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Plein Droit n° 35, septembre 97
Des papiers pour tout

Vive Pasqua, vive Debré !

Edito

« Abrogation des lois Pasqua-Debré » : ce mot d'ordre, auquel le PS avait fini par se rallier à contrecoeur, nous le récusions pour notre part non seulement comme trop timoré, mais comme inadapté. Nous ne voulions pas d'un énième replâtrage de l'ordonnance de 1945, même façon Joxe, estimant que si la loi Joxe, venue réparer les dégâts de la première loi Pasqua — celle de 1986 —, était ce qu'on pouvait faire de mieux ou de moins mal à l'époque dans la perspective inchangée du contrôle des flux migratoires, on ne pouvait plus aujourd'hui espérer améliorer fondamentalement le sort des étrangers en France sans une révision radicale de la politique des migrations.

Or, au vu du rapport Weil et des projets annoncés par le gouvernement en ce milieu du mois d'août, nous savons maintenant que non seulement il n'y aura pas de changement perceptible de la politique d'immigration, mais que l'essentiel des réformes introduites par les lois Pasqua et Debré resteront en vigueur !

Qu'on nous comprenne bien : contrairement aux thèses qu'on nous prête ici ou là de façon caricaturale, voire tendancieuse, nous ne faisons pas grief à Patrick Weil de n'avoir pas proposé — et au gouvernement de n'avoir pas décrété ici et maintenant l'ouverture des frontières ! Nous savons bien que, dans ce domaine, un changement de politique ne se décrète pas du jour au lendemain, que pour repenser de fond en comble la politique de l'immigration, pour imaginer une alternative à la fermeture des frontières, il faut du temps : le temps de la réflexion, le temps aussi de faire évoluer les esprits, conditionnés par plus de vingt ans de «  pensée unique ». C'est pourquoi nous réclamions — et continuons à réclamer — un débat national, un vrai débat de fond, qui aborde les problèmes liés aux migrations dans toutes leurs dimensions — politique, économique, sociale... —, et pas seulement sous l'angle de la « police des étrangers ».

Et c'est précisément parce qu'il faut du temps que nous n'entretenions pas beaucoup d'illusions sur les résultats de la mission confiée à Patrick Weil : la brièveté même du délai qui lui était imparti ne permettait pas d'en attendre des propositions de réforme en profondeur.

Mais, après tout, il est vrai qu'il y avait urgence, urgence à modifier une législation qui laissait dans la précarité et l'irrégularité des milliers de personnes : il n'était donc pas illégitime, de la part du gouvernement, de vouloir hâter les choses, à condition qu'il s'agisse bien d'une première étape dans un processus de réforme plus ambitieux. Une réforme même de portée limitée pouvait aller dans la bonne direction, dès lors qu'elle respectait un certain nombre d'exigences — celles-là mêmes que rappelait la Commission consultative des droits de l'homme dans son avis du 3 juillet dernier, qui, donnant toute sa portée au principe d'égalité et à la liberté d'aller et venir, se prononçait — notamment — pour la suppression de toutes les entraves au regroupement familial et la prise en compte du concubinage, pour la motivation des refus de visa, pour un contrôle juridictionnel effectif sur toute mesure interdisant l'entrée ou le séjour sur le territoire, pour l'accès des étrangers à la fonction publique, pour l'abrogation de la condition de régularité du séjour pour l'accès aux prestations de sécurité sociale, pour la suppression de principe de la « double peine »...

Or non seulement on ne trouve pas, dans le rapport Weil, la refonte annoncée de la politique d'immigration — ce qui, encore une fois, était prévisible —, mais on n'y retrouve aucune de ces propositions. Et finalement, on n'y trouve même pas la suggestion — qu'on pouvait penser minimale ! — d'abroger les principales dispositions de la loi Debré.

On n'y trouve pas non plus, du reste, la simplification promise de la législation : seulement des propositions d'aménagements ponctuels de l'ordonnance de 1945 et des suggestions de circulaires pour en moduler — pas toujours dans un sens plus libéral — l'application. Et surtout, on n'y trouve pas la rupture espérée avec la logique de suspicion et l'optique répressive qui prospèrent depuis maintenant vingt ans à la faveur d'une politique toute entière focalisée sur le contrôle des flux migratoires et la lutte contre l'immigration clandestine.

Parmi les mesures proposées, il en est qui, assurément, permettront, si elles sont adoptées, de faciliter la vie de certaines catégories d'étrangers — grosso modo, ceux dont l'intérêt individuel coïncide avec les intérêts de la France : outre les ressortissants de l'Union européenne, les investisseurs, intellectuels, chercheurs, boursiers du gouvernement français, artistes verraient restreints le nombre et la densité des contrôles qui pèsent sur eux. Tant mieux pour eux. Tant mieux aussi si la qualité de réfugié est accordée à quelques dizaines (?) de personnes de plus par an (si l'OFPRA joue le jeu) : celles qui « luttent pour la liberté » sans entrer pour autant dans les critères de la Convention de Genève. Tant mieux, également, si les pensions de retraite peuvent être liquidées depuis le pays d'origine (c'est une très ancienne revendication du Gisti), et si les vieux retraités obtiennent effectivement le droit de voyager sans restrictions entre la France et leur pays d'origine sans perdre leur droit au séjour. Tant mieux enfin pour ceux à qui on délivrera, parce qu'ils ont des attaches en France mais ne remplissent pas les conditions pour obtenir une carte à un autre titre, une carte de séjour temporaire dite « vie privée et familiale »... encore qu'il eût été tellement plus simple d'assouplir les conditions d'obtention des cartes de résident en supprimant les restrictions introduites par la loi Pasqua !

Mais même les assouplissements proposés laissent transparaître, intacte, la logique de la suspicion : suspicion à l'encontre des conjoints de Français, qui ne se verraient délivrer une carte de résident qu'au bout de deux ans ; suspicion à l'encontre des demandeurs d'asile, dont il faut déjouer les tentatives pour détourner la procédure ; suspicion à l'encontre des étudiants, dont il faudra plus que jamais vérifier le sérieux des études ; suspicion à l'encontre de tous ceux qui prétendraient vouloir s'affilier à la sécurité sociale ou toucher des prestations alors qu'ils n'ont pas de titre de séjour ; suspicion à l'encontre des travailleurs qui présentent de faux papiers à leur employeur.

Et, pour couronner le tout, on retrouve la même obsession de la répression, qu'il s'agisse d'assurer l'effectivité des reconduites à la frontière (la dépénalisation du séjour irrégulier est proclamée comme intention mais immédiatement démentie par les propositions concrètes) ou l'expulsion des « délinquants », érigée au rang d'objectif prioritaire.

Sous prétexte de rompre avec la « logique de diabolisation de la gauche par la droite et de la droite par la gauche » [1], et au nom du « consensus » — mais consensus entre qui et qui ? —, on s'abstiendra donc de toucher aux dispositions les plus contestables de la législation résultant des lois Pasqua et Debré.

Ce que nous redoutions est donc en voie de s'accomplir : au lieu d'ouvrir la voie à un véritable débat national, le rapport Weil servira d'alibi pour éviter qu'il ait lieu. Le gouvernement va soumettre le plus tôt possible au Parlement deux projets de loi — l'un sur l'entrée et le séjour, l'autre sur la nationalité — qui seront votés à la sauvette, de façon à pouvoir ensuite enterrer définitivement la question. Et si d'aventure « les associations » persistent à dire que le problème n'est pas réglé, elles seront accusées — refrain connu — de « faire le jeu de l'extrême-droite ».

Certains seront peut-être tentés de s'extasier sur l'habileté tactique de Lionel Jospin qui ne s'était résigné qu'avec beaucoup de réticence à promettre l'abrogation des lois Pasqua et Debré au cours de sa campagne électorale. Patrick Weil aurait ainsi — consciemment ou inconsciemment — tiré pour lui les marrons du feu, en légitimant des propositions de réforme minimalistes, bien en-deçà en tout cas de celles que le parti socialiste était, au vu de son programme, capable d'accepter. Mais cette tactique apparemment habile pourrait bien masquer une faute stratégique.

D'abord parce que les parlementaires socialistes et communistes risquent de se sentir un peu ridicules lorsqu'on leur demandera d'avaliser, même implicitement, des dispositions contre lesquelles ils étaient partis en guerre quelques mois auparavant — sans même parler de l'amertume qu'un tel recul pourrait susciter dans les rangs de ceux qui, bien au-delà du milieu associatif traditionnellement attentif au sort des étrangers, s'étaient mobilisés au printemps dernier contre la loi Debré et qui ont contribué à la victoire électorale de la gauche.

Mais surtout parce qu'il faudra ensuite gérer les retombées d'une politique à courte vue et que très vite le gouvernement se trouvera confronté à la même tâche impossible que ses prédécesseurs. Que deviendront les sans-papiers dont le sort n'aura été réglé ni par une régularisation conçue de façon bien trop restrictive, ni par des textes à peine modifiés ? Fermera-t-on les yeux ? Ce serait contraire à l'esprit du rapport Weil. Affrétera-t-on des charters pour les reconduire chez eux ? Et si de nouvelles grèves de la faim se déclenchent ?

C'est maintenant qu'il faut se poser ces questions. Après, il sera trop tard.

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Dernière mise à jour : 27-08-2000 18:09.
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