Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »
Une amende peu honorable
Jean-Pierre Alaux
Nadjib Salihi, Afghan de 24 ans arrivé depuis quelques jours en France, pose au petit matin froid du 13 janvier 2005 un carton devant une cabine téléphonique des allées de Verdun à un jet de pierre de la Gare de l’Est à Paris. Il veut s’étendre dessus pour s’y reposer. Un bras mutilé par un obus à Kaboul, Nadjib est frigorifié. Vers 1 heure du matin, il avait quitté les cabines, près desquelles il survit à la rue en compagnie de plusieurs dizaines de ses compatriotes, pour se rendre à pied au centre de réception des étrangers de la préfecture de police. Il sait qu’il faut s’installer dès la nuit devant ses portes pour avoir une petite chance de réussir à y pénétrer de façon à pouvoir demander l’asile. Déjà, au cours des jours précédents, Nadjib avait fait plusieurs fois la queue en vain. Cette nuit-là, il était arrivé sur place vers 3 heures. Il y avait déjà tant de monde qu’après un moment d’hésitation, il avait dû renoncer.
C’est ainsi que Nadjib est revenu sur ses pas, désabusé, transi, épuisé par plusieurs heures de marche. Il est 7 h 30. A peine a-t-il posé son carton sur le sol qu’un policier en uniforme le déloge et, sans hésitation, verbalise : « Camping sauvage sur la voie publique », écrit-il sur l’avis de contravention. Puis, par conscience professionnelle, il ajoute : « Sur trottoir, devant accès à une cabine téléphonique, au moyen de cartons, matelas, couvertures... ». Le dérisoire ajout du pluriel à l’unique carton et au misérable chiffon qui a tenu lieu de couverture, l’invention d’un matelas et l’addition de points de suspension en fin d’énumération font rire Nadjib quand on les lui traduit. « Ça n’fait rien, il y a des flics bien singuliers... », chantait Brassens [1].
Il n’y a pas de morale à cette histoire : le juge du tribunal de police auquel fut méchamment renvoyé Nadjib en raison de la gravité de sa faute n’a jamais donné signe de vie, privant ainsi l’État d’une légitime recette.
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