Édito extrait du Plein droit n° 101, juin 2014
« Le business de la migration »
Réforme du Ceseda : ça s’annonce mal
ÉDITO
Nous y voilà : le gouvernement s’apprête à déposer au Parlement deux nouveaux projets de loi : l’un sur l’asile [1], l’autre sur l’immigration [2]. Le second s’inspire pour partie du rapport rédigé par Matthias Fekl et remis en mai 2013 au précédent Premier ministre, que nous avions été amenés à commenter dans ces colonnes (cf. « Quel projet de loi ? », Plein droit n° 97). À l’époque, nous nous interrogions déjà sur l’intérêt qu’il y avait à créer un titre pluriannuel, alors que la carte de résident aurait pu largement remplir la fonction prétendument recherchée : mettre en place un droit au séjour stable et enrayer la précarisation qui le caractérise depuis de nombreuses années. Le projet actuel arrive trente ans après l’adoption, à l’unanimité, de la loi de 1984 portant création de la carte de résident. Il sera donc débattu dans un contexte particulier, alors que des centaines d’organisations ont signé un manifeste réclamant le retour à la lettre et à l’esprit de la loi du 17 juillet 1984 qui prévoyait qu’un titre de séjour valable 10 ans et renouvelable automatiquement serait accordé « de plein droit » à celles et ceux qui ont vocation à vivre en France (cf. « Soyons réalistes, demandons la lune ! », Plein droit n° 100). C’est cette voix-là que nos organisations souhaitent faire entendre [3].
La réforme à venir ne se borne pas à créer un titre pluriannuel. Et, dans cet ensemble disparate de mesures, il est difficile de discerner ce qui pourrait permettre de le qualifier de réforme « de gauche ». Ainsi le contenu de ce projet reste-t-il marqué par l’obsession de la lutte contre l’immigration irrégulière et l’injonction à « l’intégration » et n’apporte pas de progrès substantiel sur le terrain des droits fondamentaux. Le gouvernement, loin de revenir sur le dispositif du contrat d’accueil et d’intégration entend ainsi conserver et même renforcer l’articulation, que nous avons mainte fois dénoncée, entre le suivi du contrat – censé mettre en oeuvre « un parcours individualisé » – et la délivrance d’un titre de séjour. L’octroi d’une carte pluriannuelle sera soumis à une exigence d’assiduité aux formations prescrites en langue et en droit civique, la délivrance d’une carte de résident supposera d’avoir atteint un certain niveau de maîtrise de la langue française.
La mesure phare du projet est la création d’une carte pluriannuelle valable en principe quatre ans ; elle sera délivrée de façon automatique à celles et ceux qui ont obtenu une carte de séjour temporaire d’un an ou un visa valant titre de séjour, mais elle pourra leur être retirée s’ils ne satisfont plus aux conditions de sa délivrance : ce qui implique donc un contrôle permanent sur les titulaires de cette carte. Au bout de cinq ans de séjour (1 + 4), les personnes concernées pourront obtenir une carte de résident, voire par la suite un titre à validité permanente. Toutefois, il n’y a plus ici d’automaticité et il appartiendra aux préfectures, comme c’est le cas actuellement, de décider d’accorder ou non ces titres.
Le gouvernement prévoit également de revoir le dispositif sur les « talents étrangers ». Même si les mots changent, l’entreprise reste la même : promouvoir une immigration « choisie » tout en la contrôlant pour éviter que trop de personnes ne s’engouffrent dans le dispositif. Finies les cartes « chercheurscientifique », « salarié en mission », « carte bleue européenne » ou encore « compétences et talents » : celles et ceux que l’on désire attirer se verront remettre la même carte d’une durée maximale de quatre ans portant la mention « passeport talent ». En lisant de près le projet, on se demande combien de cartes de ce type seront réellement délivrées. Pour ne prendre qu’un exemple, le « passeport talent » serait accordé « à l’étranger dont la renommée internationale est établie, qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif ». Le projet tend ainsi à réduire le nombre de personnes qui pouvaient jusqu’alors prétendre à une carte « scientifique » ou « artiste », pour lesquelles la réglementation en vigueur n’exige pas « une renommée internationale établie ».
Le texte s’attaque enfin aux mesures d’éloignement et de privation de liberté visant les personnes étrangères en situation irrégulière. Est notamment prévue la possibilité de prononcer à l’encontre des ressortissants communautaires « une interdiction temporaire de circulation sur le territoire français » dès lors qu’ils auraient abusé de leur droit de circuler ou menacé l’ordre public. On voit bien quelle population est visée par cette nouveauté, en contradiction de prime abord avec les exigences du droit communautaire. D’autres dispositions peuvent à première vue séduire, comme la volonté affichée de promouvoir l’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention. Mais il ne suffit pas de l’affirmer pour infléchir les pratiques. Par ailleurs, et il s’agit d’une disposition qui ne manquera pas d’être largement commentée par les praticiens du droit des étrangers, dans la mouture actuelle du texte, il est prévu de revenir sur la répartition des rôles entre le juge administratif et le juge des libertés et de la détention. Ainsi le juge administratif, saisi d’un recours en annulation d’une décision de placement en rétention, serait-il seul compétent pour contrôler – si on le lui demande, bien sûr – la régularité des conditions de l’interpellation, de la retenue ou de la garde à vue. Le juge des libertés et de la détention verrait dès lors son champ d’intervention restreint à l’examen des garanties de représentation et aux conditions de la rétention. Ce transfert de compétences bouscule de front l’article 66 de la Constitution qui érige le juge judiciaire en gardien de la liberté individuelle et on peut donc douter qu’il soit maintenu dans le texte définitif. Il n’en est pas moins significatif d’une volonté de faire feu de tout bois pour accélérer les procédures d’éloignement.
Une réforme du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) s’imposait certes pour faire sortir la législation sur l’immigration de la logique policière dans laquelle elle est enfermée depuis de trop nombreuses années, au détriment des droits les plus élémentaires des étrangères et des étrangers installés en France. Mais le projet qu’on nous propose – comme, du reste, le projet sur l’asile qui mériterait hélas les mêmes commentaires désabusés – se situe dans l’exact prolongement des lois antérieures et ne peut en rien se prévaloir d’une vision « de gauche », soucieuse des droits fondamentaux.
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