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 Plein Droit n° 18-19, octobre 
  1992 
  « Droit d'asile : 
  suite et... fin ? » 
        
        Jean-Pierre Alaux 
        Si l'on en croit les Etats occidentaux, les demandeurs 
          d'asile sont aujourd'hui presque tous illégitimes. Ils ne pourraient 
          donc les accueillir en dépit de leur tradition de « terres 
          d'asile ». Seulement, leurs critères d'admission évoluent 
          avec les circonstances comme s'il s'agissait sans cesse de mettre au 
          point les obstacles capables d'interdire l'exercice effectif du droit 
          d'asile. 
        Voir aussi l'encadré  
          « Reconnaissance du statut 
          de réfugié » 
        
        « Le peuple français donne l'asile aux étrangers 
          bannis de leur patrie pour la cause de la liberté et il le refuse 
          aux tyrans » (Constitution française de 1793, art. 120.). 
        Qu'un pays européen  l'Allemagne  s'apprête 
          à modifier bientôt sa Constitution pour se protéger 
          des demandeurs d'asile ; que la Cour suprême des Etats-Unis 
          légitime, par deux fois en 1992, le rapatriement aveugle et automatique 
          de milliers de boat-people haïtiens montrent, s'il en était 
          besoin, la gravité des menaces qui pèsent sur le dispositif 
          international de protection des opprimés. Les 17 millions 
          de réfugiés au moins (dont moins de 5 % en Europe 
          et moins de 140 000 en France, selon une étude récente) 
          et les 25 millions de personnes déplacées dans le 
          monde font décidément peur aux « terres d'asile », 
          ou réputées telles, de l'Occident. 
        Le temps est bel et bien fini où l'Office français de 
          protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Commission 
          de recours, créés le 25 juillet 1952, accordaient 
          le statut à la quasi-totalité de ceux qui y postulaient. 
          Ils étaient alors, il est vrai, pour l'essentiel, des transfuges 
          du monde européen communiste et, de ce fait, des prises de guerre 
          froide. Ils étaient également peu nombreux : à 
          peine 1 200 en 1972 contre 61 500 au cours de l'année 
          record de 1989. Mais la peur qu'ils suscitent ne date pas d'hier : 
          quand, en 1981, ils sont moins de 20 000 à demander l'asile, 
          on accorde le statut à 77,7 % d'entre eux ; quatre 
          ans plus tard, en 1985, il suffit que leur nombre augmente un peu  moins 
          de 29 000  pour que le taux de reconnaissance s'effondre 
          à 43,3 %. En 1990, au lendemain du franchissement du pic 
          des 61 000 demandes, il sera de 15,5 %. Mais il remontera, 
          comme par enchantement, en 1991 (19,7 %), aussitôt que les 
          requérants seront moins nombreux (46 800) (voir le tableau 
          « Reconnaissance du statut de 
          réfugié »). 
        
        Cette miraculeuse et constante proportionnalité inversée 
          entre le volume de la demande et celui des accords en dit long sur les 
          critères qui président à l'attribution du statut 
          de réfugié. De toute évidence, il y a belle lurette 
          que l'Ofpra et la Commission des recours font un peu office de douaniers 
          et veillent, à leur manière, au moins autant à 
          limiter l'ampleur des flux migratoires qu'à protéger les 
          victimes de l'oppression. 
        Le ver s'est d'ailleurs mis à ronger le fruit du droit d'asile 
          dès l'adoption, en 1951, de la Convention de Genève. La 
          ségrégation initiale qu'elle imposait alors au bénéfice 
          exclusif de « toute personne qui, par suite d'événements 
          survenus avant le 1er janvier 1951, et craignant avec raison d'être 
          persécutée.... » durera jusqu'en 1967. En 
          négligeant les oppressions du sud de la planète  coloniales 
          ou néocoloniales mais postérieures , cette 
          clause restrictive les considère implicitement comme normales, 
          voire naturelles. La France, qui hésite trois années avant 
          de ratifier la Convention et ne lèvera les réserves originelles 
          qu'à la fin des années 60, se préserve déjà 
          au mieux des tragédies qui se multiplient, au vu et au su de 
          tous, dans son ancien empire. 
        
        C'est donc dans le plus pur respect de la tradition occidentale du 
          droit d'asile que l'Ofpra peut affirmer aujourd'hui qu'« il 
          faut considérer que l'exercice de droits politiques ou syndicaux, 
          dans de jeunes démocraties, peut engendrer certains désagréments 
          et conduire parfois les autorités de ces pays à limiter 
          ces droits en procédant, par exemple, à des arrestations 
          ou contrôles d'identité, dont la nature ne peut s'analyser 
          comme des faits de persécutions dans la mesure où ils 
          restent « conformes » aux principes internationaux 
          (garde-à-vue, définition des délits et des peines, 
          contrôle juridictionnel) » [1]. On pouvait, à l'expérience, supposer les droits 
          humains parents pauvres du pur état de droit et synonymes de 
          libertés minimales pour les déshérités. 
          Grâce à la philosophie politique naturaliste de l'Ofpra, 
          on est sûr qu'il s'agit d'une norme. L'Office d'ailleurs s'explique, 
          en ce domaine, sans métaphore : la seule crainte fondée 
          est, selon lui, celle du requérant dont « le séjour (...) 
          dans son pays d'origine est devenu intolérable (...) ou 
          le deviendrait », s'il y retournait [2]. 
        La norme s'adapte donc négativement, dès l'origine, à 
          l'augmentation des demandes dans un souci constant d'exclusion du tiers-monde. 
          Si sa détermination reposait sur l'éthique ou sur le droit, 
          nul ne se risquerait à de telles violations intellectuelles des 
          droits de l'homme. Mais, comme toutes les études du marché 
          de l'asile montrent que les utilisateurs viennent et viendront massivement 
          de zones non européennes, caractérisées par un 
          respect aléatoire des libertés, la jurisprudence se fait 
          complaisante à l'égard des formes d'oppression les plus 
          courantes. C'est un calcul où le qualitatif, présumé 
          déterminant, sert tout au plus d'habillage au quantitatif. 
        En ce sens, les politiques du droit d'asile, depuis la deuxième 
          guerre mondiale, ont toujours fondamentalement obéi aux mêmes 
          impératifs que les choix en matière d'immigration. Ce 
          phénomène, discret quand le volume et l'origine des demandeurs 
          d'asile s'adaptent quantitativement et qualitativement à la tolérance 
          et aux besoins migratoires, saute aux yeux dès lors qu'il y a 
          distorsion. Dans ces périodes, aujourd'hui par exemple, les mêmes 
          obstacles qu'on oppose aux flux migratoires s'érigent aussi sur 
          la route des réfugiés potentiels. La « responsabilisation » 
          européenne et américaine des transporteurs, la multiplication 
          des obligations de visas, l'intensification  voire leur légalisation  
          des zones de non-droit aux frontières s'efforcent d'empêcher, 
          de façon indifférenciée, les uns et les autres 
          de quitter leurs pays ou d'entrer dans les nôtres. En compliquant 
          l'exil et la demande d'asile, désormais expéditivement 
          préjugée, sans procédure ni possibilité 
          de recours véritables dans les ports et les aéroports, 
          ces obstacles ont encore la fonction secondaire d'ignorer, avant même 
          son expression auprès des organismes spécialisés, 
          une requête qui ne sera donc pas considérée comme 
          telle. Quelle meilleure banalisation du droit d'asile dans le melting 
          pot de la migration ? 
        
        Dans le contexte de cette spécieuse tradition du droit d'asile, 
          il n'est de liberté que nominale pour l'Ofpra et la Commission 
          des recours. A l'heure où même des Constitutions européennes 
          plient sous l'impérieuse nécessité de dissuader 
          les candidats au statut et où une Cour suprême occidentale 
          légitime leur refoulement automatique, quoi de plus normal qu'il 
          revienne, en France, au ministre délégué aux Affaires 
          étrangères, M. Georges Kiejman, d'annoncer, le 11 juin 
          1992, à la veille de la visite à Paris du président 
          chilien, M. Aylwin, que l'Ofpra va bientôt exclure du bénéfice 
          de sa protection les Chiliens et les Bulgares ? Normal encore que 
          l'Office coure aux frontières portuaires et aéroportuaires, 
          en 1991, quand le gouvernement les lui montre du doigt, pour y préjuger 
          en accéléré les requérants. Normal toujours 
          que, la même année, cet Office, par définition protecteur, 
          n'ait que du mutisme à opposer à une mesure administrative 
          d'interdiction du travail à l'encontre des demandeurs d'asile. 
          Et que dire de l'annonce, en juin dernier, par Mme Renouard, 
          présidente du Conseil d'administration de l'Ofpra, mais 
          aussi directeur des Français à l'étranger au... 
          ministère des Affaires étrangères, selon laquelle, 
          pour les exilés de l'ex-Yougoslavie, « la solution 
          retenue (par qui ?) passe par l'attribution d'un titre de 
          séjour temporaire qui permet aux personnes de trouver refuge 
          sans devoir entamer une procédure d'intégration de longue 
          haleine » [3], y compris sans doute celle de la demande d'asile ? 
        Plus que jamais dans son histoire, l'Ofpra est aux ordres et sert, 
          le petit doigt sur la couture de la politique migratoire, des critères 
          qui n'ont qu'une lointaine parenté avec les droits de l'homme. 
         
        Dans ce contexte de violations répétitives du droit d'asile 
          de part et d'autre de l'Atlantique (voir l'article « Violation des lois 
internationales »), 
          il est pour le moins étrange que le Haut Commissariat des Nations 
          Unies pour les réfugiés (HCR) ne semble rien avoir de 
          plus urgent que de mener à bien ce qu'il appelle une « évaluation 
          des ressources humaines » au sein de ses délégations 
          d'Europe occidentale en vue de leur réaffectation partielle en 
          Europe de l'Est. Ce projet impliquerait-il, de sa part, une approbation 
          implicite des nouvelles pratiques en uvre dans les vieilles démocraties ? 
          A moins qu'il ne s'agisse d'exporter clef-en-main à l'Est le 
          « modèle » made in Occident.. 
        
 
 
           
        Notes
        [1] L'Office français 
          de protection des réfugiés et apatrides, chapitre 3, 
          p. 23. 
        [2] Ibid., p. 8. 
          C'est nous qui soulignons. 
        [3] Documentation Réfugiés, 
          n° 191, 30 juillet  8 août 1992, 
          cité de la Libre Belgique, 12 juin 1992.  
           
          
           
            Dernière mise à jour : 
             10-02-2001  17:36.   
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