Dix années de lois sarkozy : toujours plus de devoirs, toujours moins de droits

Texte du Gisti, publié dans la revue Après-demain

Ce texte du Gisti vient de paraître dans le n° 23 de la revue Après-demain sur « Les droits des immigrés » qui peut être commandé sur le site de la fondation Seligmann.

L’ordonnance du 2 novembre 1945 puis le Ceseda ont été modifiés un nombre incalculable de fois. Si l’on excepte les lois de 1981 et 1984 votées par une majorité de gauche bien disposée à l’égard des immigrés : la loi Joxe de 1989 venant après la première loi Pasqua de 1986 et, dans une moindre mesure, la loi Chevènement de 1998 qui a atténué les méfaits des lois Pasqua de 1993 et Debré de 1997, chacune des réformes successives s’est soldée par une régression de la situation des étrangers. Cela, au nom de l’objectif dont tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont fait leur priorité : maîtriser les flux migratoires.

Pourtant, dans les discours, la politique d’immigration a toujours été présentée comme comportant deux volets : la lutte contre l’immigration irrégulière, d’une part, l’intégration de la population immigrée régulièrement présente sur le territoire, de l’autre. Mais non seulement ce second volet a été systématiquement sacrifié au premier, mais le premier a été présenté tout aussi constamment comme la condition, et donc le préalable du second. Or l’expérience montre qu’une politique de plus en plus répressive, en dehors même du fait qu’elle mobilise les énergies et les crédits au détriment de la politique d’intégration, produit nécessairement des effets désintégrateurs en engendrant insécurité et précarité, en désignant la population immigrée comme étant « en trop », en encourageant la suspicion et, au-delà, la xénophobie.

Les lois Sarkozy de 2003 et 2006 – suivies et complétées par la loi Hortefeux de 2007 et la loi Besson de 2011 – se sont inscrites dans cette continuité. Mais elles ont innové en ce qu’elles ont pris prétexte de la nécessité d’intégrer les étrangers pour justifier leur maintien dans une situation précaire, quelles que soient leurs attaches, personnelles ou familiales en France, aussi longtemps qu’ils n’ont pas donné des gages d’intégration. Quant au contenu de l’intégration ainsi promue, la fameuse « intégration républicaine », il est en phase avec l’idéologie qui voit dans l’immigration un risque pour l’identité nationale.

L’intégration, alibi de la précarisation du droit au séjour

La précarisation s’est d’abord traduite par la suppression de l’accès de plein droit à la carte de résident parce que, déclarait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, il faut la réserver « à ceux qui ont prouvé une réelle volonté d’intégration, car l’on ne peut demander à la société française de vous accueillir pendant une longue période et ne pas avoir le souci de s’y intégrer ». Ceci dans un contexte marqué par la thématique de l’opposition entre l’immigration subie, qui n’inclut pas seulement l’immigration clandestine mais aussi le regroupement familial et l’asile, et l’immigration choisie – choisie « en fonction des besoins de notre économie et de nos capacités d’intégration ». Tandis qu’il convient d’encourager la seconde, il est en somme naturel d’imposer à la première des contraintes, d’autant plus nécessaires que rôde le spectre du communautarisme.

La réforme du régime des cartes de résident, réalisée en deux temps, a comporté deux volets étroitement articulés. D’un côté, l’accès de plein droit à la carte de résident, qui concernait à l’origine tous les étrangers ayant des attaches en France, est devenu résiduel : la loi de 2003 l’a exclu pour les membres de famille et les parents d’enfants français ; la loi de 2006 l’a supprimé pour les conjoints de Français ainsi que pour les étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans. De l’autre, on a subordonné la délivrance de la carte de résident « à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française ». L’obtention de la carte de résident récompense en somme un comportement jugé conforme aux principes de la République française : liberté, égalité, … laïcité.

La logique qui avait présidé à la création de la carte de résident en 1984 s’est donc trouvée inversée : la garantie de stabilité du séjour avait été considérée comme un facteur favorisant l’intégration ; désormais l’étranger doit prouver qu’il est intégré pour obtenir un droit au séjour stable et il est maintenu dans une situation précaire aussi longtemps qu’il n’a pas donné des gages d’intégration.

Mais la déstabilisation ne s’est pas arrêtée là. Ainsi, tout étranger admis pour la première fois au séjour en France et qui souhaite s’y maintenir durablement a été d’abord invité, puis contraint de conclure un « contrat d’accueil et d’intégration » par lequel il s’oblige à suivre, si nécessaire, une formation linguistique, et dans tous les cas une formation civique comportant une présentation des institutions françaises et des valeurs de la République, au premier rang desquelles l’égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité. Et il est tenu compte, lors du renouvellement de la carte de séjour, du respect de ce contrat – ce qui veut dire que le renouvellement peut être refusé même si la personne remplit toutes les autres conditions pour l’obtenir.

La loi Hortefeux du 20 novembre 2007 a fait un pas de plus dans cette direction en imposant aux candidats au regroupement familial et aux conjoints de Français de se soumettre, dans leur pays de résidence, à l’évaluation de leur « degré de connaissances de la langue et des valeurs de la République » et, si l’évaluation en démontre le besoin, de suivre une formation qui conditionnera l’obtention d’un visa long séjour. Autrement dit, l’intégration doit être testée en amont, dans le pays d’origine, y compris et même prioritairement pour ceux qui, ayant des attaches familiales en France, ont normalement le droit de s’y établir.

On voit qu’en mettant en avant l’intégration, il ne s’est agi en rien de faire à la population immigrée une place dans la société française : tout au contraire, cette injonction de s’intégrer ne peut avoir pour effet que de la stigmatiser, de l’enfermer un peu plus dans une situation de précarité et, finalement, de faire obstacle à une véritable intégration.

Une contractualisation biaisée

L’outil choisi pour tester – plus que pour favoriser – l’intégration des nouveaux arrivants, on l’a dit, c’est le « contrat d’accueil et d’intégration ». Le caractère contractuel du CAI est totalement fictif, puisque seul l’étranger prend des engagements, d’une part, et qu’il n’a d’autre choix que de signer le contrat, d’autre part. La forme contractuelle remplit en revanche une fonction idéologique qu’on décèle sans mal en lisant le livret d’accueil remis à tout nouvel immigré et qui présente en ces termes le contrat d’accueil et d’intégration :

« La France, en vous accueillant, vous a proposé de signer, avec l’État, un contrat d’accueil et d’intégration. En signant ce contrat, vous vous êtes engagé à respecter les valeurs fondamentales de la République que sont la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité, la sûreté et la laïcité. […] Les efforts que vous aurez faits pour réussir votre intégration en France seront pris en compte au moment de votre demande de délivrance de la carte de résident ou d’acquisition de la nationalité française. […] La connaissance suffisante de la langue française et des principes qui régissent la République française constitueront en effet des éléments déterminants de [l’] appréciation [de la condition d’intégration républicaine dans la société française]. »

La loi Hortefeux du 20 novembre 2007 a créé une version familiale, tout aussi peu contractuelle, du contrat d’accueil et d’intégration : pour « préparer l’intégration républicaine de la famille dans la société française », les parents d’enfants venus dans le cadre du regroupement familial doivent passer un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille par lequel ils s’engagent à suivre une formation sur « les droits et les devoirs des parents » en France et à respecter l’obligation scolaire. Le non respect du contrat peut déboucher sur la mise en œuvre d’un « contrat de responsabilité parentale » qui permet, en cas de carence de l’autorité parentale, de suspendre le versement des prestations familiales. La sanction peut être aussi le non-renouvellement du titre de séjour.

L’offensive contre les conjoints de Français

L’offensive contre les conjoints de Français, menée sous couvert de lutter contre le détournement supposé de l’institution du mariage, mais en réalité pour faire baisser les chiffres de l’immigration, a revêtu trois formes. La première méthode, utilisée pour la première fois par la loi Pasqua de 1993 puis à nouveau par la loi Sarkozy de 2003, a consisté à modifier le code civil pour donner aux maires et aux parquets le moyen de faire obstacle aux mariages qu’ils soupçonnent être de complaisance. La deuxième a consisté à subordonner l’accès au séjour à des conditions supplémentaires en grignotant progressivement les acquis de la loi de 1984 qui avait donné aux conjoints de Français un accès inconditionnel et immédiat à la carte de résident. Aujourd’hui, ils ne peuvent en solliciter la délivrance qu’après trois ans de résidence régulière sous couvert d’une carte « vie privée et familiale » et en faisant la preuve de leur intégration. Leur entrée en France est subordonnée à la production d’un visa de long séjour qui n’est lui-même délivré qu’à l’issue d’un test d’évaluation de leur connaissance du français et des valeurs de la République et le cas échéant d’une formation. La même évolution a eu lieu en matière d’accès à la nationalité française, au point que l’acquisition par mariage est finalement soumise quasiment aux mêmes conditions que la naturalisation.

La troisième méthode est celle de la répression pénale. La loi de 2003 a créé un délit de mariage de complaisance passible de cinq ans d’emprisonnement. la loi Besson y a rajouté sa propre touche en pénalisant les « mariages gris », ceux que l’étranger a conclu en abusant de la bonne foi du conjoint français.

Intégration républicaine et identité nationale

Le nouveau concept consacré par la loi du 26 novembre 2003 : l’« intégration républicaine » est là pour signifier la double obligation de s’intégrer et de respecter les principes républicains : liberté, égalité, laïcité. Si la condition d’intégration est définie de façon trop floue pour exclure toute appréciation subjective, sinon arbitraire, de la part du préfet à l’occasion de la délivrance des titres de séjour, on voit néanmoins se dessiner en creux ce qui manque potentiellement à l’étranger et les gages qu’il doit donner pour obtenir un droit au séjour durable. L’image dominante qui ressort des textes, c’est bien celle du musulman imperméable à la laïcité et prompt à opprimer son épouse.

Citons encore le livret d’accueil intitulé « Vivre en France » :

« Vous réussirez votre intégration dans notre pays si vous savez découvrir la France et ses habitants, si vous apprenez la langue de ce pays et respectez ses valeurs fondamentales. Les étrangers comme les Français ont en effet le devoir de respecter toutes les lois. Elles s’appliquent à tous ceux qui résident sur le territoire français. C’est tout particulièrement vrai des principes républicains de liberté, d’égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, et de laïcité. »

Quant au document destiné à recevoir la signature du contrat d’accueil et d’intégration, la présentation qu’il donne de la France est une façon – une fois encore stigmatisante – de pointer ceux des principes qu’on soupçonne les immigrés de ne pas respecter spontanément : la France est un pays laïc, un pays d’égalité, dans lequel :

« les femmes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les hommes. […] Les femmes ne sont soumises ni à l’autorité du mari ni à celle du père ou du frère pour, par exemple, travailler, sortir ou ouvrir un compte bancaire. Les mariages forcés et la polygamie sont interdits, tandis que l’intégrité du corps est protégée par la loi  ».

Soupçonné de ne pas être un bon mari et de maltraiter son épouse, l’immigré l’est enfin de ne pas être un bon parent, comme laisse sous-entendre le contenu du contrat d’accueil et d’intégration pour la famille. La formation obligatoire porte notamment « sur l’autorité parentale, l’égalité entre les hommes et les femmes, la protection des enfants et les principes régissant leur scolarité en France » : que peut-on induire de ces contraintes imposées aux étrangers sinon qu’ils sont des parents irresponsables, incapables d’élever correctement leurs enfants et a priori non désireux de les scolariser ?

*

Le programme du candidat socialiste à l’élection présidentielle n’était pas très prolixe sur ces aspects de la politique d’immigration et on ne peut pas dire que des engagements fermes et positifs aient été pris à cet égard. On se prend malgré tout à espérer que la gauche revenue au pouvoir pourrait mettre son point d’honneur à rendre aux étrangers les droits qu’une autre gauche leur avait accordés après 1981 et dont ils ont été progressivement dépouillés.

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 19 juillet 2012, 19:13
URL de cette page : www.gisti.org/article2803