action collective
La bataille des saisonniers pour leurs droits : nouvelles du front juridique
UN MOIS DE MAI RICHE EN ÉVÈNEMENTS JUDICIAIRES
Les combats judiciaires des travailleurs agricoles étrangers contre leurs employeurs ou l’administration préfectorale se déroulent au rythme désespérément lent imposé par les tribunaux tandis que les mis en cause usent et abusent de tous les moyens légaux pour contester les décisions qui leur sont défavorables.
Toutefois, justice finit par être rendue… des années après les faits.
Épilogue d’un combat homérique
Au théâtre du droit administratif, le rideau vient de se baisser sur le combat homérique de Baloua Aït Baloua contre le préfet des Bouches-du-Rhône. Dans sa décision du 25 mai 2010, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui, le 14 janvier 2008, avait annulé l’attribution d’une carte de séjour demandée en mars 2005 !
La même décision enjoint au préfet de délivrer à Baloua Aït Baloua une carte de séjour « vie privée et familiale », afin de se conformer enfin à l’obligation légale qui lui imposait en 2005 d’attribuer un tel titre de séjour à un ouvrier agricole qui résidait habituellement depuis 1982 en France (à Charleval) où il avait fixé le centre de ses intérêts professionnels.
Le Conseil d’Etat inflige un camouflet à une administration préfectorale qui , depuis janvier 2008, se prévalait systématiquement de la décision de la Cour d’appel, qualifiée de « jurisprudence actuelle », pour motiver son refus d’attribuer des titres de séjour stables aux ouvriers saisonniers qui faisaient état d’une situation analogue à celle de Baloua Aït Baloua. Telle un boomerang la décision du Conseil d’Etat inverse la jurisprudence : désormais les ouvriers agricoles saisonniers qui viennent en France depuis plus de dix années pourront citer « Aït Baloua / Préf. Bouches-du-Rhône » pour fonder leur DROIT à une carte de séjour « vie privée et familiale » moins précaire que leur carte « saisonnier ».
La bataille continue : 600 recours
Et pendant ce temps, au Tribunal administratif de Marseille, la bataille de fond engagée en 2007 se poursuit inexorablement. Quelque 600 recours ont été déposés par des ouvriers agricoles, dont 300 environ sont encore en l’examen. Les ouvriers agricoles de longue durée qui se sont heurtés au refus du préfet de les considérer comme des salariés ordinaires obtiennent très souvent gain de cause.
Devant cette offensive, la préfecture des Bouches-du-Rhône a dû accorder un bon millier de cartes « salarié » à des ouvriers confinés, souvent depuis des dizaines d’années, dans le statut ultra précaire de « saisonnier ».
Patrons délinquants
> Affaire Naïma ES SALAH
Une autre affaire va prochainement faire l’objet d’un procès devant le Tribunal de grand instance d’Aix-en-Provence après plus de huit ans d’une procédure d’instruction particulièrement compliquée par les manœuvres de l’employeur mis en cause, M. Leydier. Celui-ci aura à répondre des délits de « faux et usage de faux » ainsi que de « travail dissimulé par dissimulation de salarié » commis en 2000 au détriment d’une ouvrière embauchée au titre de travailleuse saisonnière mais « utilisée » comme bonne à tout faire 7 jours sur 7 et 15 heures par jour, 8 mois par an sur près de 10 ans.
Pour des raisons de prescriptions, M. Leydier ne sera pas poursuivi pour abus de personne vulnérables dans une affaire qui relève pourtant de toute évidence de l’esclavage moderne.
> Affaire OTTA
Le 16 juin 2008, François OTTA était mis en examen après une opération de gendarmerie mobilisant près de 150 gendarmes.
Après deux ans d’enquête et d’investigation, le Procureur du TGI d’Aix en Provence a requis son renvoi devant le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence pour des faits de travail dissimulé, aide au séjour irrégulier, hébergement incompatible avec la dignité humaine, tromperie sur les qualités substantielles de marchandises (sur les fraises espagnoles revendues aux grossistes comme du pays), abus de biens sociaux.
Me Clément DALANCON , avocat du GISTI partie civile, a demandé le 20 mai 2010 un supplément d’information sur l’infraction de soumission de personnes vulnérables ou dépendantes à des formes d’exploitation par le travail, fait punis par l’article 225-13 du Code pénal et non visés par le procureur.
> Affaire Comte / SEDAC
On se souvient peut-être de la grève des saisonniers marocains et tunisiens de la SEDAC au mois de juillet 2005, mais probablement pas des 61 ouvriers parties civiles dans le procès de leur patron, Laurent Comte, qu’ils accusaient du délit de « soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes et d’exposition à des agents chimiques dangereux ». Cette plainte a prospéré en trois étapes principales :
- le 4 décembre 2007, le tribunal de grande instance de Tarascon relaxait Laurent Comte de toutes ces accusation ;
- le procureur de la République ayant fait appel, le 26 mai 2009, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné Laurent Comte à trois mois d’emprisonnement avec sursis, à 3 amendes d’un montant total de 6000 euros et à verser à chacune des parties civiles la somme de 1000 euros ;
- le 16 février 2010, la Cour de cassation a confirmé la condamnation mais renvoyé l’affaire à la Cour d’appel d’Aix pour un nouveau jugement concernant seulement les peines prononcées initialement.
On doit rappeler que la préfecture des Bouches-du-Rhône s’est, de longue date, soumise aux exigences de Laurent Comte en lui accordant chaque année le droit d’importer sans problème 250 travailleurs étrangers pour les soumettre à des conditions d’hébergement indignes. Mais la sollicitude du préfet est allé bien au delà. Lors de la grève de 2005 : il a ordonné à la DDASS de prendre en charge les frais de relogement des ouvriers ; coût de l’opération 32 734,24 euros pour le contribuable, 0 euros pour Laurent Comte.
Tout ceci « au nom du peuple français » !
Organisations signataires :
- Codetras (Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône)
- Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés)
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