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Plein Droit n° 53-54, mars 2002
« Immigration : trente ans de combat par le droit »

Les « grands arrêts » du Gisti

L’asile territorial
retrouve l’esprit de la loi

CE, 26 janvier 2000, France Terre d’Asile,
Amnesty international, Gisti

Une des innovations de la « loi Chevènement » du 12 mai 1998, on le sait, était d’officialiser, en lui donnant une base légale, l’asile dit « territorial ». Quelques jours après la promulgation de la loi, une circulaire conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre des affaires étrangères, datée du 25 juin 1998, venait en restreindre le champ d’application, provoquant le recours de trois associations, dont le Gisti, contre cette circulaire. Plusieurs dispositions de cette circulaire étaient contestables et contestées, et le Conseil d’État a admis le bien-fondé des critiques adressées au texte sur les points les plus importants.

Il censure notamment l’interprétation restrictive du champ d’application de l’asile territorial que la circulaire limitait aux seuls étrangers faisant état de menaces émanant de personnes ou de groupes distincts des autorités de leur pays. Il annule également la disposition qui prévoyait que le demandeur devait supporter les frais éventuels d’interprétariat.

26 janvier 2000.– 201020, 202537 – Association France Terre d’Asile, Amnesty international, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

Vu la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’Etat responsable d’une demande d’asile présentée auprès d’un Etat membre des communautés européennes ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, modiifée par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 ;

Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ; (…)

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même circulaire ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu’aux termes de l’article 13 ajouté à la loi du 25 juillet 1952 par la loi du 11 mai 1998 : « Dans les conditions compatibles avec les intérêts du pays, l’asile territorial peut être accordé par le ministre de l’intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les décisions du ministre n’ont pas à être motivées. Un décret en Conseil d’Etat précisera les conditions d’application du présent article ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de la circulaire attaquée du ministre de l’intérieur et du ministre des affaires étrangères en date du 25 juin 1998, relative à l’application de la loi du 11 mai 1998 et du décret du 23 juin 1998, l’asile territorial peut être accordé aux étrangers mentionnés à l’article 13 de la loi du 13 juillet 1952 lorsque les menaces dont ils font l’objet ou les risques qu’ils encourent dans leur pays « émanent de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques de ce pays » ; qu’aucune disposition de la loi du 25 juillet 1952 modifiée ne réserve l’octroi par le ministre de l’intérieur de l’asile territorial aux seuls étrangers faisant état de menaces ou de risques émanant de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques de leur pays ; que, dans ces conditions, les dispositions précitées de la circulaire attaquée restreignent le champ d’application de l’article 13 de la loi du 25 juillet 1952 ; que les associations requérantes sont, dès lors, recevables et foncées à en demander l’annulation ;

Cons. qu’aux termes du premier alinéa de l’article 2 du décret du 23 juin 1998 relatif à l’asile territorial : « L’étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation. Il peut demander au préalable l’assistance d’un interprète et peut être accompagné d’une personne de son choix » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’étranger dont la demande tendant à être assisté d’un interprète est justifiée et à qui cet interprète est fourni par l’administration n’a pas à supporter les frais de cette assistance ; que, dès lors, en prévoyant que l’étranger qui demande l’asile territorial « peut, s’il l’estime utile, demander à être assisté d’un interprète à ses frais », la circulaire attaquée méconnaît les dispositions précitées de l’article 2 du décret du 23 juin 1998 relatives à l’assistance d’un interprète ; que les associations requérantes sont, dès lors, recevables et fondées à en demander, sur ce deuxième point, l’annulation ;

Cons. que le premier alinéa de l’article 1er du décret du 23 juin 1998 dispose que : « L’étranger qui demande l’asile territorial est tenu de se présenter à la préfecture de sa résidence et, à Paris, à la préfecture de police. Il y dépose son dossier, qui est enregistré. Une convocation lui est remise, afin qu’il soit procédé à son audition » ; que, selon le premier alinéa déjà cité de l’article 2 du même décret : « L’étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation. Il peut demander au préalable l’assistance d’un interprète et peut être accompagné d’une personne de son choix » ; que l’ensemble de ces dispositions ont pour but de permettre à l’intéressé de disposer d’un délai suffisant pour préparer utilement son audition et user des droits qu’elles lui confèrent ;

Cons. que la circulaire attaquée autorise les agents des préfectures, « lorsqu’ils en ont la possibilité et que l’intéressé n’a pas auparavant déposé une demande de statut de réfugié en cours d’instruction, de l’auditionner immédiatement » après le dépôt de sa demande ; que la faculté ainsi donnée à l’administration de procéder sur le champ à l’audition de l’intéressé au moment où il dépose sa demande en dehors des cas d’urgence mentionnés à l’article 9 du décret du 23 juin 1998, méconnaît les prescriptions susrappelées des articles 1er et 2 de ce décret ; que les associations requérantes sont, en conséquence, recevables et fondées à demander l’annulation de la circulaire attaquée sur ce troisième point ;

Cons. qu’aux termes de l’article 9 du décret du 23 juin 1998 : « Le ministre de l’intérieur statue en urgence : – lorsque l’étranger qui demande l’asile territorial se trouve en rétention administrative, en application de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitée ; – lorsque la présence de l’intéressé sur le territoire français constitue une menace pour l’ordre public ; – lorsque la demande d’asile territorial est de nature abusive, frauduleuse ou dilatoire ; »

Cons. qu’aux termes du a) du paragraphe 2 du I de la circulaire attaquée, il y a lieu d’utiliser la procédure d’urgence chaque foi qu’un demandeur d’asile territorial « a sollicité l’asile territorial et le statut de réfugié et, dans le cadre de cette seconde demande, a fait l’objet d’un refus de séjour dans les conditions prévues par l’article 10 de la loi du 25 juillet 1952, alinéa 2, 3 et 4 » ; que, par ces dispositions, les auteurs de la circulaire ont entendu se référer aux 2°, 3° et 4° du troisième alinéa de cet article ; que les paragraphes 3° et 4° de cet alinéa se rapportent respectivement aux cas où la présence de l’étranger en France constitue une menace grave pour l’ordre public et où la demande d’asile présente un caractère frauduleux ou abusif, lesquels sont expressément prévus par l’article 9 précité du décret du 23 juin 1998 ; que le 2° du même alinéa concerne le cas où « le demandeur d’asile a la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en œuvre les dispositions de l’article 1er C 5 de la convention de Genève du 18 juillet 1951 », c’est-à-dire le cas où « les circonstances à la suite desquelles (il) a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister, (il) ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont (il) a la nationalité » ;

Cons. que si, en vertu du sixième alinéa de l’article 2 de la loi du 25 juillet 1952, dans les cas prévus par les dispositions précitées de l’article 10 de cette loi, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides « statue par priorité sur la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié », aucune disposition de l’article 9 du décret du 23 juin 1998, qui énumère limitativement les cas où le ministre de l’intérieur statue en urgence sur la demande d’asile territorial, n’autorisait les auteurs de la circulaire attaquée à y ajouter les demandes présentées par les étrangers se trouvant dans le cas prévu au 2° du troisième alinéa de l’article 10 de la loi du 25 juillet 1952 ; que les associations requérantes sont, dès lors, recevables et fondées à en demander l’annulation sur ce quatrième point ;

Cons. qu’aux termes du premier alinéa de l’article 9 du décret du 23 juin 1998, le ministre de l’intérieur statue en urgence notamment « lorsque l’étranger qui demande l’asile territorial se trouve en rétention administrative, en application de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 » ; que le second alinéa dispose que, dans ce cas « l’étranger est entendu sans délai » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 2 du même décret : « L’étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation » ; que ces dernières dispositions excluent que l’étranger puisse être entendu par un fonctionnaire chargé de la surveillance du centre de rétention ; que, dans ces conditions, les dispositions de la circulaire attaquée, selon lesquelles l’audition de l’étranger placé en rétention administrative peut être faite par un fonctionnaire chargé de la surveillance du centre, méconnaissent les dispositions précitées du décret du 23 juin 1998 ; que les associations requérantes sont recevables et fondées à en demander l’annulation sur ce cinquième point ;

Cons. que l’article 9 du décret du 23 juin 1998 prévoit que le ministre de l’intérieur statue en urgence lorsque la demande d’asile territorial est de nature abusive, frauduleuse ou dilatoire ;

Cons. que, selon la circulaire attaquée, « la demande d’asile paraît dilatoire » si l’intéressé « est en situation irrégulière et a déposé sa demande d’asile territorial alors qu’il venait de se voir notifier une invitation à quitter la France, ou un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. C’est le cas en particulier si l’intéressé a été débouté par l’office français de protection des réfugiés et apatrides ou la commission des recours des réfugiés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 11 mai 1998, sans que le directeur de l’office ou le président de la commission des recours n’aient saisi le ministre de l’intérieur au titre de l’asile territorial » ; qu’il en est de même si l’intéressé « séjourne irrégulièrement sur le territoire français et formule sa demande d’asile territorial au moment où il est interpellé » ; que la circulaire prévoit également que présente un caractère abusif une demande d’asile territorial non assortie d’éléments nouveaux et présentée « soit peu de temps après un rejet précédent d’une première demande d’asile territorial (moins de six mois), soit après deux ou plusieurs demandes d’asile territorial rejetées » ; que les auteurs de la circulaire attaquée se sont bornés, dans les dispositions mentionnées, à indiquer à ses destinataires des exemples de cas où la demande d’asile territorial pourrait être regardée comme de nature dilatoire ou abusive ; que ces dispositions ne sauraient exclure, quel que soit le caractère de la demande présentée, un examen individuel de chaque demande ; que, par suite, elles ne font pas grief aux associations requérantes ;

Cons. que la circulaire attaquée indique qu’au cas où l’étranger a déposé une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié et une demande d’asile territorial et où, en application de la convention de Dublin en date du 15 juin 1990 relative à la détermination de l’Etat responsable d’une demande d’asile présentée auprès d’un Etat membre des Communautés européennes, l’Etat compétent a donné son accord pour statuer sur la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, la demande d’asile sera instruite de façon prioritaire, après avoir été suspendue conformément aux dispositions de l’article 7 du décret du 23 juin 1998 ; que ces dispositions qui ne restreignent aucun des droits que les demandeurs d’asile territorial tiennent de l’article 13 de la loi du 25 juillet 1952 et du décret du 23 juin 1998, sont dépourvues de valeur réglementaire ; que les conclusions tendant à leur annulation doivent, dès lors, être rejetées comme irrecevables ;

Dans la circulaire du 25 juin 1998 du ministre de l’intérieur et du ministre des affaires étrangères, relative à l’asile territorial, sont annulés :

  1. Au premier alinéa, les mots « lorsque ces menaces émanent de personnes ou de groupes distincts des autorités publiques de ce pays » ;

  2. Au dernier alinéa du I 1 A a), le membre de phrase commençant par « cette disposition ne vous interdit pas » et se terminant par « de l’auditionner immédiatement » ;

  3. Au deuxième alinéa du I 1 A b), les mots « à ses frais » ;

  4. Au a) du paragraphe « définition » du I 2, les mots « alinéa 2 » ;

  5. Au quatrième alinéa du paragraphe « modalités de la procédure d’urgence » du I 2, les mots « selon le cas (…) par un fonctionnaire chargé de la surveillance du centre de rétention » ;

Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

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Dernière mise à jour : 27-10-2003 15:47 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/53-54/j12.html


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