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Plein Droit n° 58, décembre 2003
« Des camps pour étrangers »

Sangatte,
un symbole d’impuissance

Violaine Carrère
Ethnologue

Emblème de l’exil, de la quête de refuge, d’un grand laxisme pour certains, et pour d’autres d’un accueil terriblement restrictif, Sangatte a marqué et marquera encore longtemps les discours, les imaginaires, les attitudes en France comme en Europe. Car si l’ouverture du camp a révélé une réalité qui peut ailleurs rester parfaitement insoupçonnée, sa fermeture n’a rien résolu.

De septembre 1999 à novembre 2002 : trois ans. Telle aura été la durée de l’existence du camp de Sangatte. Une vie qui, pour avoir été brève, est loin d’être passée inaperçue. L’histoire du camp de Sangatte laisse après sa fin des traces multiples, au premier chef bien sûr pour les quelque 63 000 personnes qui y ont séjourné, mais pour bien d’autres également.

Si le « Centre d’accueil de réfugiés » créé par l’Etat de manière assez discrète dans cette petite commune près de Calais est resté relativement inconnu durant sa première année d’existence au moins, le nom de « Sangatte », par la suite, a pris valeur d’emblème, avec des contenus très divers. Emblème de la façon dont les malheurs de la planète poussent vers l’Europe des milliers de déshérités, emblème pour les uns d’une France terre d’asile abritant des milliers d’exilés, emblème pour d’autres d’un lamentable laxisme des autorités françaises, ou inversement d’une politique scandaleusement inhospitalière à l’égard des migrants, emblème des impasses des politiques européennes en matière d’immigration et d’asile.
Ce statut d’emblème est bien entendu lié au caractère inédit du camp : jamais encore on n’avait ouvert pour une durée aussi longue (le « provisoire » du début ayant d’emblée, de toute évidence, toutes les raisons de durer…) un lieu, de cette taille qui plus est, pour recevoir des personnes n’ayant, au regard de la réglementation en vigueur, aucun droit à séjourner sur le sol national. Il ne s’agissait, en effet, ni de réfugiés en titre, ni de demandeurs d’asile (on reviendra plus loin sur ce point), et aucun n’était titulaire d’une carte de séjour. Le strict respect du droit aurait voulu qu’on procède à leur refoulement du territoire, en les renvoyant, soit dans leur pays d’origine, soit, en application des accords de Dublin, dans le pays de l’espace Schengen qu’ils avaient – nécessairement – traversé avant de pénétrer en France.

Or, la préfecture du Pas-de-Calais a longtemps fait un tri par nationalités ; si elle a bien délivré, pendant les trois années d’existence du camp, nombre d’arrêtés de reconduite à la frontière à des migrants considérés comme expulsables, c’est seulement après la décision de fermeture, le 5 novembre 2002, qu’elle en a notifiés indifféremment des appartenances nationales, et donc même à des exilés qui avaient été admis dans le camp ou auraient pu y être admis. Plus encore, les forces de police signalaient à des exilés l’existence du camp, et en ont même régulièrement conduits ou reconduits au camp, lorsqu’ils les trouvaient errant dans Calais ou dans les installations portuaires. Il est également arrivé, même loin de la région, que des policiers conseillent à des exilés d’aller à Calais. Cela se produit toujours, d’ailleurs… Avec cette différence que les policiers de Calais s’efforcent aujourd’hui de chasser de la région ceux que leurs collègues de Lyon ou Paris leur ont ainsi envoyés !

Le statut d’emblème de Sangatte a également pris racine dans le choc qu’inévitablement on ressentait au spectacle de cet immense hangar de tôle grise, planté en pleins champs dans « le dos » du petit bourg de Sangatte, à la vue de ces alignements de baraques de chantier et de tentes couleur kaki à l’intérieur, dans l’ambiance de ce lieu trop haut, trop vaste, où les bruits et les voix résonnaient, et où se tenaient, désœuvrés, attendant leur tour pour la douche ou pour des soins infirmiers, dessinant une longue file aux heures des repas, 800 à 1 500 jeunes hommes, les « réfugiés » de Sangatte.

De ce spectacle naissait forcément une question : mais que veulent-ils ? Pourquoi acceptent-ils, durant des semaines, des mois dans les derniers temps, de telles conditions de vie ? La question est à la fois bien naturelle, et à la fois n’est justifiée que par l’inhabituelle concentration d’exilés en un même lieu. Certes, nombreux sont les étrangers qui « acceptent » des conditions de vie aussi misérables dans l’espoir de jours meilleurs : plus de cinquante millions d’humains dans le monde vivent dans des camps de réfugiés. Mais la riche Europe n’accueille que bien peu de ces exilés en quête d’asile et le fait dans des conditions le plus souvent précaires : les grandes villes du continent ont toutes leurs contingents d’exilés à la rue, s’abritant comme ils peuvent, dans les jardins publics, sous les ponts, dans des lieux désaffectés, des chantiers, des parkings…

Sangatte a révélé une réalité qui peut d’ordinaire rester parfaitement insoupçonnée, une réalité qui, depuis la fermeture du camp, est largement retombée dans l’indifférence, beaucoup préférant croire que la fin de Sangatte a signifié la fin de ce qui l’avait fait naître.

Face à une question finalement angoissante, il fallait des réponses faciles. Elles ont été fournies en abondance, aussi bien par le gouvernement – de gauche – qui avait créé Sangatte que par celui – de droite – qui a ordonné sa fermeture, mais également par une foule d’acteurs, plus ou moins impliqués dans l’affaire, et par de simples observateurs, visiblement prompts à s’emparer de clefs qui avaient tous les attraits d’évidences simples. Ces explications, pourtant, n’ont rien d’innocent. Elles sont venues à point nommé corroborer des postulats qu’une Europe frileuse tient à ériger en dogmes.

Première explication, répétée à satiété : « ils » veulent aller en Angleterre, ils ne veulent pas demander l’asile en France, l’Angleterre offre aux demandeurs d’asile des conditions d’accueil très (trop) favorables, cela crée un appel d’air dans le monde entier. Avantage de la mise en avant de ce thème : il conduit à conclure que l’accueil fait aux demandeurs d’asile doit surtout ne rien avoir d’attractif. Un hébergement systématique, l’allocation de subsides, un accès trop facile à des droits seraient autant d’incitations à s’exiler pour venir jouir de ces largesses. Dans le camp de Sangatte, d’ailleurs, une grande parcimonie a régné dans l’attribution des secours dits d’urgence : couchage sans intimité possible, une seule couverture par personne, lavabos et douches en nombre insuffisant, pénurie d’eau chaude, d’infirmiers, obligation de faire la queue une à deux heures pour les repas, etc. Autant de caractéristiques qui justifient à elles seules l’emploi du mot « camp » pour parler de Sangatte. Il s’agit d’un camp parce qu’on y est accueilli de manière volontairement précaire, parce qu’on n’est pas censé s’y installer véritablement, parce qu’on s’y trouve, sinon enfermé, du moins bloqué, et entièrement dépendant du bon vouloir des autorités gestionnaires du camp.

Sangatte n’était pas un lieu de privation de liberté. En principe, on y était libre d’aller et venir. Chaque soir, de petites grappes d’exilés se mettaient en route vers Calais-Frethun ou vers le port pour tenter de traverser la Manche. Cette liberté de mouvement était cependant relative : les exilés qui s’attardaient en ville, ceux qui empruntaient d’autres chemins que le plus court vers Calais, ou qui avaient échoué dans leur tentative de passage la veille, étaient raccompagnés par les policiers au camp : mesure à moitié humanitaire, à moitié de police. Pas une prison, donc, mais une sorte d’assignation à résidence. De l’aveu même du directeur, en tout cas, il ne fallait pas risquer, en offrant de meilleurs standards de vie, de « créer un appel d’air ». Le camp lui-même a d’ailleurs largement été décrit surtout à mesure que l’on a approché de sa fin, comme générant des « flux » qui, sans lui, n’auraient pas existé.

Un autre avantage de ce présupposé est qu’il permet de négliger d’informer sur le droit d’asile en France : cette information n’était donnée qu’« à la demande ». Autrement dit, il fallait déjà savoir qu’on pourrait avoir droit à l’asile en France pour obtenir de l’information sur la marche à suivre. L’Organisation internationale des migrations (OIM) a tenu une permanence dans le camp pendant plusieurs mois, et s’attachait à convaincre les personnes hébergées que passer en Angleterre était risqué, que l’accueil outre-Manche n’était pas ce que l’on pouvait croire, etc... L’information sur l’obtention du statut de réfugié en Grande-Bretagne était cependant fournie, tandis que consigne avait été donnée par le ministère de l’intérieur de ne pas la donner pour la France.

« Aller jusqu’au bout »

Tout reposait sur l’idée que, dès leur départ, les migrants arrivant à Calais avaient eu pour destination l’Angleterre. Rien, ni les témoignages contredisant cette thèse, ni les travaux de chercheurs, n’ont pu entamer véritablement l’adhésion à cette idée. Smaïn Laacher écrit dans son rapport d’enquête auprès de « réfugiés » de Sangatte : « seulement 30 personnes (sur 284) avaient entendu parler de Sangatte dans le pays d’origine. Par ailleurs, ce ne sont pas les moyens d’informations "traditionnels" (radio, télé, journaux) qui sont la première source indiquant l’existence (ou non) du Centre d’accueil de la Croix-Rouge. Loin de là. La première source de connaissance de l’existence du centre de Sangatte reste "le bouche à oreille"  et pas à n’importe quel moment ni dans n’importe quelles circonstances : 96 personnes avaient entendu parler de Sangatte au cours du voyage ; mais surtout, et c’est le chiffre le plus intéressant, 149 personnes (soit plus de la moitié des interviewés) avaient entendu parler de Sangatte pour la première fois en... France. (…) C’est au cours du voyage que l’on découvre l’existence de Sangatte ». S. Laacher propose une interprétation : « Il y a une expression qui très souvent revient dans la bouche de quasiment toutes les personnes que nous avons rencontrées : aller jusqu’au bout. (…) Le chemin généralement parcouru est le suivant : Afghanistan-Irak (pour les nationalités les plus importantes), Turquie, Grèce, Italie, France, Angleterre. Au-dessus de la Turquie, il y a la Grèce, au-dessus de la Grèce il y a l’Italie, au-dessus de l’Italie, il y a la France, au-dessus de la France, il y a l’Angleterre, et au-dessus de l’Angleterre, il y a rien. Plus exactement, il n’y a plus rien. Comme par hasard, dans chaque pays traversé et jusqu’à la France, terre de transit, l’accueil est à peu près le même : le refus violent ou "poli" de leur présence. (…) Nous sommes loin, dans cette perspective, de tous les discours à la fois un peu mous et très naïfs sur la recherche de l’Eldorado. Aller jusqu’au bout, c’est tout simplement ne pas rester au bord (du chemin, de la route, de la société qui nous soupçonne de mauvaises intentions, de l’Etat qui refuse sa reconnaissance, etc.) ».[1]

Le camp de Sangatte apparaît là sous un tout autre jour que celui qui en a été largement proposé. Les « réfugiés » du camp sont avant tout des personnes qui… cherchent refuge. Si un meilleur accueil (un toit, le droit de travailler) leur avait été réservé ailleurs sur leur route, tout laisse à penser qu’elles se seraient « posées » là.

Le thème de l’appel d’air, d’ailleurs, ne trompe que ceux qui le veulent bien. Nicolas Sarkozy lui-même a fait l’aveu du peu de sérieux de ce thème en déclarant, le 6 décembre 2002 à TF1, à propos de la décision de supprimer le camp : « nous mettons fin à un symbole d’appel d’air de l’immigration clandestine dans le monde ». Non pas un appel d’air effectif, donc, mais un symbole d’appel d’air… La décision d’en finir avec le camp de Sangatte est tout aussi symbolique : il s’agit de faire mine de maîtriser la circulation des humains au travers d’une frontière, symbole d’une maîtrise illusoire des « flux migratoires »…

La rhétorique du « faux demandeur d’asile »

Pour matérialiser cette pseudo-maîtrise, divers signes sont venus marquer, petit à petit au cours de l’année 2002, le glissement d’un camp ouvert à un camp de plus en plus fermé : la gendarmerie s’est faite davantage présente, un car stationnait en permanence à l’entrée du terrain où se trouvait le hangar, une clôture de barbelés a été installée, puis les agents de la Croix-Rouge se sont mis à vérifier chaque entrant au détecteur à métaux. Dans les tout derniers mois, il fallait un badge pour accéder au camp, et les entrées comme les sorties ont été contrôlées. Une société de gardiennage s’est installée dans l’enceinte du camp. Nulle justification légale à ces entraves à la liberté, aucune notification d’un arrêté quelconque : de toutes façons, le camp, pas plus que les personnes hébergées, n’a jamais eu de statut juridique.

Second thème présent dans les explications données à propos de Sangatte : ces étrangers en transit ne sont pas de « vrais » demandeurs d’asile mais des migrants « ordinaires », simplement en quête d’un mieux-vivre. La rhétorique du « faux demandeur d’asile », qui connaît un succès croissant ces dernières années dans toute l’Union européenne, permet de jeter la suspicion sur l’ensemble des demandeurs d’asile. Au lieu de devoir considérer ceux-ci a priori , jusqu’à la fin de l’instruction de leur dossier, comme des réfugiés statutaires potentiels, et donc de leur accorder des droits conformément à la Convention de Genève, les pouvoirs publics nationaux utilisent cette rhétorique des faux demandeurs pour négliger leurs obligations, voire agir en contradiction flagrante avec les principes posés par la Convention sur les réfugiés : impossibilité de refouler, de maintenir en détention, etc. Les institutions européennes, après avoir échafaudé toute une réglementation reposant sur les mêmes présupposés et visant à rendre de plus en plus difficile l’entrée des migrants – parmi lesquels d’éventuels demandeurs d’asile – s’apprêtent à revoir à la baisse les règles de droit jusqu’ici liées à l’asile, jusqu’à envisager, notamment, de priver de liberté des demandeurs et de les retenir dans des camps à l’extérieur de l’Europe.

Le thème du « faux demandeur d’asile » a bien entendu été mis à profit à Sangatte, en particulier dans les derniers mois de la vie du camp et au cours des négociations entre la France et la Grande-Bretagne pour sa fermeture. On a pu en voir les effets, non seulement dans les discours des deux gouvernements à l’adresse de l’opinion, mais dans les termes mêmes des accords tripartites qui ont été passés alors (France-Afghanistan-HCR, et Grande-Bretagne-Afghanistan-HCR). Le quota de résidents de Sangatte qu’acceptera l’Angleterre sera composé de personnes renonçant à demander l’asile, qui seront reçues en tant que travailleurs migrants, tandis que ceux que la France acceptera de garder devront s’engager, au contraire, à demander l’asile. Où l’on voit que les mêmes personnes peuvent, au gré de considérations politiques, de questions de communication, être soit l’un, soit l’autre : ou potentiellement de vrais réfugiés, ou des migrants ne sollicitant pas une protection, mais du travail…

Un troisième et dernier motif invoqué pour parler des facteurs à l’origine de Sangatte a fait l’objet, lui aussi, d’un large consensus, de plus en plus fort au cours des trois années de vie du camp. Le procédé, venant nourrir l’image de personnes abusées, leurrées, bref, des réfugiés-victimes a été le suivant : faire observer que les étrangers arrivant à Calais y avaient été conduits par des passeurs, que ces passeurs promettaient monts et merveilles à leurs victimes incapables de faire la part du vrai et du faux, que la traversée de la Manche était l’occasion de profits juteux, sur lesquels tablaient des réseaux très organisés, véritables mafias.

Certes, dans leur majorité les résidents de Sangatte sont arrivés en France grâce aux services de passeurs. Certes, quasiment tous ceux qui sont passés outre-Manche, et ceux qui y parviennent aujourd’hui encore – car des passages ont bien lieu, régulièrement – ne peuvent réussir qu’avec l’aide d’un passeur.

Mais, en insistant sur la dénonciation de trafiquants d’êtres humains, on omet de dire que les passeurs ne sont devenus incontournables qu’avec le renforcement des contrôles tout le long de la côte (dans le tunnel, l’Eurostar, sur le port, à l’embarquement des ferries, à bord des camions) ; et que leurs tarifs ont grimpé à mesure que les difficultés de la traversée augmentaient. En outre, on donne à ceux que, pendant toutes les années 80 et 90 on appelait des « réfugiés », l’image de personnes ayant partie liée avec des délinquants, des groupes au sein desquels sévissent des trafiquants prêts à tout : peu à peu, le mot « clandestin » a d’ailleurs refait son apparition dans la presse locale… Et l’hostilité de la population environnante s’est exprimée de plus en plus fortement.

Mettre l’accent sur le rôle des passeurs est ainsi fort commode pour empêcher de voir que Sangatte s’est créé à partir d’une situation dont les passeurs ne sont pas responsables, même s’ils la mettent à profit : celle d’un goulet d’étranglement, une nasse. Les premiers migrants qui ont voulu franchir la Manche à partir de Calais sont apparus au début des années quatre-vingt dix. Pendant dix ans, leur nombre et leurs nationalités ont varié en fonction des crises et des violences dans le monde. Les pouvoirs publics n’ont rien fait, tant que le phénomène est resté invisible – les gens passaient, en quelques jours – et si des dizaines de personnes se sont mises à errer dans Calais, ce « désordre » aboutissant à la création du camp de Sangatte, c’est bien parce que continuer sa route vers l’Angleterre était devenu, à la fin de la décennie, très hasardeux.

Le thème des passeurs a été l’un des grands thèmes de N. Sarkozy à propos de Sangatte : le ministre a beaucoup parlé des instructions données aux forces de l’ordre pour « démanteler les filières mafieuses » dans le camp et ses alentours, et du succès de ces opérations. Après la fermeture du camp, le ton a été donné : ceux qui sympathisaient avec les exilés, qui les aidaient, ont été accusés de « faire le jeu des passeurs ». Aujourd’hui, alors que d’évidence des passeurs continuent d’opérer dans la région, et bien sûr très en amont, le silence est fait sur eux.

Le simulacre d’une politique ferme mais humaine

Car si la création du camp de Sangatte, à l’automne 1999, correspond à un aveu d’impuissance – on ne peut ni ne veut entraver vraiment les passages vers l’Angleterre, trop heureux que ces migrants-là, au moins, ne nous demandent rien, et on apporte une réponse (à peine) humanitaire – la fermeture du camp correspond, elle, à un déni d’impuissance. Simulacre de maîtrise des flux, de capacité à étanchéifier les frontières, simulacre de réussite dans la répression (des passeurs, des passés, des amis de ceux qui cherchent à passer), simulacre d’une politique ferme mais humaine, avec les accords tripartites, le plan de « retours aidés », et la caution du HCR.

La réalité de la fin de Sangatte et de l’après-Sangatte est bien sûr tout autre. D’abord parce qu’au moment de la fermeture, les mesures prises (le volant « humanitaire » du programme), n’ont concerné que 2000 personnes environ, laissant de côté les centaines d’autres qui ont continué d’arriver. Seulement treize personnes ont demandé à bénéficier du plan de retour aidé annoncé à grand bruit médiatique. Le volant répressif, lui, est tel que les arrivées dans la région sont moins nombreuses aujourd’hui, mais à Calais on compte en permanence depuis un an entre cent cinquante et deux cents « réfugiés », démunis et à la rue. Dans l’après-Sangatte, toutes les villes sur la côte de la Manche ont vu arriver des exilés cherchant à se rendre en Angleterre, et à Paris, à Lyon, ou ailleurs, sont apparus plusieurs regroupements d’exilés irakiens, afghans, iraniens (les nationalités les plus fortement représentées à Sangatte les derniers mois).

Si un camp, conçu au départ avec une fonction de mise à l’écart plus qu’une véritable fonction humanitaire, a été fermé, un processus qu’on peut tout autant appeler « camp » reste bien vivace, au travers de l’enfermement dans la clandestinité, des entraves à la liberté de circulation, et dans la tentative, pour l’instant assez réussie, de déni. Déni de l’existence de quelques centaines de personnes qui ont fui des pays en guerre, ou plongés pour longtemps dans le chaos. Déni de l’évidence : on ne peut à la fois proclamer le respect du droit d’asile et délaisser, ou réprimer, ceux qui sont en quête de refuge.

 

« Dignité ou exploitation,
à vous de choisir
»


Le seul document d’information qui ait été mis – et encore le fut-il tardivement – à la disposition des exilés de Sangatte s’intitule, dans sa version anglaise « Dignity or exploitation : the Choise is in your hands ». Il existait aussi en albanais, en arabe et en russe.

Ce petit livret de huit pages illustrées, publié en juillet 2001 avec les logos de l’Office des migrations internationale (OMI) et de l’Organisation internationale des migrations (OIM), ne dit pas un mot du droit relatif à l’asile. Il vise à convaincre les « réfugiés » de retourner chez eux. Dans cet objectif, le document se contente de montrer que la France et le Royaume-Uni ne sont pas des pays où les droits de l’homme sont respectés.

On y apprend que « gagner illégalement le Royaume-Uni est difficile et dangereux », qu’en Angleterre, la vie est dure (beaucoup d’interpellations d’irréguliers, un regroupement familial aléatoire, le risque d’être surexploité par des employeurs sans scrupule...). Sur la France, juste une image de « réfugiés » dormant sur des lits de camp à Sangatte, accompagnée de ce commentaire : « Vous êtes résident au centre de Sangatte qui est géré par la Croix-Rouge française. Ce centre a été créé par le gouvernement français dans le but de fournir une assistance humanitaire de courte durée aux migrants en situation irrégulière comme vous. Cette situation n’est et ne peut être que temporaire et précaire ».

Jean-Pierre Alaux

Télécharger le document (format pdf, 800 ko)

 


Notes

[1] Smaïn Laacher, Après Sangatte... nouvelles immigrations, nouveaux enjeux, La Dispute, 2002.

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Dernière mise à jour : 5-01-2004 16:28 .
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/plein-droit/58/sangatte.html


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