Article extrait du Plein droit n° 34, avril 1997
« Zéro or not zéro ? »
Contre la délivrance des certificats d’hébergement définie par le projet de loi Debré
Appel à une campagne de désobéissance civile
Dans son projet de loi discuté à l’Assemblée nationale les 17 et 18 décembre 1996, le gouvernement prévoit que les Français et les étrangers en situation régulière qui sollicitent un certificat d’hébergement de la mairie de leur domicile en vue de la délivrance d’un visa de court séjour à un étranger vivant hors des frontières devront déclarer à cette mairie que leur invité est bien reparti à l’expiration de la durée de validité du visa. Faute de cette déclaration obligatoire, qui fleure la délation, les hébergeants seront sanctionnés par l’impossibilité d’obtenir de nouveaux certificats d’hébergement pendant deux ans.
Cette disposition a évidemment pour but de dissuader les Français et les étrangers en situation régulière de recevoir des parents ou des amis vivant hors de l’Hexagone. Outre la punition explicitement prévue en cas de dépassement de la durée de séjour par l’invité et le fichage des hébergeants indispensable à la mise en œuvre de cette mesure, le projet laisse implicitement planer la menace de poursuites pour aide au séjour irrégulier. Dans la mesure où les invitants seront répertoriés, rien n’interdit aux maires de saisir le parquet.
L’innovation défendue par Jean-Louis Debré – qui avait d’ailleurs été censurée par le Conseil d’état dans son avis du 31 octobre 1996, sans que le gouvernement en tienne compte – aura également pour effet de dissuader, par crainte de nuire à leur hébergeant, les étrangers invités de déposer toute demande de régularisation pendant la durée de validité de leur visa et d’attendre la réponse de l’administration, même s’ils sont conjoints de Français, parents d’enfants français ou parents d’enfants étrangers en séjour régulier, voire demandeurs d’asile (statut de réfugié ou asile territorial). Conséquence absurde lorsque, dans le même projet de loi, il est prévu que certaines catégories d’étrangers pourront prétendre « de plein droit » à une carte temporaire, même s’ils ne sont entrés en France que sous couvert d’un visa de court séjour…
Face à cette mesure particulièrement inacceptable, parce qu’elle porte atteinte à la liberté des Français tout en nuisant à la vie sociale et familiale des étrangers en situation régulière, d’un projet de loi globalement condamnable, les associations signataires appellent les citoyens et les organisations démocratiques à s’engager dans une campagne qui s’opposerait à la nouvelle politique des certificats d’hébergement si elle était adoptée par le Parlement.
Cette campagne prendra les formes suivantes :
- invitation aux groupes parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel ;
- saisie de la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) sur la légalité des fichiers de demandeurs de certificats d’hébergement ;
- invitation des maires et de leurs organisations à refuser de mettre en œuvre la nouvelle politique ;
- organisation d’un mouvement de refus de déclarations aux mairies sur le départ des invités.
Comité des sans-logis (CDSL) • Droits devant !! • Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI) • Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) • Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP)
Certificats d’hébergement et projet de loi Debré
Pétition contre la déclaration-délation
« Les personnes juives ou non juives qui hébergent des Juifs à quelque titre que ce soit, devront faire au commissariat de police une déclaration spéciale (…). Cette déclaration devra être faite dans les 24 heures de l’arrivée du Juif (…) ».
(article 5 de l’ordonnance du 10 décembre 1941 de Vichy relative au contrôle des Juifs)
« Toute personne ayant signé un certificat d’hébergement et hébergé un ressortissant étranger, dans le cadre d’une visite privée au sens du présent article, doit informer la mairie de sa commune de résidence du départ de l’étranger accueilli (…) ».
(article premier du projet de loi Debré sur l’immigration, novembre 1996)
Le gouvernement Juppé a-t-il la mémoire courte ?
En adoptant cet article en conseil des ministres, le gouvernement a passé outre l’avis du Conseil d’Etat qui, dans sa note du 31 octobre 1996, rejetait catégoriquement la mesure :
« (…) les modifications introduites par cet article (…) feraient peser sur l’hébergeant des obligations nouvelles assorties de véritables sanctions. Ces modifications auraient ainsi pour effet de transformer la nature même de la procédure (…) et porteraient atteinte à la liberté individuelle et à la vie privée de l’hébergeant ».
- parce qu’il introduit une déclaration-délation obligatoire pour les hôtes,
- parce qu’il implique la création de fichiers informatiques à l’utilisation incontrôlable,
- parce qu’il prévoit des sanctions administratives ou pénales à l’encontre des hébergeants,
LE PROJET DE MODIFICATION DE LA PROCÉDURE RELATIVE AUX CERTIFICATS D’HÉBERGEMENT EST INTOLÉRABLE.
– Citoyen de la commune de ……………………. je m’oppose à l’instauration de cette déclaration-délation et demande aux parlementaires de rejeter cette disposition dans son intégralité,
– Je demande au maire et au conseil municipal de …………………………… de refuser la mise en œuvre d’une telle mesure dans notre commune si cet article de loi était adopté.
Association des communistes contre le sida (ACCS), Act-up Paris, AIDES-Fédération, Alliance des Femmes, Alliances sans frontières, Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Comité de défense des sans-logis (CDSL), Cimade, Confédération paysanne, Droit de cité, Droits devant !!, Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), Femmes de la Terre, France-Libertés, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), France Terre d’Asile, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Initiative citoyens en Europe (ICE), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Pionniers de France, Points cardinaux, REAL, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national des journalistes (SNJ), Survie.
Cinquante-neuf réalisateurs appellent à « désobéir »
Nous, réalisateurs français, déclarons :
Nous sommes coupables, chacun d’entre nous, d’avoir hébergé récemment des étrangers en situation irrégulière. Nous n’avons pas dénoncé nos amis étrangers. Et nous continuerons à héberger, à ne pas dénoncer, à sympathiser et à travailler sans vérifier les papiers de nos collègues et amis.
Suite au jugement rendu le 4 février 1997 à l’encontre de Mme Jacqueline Deltombe, « coupable » d’avoir hébergé un ami zaïrois en situation irrrégulière, et partant du principe que la loi est la même pour tous, nous demandons à être mis en examen et jugés nous aussi.
Enfin, nous appelons nos concitoyens à désobéir pour ne pas se soumettre à des lois inhumaines.
Nous refusons que nos libertés se voient ainsi restreintes.
Olivier Assayas, Jacques Audiard, Mathieu Amalric, Pascale Bailly, Eric Barbier, Xavier Beauvais, Lucas Belvaux, Laurent Bénégui, Diane Bertrand, Christophe Blanc, Pascal Bonitzer, Laurent Bouhnik, Catherine Breillat, Marc Caro, Patrice Chéreau, Jean-Paul Civeyrac, Catherine Corsini, Claire Denis, Arnaud Desplechin, Claire Devers, Karim Dridi, Danièle Dubroux, Martine Dugowson, Pascale Ferran, Laurence Ferreira-Barbosa, Sophie Fillières, Anne Fontaine, Thomas Gilou, Robert Guediguian, Bojena Horackova, Cédric Kahn, Mathieu Kassovitz, Jacques Kebadian, Cédric Klapisch, Jan Kounen, Jeanne Labrune, Serge Le Péron, Philippe Lioret, Noémie Lvosky, Jacques Maillot, Tonie Marshall, Agnès Merlet, Claude Miller, Gérard Mordillat, Gaspar Noé, Agnès Obadia, Nicolas Philibert, Manuel Poirier, Bruno Podalydès, Alain Robbak, Jean-Henri Roger, Jean-Michel Roux, Pierre Salvadori, Claire Simon, Michel Spinoza, Bertrand Tavernier, Marion Vernoux, Sandrine Veysset, Yolande Zauberman.
Projet Debré et répression contre les étrangers
Nous ne pouvons plus laisser faire
Nous ne pouvons plus laisser faire : déjà la fermeture des frontières et les restrictions du droit d’asile, aggravées par les lois Pasqua, ont entraîné une succession continue d’atteintes aux droits fondamentaux des étrangers ainsi qu’aux libertés de tous. Sous prétexte de lutter contre « l’immigration clandestine », elles ont précarisé la situation de l’ensemble des étrangers en France et fait basculer dans l’irrégularité des catégories entières de résidents et de demandeurs d’asile.
Nous ne pouvons plus laisser faire : avec le projet de loi Debré en cours de discussion au Parlement, un seuil supplémentaire est franchi dans la dégradation de l’État de droit et l’atteinte aux principes démocratiques : accroissement des pouvoirs de la police au détriment du juge, contrôle sur les personnes hébergeant des étrangers débouchant inéluctablement sur leur fichage, remise en cause du renouvellement automatique de la carte de résident, etc. Cette dégradation menace aussi, de plus en plus, les droits des nationaux français.
Nous ne pouvons plus laisser faire : avec les pressions sur les administrations, avec les menaces de poursuites pour « aide au séjour irrégulier », ce sont les caisses de sécurité sociale, les établissement scolaires, les ANPE, les services municipaux, c’est toute la population qui sont sommés de se transformer en auxiliaires de la police et en délateurs. On renoue ainsi avec l’esprit et les pratiques des heures les plus sombres de notre histoire.
Nous ne pouvons plus laisser faire : par-delà les déclarations du gouvernement en direction d’une opinion sensibilisée au drame des « sans-papiers de Saint-Bernard », et à la justice de leur cause, par-delà les fausses promesses, la machine répressive continue sur sa lancée. Jour après jour, et dans des conditions souvent attentatoires à la dignité des personnes, on met en rétention, on expulse ceux qu’on avait promis de régulariser.
Chacun sait bien qu’une telle obstination sur des objectifs uniquement répressifs ne contribue en rien ni à la solution de problèmes sociaux, ni au recul du sentiment d’insécurité. Elle ne cesse, au contraire, de compliquer le fonctionnement de l’administration et d’en alourdir les coûts. Elle menace les libertés de chacun, entraîne la dégradation de l’esprit civique et de l’éthique du service public. Elle favorise l’extension de la xénophobie et du racisme. Elle pousse à des actions désespérées des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants vivant avec nous sur notre sol et précipités dans la précarité et l’angoisse.
Nous voulons le retrait du projet de loi Debré et, plus généralement, la révision de toute la législation anti-immigrés progressivement mise en place depuis vingt ans.
Nous voulons l’ouverture de négociations honnêtes avec les associations de soutien et les collectifs de sans-papiers en vue d’une régularisation des victimes de cette politique. Et dans l’immédiat un moratoire sur les expulsions.
Nous nous engageons à participer aux actions organisées pour obtenir le retrait du projet Debré. En tout état de cause, s’il devait être adopté, nous continuerions d’en contester la légitimité et de défendre tous ceux, étrangers et Français, qui en seraient les victimes.
Elisabeth Allès, chercheur à l’EHESS
Etienne Balibar, professeur à l’université de Paris X-Nanterre
Danièle Lochak, professeur à l’université de Paris X-Nanterre
Emmanuel Terray, directeur d’études à l’EHESS.
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