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 Plein Droit n° 18-19, octobre 
  1992 
  « Droit d'asile : 
  suite et... fin ? » 
PAYS 
  D'EXIL : ZAÏRE 
        Jean-François Ploquin 
        1ère partie | 
          2ème partie 
        Ce travail a été rendu possible par une 
          approche quotidienne des demandeurs d'asile zaïrois et de la réalité 
          zaïroise dans le cadre d'une action coordonnée au sein de 
          trois associations : la CIMADE (poste de Lyon), le CRARDDA (Comité 
          rhodanien d'accueil des réfugiés et de défense 
          du droit d'asile) et le Comité Zaïre information (COZI). 
          En février dernier, un séjour de deux semaines à 
          Kinshasa en compagnie de Jean Costil (Cimade) et de Michel Deprost (Le 
          Progrès) a été l'occasion de découvrir, 
          vérifier, modifier ou infirmer un certain nombre d'analyses. 
          Les pages qui suivent se réfèrent donc à une triple 
          source : la rencontre des demandeurs d'asile zaïrois, plusieurs 
          brèves expériences sur le terrain et un suivi régulier 
          de l'actualité zaïroise. Nicole Thivard, étudiante 
          à l'Institut des droits de l'homme de Lyon et stagiaire à 
          la Cimade à Lyon, a également contribué à 
          l'étude des dossiers examinés. 
        
        L'extraordinaire complexité de la situation zaïroise explique 
          mieux que d'autres la difficulté inhérente à l'examen 
          des demandes d'asile. Le règne de la débrouillardise, 
          qui s'y substitue souvent à l'état de droit, la sinuosité 
          des chemins de l'exil, l'interprétation de la répression 
          et de la pauvreté multiplient les risques de jugements simplistes. 
        En 1991, le Zaïre représente 26 % de la demande d'asile 
          africaine  plus d'un demandeur africain sur 4  
          avec 4 260 demandes sur 16 172. Il arrive bon premier 
          de ce continent devant le Mali (3 218) et l'Angola (1 638), 
          l'Afrique arrivant elle-même avant les autres continents. Au total, 
          le Zaïre représente 9,1 % de la demande d'asile en 
          France, arrivant ainsi en deuxième position derrière la 
          Turquie (21 % des demandeurs) [1]. 
        Si le Zaïre arrive également en tête du continent 
          africain en valeur absolue avec 33 % des 2 258 accords (c'est-à-dire 
          statuts de réfugiés accordés), il ne représente 
          plus que 4,6 % des 16 112 accords délivrés pour 
          tous les pays en 1991.  
        Certes, les chiffres des demandes et des accords pour une même 
          année ne peuvent être immédiatement rapprochés, 
          en raison du décalage de temps existant entre le dépôt 
          d'une demande et son traitement. On peut toutefois faire les trois observations 
          suivantes : la demande d'asile zaïroise est massive (355 dossiers 
          par mois en 1991, soit 82 dossiers par semaine). Il s'agit là 
          d'une tendance lourde : plus de 31 000 Zaïrois ont 
          demandé l'asile en France entre 1983 et 1991 [2] ; 
          en 1991, un réfugié statutaire africain sur trois est 
          zaïrois [3]. Rapporté à l'ensemble de la demande 
          d'asile, le taux d'acceptation apparaît pour les Zaïrois 
          deux fois moindre que la moyenne, ce qui est confirmé par les 
          statistiques des années 1987 à 1991 : 3,9 % 
          des demandes d'asile déposées pendant cette période 
          ont fait l'objet d'un accord [4]. 
        Voir le tableau « La 
          demande d'asile zaïroise en France  
          par rapport aux autres pays » 
        La demande d'asile zaïroise a régulièrement crû 
          d'une année sur l'autre depuis 1984 jusqu'en 1989. Cette augmentation 
          (demande multipliée par six) est-elle liée à une 
          augmentation proportionnelle du nombre de personnes persécutées 
          au Zaïre ? Nous ne le pensons pas. Par contre, la situation 
          économique qui n'a cessé d'empirer durant la même 
          période, n'est pas sans influence sur cet exode. 
        
        Peut-on expliquer les variations du nombre de demandes d'asile par 
          une corrélation entre des persécutions frappant un nombre 
          important de personnes à la fois (répression de manifestations 
          par exemple) et l'arrivée de nombreux Zaïrois dans les semaines 
          qui suivent ? En fait, même des statistiques fines sur plusieurs 
          années ne rendraient pas compte du temps de latence entre la 
          persécution et le départ du pays, puis l'arrivée 
          en France. 
        Par ailleurs, si 90 % de la population zaïroise vit hors 
          de la capitale, de l'ordre de 90 % des demandeurs d'asile zaïrois 
          sont néanmoins des habitants de Kinshasa (Kinois). La capitale 
          possède, en effet, le seul aéroport international (N'Djili) 
          d'où il est autorisé de quitter le pays ; elle est 
          à une demi-heure de pirogue du Congo, juste de l'aute côté 
          du fleuve, avec son aéroport de Maya-Maya ; enfin à 
          peine 362 kilomètres de route asphaltée la séparent 
          du port de Matadi, seul débouché maritime du pays. En 
          tant que capitale, Kinshasa est le lieu où sont émis, 
          négociés et/ou contrefaits les passeports, visas, laissez-passer, 
          billets d'avion, sans compter les documents émanant des autorités 
          municipales, judiciaires, voire militaires. C'est aussi le royaume de 
          « l'article 15 » (la débrouille), où 
          l'habilité  pas forcément licite  
          est considérée par beaucoup comme la plus haute valeur. 
        Avec ses quatre millions d'habitants, Kinshasa est aussi, en ces temps 
          de récession, la capitale de l'inactivité, des immenses 
          banlieues excentrées où l'on rêve d'Europe en regardant 
          à la télé les programmes occidentaux, où 
          l'on échafaude ses plans, où l'on mûrit son projet 
          de départ. Capitale, Kinshasa vit en outre plus densément 
          les événements politiques : campus et instituts supérieurs, 
          sièges des partis politiques avec leurs leaders, présidence, 
          camps militaires et cachots multiples. Les violations des droits de 
          l'homme, quotidiennes, frappent en valeur absolue plus qu'ailleurs. 
        Les persécutions subies dans les autres régions du pays 
          débouchent rarement et en faible quantité sur un exil 
          européen. Faut-il rappeler que, à la fin 1989, 340 réfugiés 
          recensés vivaient au Congo, 1 300 en Ouganda, 9 000 
          en Zambie, 12 000 en Angola et 16 000 en Tanzanie, les pays 
          limitrophes du Zaïre abritant environ 45 000 de ses ressortissants [5] ? 
          Pour le paysan du Nord-Kivu ou du Haut-Zaïre, victime des razzias 
          de l'armée, le pays voisin constitue un refuge suffisant. La 
          plupart des étudiants en fuite du campus de Lubumbashi en mai 
          1990 sont allés en Zambie ou au Burundi. L'exil vers l'Europe 
          sera donc motivé soit par le sentiment que ce refuge n'est pas 
          assez sûr, soit par d'autres facteurs venant s'ajouter à 
          la crainte. Pour un Zaïrois de l'intérieur, le voyage vers 
          l'Europe, avec son point de passage obligé à Kinshasa, 
          est une entreprise bien plus aléatoire et onéreuse que 
          pour le Kinois, pour lequel les trajectoires de fuite sont plus simples. 
        S'il est difficile d'établir une corrélation entre des 
          événements du type « persécutions à 
          victimes multiples » se déroulant au Zaïre et 
          le nombre de départs motivés par ces violences, il est 
          facile d'observer qu'elles sont suivies de demandes d'asile qui s'y 
          réfèrent. Le massacre de Lubumbashi en mai 1990, 
          les émeutes de septembre ou la répression de la marche 
          du 16 février 1991, pour ne citer que ces trois exemples 
          récents, ont ainsi été suivis de demandes d'asile 
          de Zaïrois disant avoir été impliqués dans 
          ces événements. 
        Si certains demandeurs l'ont effectivement été, d'autres 
          se réfèrent à ces événements tels 
          qu'ils sont relatés par la presse zaïroise pour formuler 
          leur demande, en y intégrant avec plus ou moins de bonheur leur 
          histoire personnelle. 
        
        La demande d'asile zaïroise est passée d'un rythme mensuel 
          de 618 en 1989 à 484 en 1990, 355 en 1991, et moins encore pour 
          les deux premiers mois de 1992. Cette diminution s'inscrit dans un mouvement 
          d'ensemble  toutes origines confondues  du nombre 
          total des demandes d'asile : -8,7 % en 1990 par rapport à 
          1989, -17 % en 1991 et -40 % si l'on considère le rythme 
          mensuel au premier trimestre 1992 rapporté à celui de 
          1991. Des paramètres globaux, indépendants de la situation 
          zaïroise interviennent donc. Le raccourcissement des délais 
          d'instruction des dossiers par l'Ofpra et la Commission des recours 
          et, par voie de conséquence, de la période pendant laquelle 
          les requérants vivaient en France avec un titre de séjour, 
          précarise le scénario d'établissement. Depuis le 
          1er octobre dernier, la suppression de l'autorisation de travail 
          aux demandeurs d'asile accroît encore cette précarité. 
          Le but est d'offir un terrain moins favorable aux migrations fondées 
          sur la recherche d'un mieux-être matériel. Reste à 
          savoir comment un Kinois cherchant en Europe une issue à sa situation 
          matérielle serait sensible à ce changement des conditions 
          d'existence des demandeurs d'asile, alors qu'il est, en général, 
          peu au fait de la « galère » vécue 
          par bon nombre de compatriotes qui ont tenté l'aventure avant 
          lui. Pour lui, autorisation de travail ou pas, le mirage occidental 
          paraît toujours plus confortable que la misère où 
          il s'étiole. 
        À la baisse générale du nombre de demandes d'asile 
          s'ajoute cependant une baisse de la demande d'asile zaïroise, passée 
          de 12,7 % de la demande totale en 1987 à 9,1 % en 1991 
          et 1992. Parmi les causes propres à la situation zaïroise, 
          il faut mentionner la décision du maréchal Mobutu, en avril 
          1990, de mettre fin au régime totalitaire du parti-État 
          et d'instaurer le pluri- (puis multi-) partisme, pour ne prendre que 
          les deux mesures les plus spectaculaires. Depuis, la presse use d'une 
          liberté de ton impensable quelques mois auparavant ; les 
          partis, syndicats et associations en tous genres fleurissent ; 
          les meetings politiques se succèdent ; des opposants notoires 
          ou anonymes rentrent  certains pour aller à la soupe, 
          d'autres pour rejoindre le combat politique. Les temps ont changé. 
        Le Zaïre est-il pour autant une démocratie qui assure à 
          ses citoyens la protection de leurs droits et libertés ? 
          La presse kinoise et les rapports des associations de défense 
          des droits de l'homme témoignent que nombre de militaires se 
          livrent au banditisme armé en toute impunité, que les 
          forces de sécurité tournent à plein régime, 
          que des gens disparaissent ou sont abattus froidement, que les acteurs 
          du changement démocratique sont inquiétés et la 
          presse indépendante menacée, que tel gouverneur de région 
           aux ordres  fait tout pour déclencher 
          des émeutes inter-ethniques, le tout s'ajoutant aux événements 
          connus (Lubumbashi en mai 90, Mbuji-Mayi en avril 91, Kinshasa 
          en février 92) au cours desquels on vit les forces de répression 
          verser volontairement le sang en toute impunité. 
        
        Le Zaïre d'aujourd'hui donne beaucoup plus de liberté à 
          l'expression et à l'action de l'opposition. Un grand nombre de 
          demandeurs d'asile, réfugiés statutaires et a fortiori 
          déboutés, pourraient, dans une optique de combat politique 
           pour ne pas parler des autres  rentrer au pays. 
          Mais ce retour n'est jamais dépourvu de risques  les 
          militants qui rentrent se gardent souvent d'entraîner leur famille 
          dans l'aventure  tandis que les victimes d'exactions sont 
          aujourd'hui fondées à venir chercher refuge ici. 
        À cette évolution hésitante du cours de l'histoire, 
          qui explique en partie le fléchissement du flux des demandeurs 
          d'asile, s'ajoutent quelques causes conjoncturelles. Ainsi, l'instauration, 
          en juillet dernier, de l'obligation d'obtention d'un visa de transit 
          pour les ressortissants de dix pays, dont le Zaïre [6], et l'administration de sanctions contre les transporteurs 
          acheminant des passagers dépourvus des documents requis contribuent 
          à réduire le nombre d'arrivées dans les aéroports 
          notamment. Mais la grande majorité des demandeurs d'asile zaïrois 
          pénètrent sur le territoire français par les frontières 
          terrestres. En témoigne la faiblesse du nombre de Zaïrois 
          entendus par l'Ofpra aux frontières (aériennes) du 6 octobre 
          1991 au 6 janvier 1992 (seize dont deux seulement furent admis 
          à pénétrer sur le territoire pour déposer 
          leur demande d'asile). 
        Quant à la politique française de délivrance des 
          visas à Kinshasa, si elle était moins restrictive, elle 
          se traduirait naturellement par un nombre supérieur de départs. 
          Reste que, en 1985, 87 % des demandeurs d'asile sont entrés 
          en France irrégulièrement et 93 % en 1986 [7]. Par ailleurs, d'autres ambassades à Kinshasa délivrent 
          plus facilement les visas (Italie et Grèce notamment) sans compter 
          que le commerce des faux passeports et visas est florissant à 
          Kinshasa. 
        Dernier facteur de fléchissement, la baisse de capacité 
          des moyens de transport aérien et maritime au départ du 
          Zaïre depuis septembre 1991. Elle joue massivement sur le 
          nombre d'arrivées en France et en Europe. Depuis le 23 septembre 
          dernier, l'aéroport de Kinshasa-N'Djili n'est plus desservi que 
          par l'unique vol hebdomadaire d'Air Zaïre, auquel est venu s'ajouter 
          un vol Sabena en juin. Quant à la Compagnie maritime zaïroise 
          (CMZ), qui possédait encore dix navires en 1983, elle se vit 
          saisir à Anvers, en juillet 1991, et à Zeebrugge, 
          en janvier dernier, ses deux derniers bateaux : le voyage clandestin 
          au départ de Matadi s'en trouve fortement compromis. 
        Plusieurs facteurs se conjuguent, voire jouent en sens contraire, d'autant 
          que cette migration Zaïre-France prend place dans un contexte géographique, 
          migratoire et juridique entre les pays du Sud et la CEE. 
        La Belgique a ainsi connu une progression de 87 % entre 1990 et 
          1991 des demandeurs d'asile zaïrois [8], 
          un mouvement inverse de celui qui a été observé 
          en France pendant la même période (-27 %). Neuf cents 
          Zaïrois de plus ont demandé l'asile en Belgique quand 1546 
          de moins le faisaient en France. Phénomène de compensation 
          au sein d'un flux Zaïre-Europe qui serait resté globalement 
          identique ? Evolution dans le choix  libre ou contraint  
          du pays de destination ? 
        Entre 1987 et 1991, 3,9 % des demandeurs d'asile se sont vu accorder 
          le statut de réfugiés, soit un sur vingt-six. 
        
        Pour savoir qui sont ces demandeurs d'asile, nous avons tenté 
          une approche méthodique à partir de 70 dossiers, 
          constitués par les Zaïrois qui ont fait une demande d'hébergement 
          dans le Rhône auprès de la commission d'admission du Comité 
          rhodanien d'accueil des réfugiés et de défense 
          du droit d'asile (CRARDDA) au cours des trois dernières années. 
          Ces demandeurs disent arriver directement du Zaïre dans le Rhône, 
          via tel ou tel pays ou région frontalière. Cet 
          échantillon de 70 dossiers est insuffisant pour servir de 
          base à une étude scientifique. Il semble toutefois suffisant 
          pour donner une image pas trop déformée de cette demande 
          pour la période considérée [9]. 
        Une carte d'identité zaïroise, « carte d'identité 
          pour citoyen », comporte les mentions de la collectivité, 
          la zone, la sous-région/ville et la région d'origine ; 
          l'attestation de naissance fournit même la localité d'origine. 
          Par contre, l'origine ethnique n'est pas mentionnée malgré 
          l'importance qu'elle revêt souvent, sans qu'il faille la majorer. 
          Cette origine ethnique ne correspond pas nécessairement au lieu 
          de naissance mais au lieu d'origine de la famille (du père 
          le plus souvent). 
        Voir le tableau « Origines 
          ethniques » 
        Si 57 % des requérants sont nés à Kinshasa 
          et si 86 % y vivaient, un seul est originaire de la région 
          Kinshasa. Ceci confirme le rôle de « melting-pot » 
          joué par la capitale sur deux ou trois générations. 
          Kinshasa est, si l'on peut dire, la première ville du Bas-Zaïre, 
          qui lui sert, avec le Bandundu, d'arrière-pays. Que 36 % 
          des requérants soient originaires du Bas-Zaïre, et plus 
          précisément, pour les cas identifiés, des deux 
          sous-régions les plus proches (Lukaya et Cataractes), n'a donc 
          rien d'étonnant. Viennent ensuite les deux Kasaï (24 %, 
          dont 17 % pour le seul Kasaï-Oriental, pourtant plus éloigné 
          et plus enclavé), le Shaba (10 %), le Bandundu (7 %, 
          tous du Kwilu), et l'Équateur (6 %, tous de la Mongala). 
          Les autres régions, les plus éloignées de la capitale 
          (avec le Shaba) interviennent de façon marginale. Quant au Nord-Kivu, 
          il n'est pas représenté. 
        Quelle que soit leur origine ethnique, la quasi-totalité des 
          demandeurs d'asile viennent de Kinshasa. Pour savoir dans quelle mesure 
          l'ethnie est un facteur déterminant, il faudrait donc  ce 
          que nous n'avons pu faire  comparer la répartition 
          ethnique des requérants avec celle de Kinshasa. 
        Les sous-régions les plus représentées : 
          Cataractes et Lukaya se trouvent à proximité de Kinshasa, 
          reliées par une route et une ligne de chemin de fer. Le Kwilu 
          est une sous-région à la fois dynamique et particulièrement 
          délaissée par la Deuxième République après 
          la rébellion des mulélistes à la fin des années 60. 
          Quant au Kabinda, sous-région qui recèle du diamant, elle 
          connaît un déficit agricole face à une forte croissance 
          démographique. 
        Les régions peu représentées : à 
          l'Est, les habitants ont pour terres de refuge les pays frontaliers 
          swahiliphones  le swahili est la grande langue vernaculaire 
          de l'Est du pays  d'autant que bien des ethnies ont leur 
          zone d'extension à cheval sur les frontières administratives, 
          les Lunda en Angola et en Zambie, les Banande en Ouganda, par exemple. 
          Les guerres du Shaba en 1977 et 1978, les exactions de l'armée 
          au Nord-Kivu ou dans le Haut-Zaïre illustrent bien cette stratégie 
          élémentaire de l'exil. Les 10 % de cas venant du 
          Shaba dans l'échantillon n'infirment pas cette analyse car il 
          s'agit d'individus résidant hors du Shaba ou ayant des facilités 
          particulières de voyage. 
        Voir le tableau « Lieux 
          de naissance » 
        Plus de la moitié  57 %  des requérants 
          sont nés à Kinshasa (à une exception près, 
          tous y vivaient avant leur départ). Si l'on ajoute les deux régions 
          de l'arrière-pays kinois, le Bas-Zaïre et le Bandundu, on 
          arrive à 67 %. Second pôle, le centre, le centre-est 
          et le sud-est (au sud de la diagonale Ilebo-Bukavu), soit 30 % 
          de l'échantillon (Shaba 13 %, les deux Kasaï 11 %, 
          Sud-Kivu et Maniema 6 %). Le reste est maginal (Équateur, 
          un seul cas). Le Nord-Kivu et le Haut-Zaïre ne sont pas représentés. 
        Presque les trois-quarts  74 %  des requérants 
          sont nés dans les grandes villes de Kinshasa, Mbuji-Mayi (1 million 
          d'habitants), Lubumbashi, Kananga. Si l'on ajoute Likasi, Matadi et 
          Bukavu, on arrive à un taux de 79 % : quatre demandeurs 
          d'asile zaïrois sur cinq ont grandi en ville. 
        Voir le tableau « Résidence 
          habituelle » 
        Kinshasa est le lieu de résidence habituelle de 86 % des 
          requérants d'asile zaïrois. Si l'on ajoute que les personnes 
          en formation à l'étranger au moment des faits qui sont 
          à l'origine de leur départ étaient auparavant domiciliés 
          à Kinshasa, on obtient, sur notre échantillon, une demande 
          d'asile à 95 % kinoise. Rappelons que les 9/10ème 
          de la population zaïroize n'habitent pas à Kinshasa. 
        De toute évidence, le facteur déterminant est le lieu 
          de résidence habituel. Si des violations des droits de l'homme 
          ont été et sont commises à Moba, Kisangani, Mbuji-Mayi, 
          Butembo ou Bunia, les requérants viennent presque tous de la 
          capitale : la demande d'asile zaïroise est régionale. 
          Bien avant les services d'émigration, les contrôles aux 
          frontières et le tamis de l'Ofpra, un tri est déjà 
          fait, qui repose non pas sur l'intensité de l'engagement ou de 
          la répression, mais sur un ensemble de déterminations 
          géographiques et administratives que la capitale est seule à 
          réunir. 
        Kinshasa cumule les facilités : délivrance des passeports 
          et visas, proximité de la frontière fluviale, de l'aéroport 
          et du seul débouché maritime du pays. 
        Voir le tableau « Activités 
          professionnelles » 
        On remarquera d'abord la relative diversité des situations professionnelles. 
          À y regarder de plus près toutefois, on constate la quasi-absence 
          d'enseignants (un instituteur), de cadres supérieurs (un ingénieur), 
          de membres des professions libérales (aucun médecin ni 
          avocat), d'ouvriers (un seul), et l'absence d'entrepreneurs ou de gros 
          commerçants. On trouve également peu d'artisans ou d'employés. 
        Un demandeur d'asile sur quatre est un étudiant dans notre échantillon. 
          Chez les hommes, pratiquement un sur trois. Plusieurs facteurs peuvent 
          l'expliquer. Kinshasa dispose d'un grand campus et de nombreux instituts 
          supérieurs, qui sont depuis toujours les principaux lieux d'agitation 
          contre le régime. 
        La grande précarité matérielle des étudiants 
          (la bourse, quand elle est versée, ne permet pas de louer un 
          studio, les uvres universitaires sont inexistantes, les transports 
          rares et inabordables, etc.), la totale incertitude liée à 
          leur avenir professionnel (absence de débouchés, salaires 
          de misère, rêves de diplômes évanouis après 
          deux années blanches consécutives pour cause de fermeture 
          des campus), leur degré de conscientisation souvent supérieur 
          au reste de la population, leur aspiration à poursuivre leurs 
          études dans des conditions décentes à l'étranger, 
          leur grande mobilité enfin (célibat le plus souvent), 
          tout cela prédispose au départ vers l'Europe. Le déclic 
          sera le plus souvent une arrestation, suivie de sévices, ou la 
          crainte d'une telle arrestation. 
        Le nombre important de militaires et d'agents de la sécurité 
          (civile ou militaire : 1 requérant sur 7) traduit pour 
          une bonne part le désarroi qui règne dans l'armée 
          et dans ces services, depuis les changements politiques intervenus en avril 
          1990. Leur exil intervient le plus souvent lors d'un changement d'affectation 
          (passer d'un rôle administratif à un rôle « actif ») 
          qui déclenche un « non possumus », 
          le système se retournant alors contre les agents devenus indociles 
          ou trop scrupuleux. 
        Sur les 22 femmes qui composent notre échantillon, 9, soit 
          41 %, sont dans le commerce. Il s'agit soit d'employées, 
          soit de petites commerçantes comme on en voit des milliers 
          dans les rues de Kinshasa. Pas de « moziki 100 kg » 
          (riches commerçantes « roulant Mercédès » 
          et proches du régime). Depuis les pillages de septembre 
          1991, 6 des 15 femmes de notre échantillon sont des 
          commerçantes. Cinq fois sur six cependant, c'est la mort ou la 
          disparition du mari qui est mentionnée comme la cause  liée 
          à la destruction de l'outil de travail  du départ. 
          Pour nombre de femmes en effet, c'est la profession ou les activités 
          du mari qui sont déterminantes et, dans trois cas sur 15, 
          celui-ci était un militaire, soit membre de l'opposition, soit... 
          pillard aux heures perdues. 
        Autre constatation notable : deux requérants sans profession, 
          dans une ville de quatre millions d'habitants où le secteur 
          informel est majoritaire et où les chômeurs sont légion, 
          c'est très peu. Si l'on ajoute que les deux requérants 
          en question sont des femmes dont le mari disposait d'un revenu régulier, 
          cela signifie que 100 % des requérants non-étudiants 
          bénéficiaient d'un revenu, même faible (ménagère, 
          cantinière, etc.). Les exilés zaïrois ne sont ni 
          gens fortunés, ni prolétaires : les uns ont ce qu'il 
          faut pour rester, les autres n'ont pas ce qu'il faut pour partir. 
        Comment venir en Europe en effet sans un niveau de ressources minimum ? 
          Comment payer le billet d'avion [10] ? 
          Comment payer les intermédiaires qui procurent passeport et visa ? 
          Le sous-prolétariat kinois, même persécuté, 
          ne vient guère en Europe : comment le ferait-il ? Il 
          y a ceux qui peuvent corrompre un gardien, et ceux qui meurent en prison, 
          affaiblis par les mauvais traitements, affamés, malades, abandonnés. 
        Lire la 
          suite 
        
 
 
           
        Notes
        [1] L'Office français 
          de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 1992, 
          annexe 1. Ces chiffres publiés en février dernier, 
          représentent un « bilan statistique provisoire » 
          de 1991. 
        [2] La prise en compte des 
          statistiques des années précédentes indique que 
          le Zaïre est au deuxième rang derrière la Turquie 
          depuis 1986. Cf. Jacques François, « De l'exil à 
          l'asile en Europe », in Approches polémologiques 
           Conflits et violence politique dans le monde au tournant 
          des années quatre-vingt-dix, Fondation pour les études 
          de défense nationale, Paris, 1991, p. 417. 
        [3] Le nombre de réfugiés 
          statutaires d'Afrique noire tel qu'il apparaît dans la réponse 
          du ministre de l'Intérieur à une question écrite 
          du 27 août 1990, publiée le 29 avril 1991, est 
          de 11 245. Les réfugiés zaïrois sont au nombre de 
          4758, soit 42 % du total des réfugiés du continent 
          (Documentation réfugiés, n° 147, 18/27 mai 
          1991). 
        [4] L'Office français, 
          op. cit., annexe 2, page 5. 
        [5] Selon le HCR. Le Zaïre 
          accueillait, quant à lui, à la même époque, 
          environ 341 000 réfugiés, dont 310 000 Angolais. 
        [6] Cette mesure a pour 
          objet d'empêcher un ressortissant d'un de ces pays de demander 
          l'asile à la faveur d'un transit ou d'une escale en France, après 
          obtention dans son pays d'un visa délivré par le pays 
          de destination. Cette formule permettait en effet de contourner la non-délivrance 
          de visas par les autorités consulaires françaises. 
        [7] OFPRA in Actualités 
          Migrations, n° 30, 13 au 19 novembre 1989. 
        [8] En 1990, 12 964 personnes 
          ont déposé une demande d'asile en Belgique, dont 8 % 
          de Zaïrois (environ 1040), contre 12 % de Ghanéens, 
          13 % de Turcs et 13 % de Roumains. Le Zaïre n'arrivait 
          donc qu'en quatrième position, ex-aequo avec l'Inde et 
          la Pologne. En 1991, sur 15 291 demandes, 1940 (12,7 %) émanaient 
          de Zaïrois, le Zaïre arrivant ainsi au deuxième rang 
          après la Roumanie (15,5 %) et avant le Ghana (9,5 %). 
        [9] L'issue de la demande 
          d'asile de certains d'entre eux ne nous est pas connue, mais il 
          s'agit ici d'une étude sur le profil des demandeurs d'asile et 
          non des réfugiés statutaires. Les deux membres d'un couple 
          déposant une demande d'asile ne constituent dans cette étude 
          qu'un dossier, sauf si les deux conjoints ont une histoire (activités, 
          persécutions) propre. Notre étude porte sur les faits 
          tels que relatés dans des déclarations qui vont de la 
          confession la plus sincère à l'improvisation la plus fantaisiste, 
          et non sur des faits bruts, parfois inconnaissables. 
        [10] La sortie du pays comme 
          passager clandestin sur un bateau au départ de Matadi coûte 
          évidemment moins cher. Dans bien des cas, c'est le moyen de fuite 
          du pauvre. C'est aussi un moyen dangereux : on peut mourir  de 
          froid, de faim, de soif  dans son conteneur. 
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             11-03-2001  15:40.   
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