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 Plein Droit n° 38, avril 
  1998« Les faux-semblants de 
  la régularisation »
 Le traité d'Amsterdam et la libre circulation
Claudia Cortes-DiazDoctorante en droit à l'université 
          Paris X-Nanterre
  Évolution incontestable dans le traitement 
          des questions de l'asile et de l'immigration, le traité d'Amsterdam 
          a cependant introduit de nouveaux obstacles à l'échelle 
          communautaire dont certains vont à l'encontre de principes démocratiques. Le traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997 constitue 
          la troisième grande réforme du traité de Rome adopté 
          en 1958 à l'origine de la Communauté européenne, 
          à côté des modifications mineures et ponctuelles 
          rendues nécessaires du fait des adhésions successives 
          de nouveaux États membres. La première réforme intervenue le 1er juillet 1987 
          par l'entrée en vigueur de l'Acte unique européen avait 
          eu principalement pour objet de faire passer la Communauté européenne 
          d'un « marché commun » à un « marché 
          intérieur » dans lequel devait être assurée 
          la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et 
          des capitaux.  Dans le domaine de la libre circulation des personnes, cette réforme 
          a permis l'adoption, en juin 1990, de trois directives concernant 
          le droit au séjour des retraités, des étudiants 
          et des catégories de personnes n'entrant pas dans un cadre juridique 
          déjà prévu. Ces textes concernent les ressortissants 
          ayant la nationalité d'un des États membres et aux seuls 
          ressortissants de pays tiers membres de famille d'un ressortissant communautaire. La référence directe aux ressortissants de pays tiers 
          et à une coopération des États membres en matière 
          d'asile et d'immigration apparaît dans le traité sur 
          l'Union européenne dit « de Maastricht » 
          (TUE), en novembre 1993, qui recèle par ailleurs plusieurs 
          nouveautés dont le concept de citoyenneté de l'Union, 
          l'institution d'un médiateur européen, la possibilité 
          pour le Parlement européen de former des commissions d'enquête. 
          C'est également le traité qui contient les dispositions 
          nécessaires à la création d'une monnaie unique 
          européenne. Concernant la circulation des personnes, on peut considérer 
          cependant qu'il ne fait que prendre acte de la situation existant à 
          l'époque : à l'intérieur du traité 
          de Rome, il n'apporte pas de modification aux dispositions applicables 
          aux ressortissants communautaires ou aux membres de leur famille ; 
          l'adoption des textes demeure soumise à la règle du vote 
          à l'unanimité (alors que l'un des objectifs de la réforme 
          était de permettre l'adoption du plus grand nombre d'actes communautaires 
          à la majorité qualifiée et selon une procédure 
          intégrant les positions du Parlement européen). Au sein du TUE proprement dit, les questions relatives à la 
          libre circulation des ressortissants des États tiers sont traitées 
          dans un titre particulier, le titre VI, instituant une coopération 
          intergouvernementale.  Il s'agit, dans les faits, de la reconnaissance et de la mise sous 
          le contrôle du Conseil des ministres européens d'une coopération 
          mise en place depuis plusieurs années, notamment entre les ministres 
          de l'intérieur des États membres, en matière de 
          lutte contre l'immigration clandestine et la criminalité.  Cette coopération s'inscrit également dans le prolongement 
          de la signature, par quelques États membres, de la Convention 
          de Schengen en 1985. Le bilan de l'application du titre VI du traité 
          sur l'Union européenne est toutefois mitigé : si 
          les États membres ont pu adopter un certain nombre de résolutions 
          ou de recommandations qui ne constituent pas des textes juridiquement 
          contraignants, il leur a été beaucoup plus difficile de 
          faire aboutir des conventions telles que la Convention de Dublin sur 
          le droit d'asile qui vient d'entrer en vigueur au 1er septembre 
          1997 ou la Convention sur le franchissement des frontières extérieures 
          non encore signée, dont les travaux ont duré des années. 
         Sur la base de ce titre VI, la Commission vient de déposer 
          un nouveau projet de convention relative aux règles d'admission 
          des ressortissants des pays tiers dans les États membres [1]. Dans ce domaine de la circulation des personnes, l'apport du traité 
          d'Amsterdam consiste essentiellement à intégrer cette 
          coopération intergouvernementale au sein même du traité 
          de Rome, en d'autres termes, à « communautariser » 
          les dispositions qui permettraient aux ressortissants des États 
          tiers d'entrer, de circuler, voire de séjourner sur le territoire 
          de la Communauté. Un nouveau titre IV intitulé : « Visas, 
          asile, immigration et autres politiques liées à la libre 
          circulation des personnes » est donc introduit dans le 
          champ d'application des compétences communautaires. Ce qui implique, 
          en principe, la participation pleine de la Commission mais aussi du 
          Parlement européen et le contrôle juridictionnel de la 
          Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE). À première vue, on ne peut que se féliciter d'un 
          tel « progrès ». Depuis de longues années, 
          de nombreuses voix se faisaient entendre pour qu'il soit mis fin à 
          un traitement beaucoup trop intergouvernemental des aspects concernant 
          la politique de l'asile et de l'immigration, et qu'on leur donne une 
          dimension plus démocratique. Toutefois, une lecture attentive (qui s'avère par ailleurs très 
          difficile !) des dispositions de ce nouveau titre du traité 
          d'Amsterdam laisse entrevoir que cette « communautarisation » 
          si souhaitée et attendue n'est pas vraiment à l'ordre 
          du jour. Une des avancées du traité concerne l'extension expresse 
          de la libre circulation aux ressortissants des pays tiers, ce qui n'est 
          pas le cas aujourd'hui. L'article 7A du traité de Rome, 
          instaurant un marché intérieur au sein duquel la libre 
          circulation des personnes est assurée ne concerne que les ressortissants 
          communautaires en vertu de l'interprétation restrictive de cet 
          article faite notamment par le Royaume-Uni et l'Irlande.  À partir de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, 
          les ressortissants de pays tiers pourront donc bénéficier, 
          en principe, de cette liberté. Cependant, étant donné 
          que l'article 7A (devenu l'article 14) dudit traité 
          n'a pas d'effet direct, des dispositions devront être prises à 
          l'unanimité (en tout cas pendant une période transitoire 
          de cinq ans) pour la rendre effective. Il faudra donc attendre quelque 
          temps pour voir l'ampleur que les États comptent donner à 
          cette liberté en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers. On peut d'ores et déjà remarquer, d'une part que le traité 
          conditionne à plusieurs reprises la liberté de circulation 
          à la mise en place de mesures dites « compensatoires », 
          d'autre part que celles-ci ne s'appliquent pas à la totalité 
          des pays membres de l'Union européenne. Par un protocole annexé 
          au traité, le Royaume-Uni et l'Irlande ont en effet précisé 
          qu'ils continueront à effectuer des contrôles des ressortissants 
          des pays tiers à leurs frontières. Quant au franchissement des frontières extérieures, l'article 62 
          du traité reprend la politique des visas qui avait été 
          en partie communautarisée par l'article 100 C du traité 
          de Maastricht. Il y ajoute deux aspects : les procédures 
          et conditions de délivrance des visas par les États membres, 
          et les règles en matière de visa uniforme, lesquelles 
          seront soumises à l'unanimité pendant une période 
          transitoire de cinq ans, alors que les aspects relatifs à la 
          liste de pays tiers dont les ressortissants ont besoin de visa et à 
          un modèle type de visa sont déjà adoptés 
          à la majorité qualifiée. L'article 63 reprend la politique de l'asile mais, à la 
          différence du traité de Maastricht, il va en donner un 
          contenu précis. Ce faisant, il va en restreindre la portée. Il est effectivement prévu que le Conseil devra prendre à 
          l'unanimité et pendant un délai de cinq ans suivant 
          l'entrée en vigueur du traité, des mesures relatives à 
          l'asile à savoir : 
           
             définir des critères et des mécanismes de 
              détermination de l'État membre responsable de l'examen 
              d'une demande d'asile présentée dans l'un des États 
              membres par un ressortissant d'un pays tiers ;  
            établir des normes minimales régissant l'accueil 
              des demandeurs d'asile dans les États membres et qui concerneront 
              d'une part les conditions que doivent remplir les ressortissants 
              des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, 
              d'autre part la procédure d'octroi ou de retrait du statut 
              de réfugié dans les États membres.  Ces aspects ne sont pas sans nous rappeler le contenu de diverses résolutions, 
          recommandations et conclusions adoptées par le Conseil de l'Union 
          européenne entre 1993 et 1997 dans le cadre intergouvernemental. Elles 
          ont été toutes adoptées dans le but de limiter 
          encore davantage l'entrée d'éventuels demandeurs d'asile. 
         On peut donc s'interroger sur l'avenir de ces différentes décisions, 
          et se demander si elles vont simplement être « transposées » 
          dans le domaine communautaire  ce qui paraît le plus 
          probable étant donné le contenu de l'article 63 du 
          traité  ou si les États membres vont leur donner 
          une orientation plus démocratique et plus en accord avec le droit 
          communautaire.  On peut également remarquer que, une fois passé le délai 
          de cinq ans, le Conseil décidera à l'unanimité 
          et après consultation du Parlement européen, d'appliquer 
          la procédure de codécision à ce domaine. Le même article 63 prévoit l'adoption, par le Conseil, 
          de mesures relatives aux « réfugiés et aux 
          personnes déplacées » visant à leur 
          octroyer une protection temporaire mais aussi tendant à « assurer 
          un équilibre entre les efforts consentis par les États 
          membres pour accueillir des réfugiés et des personnes 
          déplacées et supporter les conséquences de cet 
          accueil ». À première vue, l'inclusion de cette catégorie 
          de personnes semble positive dans la mesure où elle leur permettra 
          de résider sur le territoire communautaire, même si elles 
          ne réunissent pas les conditions pour bénéficier 
          du statut de réfugié.  On peut toutefois s'inquiéter de « l'institutionnalisation » 
          d'un statut provisoire donc précaire. L'expérience a déjà 
          en effet démontré que, lorsque les États membres 
          estiment que ces personnes déplacées n'ont plus besoin 
          de protection, ils les font partir sans aucune autre considération. Sur la politique d'immigration et son éventuelle communautarisation, 
          l'article 63 précise d'une part que le Conseil adoptera 
          des mesures relatives aux conditions d'entrée et de séjour 
          des ressortissants des États tiers et de délivrance de 
          visas et de titres de séjour de longue durée, y compris 
          aux fins du regroupement familial, et prendra des décisions concernant 
          l'immigration clandestine et le séjour irrégulier.  Il prévoit par ailleurs la possibilité de définir 
          le droit, pour les ressortissants de pays tiers qui résident 
          de manière régulière sur le territoire d'un des 
          États membres, de séjourner sur le territoire d'un autre 
          État membre. On pourrait imaginer qu'a priori, les États ont effectivement 
          décidé de « communautariser » la politique 
          d'immigration, en englobant non seulement les ressortissants de pays 
          tiers qui sont en dehors de l'espace communautaire mais aussi ceux qui 
          y sont déjà installés. Cette « communautarisation » est toutefois plus 
          qu'aléatoire. Le Conseil peut en effet décider à 
          l'unanimité si les aspects relatifs à l'entrée, 
          au séjour et à la délivrance de visas et de titres 
          de longue durée ainsi qu'aux droits des ressortissants de pays 
          tiers déjà installés sur le territoire communautaire 
          seront ou non soumis à la procédure de la codécision. 
          N'étant cependant tenu par aucun délai, le Conseil peut 
          prendre cette décision dès l'entrée en vigueur 
          du traité, mais il peut aussi la repousser aux calendes grecques. 
         Entre-temps, les décisions concernant ces questions continueront 
          à être adoptées à l'unanimité après 
          une simple consultation du Parlement européen, comme c'est le 
          cas aujourd'hui sous le régime intergouvernemental, à 
          la différence près qu'on parlera de consultation et non 
          d'information du Parlement européen et qu'on adoptera des directives 
          et non de simples résolutions ou recommandations. En revanche, pour ce qui est de l'immigration irrégulière, 
          le Conseil pourra décider, à l'unanimité et après 
          consultation du Parlement européen, de passer à la procédure 
          de la codécision cinq ans après l'entrée en 
          vigueur du traité d'Amsterdam. Les États ont donc bien 
          l'intention de donner la priorité à la lutte contre les 
          « clandestins », les autres peuvent attendre ! Les mesures adoptées dans ces domaines n'empêchent pas 
          les États membres de « maintenir ou d'introduire, 
          dans les domaines concernés, des dispositions compatibles avec 
          le présent traité et avec les accords internationaux ». 
          Leur marge de manuvre reste donc étendue, d'autant qu'il 
          est prévu de ne pas porter atteinte « à l'exercice 
          des responsabilités qui incombent aux États membres pour 
          le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité 
          intérieure ».  On peut penser par ailleurs que même si une réelle communautarisation 
          des politiques de l'asile et de l'immigration avait lieu, elle ne concernerait 
          que la « méthode » de prise de décision, 
          ce qui n'est bien sûr pas négligeable, mais non le traitement 
          de fond de ces questions. La preuve en est le projet de convention présenté 
          dans le cadre du titre VI du traité de Maastricht par la 
          Commission au Conseil relatif aux « règles d'admission 
          des ressortissants de pays tiers dans les États membres » [2], et qui sera présenté comme proposition de directive 
          après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. 
          Bien qu'il s'agisse d'un texte proposé par la Commission, en 
          vertu du droit d'initiative qui lui a été conféré 
          par le traité de Maastricht, ce projet se limite en général 
          à reprendre le contenu des différentes résolutions 
          adoptées par le Conseil de l'Union européenne sur les 
          mêmes sujets. Son contenu, très restrictif, est d'ailleurs 
          loin d'être en accord avec le droit communautaire actuel. Une des vieilles revendications de la Commission européenne, 
          du Parlement européen, de différentes organisations non 
          gouvernementales des migrants et des spécialistes en la matière 
          concernait l'exercice d'un contrôle juridictionnel de la part 
          de la Cour de Luxembourg sur les décisions prises dans les domaines 
          de l'asile et de l'immigration. Le traité d'Amsterdam va leur donner partiellement satisfaction, 
          malgré la forte réticence de la part de certains États 
          membres (dont la France). Il s'agit, toutefois, d'une compétence 
          très limitée et en décalage par rapport à 
          la compétence que cette même juridiction détient 
          en vertu du droit communautaire actuel. Une démonstration de 
          plus que la « communautarisation » de ces domaines, 
          présentée comme le résultat le plus positif, sinon 
          le plus important, est fort relative. L'article 68 prévoit en effet que seules les juridictions 
          nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours 
          (le Conseil d'État et la Cour de Cassation pour la France) peuvent 
          poser une question sur l'interprétation ou sur la validité 
          des actes pris sur la base du nouveau titre IV. Par ailleurs, le 
          traité ne fait nullement référence à la 
          compétence de la Cour en matière d'annulation, de carence 
          ou de manquement, ou à la possibilité, pour les particuliers, 
          de saisir la Cour directement lorsqu'une décision du titre IV 
          léserait leurs droits. Cette compétence de la Cour est fortement limitée non 
          seulement dans la matière mais aussi dans le temps. Ainsi, le 
          Conseil doit-il, après la période transitoire de cinq 
          ans, statuer à l'unanimité et après consultation 
          du Parlement européen en vue « d'adapter les dispositions 
          relatives aux compétences de la Cour de justice ». En résumé, on peut dire que le nouveau titre IV 
          du traité d'Amsterdam représente une évolution 
          incontestable dans le traitement des question de l'asile et de l'immigration. 
          Cette évolution est cependant mitigée et le prix à 
          payer assez élevé. Il suffit, pour s'en convaincre, de 
          regarder le protocole annexé au traité sur le droit d'asile 
          pour les ressortissants des États membres de l'Union européenne, 
          dit « protocole Aznar ».  Selon ce protocole, les États membres s'engagent à ne 
          prendre en compte aucune demande d'asile déposée par un 
          ressortissant communautaire, considérant que la protection des 
          droits fondamentaux chez eux est telle que ce type de situation ne peut 
          se présenter. Cette disposition est en fait une réponse 
          à une revendication chère à l'Espagne destinée 
          à lui permettre d'obtenir l'extradition des militants indépendantistes 
          basques.  En contrepartie des efforts consentis pour mettre en place cette « communautarisation », 
          les États se sont donc attribué quelques compensations. 
          Celles-ci vont cependant parfois à l'encontre de certains principes 
          démocratiques.  
 
 
         Notes[1] COM (97) 387 final, 
          JOCE C 337 du 7 novembre 1997, p. 9. [2] Cf. note [1]. 
 
           
            Dernière mise à jour : 
             
            5-06-2002  13:04
            .  Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/38/amsterdam.html
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