action collective

Lettre collective aux autorités françaises établies en Haïti
Appel au respect de la souveraineté et de la législation haïtienne en matière d’état-civil

Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur,

Copie à
Monsieur Olivier Antoine REYNES, Consul de France en Haïti
Didier LE BRET, Ambassadeur de France en Haïti

Monsieur Monsieur le Ministre,

Cette lettre co-signée par des organisations de défense des droits de l’Homme et de développement, établies en France et en Haïti, vise à alerter, comme nous l’avons déjà fait, les autorités françaises sur des violations commises par leur administration contre les droits fondamentaux des citoyens haïtiens et cela en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’Homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques ratifiés par la France ainsi que la Convention de Vienne qui fait obligation à tout État membre des Nations-Unies de respecter la souveraineté et les lois d’un autre État.

La France métropolitaine et ses territoires d’outre-mer, selon les estimations, comptent environ quatre vingt dix mille (90 000) Haïtiens/Haïtiennes. Un certain nombre d’entre eux sont maintenus dans des situations administratives difficiles du fait des exigences des autorités françaises en matière de documents d’état civil. Ce qui entraîne de graves conséquences sur leurs conditions d’existence.

En effet, les autorités françaises continuent d’exiger de toute personne de nationalité haïtienne un ensemble de documents pour régulariser leur situation ou pour agréer une demande de visa ou d’autorisation de séjour. Parmi ces exigences, sont réclamés de manière cumulative, l’acte de naissance établi dans les deux années qui suivent la naissance et un extrait des archives établi après février 2008. Dans le cas d’un enfant mineur, la présentation d’un certificat de baptême ou d’un certificat de présentation au temple est une obligation. De plus, les autorités françaises refusent également d’accepter les actes de déclaration tardive.

Ces exigences sont, pour la plupart, incohérentes et impossibles à respecter pour les raisons suivantes :

  • Il n’est pas toujours possible de présenter l’original de l’acte de naissance.
    Dans certains cas, les Archives Nationales le retiennent, suite à jugement dit « au rang des minutes ». En pareil cas, le ou la concerné⋅e reçoit un extrait des archives mais l’original de l’acte de naissance reste fixé de manière définitive dans les registres de l’État.
  • D’un autre côté, de nombreux originaux d’actes de naissance sont perdus, en particulier après le séisme, parce qu’ils sont restés sous les décombres. Il n’est donc pas toujours possible de les retrouver pour les présenter aux administrations françaises, comme elles le réclament.
  • La déclaration tardive est la seule possibilité pour certaines personnes d’obtenir un acte de naissance et de se faire inscrire dans les registres de l’État haïtien.
    En effet, en raison d’un ensemble de facteurs liés à l’éloignement des bureaux d’état Civil et à la méconnaissance par les parents des obligations définies par la loi, un grand nombre d’Haïtiens et Haïtiennes n’ont pas été enregistré-e-s dans le délai légal de 25 mois après leur naissance. Ce cas est très courant pour les gens issus du milieu rural où les bureaux d’état civil font grandement défaut. La procédure de déclaration tardive a été mise en place pour pallier ces problèmes. En rejetant systématiquement les actes de déclaration tardive et en faisant peser sur eux le soupçon de fraude, l’administration française conteste la souveraineté et la pleine légitimité de la législation haïtienne et prive un groupe important de ressortissants haïtiens vivant sur son territoire, d’un ensemble de droits. Il est à rappeler que la plupart des migrant⋅e⋅s haïtiens⋅ne⋅s dans les territoires français proviennent des zones rurales du sud d’Haïti, où à l’instar d’autres régions éloignées des centres urbains, l’accès à un bureau d’état civil de proximité pour faire enregistrer les naissances est quasi-inexistant. Ces personnes ne pourront donc jamais présenter un acte original montrant l’enregistrement de leur naissance dans le délai de 25 mois.
  • L’exigence d’un certificat de baptême ou de présentation au temple pour un mineur en plus de son acte de naissance pour bénéficier d’un permis de séjour viole, d’une part la liberté de conscience des Haïtiens et Haïtiennes et d’autre part, la Constitution française dont l’article 1 indique que « la France est une République laïque ».

Face à cette situation, le GARR, le Collectif Haïti de France, la Cimade, le Gisti, la Ligue des Droits de l’Homme, RESF Guyane, la Plateforme des Associations franco-haïtiennes (Pafha), l’association Nouvelle Image d’Haïti, le Centre Anacaona Droits Humains Haïti, AIDE, Centre de Recherches Actions pour le Développement (Crad Haïti), le Centre d’accueil foyer d’amour et la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains formulent les recommandations suivantes :

  • l’abandon des exigences irréalistes sus-mentionnées en matière d’état civil faites aux migrants haïtiens en territoire français ;
  • la cessation des abus de pouvoir des services consulaires et préfectoraux qui s’exercent au mépris de la souveraineté des autorités haïtiennes (Officier d’état civil, Magistrats, Archives Nationales d’Haïti et Consulats d’Haïti en France) ;
  • l’application du moratoire adopté après le séisme du 12 janvier 2010, d’autant que les reconduites à la frontière de migrants haïtiens dits en statut irrégulier résultent trop souvent de l’incohérence des procédures de l’administration française en matière d’état civil ;
  • la négociation d’un accord cadre bilatéral en vue d’aider à moderniser le système d’état civil haïtien selon les principes fondamentaux du Droit International.

Persuadés que notre lettre ouverte retiendra toute votre meilleure attention, nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs, en l’assurance de notre haute considération.

Port-au-Prince

Pour les organisations signataires,
Colette Lespinasse
coordonnatrice du GARR

Organisations signataires :
le GARR, le Collectif Haïti de France, la Cimade, le Gisti, la Ligue des Droits de l’Homme, RESF Guyane, la Plateforme des Associations franco-haïtiennes (Pafha), l’association Nouvelle Image d’Haïti, le Centre Anacaona Droits Humains Haïti, AIDE, Centre de Recherches Actions pour le Développement (Crad Haïti), le Centre d’accueil foyer d’amour et la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains

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Dernier ajout : mercredi 16 janvier 2013, 11:12
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