRA ou le Quai d'Orsay ». D'où, sans 
          doute, l'existence d'une version abrégée, imprimée 
          avec le sigle de l'Office, qui contredit presque totalement les analyses 
          originelles pourtant tirées d'observations sur le terrain [1]. 
        « La question des demandes d'asile tamoules fait actuellement 
          en Europe l'objet d'une controverse du fait même de la différence 
          de positionnement des divers pays. Mais, sans débat, le malentendu 
          remonte aux émeutes anti-tamoules de juillet 1983, à 
          la suite desquelles 70 000 tamouls fuient en Inde et plusieurs 
          milliers partent en Europe : les instances européennes gouvernementales 
          chargées de l'octroi du statut, par méconnaissance du 
          problème, laissent les politiques se mettre en place de manière 
          autonome, qui se solderont par un refus de protection statutaire. 
        » La difficulté à analyser le conflit sri-lankais 
          et sa durée possible, à obtenir des informations précises 
          sur l'ampleur des violations, l'augmentation rapide de la demande d'asile, 
          la complexité même des récits, la production de 
          faux documents, l'absence de passeport et de moyens de vérifier 
          le bien-fondé des allégations, la main-mise des filières, 
          ont conduit progressivement les pays occidentaux à conclure que 
          la majorité des demandeurs d'asile sri-lankais étaient 
          plutôt des migrants économiques et non des réfugiés. 
          L'OFPRA et la CRR n'ont pas échappé à cette tendance. 
        » Cependant, la pression des événements, 
          les rapports des ONG, notamment celles présentes sur le terrain, 
          l'analyse comparative des récits, l'origine géographique 
          des demandeurs faisaient apparaître qu'on ne pouvait réduire 
          cette demande au schéma habituel d'une migration économique. 
        » La mission est ainsi conduite à penser que ce 
          conflit qui, en d'autres temps, n'aurait provoqué que des mouvements 
          restreints de population, induit aujourd'hui de véritables migrations, 
          dont l'origine directe se trouve être les violations massives 
          des droits de l'homme, l'absence de solution durable au conflit et la 
          précarité des solutions d'asile interne ». 
        » Il est vrai que des préoccupations économiques 
          interviennent dans le choix des pays, mais on ne peut transformer 
          la nature de cet exil sous le seul prétexte que des populations, 
          contraintes de s'installer dans les districts plus calmes du sud de 
          l'île, préfèrent franchir les frontières 
          et s'installer en Europe plutôt qu'au Tamil Nadu indien, pourtant 
          plus proche géographiquement et culturellement. 
        » Outre les mesures de contrôle aux frontières 
          et l'accès à la procédure d'asile (...), la 
          question qui se pose aux organes chargés de reconnaître 
          le statut, reste l'application et l'interprétation de l'article 1 
          de la Convention de Genève [2]. 
        » Certes, d'aucuns peuvent penser que le flux de la demande 
          d'asile sri-lankaise mêle à des degrés variables 
          un minimum de « véritables victimes » de 
          persécutions selon une interprétation réductrice 
          de la Convention de Genève à une majorité de « migrants » 
          qui ne réunissent que très partiellement les critères 
          de crainte individualisée ou personnalisée de cette Convention. 
        » La mission est convaincue que si, dans le passé, 
          on a pu négliger de procéder à une analyse fondamentale 
          de la demande, compte tenu de son faible volume, il ne peut en être 
          de même aujourd'hui avec les effectifs de plusieurs dizaines de milliers 
          de personnes en France, ou de centaines de milliers en Europe. 
          Cette réflexion doit donc s'inscrire dans le cadre des débats 
          touchant à l'harmonisation européenne des politiques d'asile. 
        » Il nous semble, quant à nous, que la notion de 
          « protection de l'État » doit être 
          analysée différemment lorsque cet État mène 
          une politique de répression non sélective à l'encontre 
          d'une catégorie ou d'une proportion importante de sa population : 
          l'exigence d'éléments probants de la crainte de persécution 
          devient moindre dès lors que les données objectives font 
          apparaître les violations massives des droits d'une partie importante 
          de cette population. 
        » Certes, l'éligibilité au statut repose 
          sur l'examen de la situation individuelle de chaque demandeur d'asile 
          au regard des critères et des concepts dégagés 
          par la Convention de Genève. Mais il n'apparaît pas que 
          l'absence de craintes de persécutions individualisées 
          ou personnalisées doive entraîner le refus d'obtention 
          du statut dans le cas de violation massive des droits de l'homme visant 
          des catégories de population particulières : la Convention 
          de Genève doit être appliquée dans ces cas suffisamment 
          caractérisés eu égard à la politique menée 
          par un gouvernement à l'encontre d'une catégorie particulière 
          de sa population . 
        » Il est vrai qu'on ne peut, sans méconnaîtrde 
          l'économie de la Convention de Genève, renoncer à 
          l'analyse individuelle des cas. Chaque demande est, en effet, différente 
          et doit être analysée soigneusement en fonction des éléments 
          avancés par le demandeur : les agents concernés bâtissent 
          ainsi, en fonction de leur expérience et de leur connaissance 
          d'une multitude de cas particuliers, les critères objectifs qui 
          leur permettent par la suite de faire la distinction entre demandeur 
          d'asile « bona fide » et migrants. Ces concepts 
          ou ces notions juridiques abstraites ne prennent corps qu'assortis de 
          données sur les pays d'origine ; l'expérience acquise 
          sur les dossiers et les informations en provenance du pays d'origine 
          sont indispensables dans le traitement de la demande d'asile. 
        » Le taux de reconnaissance du statut de réfugié 
          aux demandeurs d'asile sri-lankais a augmenté en France au fur 
          et à mesure que l'instance administrative (Ofpra) diversifiait 
          et approfondissait ses sources d'information. La reconnaissance 
          du statut est aussi fonction aujourd'hui du suivi du conflit, de 
          la connaissance et de l'analyse des zones géographiques de provenance 
          des demandeurs, de leur itinéraire de sortie et de leur histoire 
          personnelle, des risques encourus en fonction de l'appartenance ethnique, 
          de l'âge, du sexe, etc. L'emploi de ces critères géographiques 
          et des degrés de probabilité de la persécution 
          n'a pas cependant diminé le taux d'annulations des décisions 
          de rejet prononcées par la juridiction de contrôle (CRR). 
        » Il y a lieu, en effet, de constater que si, en droit, 
          la juridiction de contrôle continue de procéder à 
          une approche individuelle de la requête, il semble qu'elle ne 
          méconnaisse pas, sur le plan de la preuve, le contexte général 
          dans lequel la demande est présentée, considérant 
          ainsi, à travers plusieurs décisions, que le fait que 
          des proches du requérant aient été victimes d'une 
          persécution suffisait, compte tenu de la situation générale 
          régnant dans le pays d'origine, à établir que le 
          requérant craignait, personnellement, de par son appartenance 
          à la communauté visée, la persécution . 
        » La formulation relative à l'exigence de craintes 
          personnelles de persécution ou de raisons personnelles n'exclurait 
          pas par principe que la simple appartenance à un groupe serait 
          à elle seule suffisante pour justifier, dans certaines circonstances, 
          la qualité de réfugié : si, dans des contextes 
          particuliers, la simple appartenance à un groupe peut justifier 
          l'admission au statut de réfugié, elle ne peut dispenser 
          cependant, sauf si la persécution est de notoriété 
          publique, de l'obligation de prouver que le groupe est ou risque d'être 
          persécuté, même si le concept de crainte de persécution 
          ne revêt pas alors nécessairement un caractère strictement 
          personnalisé. 
        » L'absence de possibilité d'un asile intérieur, 
          permettant une véritable protection et des conditions de vie 
          dignes dans le pays d'origine, les violations massives commises par 
          les autorités (mais aussi le JVP ou les LTTE), l'absence de garanties 
          judiciaires ou l'inefficacité du pouvoir judiciaire, les discriminations 
          effectives atteignant la population tamoule, victime de persécutions 
          en fonction de critères d'âge et de sexe, conduisent, selon 
          nous, à privilégier la mise en uvre d'une conception 
          objective ou objectivisée de la crainte de persécution, 
          conception justifiée non par des considérants personnalisés mais 
          par des critères objectivement individualisés, tenant 
          à la provenance géographique, l'appartenance ethnique 
          ou politique (dans le cas du JVP), d'âge et de sexe. Ces critères, 
          compte tenu des disparitions et des exactions commises, justifiant le 
          degré de crainte et le sérieux du risque de persécutions, 
          permettraient à l'administration de définir objectivement 
          les groupes à risque, en actualisant régulièrement 
          son appréciation. 
        » Il appartiendrait ainsi aux autorités compétentes 
          d'examiner si le requérant entre dans une de ces catégories 
          à risque. Dans un tel cas de figure, on en reviendrait à 
          une conception plus classique de la charge de la preuve qui serait alors 
          plus équitablement partagée entre autorités compétentes 
          et requérant. Autrement dit, tout individu qui ne semblerait 
          pas entrer dans ces catégories à risque, son récit 
          ne cadrant pas avec les éléments d'information recueillis 
          dans le pays d'origine par le biais des postes diplomatiques, des ONG 
          ou d'autres sources d'information, verrait alors son dossier étudié 
          selon une conception plus traditionnelle, c'est-à-dire plus subjective (...) ». 
          
        Notes
        [1] D'autres rapports de 
          mission récents confirment la situation catastrophique des droits 
          de l'homme au Sri-Lanka. Lire Amnesty International, Sri-Lanka : 
          le Nord-Est, violations des droits de l'homme en temps de conflit armé, 
          11 septembre 1991 ; Groupe de travail sur les disparitions 
          de la Commission des droits de l'homme des Nations unies (projet), Sri-Lanka, 
          Island of Refugees, octobre 1991. 
        [2] Cet article précise 
          que la Convention de Genève s'applique à « toute 
          personne craignant, avec raison, d'être persécutée 
          du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son 
          appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » 
          (NDLR).  
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             6-03-2001  19:34.   
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