Rétention des personnes étrangères :
Fausse colère et vrais calculs d’un ministre en roue libre

Dans une décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 1er et 2 de la loi, promulguée le 11 août 2025, présentée comme « visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive ».

L’article 1er permettait en réalité de prolonger au-delà de 90 jours la rétention administrative de personnes étrangères en attente d’expulsion après avoir été pénalement condamnées, y compris pour des infractions sans gravité particulière et sans que l’administration ait à établir que leur comportement constituait une menace pour l’ordre public. Le Conseil a donc jugé qu’en permettant de porter la durée de leur rétention jusqu’à six mois, voire sept mois, la loi portait une atteinte disproportionnée à leur liberté individuelle.

L’article 2 permettait de maintenir une personne en rétention, malgré une décision de remise en liberté prononcée par un juge, tant que l’appel du procureur de la République ou de l’administration contre cette décision ne serait pas jugé, ce que le Conseil a également sanctionné pour le même motif.

Une victoire pour les personnes étrangères et pour leurs soutiens ? Un camouflet pour le ministre de l’intérieur, ardent promoteur de ce texte ? C’est en tout cas sur le ton dramatique du bon sens outragé qu’il a réagi, se déclarant « avec gravité et solennité » du côté de ceux qui – contrairement au Conseil constitutionnel faut-il comprendre – ont toujours « placé la sécurité de nos citoyens au premier plan par rapport aux droits individuels des criminels » et annonçant, bravache, sa volonté d’en appeler aux « élus du peuple » : ils seront prochainement invités à voter un nouveau texte propre à empêcher « que des innocents soient assassinés, demain, par des étrangers dangereux en situation irrégulière qui n’auraient pas été expulsés à temps parce que la loi empêchait leur maintien en rétention administrative. »

En réalité un simulacre de courroux parfaitement calculé et maîtrisé pour un ministre rompu à l’exercice des jeux de rôle et décidé à tirer doublement profit de la décision qu’il vilipende.

Simulacre parce qu’il sait déjà qu’il y trouvera la marche à suivre pour que sa prochaine loi passe l’obstacle du contrôle de conformité à la constitution : en détaillant les éléments de la loi du 11 août qui ont justifié sa censure, le Conseil a en effet livré, en creux, la recette pour que la rédaction à venir contourne la difficulté.
La manœuvre a d’ailleurs déjà fonctionné : alors qu’un article de la loi « Darmanin » du 26 janvier 2024, qui permettait de placer des demandeurs d’asile en rétention en dehors de toute procédure d’expulsion, avait été déclaré non conforme à la constitution par une décision du 23 mai 2025, il a été repris quasiment à l’identique dans la loi du 11 août sans subir, cette fois, la censure du Conseil constitutionnel, satisfait d’y trouver les aménagements mineurs qui faisaient défaut. Nul doute que les rédacteurs de la nouvelle loi annoncée sauront s’inspirer de ce procédé.

Simulacre encore, parce que, derrière une irritation de façade, le ministre utilise la décision du Conseil Constitutionnel comme tremplin d’une stratégie triplement condamnable. En affirmant « dès maintenant », en conclusion de sa communication, sa volonté « le moment venu » de voir confier « au peuple souverain » le soin « de se prononcer sur les questions essentielles de la sécurité et de l’immigration, par référendum », il entend contourner les institutions censées garantir le fonctionnement de l’État de droit, il fait sienne la rhétorique du Rassemblement national et il prend date dans son propre agenda politicien. Aux personnes étrangères de faire, une fois de plus, le frais de ces calculs de bas étage.

Paris, le 27 août 2025

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Dernier ajout : mercredi 27 août 2025, 15:24
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