Article extrait du Plein droit n° 58, décembre 2003
« Des camps pour étrangers »
Des camps en France (1944-1963)
Marc Bernardot
Maître de conférences à l’Université de Lille I , Clersé
Plusieurs historiens ont montré les fréquentes utilisations du camp en France durant la première moitié du XXesiècle pour mettre à l’écart des « indésirables » ou des « bouches inutiles ». Un camp est un regroupement imposé et arbitraire de civils en dehors du système pénitentiaire pour une durée indéterminée, visant à les enfermer, les rééduquer ou les faire travailler ; il est pratiqué sur un site ad hoc ou existant, le plus souvent en dehors des villes, à des fins militaires, policières, économiques et sociales.
A l’état de projet, à partir des années 1850, la formule du camp moderne se développe vraiment durant la Première Guerre mondiale pour retenir des civils étrangers et des Alsaciens-Lorrains. Dans le même temps se mettent en place des casernements séparés de « coloniaux » employés au front ou à l’arrière dans l’effort de guerre. La généralisation du camp (d’internement, de réfugiés, de travail) en France se fait durant l’entre-deux-guerres, pour des populations de toutes nationalités perçues comme une menace et qui ne doivent pas se disperser dans le territoire. Très largement constitué par la IIIeRépublique, un réseau de camps, d’Espagnols et de juifs principalement, va servir, en se développant, la politique d’exclusion du régime de Vichy.
Après la guerre, les camps ne disparaissent pas. Entre les centres de séjour surveillé (CSS) de 1944 et les centres d’assignation à résidence surveillée (CARS) de 1957, gérés par le ministère de l’intérieur, le modèle de l’internement politique semble même arriver à son apogée. S’il a semblé disparaître pendant un temps, cet espace singulier n’appartient pas au passé. Des modes de gestion et de regroupement forcés de populations, notamment étrangères, les zones d’attente et les centres de rétention, d’accueil ou d’hébergement, existent en France et en Europe. Le camp, d’accueil ou de rétention, semble être ainsi redevenu une solution routinière de traitement de situations d’urgence ou présentées comme telles. Cette persistance conduit à s’interroger sur la généalogie des techniques de l’internement.
Historiquement, les camps ne sont pas des lieux prévus à cet effet ; ils sont envisagés comme des lieux provisoires qui ne justifient pas la construction de bâtiments spécifiques autres que des baraquements temporaires. Les sites les plus souvent utilisés sont les casernes, les châteaux, les terrains industriels laissés en friche ou encore les bâtiments ayant des fonctions d’accueil collectif (hôtels, établissements éducatifs et sanitaires).
Répression politique et gestion coloniale
Au-delà de la précarité des espaces de rétention et du dénuement que cela entretient pour les populations internées, c’est la permanence de leur emploi dans le temps qui apparaît le plus marquant à propos de ces camps français. Certains sites sont emblématiques de cette utilisation constante de certains lieux. L’exemple de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) permet, par exemple, de suivre en raccourci cette continuité entre les années trente et nos jours. Mais, malgré tout, la « piste » des camps n’est pas facile à suivre. Les dénominations des espaces de rétention euphémisent plus ou moins leur fonction principale rendant plus complexe leur identification. Les sites utilisés comme camps peuvent connaître des utilisations changeantes en fonction des besoins. Et, lorsqu’ils sont détruits, ils ne laissent pas plus de traces qu’un bidonville rasé malgré quelques plaques commémoratives qui existent ici ou là.
Un tableau succinct des modes d’internement et de placement en camps en France de la fin de la Deuxième Guerre mondiale aux années 1960 montre une double fonction, à la fois de répression politique et de gestion coloniale. Il ne porte pourtant que sur la « métropole » et non sur les déplacements et localisations forcés dans les territoires coloniaux qui, par leur ampleur et les multiples formes qu’ils prennent, dépassent le cadre de cet article.
Il existe une tradition de centres explicitement disciplinaires en France installés pour l’essentiel dans des forteresses militaires. Ils sont relativement rares jusqu’en 1939. Ils se développent durant la Seconde Guerre mondiale et se généralisent entre 1944 et 1963 sous la forme de centres de séjour surveillé. Les CSS fonctionnent en métropole sous le contrôle du ministère de l’intérieur entre 1944 pour les premiers et 1946 pour les derniers [1]. Plus de 170 centres de séjour surveillé accueillent jusqu’à 50 000 personnes simultanément. Il s’agit d’individus suspectés de collaboration avec l’ennemi et non des victimes innocentes comme dans les camps de Vichy.
La réalité est en fait plus complexe : ces centres accueillent des populations très hétérogènes, parmi lesquelles on compte un fort contingent d’étrangers, considérés comme des « civils ennemis ». Par leur diversité de statut, de motif et de durée d’internement, ces populations constituent une mosaïque modifiée au gré des libérations et des internements (collaborateurs, miliciens, délinquants économiques, civils allemands et étrangers « indésirables », nomades). Il s’agit d’interner rapidement, et sans le concours d’un juge, des individus estimés dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Les internés administratifs sont dirigés vers des centres spécialisés, dont la plupart ont déjà servi de camp dans les années précédentes.
Compte tenu des difficultés de la vie quotidienne et de la désorganisation des premiers temps de la Libération, les responsables doivent composer avec les pénuries de matériel et de nourriture, réclamer des moyens à diverses administrations et négocier des prêts de fournitures. Le personnel vacataire des camps est indiscipliné et difficile à recruter. Les conditions de rétention sont très rudes, notamment dans les premiers mois avant que l’organisation se mette en place. De plus, les « indésirables » deviennent rapidement, du fait de leur internement, des « bouches inutiles ». Le camp se transforme peu à peu en asile dont les occupants doivent être secourus par des organisations caritatives. Les internés sont employés dans divers travaux, extraction, construction, coupes de bois, etc.
Le camp semble alors appartenir à une forme extrême du modèle d’hygiénisme coercitif évoqué plus tard à propos du logement en foyer des travailleurs migrants [2]. A partir de juillet 1945, le nombre de détenus va être progressivement réduit. En 1946, un seul camp d’internement est censé exister par région où seuls quelques ressortissants étrangers restent internés.
Les paradoxes d’une « colonie algérienne »
Mis en sommeil durant quelques années en France métropolitaine avec la fermeture de la plupart des centres de séjour surveillé, l’internement administratif collectif va retrouver une application de grande ampleur avec la guerre d’indépendance en Algérie. La politique de lutte contre la rébellion algérienne en métropole est véritablement mise en place à partir de 1957 lorsque les services de police se plaignent du décalage entre les moyens de répression dont ils peuvent user et ceux dont disposent les autorités en Algérie.
En effet, la politique dite des « pouvoirs spéciaux » de 1956 n’est effective que dans les départements algériens, dans lesquels plusieurs camps de répression sont déjà en fonctionnement. Le ministère de l’intérieur obtient finalement, avec la loi du 26 juillet 1957 puis l’ordonnance du 8 octobre 1958 la possibilité de recourir à l’internement administratif [3]. Plusieurs centres d’assignation à résidence surveillée sont créés pour des Algériens suspectés d’être membres du FLN. Leurs modalités de fonctionnement présentent de nombreux points communs avec les centres de l’Épuration. Mais certaines caractéristiques diffèrent profondément, notamment l’aspect de guerre politique et psychologique menée dans le camp.
Les camps sont installés par le ministère de l’intérieur dans des sites militaires à Larzac (Aveyron), Vadenay (Marne), Thol (Ain), Saint-Maurice l’Ardoise (Gard) et Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) qui forment un dispositif qui concernera près de 14 000 Algériens au total. Des prisons centrales (Tulle, Lyon, Marseille, Remiremont, Annecy, Rion) et un centre d’identification (Vincennes) complètent le système répressif qui se traduit par plus de 44 000 arrestations. Contrairement aux périodes précédentes, ces camps sont créés en petit nombre et sont exclusivement installés dans des sites militaires. Le plus important est le camp de Larzac dans l’Aveyron, à la fois par sa taille (plus de 3000 hectares, près de 4 000 assignés et plusieurs centaines de membres du personnel, garde comprise) et par sa place dans l’organisation centrale de l’internement au plan national.
Si cette organisation apparaît plus opérationnelle qu’auparavant, les problématiques logistiques auxquelles sont confrontées les autorités gestionnaires des camps sont les mêmes que pour les CSS. Les moyens financiers et de fonctionnement sont insuffisants et, comme ses prédécesseurs gestionnaires de camp, le directeur de celui du Larzac ne cesse de se plaindre des difficultés de recrutement et du manque de compétence du personnel.
Les fortes rivalités entre services de police, CRS et armée, compliquent la gestion. Les contraintes pour faire vivre des milliers de militants politiques dans un espace réduit et peu adapté sont considérables. Il est en effet indispensable de veiller à l’alimentation et à la santé des assignés. Une épidémie de grippe à Larzac durant l’hiver 1959- 1960 touche plus de 600 internés mais aussi plus de 30 % du personnel. L’antenne sanitaire qui y est implantée assure environ 40 000 consultations par an. Il faut surveiller le camp et ses abords, et cela mobilise plusieurs compagnies de CRS. Il est surtout indispensable d’éviter la reconstitution trop rapide d’une organisation FLN au sein de la population du camp.
Car, à l’instar des camps de miliciens espagnols des années 1939- 1940, ces espaces d’assignation visent des militants politiques en lutte ouverte contre l’administration. Les assignés refusent de se plier à la discipline militaire et multiplient les actions de contestation, les refus de soin, les grèves de la faim, les revendications politiques et les plaintes contre les gardes, etc. Pour faire face à cette mobilisation permanente et structurée des assignés, les autorités mènent une guerre psychologique et matérielle intense, fouilles systématiques, interrogatoires poussés par les antennes des renseignements généraux, « retournement » des internés, cloisonnements stricts du camp entre différentes factions, transfèrements d’assignés vers d’autres camps ou vers l’Algérie. A la différence d’autres camps, ceux de la période algérienne constituent une réponse politique et stratégique à une guerre. Ils servent concrètement à mettre hors d’état de nuire des « rebelles » traités comme des criminels de droit commun.
L’instrument central de gestion du centre est le règlement intérieur qui précise l’organisation et la discipline. Il s’inspire largement du caractère militaire de ceux établis pour les périodes précédentes. Une nouveauté d’importance doit néanmoins être relevée. « Les internés ne sont pas astreints au travail, ils doivent observer les règles élémentaires d’hygiène et de décence, nettoyer les locaux qu’ils occupent », précise le règlement intérieur. L’hygiénisme reste présent dans le règlement mais le travail forcé en disparaît. C’est un changement radical par rapport à la tradition de l’assignation à résidence et de l’internement administratif qui ont longtemps été liés avec l’idée d’une réparation par le travail d’un prétendu préjudice causé à la collectivité par les « indésirables » ou les « bouches inutiles ».
Autre particularité significative due à la force collective que représentent les assignés, l’administration du camp se voit contrainte, faute de moyens en personnel suffisant, de « déléguer » une part considérable de la gestion quotidienne du camp à l’organisation FLN des centres. C’est le cas pour la « cantine » et pour le courrier comme traditionnellement dans les camps de militants politiques. Mais, et c’est plus surprenant, cette « orga » parallèle se voit confier officieusement une part de la discipline et de la justice internes assurées par un corps de près de 200 « vigilants » issus des rangs des internés chapeautés par un « tribunal suprême ».
Le camp devient ainsi un espace original dans lequel se développent luttes, contestations et collaborations entre les internés et les autorités du camp. Le directeur du camp de Larzac évoque, en 1959, « un monstre à petite tête et à grand corps, un diplodocus lourd à conduire » et, en 1961, peu avant la libération des internés, il considère qu’en voulant « éliminer des individus suspects, on a institué un séminaire FLN, une colonie de l’Algérie libre ».
A partir de 1961, des militants OAS prennent la place des militants FLN dans ces mêmes camps et cela jusqu’en 1963. La discipline est légèrement adoucie. Enfin, ces camps perdront leur caractère strictement disciplinaire pour accueillir des « réfugiés » en particulier des Harkis. Une partie du personnel de gestion sociale des CARS sera par ailleurs embauchée par des opérateurs de logement social spécialisés dans l’accueil des migrants.
Camps de transit humanitaire
Dès l’été 1945, les pouvoirs publics utilisent des formes de camps de transit pour gérer certains mouvements de populations. Il ne s’agit plus seulement de faire face, dans l’urgence, à un problème d’ordre public mais bien aussi d’un moyen efficace et reconnu de planifier et d’organiser le contrôle des flux de populations « à risque ». C’est le cas avec le rapatriement des réfugiés civils nord-africains depuis la métropole, « sujets sensibles » après les révoltes du mois de mai en Algérie.
Le camp de transit dit du Grand Arénas, dans le quartier de Mazargues à Marseille [4], en activité depuis les années 1930, est très représentatif des camps de cette époque. Il est affecté dans les années 1950 à l’accueil de déportés « apatrides » qui veulent gagner Israël puis de juifs d’Afrique du Nord quittant le Maroc et la Tunisie pour se rendre aussi en Israël. Si le camp est officiellement placé sous la responsabilité du commissaire principal du secteur portuaire, les réfugiés sont concrètement « accueillis par l’Agence juive en attendant leur départ pour Israël ».
Le Gouvernement provisoire hérite aussi de camps bien « encombrants ». Certains des camps de travail qui accueillent, depuis 1939, environ 20 000 Vietnamiens et Chinois, travailleurs « requis » pour des travaux en métropole, existent encore au moment de la Libération. A Marseille (déjà à Mazargues en 1939), Agde, Bergerac, Montauban, Oissel, Roanne, St Florentin dans l’Yonne, Sorgue dans le Vaucluse, Toulouse et Vénissieux sont placées dans des casernements fermés ces Compagnies de la main-d’œuvre indochinoise ; les derniers fermeront près de dix ans après leur ouverture comme par exemple dans la région de Toulouse. Beaucoup de travailleurs ont été employés par la Société des poudres (SNPE) à des travaux harassants et dangereux. Leur gestion est si autonome, leur mise à l’écart si implacable, la discipline si militaire, que ces travailleurs « non spécialisés » sont quelquefois oubliés sur place après la guerre sans que les autorités du ministère du travail ne veuillent prendre de décision pour leur rapatriement. Cette situation durera, pour certains, jusqu’en 1948, le retour prenant une forme de « déportation politique ».
Dans le même ordre d’idée, on peut évoquer les camps de nomades ouverts en 1940 par la IIIe République, et dans certains desquels restent encore des familles en décembre 1945 (Jargeau dans le Loiret notamment). En effet, ni la loi de 1912 ni les décrets de novembre 1939 et d’avril 1940 interdisant la circulation des nomades ne sont abrogés après la guerre (ce dernier le sera en mai 1946). Et, les préfets restant très méfiants à leur encontre, des nomades continuent d’être arrêtés. Ces différents centres ont en commun les conditions de vie misérables et la dépendance presque totale envers les autorités gestionnaires, qu’elles soient publiques ou associatives, en raison de la coupure instaurée avec le monde extérieur.
Progressivement, les centres d’accueil vont se structurer et perdre en partie leur caractère répressif. Les centres d’accueil des Français d’Indochine (CAFI) vont être créés à partir de 1954 et annoncent les centres d’accueil des rapatriés d’Algérie (CARA) pour les Harkis et leur famille de 1962. Le cas de ces 42 500 Harkis est significatif. Les lieux choisis pour installer ces familles algériennes et françaises à la fois reflètent bien le sentiment de malaise qu’elles provoquent. Le Larzac, vide des militants internés, accueille plus de 12 000 d’entre eux dans des tentes.
Tentes dans le camp de Sangatte
D’autres anciens camps de Juifs et d’Espagnols, comme Rivesaltes, Bias et Sainte-Livrade-sur-Lot, vont aussi servir de lieux d’accueil. Les conditions de vie y sont très difficiles et la gestion est désastreuse. Pourtant, la prise en charge de cette population va peu à peu se structurer. Une partie des familles est transférée dans des « cités familiales » gérées par la Sonacotra dont certaines existent encore. D’autres sont affectées dans des « hameaux forestiers » et sont employées par l’ONF à des travaux de sylviculture notamment. Les jeunes gens qui refusent ces conditions de vie sont malgré tout envoyés dans des camps disciplinaires dont celui de Saint-Maurice l’Ardoise.
Il faut également signaler les centres d’accueil de réfugiés hongrois entre 1957 et 1958 qui sont accueillis dans des conditions bien meilleures. Environ 9 000 personnes fuyant la Hongrie sont hébergées dans une quinzaine de centres en France, au Havre, à Montluçon, à Nancy ou encore à Strasbourg. Des organisations comme la Croix-Rouge et la Cimade en assurent la gestion alors qu’elles ne pouvaient intervenir que par des visites et des actions ponctuelles dans les camps précédents. Cette amélioration de la qualité de l’accueil ne tient pas qu’à un processus de « civilisation ». Les circonstances sont spécifiques parce que ces réfugiés sont perçus comme des victimes « légitimes ». L’émotion suscitée par l’invasion soviétique et l’employabilité des jeunes hongrois facilitent leur intégration.
On peut constater, au cours du XXe siècle une certaine humanisation des camps de réfugiés, jusqu’à l’institutionnalisation des centres provisoires d’hébergement et des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Ils marquent néanmoins une distinction entre ceux qu’il faut insérer et ceux qu’il faut éloigner. L’épisode de l’accueil, dans le camp militaire de Fréjus, des Kurdes de l’East Sea [5], mais aussi les solutions de logement d’urgence dans des CHRS et les foyers de travailleurs migrants pour les réfugiés Kosovars montrent que les circonstances exceptionnelles peuvent remettre en cause cette institutionnalisation.
Une solution considérée comme légitime
On peut ensuite repérer une tendance au perfectionnement des techniques et des techniciens de l’internement administratif, avant une courte disparition dans les années 1960 et sa réapparition discrète sous la forme « miniature » des centres de rétention administrative (Arenc en 1975 et encore quelques cas de militants politiques espagnols assignés à résidence avant 1981). Mais cette solution globale est toujours restée disponible dans les répertoires d’action du ministère de l’intérieur. Des centres sécurisés aux statuts variés sont d’ailleurs réapparus depuis quelques années en France et plus généralement dans l’Europe de Schengen ou à ses frontières. Les pouvoirs publics semblent considérer à nouveau que le camp, en l’occurrence de rétention ou d’éloignement, offre une solution avantageuse même si encore « améliorable », et surtout légitime dans le cadre du durcissement de la politique d’asile et d’immigration.
Dans la première moitié du XXe siècle, le modèle français du camp, caractérisé par l’influence coloniale, s’est institutionnalisé. Depuis lors, il a peu à peu perdu ses spécificités, entraîné dans un mouvement mondial de globalisation des techniques d’identification, de sécurisation et de mise à l’écart. Ce changement semble s’appliquer de deux manières. Quelques lieux de concentration spécifiques et spectaculaires (le centre de Sangatte, par exemple) médiatisent l’inhospitalité occidentale à destination notamment des pays des candidats au voyage.
Pour les autres, les plus nombreux, ils se « miniaturisent » et s’invisibilisent ou sont déplacés à la périphérie des « forteresses continentales ». Ce faisant, ils réduisent les contraintes et les coûts de gestion des populations indésirables et minimisent les risques de réaction des opinions publiques. Sur l’ensemble de la période contemporaine, il apparaît alors qu’on puisse parler de l’apparition d’un nouveau modèle de contrôle social. Le « Grand éloignement » objective une figure moderne de l’Etranger, celle du migrant du Sud, du réfugié économique non désiré et du déviant. ;
Notes
[1] Cette politique est basée sur un arrêté de mars 1944 largement inspiré des textes qui régissaient préalablement l’internement administratif.
[2] Alain Jeantet, « Les foyers en question », in Le logement des immigrés en France, G. ABOU-SADA et J.-P. TRICART (dir.), Lille, Ominor, 1982, pp. 179 à 204.
[3] Benjamin Stora, « La politique des camps d’internements », in L’Algérie des Français, prés. par C.-R. AGERON, Paris, Seuil, 1993, pp. 295 à
[4] Emile Temime et Nathalie Deguine, Le camp du Grand Arénas, Marseille, 1944-1966, Paris, Autrement, 2001.
[5] Dans la nuit du 17 au 18 février 2001, un cargo transportant plus de 9000 Kurdes fuyant leur province s’est échoué à Saint-Raphaël (Var). Les réfugiés ont été hébergés dans une caserne désaffectée de Fréjus.
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