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 Plein Droit n° 14, juillet 1991« Quel droit à 
  la santé pour les immigrés ? »
 Hélène Bretin 1ère 
          partie | 2ème partie | 3ème 
          partie Parmi les femmes algériennes que nous avons rencontrées, 
          certaines ont eu recours au contraceptif injectable. Il s'est intégré 
          pour elles dans une histoire en « rupture », du 
          fait de la venue en France. Dans cette histoire, la contraception fait 
          irruption avec une information fragmentaire. Elle n'a pas de sens en 
          elle-même et n'en acquiert un qu'à travers l'expérience 
          difficile de la migration en France, dans une relation souvent culpabilisante 
          avec les praticiens et les équipes de soins qui ne connaissent 
          ni ne comprennent cette expérience et les femmes qui la vivent. Fadéla est Kabyle. Née en 1957, elle est arrivée 
          en France en 1978, deux ans après son époux. Fadéla 
          et son mari ont cinq enfants, trois garçons puis deux filles. 
          Les garçons ont 10 ans passés, 8 et 7 ans, 
          les filles 3 ans et demi et 2 ans. Toute la famille vit dans 
          un logement de cinq pièces. Fadéla n'a pas d'emploi salarié. 
          Son mari, électricien, a connu d'importantes périodes 
          de chômage.  Sa première grossesse s'est déroulée en Algérie, 
          loin de son mari qui travaillait déjà en France. Elle 
          ne la désirait pas et l'a mal vécue.  Quarante jours après son accouchement à la maison, une 
          paralysie de la jambe gauche nécessita une hospitalisation de 
          trois mois au bout desquels on lui proposa de se faire soigner en France, 
          son mari étant là-bas. Lorsqu'elle vint en France, son 
          mari n'avait pas de logement. Elle n'a pas pu entrer à l'hôpital, 
          le patron de son époux refusant de donner à celui-ci quelques 
          jours pour les démarches nécessaires. Fadéla et 
          son mari ignoraient tout des services sociaux susceptibles de les aider 
          dans ce type de situation. Ils vécurent dans une chambre d'hôtel 
          puis emménagèrent dans un studio. Fadéla ne marchait 
          toujours pas mais était soignée par une infirmière 
          à domicile. Sa deuxième grossesse débuta dans ces 
          conditions : « la catastrophe ».  Fadéla ignorait l'existence de la pilule et du stérilet : « Il n'y avait personne là où on habitait 
          qui prenait la pilule pour que je sache. Il n'y avait personne qui avait 
          un stérilet pour que je le sache. Chez nous, on n'en prenait 
          pas. Ailleurs, je sais pas. » Isolée en milieu rural en Algérie, immobilisée, 
          isolée et étrangère en milieu urbain ici, elle 
          ignorait également tout du suivi d'une grossesse. Le médecin 
          traitant prit en charge la partie administrative du suivi jusqu'à 
          l'accouchement à l'hôpital.  À la maternité, Fadéla eut une première 
          information sur la pilule. Information donnée non pas à 
          elle seule dans un dialogue qui permette de poser des questions mais 
          dans une réunion collective et infantilisante : « Celles qui vont sortir le lendemain par exemple, elle 
          nous rassemble toutes dans une salle pour nous parler de ça. 
          Elle m'a dit, ça c'est pour pas avoir de bébé tout 
          de suite. Vous prenez cette pilule, tous les jours, tous les jours, 
          tous les jours ; au bout de 21 jours vous arrêtez, vous 
          aurez vos règles, et après 7 jours, vous reprenez 
          une autre plaquette. « Je suis restée chez moi un mois, et j'ai pas 
          été voir le médecin pour avoir cette pilule, je 
          suis rentrée directement en Algérie. J'y suis restée 
          quatre mois. » Quelques mois après son retour Fadéla est de nouveau 
          enceinte. L'information sur la pilule ayant été faite 
          en post-partum, elle ne pensait pas possible de la prendre en dehors 
          de ce contexte : « Je me disais, une fois accouchée, c'est à 
          ce moment-là qu'il faut prendre cette pilule. Si on la prend 
          pas à ce moment-là, c'est trop tard. C'est ce que je pensais 
          comme je l'ai jamais prise. Et les médecins, ils nous ont parlé 
          à la dernière minute. J'ai dit : en sortant de l'hôpital, 
          il faut que j'aille chercher cette méthode. Et comme je suis 
          restée un mois sans l'avoir, j'ai dit : je m'en fous, je 
          rentre en Algérie. Je suis revenue et j'ai dit : peut-être 
          c'est trop tard ».  « ...Je commence un petit 
          peu  à apprendre la vie... »
 Petit à petit, une femme l'aide à se guider dans le système 
          social et administratif français : « C'est là que je commence un petit peu à 
          apprendre la vie. J'avais une voisine qui me parlait, on se rencontre 
          dans un square. Elle était là depuis 26 ans, elle 
          connaissait tout. Elle me disait : il faut emmener ton fils en 
          maternelle, quand tu es malade il faut faire ceci, cela. Si tu ne peux 
          pas travailler chez toi, il y a une travailleuse familiale de la Caisse 
          d'allocations familiales qui peut venir. « J'ai suivi tout concernant la grossesse. J'ai su ce 
          qu'il fallait faire, je savais qu'il faut déclarer la grossesse, 
          il y avait un dispensaire, c'est là que j'ai été 
          faire la déclaration ». La pilule prise après la naissance de son troisième fils 
          ne lui réussit pas du tout... « La gynécologue m'a proposé cette pilule. 
          Je l'ai prise, au bout de quatre mois, j'ai abandonné, j'ai perdu 
          quinze kilos. Je veux rien manger, je m'énerve, j'ai des maux 
          de tête, des vertiges, la tête qui tourne toute la journée, 
          je fais rien, ni mon ménage ni rien. Ma peau est toute pâle, 
          j'ai même pas été voir un médecin (...). « Je n'avais pas envie d'aller lui expliquer. J'avais 
          maigri, j'ai voulu arrêter pour reprendre un petit peu de mes 
          forces et tout ça. « Je m'en foutais. Finalement, je suis tombée enceinte. 
          Que voulez vous que je dise, si c'est une fille cette fois, j'arrêterai 
          après ». La grossesse dura quatre mois. Fadéla fit une fausse couche 
          mais n'envisageait pas de s'arrêter après trois enfants : « cinq-six.. non, quatre-cinq je dirais bien j'arrête. 
          Mais il y aurait des filles et des garçons. Si j'avais que des 
          garçons, peut-être je continue jusqu'au... » Un an après sa fausse couche, elle fut à nouveau enceinte, 
          reperdit son bébé à six mois de grossesse et décida 
          de se faire poser un stérilet :  « Je connaissais une femme qui l'a fait, elle m'a dit : 
          il y a trois ans que je l'ai, pas de problèmes. Alors je 
          me suis lancée, je l'ai gardé trois semaines, je l'ai 
          rejeté. Peut-être que le col était ouvert. Une dame 
          aussi m'avait dit ça. Je ne l'ai pas repris, je n'ai rien fait 
          jusqu'à ce que je sois enceinte de ma fille. Pour tout le monde 
          un stérilet va, pour moi il ne va pas... alors pourquoi... » Elle n'envisageait pas de reprendre la pilule, pensant qu'il n'y en 
          avait pas d'autre que celle qu'elle avait déjà essayée : « Je ne voulais plus de pilule parce que pour moi, quand 
          on parlait de la pilule, c'est seulement cette pilule qui existe. Celle 
          que j'ai prise. Finalement, il y a plusieurs sortes, et on peut faire 
          des prises de sang pour voir. Je ne savais pas ».  Sa première fille fut conçue trois mois après. 
          Fadéla avait 26 ans. Trois mois après la naissance, 
          Fadéla fut enceinte d'une autre petite fille : « Je n'ai pas pensé à arrêter, autrement 
          j'aurais dû faire quelque chose. » Entre les deux grossesses, Fadéla et son mari quittèrent 
          le « une pièce cuisine » (avec toilettes 
          et eau chaude sur le palier) qu'ils occupaient à sept, pour un 
          logement de quatre pièces en banlieue. Elle changea donc de PMI 
          pour les enfants, de centre de consultations pour son suivi de grossesse, 
          et d'hôpital pour accoucher de sa seconde fille. « Le jour où je suis sortie, ils nous ont demandé 
          si on voulait la pilule, c'est là que je me suis rendue à 
          l'endroit où j'étais suivie pour voir une gynécologue 
          et dire ce ce qu'il me faut. » C'est à cette période là que le mari intervint 
          en demandant à sa femme de cesser d'avoir des enfants : « Au début, il s'en fout. Et là, il ne veut 
          plus en avoir. Il me dit : fais quelque chose sinon... Moi je me 
          dis : il ne veut plus m'accepter, il faut que je fasse le nécessaire. » « À la naissance il m'a dit : moi, ça 
          suffit, déjà pour ta santé (puisque j'avais des 
          problèmes de reins). » En outre, le couple prenait en charge depuis plusieurs années 
          une belle sur gravement malade et devait faire face à de 
          grosses dépenses de santé qui ne leur étaient pas 
          remboursées.  « De toute façon, on en a cinq, ça nous 
          suffira, il faut faire quelque chose » disait son mari. 
          Pour autant, toute initiative de sa part était exclue : « Finalement, il y a des choses à faire pour les 
          messieurs aussi. Il veut pas. Il faut que ce soit moi. Lui, il ne veut 
          rien. On parle de rien. Il veut que ce soit moi qui me lance dans des 
          choses comme ça. » L'époux envisageait pour elle une ligature de trompes : « Moi je voulais pas, mais mon mari m'a forcée. 
          Quand j'ai été leur parler, ils m'ont dit : tant 
          que vous n'avez pas 36 ans, on ne peut pas vous opérer. » Fadéla échappa ainsi à la ligature et dut faire 
          un choix parmi les solutions proposées au centre de planification : « Elle m'a fait rentrer dans un bureau où il y 
          a une dame âgée, une conseillère qui m'a tout déposé 
          sur la table. Elle m'a tout montré. Je me rappelle, il y a des 
          pilules de toutes sortes, il y a des genres de... des tubes, il y a 
          le stérilet, et la piqûre.   « ... comme je perds un 
          peu la mémoire, j'ai choisi la piqûre... »
 « La dame m'a tout expliqué : voilà, 
          si vous voulez prendre la pilule, c'est la même chose, tout est 
          à peu près la même chose, vous choisissez celle 
          qui vous plaît. Alors, comme parfois je perds un peu la mémoire, 
          au lieu d'avaler la pilule, de prendre tout le temps des comprimés, 
          j'ai choisi la piqûre. » Lorsque nous avons rencontré Fadéla, elle utilisait cette 
          méthode depuis deux ans et en était satisfaite : 
          « je fais ma piqûre, jusqu'à présent 
          ça va. ». Fadéla subit des troubles menstruels 
          auxquels elle s'est adaptée avec le temps. Elle avait été 
          prévenue par la gynécologue mais la réalité 
          a dépassé les prévisions médicales : « Elle m'a dit : ne vous inquiétez pas, ça 
          peut stopper même deux, trois mois sans les avoir. Mais comme 
          ça a augmenté jusqu'à quatre mois, j'étais 
          inquiète. Je suis restée quatre mois sans les avoir. J'étais 
          tellement inquiète ; le docteur m'a parlé de deux-trois 
          mois mais pas quatre mois quand même ! « Là-bas, il faut prendre un rendez-vous pour aller 
          voir le gynécologue. Alors je suis passée en priorité 
          parce que c'est un cas d'urgence pour savoir si j'étais enceinte. 
          Et finalement, elle m'a tout expliqué : si ça retarde, 
          ne vous inquiétez pas, tant que vous avez la piqûre, vous 
          ne risquez rien. »  « Jusqu'à présent, je reste deux, trois, 
          quatre mois sans avoir mes règles, mais finalement, ça 
          revient après. » Pour elle, l'injectable est le compromis acceptable tenant compte à 
          la fois de la volonté du mari, de sa propre réticence 
          face à la pilule, de son refus de la ligature, de sa fatigue 
          à élever ses cinq enfants dans des conditions économiques 
          difficiles. Son mari a subi plusieurs longues périodes de chômage. 
          Actuellement, il travaille et la famille vit avec un peu moins de 10 000 F 
          par mois.  « Je suis fatiguée. Je vous le dis tout de suite, 
          je suis fatiguée. On se retrouve avec cinq gosses à la 
          maison, il y a personne qui peut nous donner un coup de main, faire 
          l'intérieur et l'extérieur aussi. Parce que mon mari ne 
          s'occupe de rien. Il travaille, il nous amène à manger 
          c'est tout. Mais question de courses ou de faire les papiers, il ne 
          fait rien. Il n'a que le samedi, le dimanche comme repos, et tout est 
          fermé pour aller à la poste, à la mairie faire 
          des papiers ou ce qui concerne la sécurité sociale. Donc 
          je m'occupe de tout ». Depuis l'arrivée en France, Fadéla et son mari ont eu 
          des périodes difficiles. Des problèmes de santé, 
          des problèmes d'argent lorsque l'ASSEDIC versait l'allocation 
          chômage avec quelques mois de retard. Faire vivre la famille et 
          payer le loyer avec les allocations familiales relevait du tour de force. 
          Fadéla s'en est sortie en faisant tout, ou presque, elle-même : « C'était une vie tellement difficile pour nous 
          des fois ! L'assistante sociale à ce moment-là me 
          donnait du lait pour les gosses, presque environ vingt francs pour le 
          pain et tout. » Fadéla veut rentrer en Kabylie, avec les enfants, dès 
          que la maison en construction là-bas sera terminée. Son 
          mari restera ici pour travailler. Dans cette perspective, les enfants 
          sont inscrits à des cours d'arabe. Quand elle retourne « au 
          bled », elle fait profiter les femmes du savoir qu'elle a 
          acquis sur la contraception :  « ... Il y a des choses 
          qu'on ne connaît pas
 quand on ne se déplace pas... »
 « En arrivant en Algérie, j'en ai parlé 
          avec tous les voisins. Oui, il y a des choses qu'on ignore. Il y a des 
          choses qu'on ne connaît pas quand on ne se déplace pas. 
          On est toujours dans le même endroit, il y a des choses qui se 
          passent ailleurs, on ne les connaît pas (....), la vie a 
          changé. C'est pas comme quand j'étais là.  « Par exemple, j'ai une voisine, on s'est mariées 
          en même temps, pour l'instant elle a neuf gosses. Et chaque année, 
          elle a un gosse. Elle n'allaite pas. Elle est fatiguée, personne 
          pour lui donner un coup de main. Son mari s'en fout, elle s'en fout. 
           « Je lui ai dit : il existe quelque chose pour t'arrêter 
          d'avoir les gosses tout de suite. Au moins tous les deux ans, avoir 
          un peu d'espace entre les gosses.  « Elle me dit : c'est pas vrai, ça n'existe 
          pas. Un jour, elle est partie voir un médecin qui lui a proposé 
          la pilule. Il ne lui a pas expliqué ou elle a mal compris, elle 
          la prenait le jour des rapports. Alors, au bout de trois mois, la plaquette 
          n'est pas finie (elle rit). Elle me disait : ça n'existe 
          pas, tu me racontes des blagues, je l'ai prise et je me suis retrouvée 
          enceinte. Je l'ai prise comme a dit le médecin, le jour des rapports. « Alors je lui ai expliqué qu'il fallait prendre 
          21 jours et s'arrêter 7 jours. Elle me disait : 
          pourquoi j'ai eu ces neuf gosses ? j'aurais dû m'arrêter 
          au 5ème, 6ème, 7ème ! « Quand je suis rentrée ici, je l'ai laissée 
          enceinte. Elle va peut-être avoir le dixième. » Fadéla, elle, en a cinq. Mais si elle avait eu la même 
          vie que cette femme, ajoute-t-elle, peut-être en aurait-elle eu 
          autant. Un sixième ? « Plus tard... peut-être ». 
          Si elle était sûre d'avoir une fille... Leïla est également kabyle. Elle est née en 1950 
          et elle a quatre fils. Son époux est venu en France en 1969, 
          elle-même est arrivée en 1973. Leïla n'a pas d'activité 
          salariée. Son mari est cariste. Ils vivent avec leur quatre fils 
          de dix-sept, treize, douze et dix ans dans un quatre pièces. 
          Leïla avait seize ans lorsqu'elle s'est mariée. Elle fut 
          enceinte quelques mois après, trop jeune à son gré. 
          Elle fut suivie médicalement à l'hôpital en Algérie 
          et y accoucha de son premier fils. On ne lui parla pas de méthode 
          contraceptive. Quelques temps après, le mari de Leïla vint travailler 
          en France, laissant son fils et sa femme au pays. Quatre années 
          passèrent pendant lesquelles les retrouvailles annuelles ne donnèrent 
          pas lieu à une grossesse :  « C'est moi qui faisais attention. Je suis restée 
          quatre ans sans avoir d'enfant.  « Je ne sais pas comment expliquer ça (rire 
          gêné), c'est-à-dire que je ne laissais pas qu'il 
          finisse ». Lorsqu'elle vint en France, (son mari avait trouvé un logement), 
          elle était enceinte de sept mois. « Je voulais. Le premier était grand, ça 
          va, je pouvais avoir le deuxième. »  Elle arriva directement dans le quartier où nous l'avons rencontrée. 
          Informée de l'existence de la PMI et des consultations prénatales 
          par une voisine, elle fit suivre sa grossesse et ne constata pas de 
          différences notables par rapport à sa première 
          expérience, si ce n'est qu'à la clinique, on lui parla 
          de la contraception : « On m'a dit de prendre quelque chose, qu'il y a tout 
          ce qu'il faut, la pilule... J'ai rien fait. « J'allaitais mon fils, j'ai dit peut-être que ça 
          m'empêche de tomber enceinte. Simplement. Au pays, ma mère, 
          quand elle allaitait l'enfant, elle comptait jusqu'à ce qu'elle 
          arrête, après elle tombait enceinte. Mes surs pareil. 
          Mais moi, non. Au début, j'ai pas eu de règles, mais je 
          croyais que c'était parce que j'allaitais mon enfant que j'avais 
          pas de règles. J'ai attendu comme ça. » Cette troisième grossesse ne fut pas une bonne nouvelle, la 
          précédente était encore très proche. Leïla 
          se résigna en espérant une fille. La grossesse et l'accouchement 
          furent pénibles, elle était trop fatiguée. Elle 
          échappa de peu à une césarienne et un troisième 
          fils naquit. Pour la seconde fois on lui parla de la contraception après 
          l'accouchement. Leïla était décidée à 
          utiliser une méthode. Le médecin à la PMI lui donna 
          un conseil : « La dame ici est gentille. Elle m'a dit de venir : 
          dans un mois, tu viens voir le gynécologue. Elle m'a parlé 
          aussi. Elle m'a dit : c'est le troisième, si tu continues 
          comme ça, tu vas mourir, si tu continues tous les ans, c'est 
          pas bien d'avoir les enfants tous les ans. Tu es jeune, en plus c'est 
          fatiguant.  « J'ai dit : moi aussi je ne veux pas. Le troisième 
          est venu comme ça. » « ... 
          ça existe maintenant tout ça... » Un mois plus tard, elle vint voir la gynécologue : « Je savais pas le moment de la pilule, j'ai pris la pilule, 
          c'est tout. Je savais pas le stérilet, tout ça. La piqûre 
          même, ça existe maintenant tout ça, avant ça 
          n'existait pas. J'ai dit je veux prendre quelque chose. Elle a marqué 
          la pilule, c'est tout. » Cette prise de pilule dura quelques mois : « J'ai pas pris beaucoup.    Pourquoi ?    Comme ça. Je sais pas. J'ai arrêté, 
          j'ai fait attention. J'ai dit : je vais essayer de faire attention. 
          J'ai peur de prendre des produits comme ça. Des médicaments ». 
         Une quatrième grossesse débuta, non désirée 
          elle aussi.  « J'ai été à l'hôpital, voir 
          le docteur pour avorter. Ils m'ont dit : il est grand, c'est trop 
          tard. Alors mon mari a dit : « garde le quatrième. 
          Ca fait rien. Mais après, c'est fini ».  « Je l'ai gardé et j'ai dit : peut-être 
          c'est une fille. Trois garçons et une fille, c'est bien. » Un quatrième garçon vint au monde. La reprise de pilule 
          après ce quatrième enfant dura deux années au bout 
          desquelles Leïla se fit poser un stérilet, très bien 
          toléré et remplacé deux ans plus tard. Le 
          remplacement du second stérilet posa un problème d'importance : 
          Leïla qui lit très scrupuleusement les notices d'emploi 
          de sa méthode, voulut qu'on le lui enlève au bout de deux 
          années, délai indiqué sur cette notice. Or le médecin 
          lui fit garder plus longtemps car selon lui, sur le plan technique et 
          médical, tout allait bien . « À chaque fois que je demande : enlève 
          mon stérilet, elle dit : laisse encore un peu. « Moi j'ai dit : ça y est. Deux ans c'est 
          fini. C'est un truc plastique dans mon ventre et j'ai peur.  Elle m'a dit : laisse encore un peu, tu as rien, ça 
          va. » Le dialogue « de sourds » dura six mois. Sans réponse 
          à sa demande, elle alla solliciter son médecin traitant 
          qui retira les fils du stérilet, mais pas le stérilet. 
          Celui-ci dut être enlevé à l'hôpital. Cette 
          expérience douloureuse a considérablement refroidi Leïla 
          vis-à-vis de cette méthode qu'elle appréciait mais 
          ne voulut pas reprendre : « Sinon je continuerais. Je me repose deux mois et je 
          continue. Mais j'ai eu peur. Sinon c'est bien le stérilet. On 
          avale pas, on a pas mal aux jambes, on oublie pas. » Trois mois après cet incident, Leïla est enceinte. Cette 
          fois, pas question de garder l'enfant à venir : « Mon mari il ne veut pas. Moi pareil. Déjà, 
          j'ai été opérée d'une hernie, j'ai peur 
          que ça craque, d'avoir encore plus de problèmes. » Pour cette IVG, Leïla n'a pas sollicité l'équipe 
          de la PMI mais son généraliste. Elle a également 
          demandé la caution de sa démarche à l'autorité 
          religieuse : « Même j'ai demandé au cheikh, à côté 
          de chez moi. Il m'a dit : c'est rien, quinze jours c'est rien. 
          Tu es malade. Parce que tu es malade, tu es fatiguée, c'est pas 
          grave. Tu as d'autres petits, quinze jours c'est pas grave parce que 
          c'est du sang. C'est rien. » Après cette IVG, Leïla reprit la pilule une année, 
          sans conviction, avec angoisse : « J'ai eu un petit peu de problèmes. J'ai quelque 
          chose qui me fait mal un petit peu à la poitrine. Ca me pique 
          un peu. Après, je viens voir le docteur ; il m'a regardée 
          et tout, il m'a dit : c'est rien du tout, j'ai rien trouvé ; 
          mais quand même j'ai peur. J'ai quelque chose qui me pique. J'ai 
          fait la radio au dispensaire. Ils m'ont dit : il y a rien du tout. 
          Vous avez rien. J'ai fait trois radios là-bas. C'est à 
          cause de ça, j'ai peur, je ne prends pas la pilule. »  « ... On peut avoir 
          un cancer... »  Elle craint le cancer du sein dont il est question dans les notices 
          jointes au contraceptif :  « J'ai lu les petits carnets de la pilule, tout ça. 
          J'écoute la radio. Si, si ! même dans le petit feuillet 
          qu'on emporte, c'est marqué. Si si ! Je l'ai amené. 
          C'est écrit. On peut avoir un cancer dans l'utérus, on 
          peut l'avoir dans les seins, on peut être malade. C'est écrit 
          sur la feuille, si vous voulez lire la feuille, elle est dans la boite, 
          c'est marqué. Dans le stérilet aussi il y a un petit carnet, 
          tout est marqué dedans.  « La piqûre, j'ai lu, on ne peut pas avoir peur. » Leïla ne connaissait pas cette méthode. Son information 
          est venue d'un réseau de connaissances féminines. À 
          la consultation, pas d'objection à sa demande qui reçut 
          un avis favorable du médecin : « Il m'a dit : c'est mieux la piqûre pour vous. 
          C'est mieux. Parce que j'avais un peu de problèmes avec la pilule. 
          J'ai fait de la tension, j'avais les nerfs. » Une femme s'est un peu opposée à sa démarche : 
          une traductrice parlant le kabyle, l'arabe, le français : « Le premier mois que je venais faire la piqûre 
          j'ai trouvé cette dame ici. Elle m'a dit : pourquoi tu prends 
          la piqûre ?   Ca me plaît, je veux la piqûre .  Elle m'a dit : c'est mieux le stérilet. Je lui a raconté 
          comment ça se passait avec le stérilet, elle m'a dit : 
          même, c'est mieux le stérilet. La piqûre c'est pas 
          bien.  Juste pour trois mois. Je vais en vacances, je vais faire 
          trois mois.  Alors elle m'a dit, pour trois mois, ça fait rien.  Moi quand je suis revenue, je me sentais bien, je continue ». Elle avait 35 ans. Une fois la première piqûre faite, Leïla n'eut plus 
          beaucoup de règles. Elle était prévenue et ne s'inquiéta 
          pas ; médecin et notice confirment cette éventualité 
          de quasi-disparition des saignements :  « Même dans la feuille de la piqûre on peut 
          lire ça, c'est marqué. Ici, quand j'ai demandé, 
          elle m'a dit : c'est rien, il y a des dames qui ont pas de règles, 
          il y a des dames qui ont des règles, c'est rien. Je sais que 
          j'ai fait cette piqûre, je m'en fous si j'ai pas les règles, 
          j'ai lu les papiers, c'est dedans ». L'usage de la piqûre dura un peu moins de deux années. 
          L'absence de règles, a priori bien supportée, fut malgré 
          tout l'élément central et déterminant de l'abandon 
          de la méthode :  « J'ai un petit peu tous les mois, mais pas normalement. 
          C'est pour ça que j'ai arrêté. C'est important (les 
          règles) ; j'ai peur que ça reste dedans. J'ai 
          peur que ça fasse une maladie ou quelque chose comme ça. 
          Moi, c'est ça que je pense, j'ai peur qu'elles fassent quelque 
          chose dans mon ventre. »  Leïla avait déjà pensé à une ligature 
          des trompes quand on lui retira le stérilet incomplet. Elle redemanda 
          lors de son IVG :  « Il m'a dit non, tu es jeune, on n'a pas le droit. Tu 
          es jeune, on ne sait jamais. Tu vas sur la route, un accident, tes enfants 
          meurent, t'as envie d'en avoir, tu peux pas ». Sa requête n'a pas reçu le même accueil à 
          la PMI, Leïla sait qu'elle pourra solliciter la gynécologue 
          lorsqu'elle sera disposée elle-même à envisager 
          une stérilité définitive. Mais cela ne se fait 
          pas comme ça.  « ... 2, 3 enfants, 
          on peut les faire vivre bien,
 vraiment bien... »
 « J'ai peur. On ne fait pas ça normalement. Normalement, 
          deux, trois enfants, on peut les habiller, on peut donner à manger, 
          on les fait vivre bien, vraiment bien, c'est mieux. Mais quelqu'un qui 
          n'a pas de santé, qui est fatigué, tout ça il ne 
          peut pas. » Où est le devoir envers les enfants ? Leur nombre doit 
          être proportionnel aux capacités de leur assurer l'essentiel. 
          Envers soi même ? Il y a des limites physiques dont il faut 
          tenir compte. Et puis il y a l'opération... « J'ai un peu peur de l'opération. Peut être 
          que c'est difficile. J'ai peur. Une dame a été opérée 
          comme ça. Elle m'a dit qu'elle est fatiguée. C'était 
          difficile quand elle s'est réveillée. Elle m'a dit : 
          on sait pas ce qu'il m'a fait dans le ventre ». Son mari n'y verrait pas d'inconvénient : « Oh lui, il s'en fiche. Au contraire. Il m'a dit, si 
          tu fais ça, tu es tranquille. T'as pas le problème d'aller 
          tout le temps comme ça chez le gynécologue. » 
           Leïla réfléchit. En attendant elle reprend la pilule, 
          ça ne durera pas :  « Pas longtemps. J'ai peur. Déjà au début, 
          ça m'a fait vomir. Le premier mois. »  Une chose est sûre, elle ne veut plus d'enfant. Elle a trente-sept 
          ans, c'est trop tard : « Si j'étais restée trois, quatre ans 
          avec le dernier, je peux avoir un autre. Mais il a plus de dix ans. 
          Même le dernier j'avais peur pour l'accouchement. C'est trop difficile 
          quand quelqu'un est resté longtemps avec son dernier enfant. 
          Si quelqu'un veut tout de suite les enfants, il faut deux, trois ans. » Contente de venir rejoindre son époux en 1973, elle souhaite 
          désormais rentrer au pays, dans la maison qu'ils ont fait construire. 
          La vie ici est difficile, dit-elle. Elle consiste principalement à 
          s'occuper de la maison et faire les courses. Financièrement, 
          leur situation ne permet pas beaucoup de fantaisie : son mari gagne 
          moins de 5 000 F et elle touche 4 200 F d'allocations. 
          Six personnes vivent avec cet argent. Leïla repartira peut-être 
          en Kabylie avant son mari. Lui, attendra la retraite.  
        
 
 
 
         Ces deux histoires témoignent du décalage qui réside 
          entre l'offre contraceptive qui peut être faite par les structures 
          médicales et la demande des femmes. L'offre apparaît normative 
          et restrictive face à la complexité, au caractère 
          multidimensionnel de la demande. Au delà de points communs qui 
          rapprochent les femmes, il y a les parcours individuels irréductibles, 
          marqués par des contradictions. Fadéla et Leïla sont parfaitement conscientes de la difficulté 
          qu'engendrent les enfants (fruits de leur désir et soutien de 
          leur statut), dans un contexte de précarité économique 
          et sociale. Elles y sont confrontées tous les jours.  Toutes deux ont eu, auparavant, recours aux techniques médicalisées 
          les plus courantes, pilule et stérilet. Elles ont toujours été 
          acquises au principe de la contraception. C'est dans les faits, le choix 
          des méthodes et des moments de les utiliser que se posent les 
          difficultés. L'arrêt de la procréation est concevable 
          mais ne s'accommode pas du caractère définitif qu'apporterait 
          la ligature de trompes souhaitée par leurs époux. Parallèlement, 
          elles ne peuvent entrer en opposition totale avec celui-ci sans prendre 
          un risque de conflit grave. Derrière se profile peut-être 
          la menace de la répudiation. L'injectable constitue un compromis qui répond à la nécessité 
          contraceptive. Celle-ci est vécue avec ses multiples difficultés 
          et sans partage au sein du couple dans lequel l'époux intervient 
          uniquement pour poser les limites indépassables. Élevées dans la tradition qui veut que la maternité 
          suive de près le mariage et assure leur statut social, Fadéla 
          et Leïla ont perdu, en venant en France, le soutien de la grande 
          famille et de la communauté rurale à laquelle elles appartenaient. 
          D'aide qu'il constituait très vite dans l'activité familiale 
          (domestique, agricole) au pays, l'enfant devient un coût... prohibitif 
          au regard du salaire du mari et des allocations familiales.  Par ailleurs, en venant en France, la question de la régulation 
          des naissances se pose pour Fadéla et Leïla en rupture avec 
          leur expérience antérieure. Le recours ponctuel au retrait 
          dans le contexte d'une sexualité « de séjour » 
          ne tient plus dans celui d'une sexualité « à 
          l'année ». Cette dernière pose d'une manière 
          toute autre la survenue toujours possible d'une grossesse. Elle suppose 
          l'élaboration de « stratégies » différentes 
          adaptées à une relation devenue durable, une permanence 
          qui modifie la relation du couple et la construction du calendrier des 
          naissances.  Les grossesses et périodes contraceptives qui s'y inscrivent 
          ne sont plus déterminées par les facteurs externes que 
          sont les vacances du mari, ses séjours au pays. Les repères 
          sont modifiés. C'est dans ce contexte d'un « temps 
          relationnel et sexuel » nouveau, en rupture avec le précédent, 
          que s'envisage par exemple la quotidienneté de la pilule. L'offre 
          contraceptive qui préconise le recours à cette méthode 
          donne des informations et insiste sur la régularité indispensable. 
          Mais prend-elle en considération ce décalage fondamental 
          et mesure-t-elle la difficulté que suppose l'adaptation requise ? Au sein de l'institution de soins, elles sont remarquées pour 
          leur comportement en matière de reproduction familiale. « Si 
          tu continues comme ça tu vas mourir » : derrière 
          le conseil de santé, il y a la pression pour l'utilisation d'une 
          contraception auprès d'une femme dont on a repéré 
          les grossesses successives. Celles de Leïla étaient saluées 
          par un « encore ! » dit sans malveillance à 
          son dispensaire habituel. Pourtant, toutes les solutions contraceptives 
          sont insatisfaisantes. Amaigrissement, chute de tension, angoisse, peur 
          du cancer, douleur des seins, contraintes, la pilule ne convient pas. 
          Stérilet expulsé spontanément, non changé 
          conformément au souhait de la femme, mal retiré. Les avatars 
          se succèdent et amènent de fait les femmes à une 
          restriction des choix d'autant plus importante que les normes contraceptives 
          sont strictes et centrées sur les deux méthodes féminines, 
          pilule et stérilet. Ces problèmes témoignent en 
          outre d'une grande insécurité que seule pourrait atténuer 
          une information adaptée, dans une relation véritable de 
          contact, d'écoute, de respect de l'histoire individuelle et culturelle 
          de chaque femme rencontrée. Lire 
          la suite 
 
           
            Dernière mise à jour : 
             7-08-2001  23:44.  Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/14/contraception-2.html
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