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 Plein Droit n° 18-19, octobre 
  1992 
  « Droit d'asile : 
  suite et... fin ? » 
        André Jeanson  
        
        Premier secrétaire général de la 
          CFDT, puis président de cette confédération syndicale, 
          André Jeanson a été appelé à devenir 
          membre du comité de suivi institué par la circulaire du 
          23 juillet 1991 relative à la régularisation des 
          déboutés du droit d'asile. Il partageait cette mission 
          avec Jacques Monestier (ancien préfet), l'abbé Pierre 
          et Jacques Stewart (président de la Fédération 
          protestante). André Jeanson a présenté, le 11 juin 
          1992, son analyse du bilan de cette opération dans le cadre des 
          auditions publiques de« Droit d'asile : 
appel à témoins ». 
        
        Mon expérience de membre du comité de suivi du droit 
          d'asile inspire quelques observations et réflexions à 
          l'octogénaire que je suis, et pour lequel, probablement, c'est 
          la dernière expérience, peut-être de militant, en 
          tout cas de citoyen actif. 
        De ce que je puis dire, il y a de la part du gouvernement, au départ 
          de l'affaire des déboutés du droit d'asile, une intention 
          parfaitement louable. Quoi de plus légitime que de vouloir essayer 
          de régler, de régulariser le sort de quantité d'étrangers 
          dits clandestins ? Mais, par la suite, immédiatement, on 
          assiste à une détérioration, d'abord au niveau 
          de la formulation de cette intention dans les textes. C'est la fameuse 
          circulaire de l'été 1991. Cette circulaire a été 
          le résultat d'une confrontation, qui a dû être vive 
          souvent, entre ceux qui auraient, pour caricaturer un peu les choses, 
          une visée humanitaire de justice sociale, de respect des droits 
          de l'homme  incarnée par le ministère des Affaires 
          sociales  et, d'autre part, une visée sécuritaire 
          étroite et, surtout, la crainte de fournir des armes à 
          la propagande d'extrême droite. C'est de cette confrontation qu'est 
          sortie la circulaire du 23 juillet 1991 avec, bien sûr, la 
          prédominance de la visée sécuritaire sur la visée 
          humanitaire. 
        On était donc déjà très loin, avec la circulaire, 
          de l'intention première. On va l'être encore davantage 
          dans sa mise en uvre. D'abord, en ne mettant pas, à la 
          mesure de l'enjeu qu'elle représentait, même dans ses formules 
          restrictives, les moyens nécessaires à une exploitation 
          pleine et entière. On a vu nombre de préfectures, parmi 
          les plus sollicitées, faire appel à un personnel peu qualifié, 
          peu formé, et organiser des lieux d'accueil dans des conditions 
          le plus souvent déplorables. 
        
        Au niveau des deux ministères intéressés  l'Intérieur 
          et les Affaires sociales , on a vu la circulaire, pour son 
          exécution, être mise entre les mains d'un ou deux fonctionnaires 
          seulement, qui surajoutaient ce dossier à leur compétence 
          régulière. L'un d'eux me disait encore récemment 
          (le malheureux se sentait un peu tout seul aux Affaires sociales) qu'il 
          avait encore aujourd'hui, en juin 1992, 2000 dossiers de recours 
          sur son bureau. 
        Au niveau du comité de suivi lui-même, le secrétariat 
          était assuré par des fonctionnaires qui, dans le ministère, 
          traitaient les dossiers. D'une certaine façon, c'était 
          plus rapide parce qu'un recours arrivant au comité de suivi était 
          immédiatement, et pour cause, entre les mains du fonctionnaire 
          intéressé, mais nous n'avions aucune possibilité 
          de les contrôler. Donc détérioration supplémentaire. 
        Une autre cause de détérioration dans l'exécution 
          des procédures, c'est la persistance du conflit entre les visées 
          humanitaires et les visées sécuritaires qu'on retrouve, 
          à tous les instants, dans les discussions entre les deux ministères 
          intéressés. Par exemple, récemment encore, des 
          recours régularisés du côté des Affaires 
          sociales étaient remis en cause par l'Intérieur, sous 
          prétexte que, normalement, quand un débouté voit 
          sa demande reprise positivement, la régularisation interviendra 
          pour lui et pour sa famille. L'Intérieur, lui, met dans certains 
          cas en cause le regroupement familial sous prétexte qu'il n'est 
          pas, peut-être, parfaitement légal. Dans ces dysfonctionnements, 
          cette rigidité du ministère est encore une source de paralysie 
          et d'incohérence. 
         C'est aussi le dysfonctionnement entre l'administration centrale  l'échelon 
          ministériel  et l'échelon local  l'échelon 
          préfectoral. La procédure s'avère lourde. Quand 
          un préfet, en première instance, a réglé 
          négativement un dossier, l'intéressé ou l'association 
          qui le soutient ont recours au ministère, lequel ministère 
          l'étudie. Mais, dans l'hypothèse où il estime que 
          ce dossier doit recevoir une solution positive, ce n'est pas le ministre 
          qui prend la décision ; c'est le préfet qui la prendra. 
          Le ministère émet une simple recommandation auprès 
          de la préfecture pour lui demander d'avoir la gentillesse de 
          donner une suite positive. 
        On comprend qu'un préfet, qui a dit non hier, ne soit pas très 
          content de dire oui le lendemain et, si possible, il évite de 
          le faire. Donc dysfonctionnement à tous les niveaux. Il ne faut 
          pas s'étonner si, aujourd'hui, sur les cinquante et quelque mille 
          dossiers présentés, il y en a encore quelques milliers 
          qui ne sont pas réglés. 
        Mais, ce que je voudrais surtout vous dire, c'est que je constate qu'on 
          se trouve en face d'un problème fondamental qui dépasse 
          de loin le contenu de la circulaire de juillet. C'est un problème 
          qui n'est pas nouveau, mais qui permet de vérifier les vices 
          dans notre législation actuelle en matière d'immigration 
          et de droit d'asile. 
        À l'occasion du colloque de l'Ofpra, ce matin, j'ai entendu, 
          de la part d'un membre du gouvernement, un discours dithyrambique sur 
          la qualité irréprochable de l'Office. J'ai même 
          entendu le ministre dire, en félicitant les fonctionnaires de 
          l'Ofpra de leur travail, qu'ils avaient du courage de renoncer au droit 
          à l'erreur. Je ne mets pas en cause les fonctionnaires de l'Ofpra. 
        Si vous lisez les documents qui sortent de l'Ofpra, vous êtes 
          émerveillés : par la façon dont c'est organisé 
          et par le sérieux avec lequel les dossiers sont traités. 
          Officiellement, il en est ainsi. Seulement, dans le privé, vous 
          pouvez entendre de hauts fonctionnaires vous dire que, quand les dossiers 
          leur arrivent de l'Ofpra, ils sont quelquefois stupéfaits de 
          la légèreté avec laquelle certains ont été 
          étudiés. C'est une structure qui est emprisonnée 
          dans une législation très contraignante et dans des habitudes 
          qui font que, même si elle avait résolu d'agir autrement, 
          elle ne peut fabriquer que des clandestins. C'est dans sa nature. Ce 
          qui veut dire que nous n'en sortirons que si on a le courage de remettre 
          en cause l'ensemble de la politique française de l'immigration. 
          Il s'agit en somme de savoir, de préciser comment les Français 
          veulent recevoir les étrangers qui frappent à leur porte 
          et quelle vie ils veulent leur donner. 
        
        On n'en sortira pas tant que, pratiquement, la seule façon pour 
          un étranger de venir en France, c'est de demander le statut de 
          réfugié politique ou de passer par le regroupement familial. 
          Mais on vous parle aujourd'hui de détournement de procédure. 
          On n'a plus que cette expression à la bouche. 
        Dans ces circonstances, l'essentiel, c'est qu'un débat public 
          s'engage à l'initiative de l'État. Dans ce débat, 
          tous les aspects de la présence de résidents étrangers 
          en France et des raisons qui les poussent à venir devront être 
          examinés. 
        Sur les 50 000 demandes de régularisation de déboutés, 
          mettons  même si l'on ne le dit pas officiellement  
          qu'on arrive à 17 000 accords. Je ne vois pas très 
          bien les autorités administratives passer brutalement à 
          une mise en place de reconduites à la frontière. Il faudrait 
          mobiliser une véritable flotte aérienne. J'aurais plutôt 
          tendance à croire que les déboutés vont rester 
          ou redevenir des clandestins. Avec cette nouveauté, qu'ils sont maintenant 
          répertoriés, reconnus et, de ce fait, à la disposition 
          d'une autorité administrative qui, selon les circonstances  parce 
          qu'il y aura eu un incident ou une crainte ici ou là  
          pourra (passez-moi l'expression) procéder à certains « délestages » 
          dans cette population. 
        En conclusion, il me faut rappeler qu'il a fallu une sacrée 
          mobilisation associative pour qu'on connaisse, dans les années 
          80, une première opération de régularisation ; 
          il a fallu encore une grosse mobilisation en 1991 pour obtenir la fameuse 
          circulaire sur les déboutés. Et bien, il faut continuer 
          la mobilisation des organisations et des associations soucieuses des 
          droits de l'homme pour faire bouger les pouvoirs publics. C'est donc 
          à un appel à la continuation de la mobilisation que je 
          vous invite aujourd'hui. 
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             12-02-2001  12:43.   
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