Dégradation ou détérioration volontaire d’un bien, en l’espèce des affiches publicitaires (14 juin 2019)
- TGI de Montpellier, 14 juin 2019
Les personnes étaient prévenues pour avoir « dégradé ou détérioré volontairement un bien, en l’espèce des affiches publicitaires et des panneaux publicitaires, appartenant à JC Decaux, en ne causant qu’un dommage léger. »
Condamnation à payer collectivement 1773 euros de dommages et intérêts au groupe JC Decaux (qui avait porté plainte).
Un acte de "désobéissance civile"
Cécile fait partie de ces militants, elle ne s’attendait pas à une telle décision. "Je suis vraiment étonnée et très déçue", souffle-t-elle. "Je ne m’attendais pas forcément à ce qu’on soit relaxés, mais _quelque chose d’un petit peu symbolique. Je veux dire, les dommages qui sont causés à très grande échelle par Decaux, ils ne sont jamais sanctionnés (France bleue Hérault, 14 juin 2019, par Sophie Eychenne,
Témoignage
Le 16 juin 2017, à Montpellier, nous avons ouvert des panneaux publicitaires JCDecaux, sans les dégrader. Nous avons avons enlevé les affiches commerciales (en laissant les affiches de la Métropole, celles culturelles ou de santé publique) et les avons remplacées par des affiches (poèmes, dessins, slogans) de solidarité avec les personnes migrantes.
Quelques exemples de messages : "La solidarité comme le soleil n’a pas de frontière". "Aucun être humain n’est illégal". "L’asile est un droit. La publicité coûte abrutit, la solidarité enrichit".
Interpellé.e.s par une patrouille de la BAC, nous avons été conduit.e.s au poste de police pour un contrôle d’identité. Dans les jours qui ont suivi, JCDecaux a porté plainte avec à l’appui une série de photos correspondant à notre action... sauf trois qui sont mensongères, car elles sont présentées comme ayant été prises au même moment. Ces photos montrent un objet (un compteur ?) dont les fils ont été sectionnés. Contrairement aux autres clichés cadrés en plan large, où l’on reconnaît le matériel JCDecaux et les affiches remplacées, celui-ci est cadré en gros plan, sans qu’on puisse reconnaître s’il s’agit ou non d’un élément d’un panneau publicitaire.
Suite à la plainte de JCDecaux, et à la main courante des policiers de la BAC, une enquête a été ouverte. Lors de nos auditions, nous avons reconnu le remplacement des affiches (et récuser les photos montrant les câbles sectionnés.)
En janvier 2019, un courrier du tribunal nous convoque le 10 mai 2019 à 8h30 au Tribunal de Police de Montpellier (Place Pierre Flotte, salle Auguste Comte) : nous sommes « prévenus d’avoir à Montpellier dégradé ou détérioré volontairement un bien, en l’espèce des affiches publicitaires et des panneaux publicitaires, appartenant à JC Decaux, en ne causant qu’un dommage léger ».
Lors du procès nous assumerons cet acte de désobéissance civile qui croise 2 thématiques.
D’une part, comme une large partie de la population, nous désapprouvons la politique migratoire actuelle centrée de manière obsessionnelle sur la « maîtrise des flux », sans égard pour les droits fondamentaux des personnes migrantes. Cette politique conduit à criminaliser toujours plus les personnes à la recherche d’un avenir meilleur. Elle conduit à des humiliations quotidiennes, de la misère, des morts.
D’autre part, d’un point de vue écologique, comment ne pas faire le lien entre la surconsommation, la surproduction, les guerres pour les matières premières, le dérèglement climatique, la déstabilisation des écosystèmes et les migrations qui en découlent ? La publicité est le fer de lance d’une logique consumériste insoutenable.
La multiplication de panneaux publicitaires, souvent illégaux [1], constituent une agression et une tentative de manipulation à laquelle on ne peut se soustraire. Face à cette confiscation de l’espace public pour une exploitation consumériste, nous avons utilisé un droit de réponse sur le même support. En écrivant une vérité sur un mensonge, nous n’avons pas dégradé, nous avons « regradé ».
Par ailleurs, le préjudice de JCDecaux est dérisoire. Les affiches ont été remplacées rapidement. Les rentrées publicitaires [2] mettent en jeu des sommes si énormes comparées aux affiches soustraites à la vue des passants quelques heures, que le fait d’attaquer en justice pour cela ne laisse de surprendre.
D’un coté, les montants colossaux des recettes publicitaires [3] , de l’autre des moyens d’accueil indigents et une situation humanitaire déplorable pour nombre de personnes étrangères privées de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux : désobéissons pour inverser la logique.
Notes
[1] Que Choisir, avril 2002 – Un tiers des panneaux publicitaires sont illégaux - (cité par le Collectif des Déboulonneurs https://www.deboulonneurs.org/IMG/pdf/Argumentaire4p.pdf )
[2] Le chiffre d’affaire de JCDecaux, numéro un mondial de la « communication extérieure », s’élevait en 2017 à plus de 3 milliards d’euros selon LeFigaro.fr - http://bourse.lefigaro.fr/indices-actions/cours-jcdecaux-dec-fr0000077919-par/societe
[3] En 2018, les recettes nettes totales du marché publicitaire des médias s’élèvent à 14,4 milliards € - Baromètre Unifié du Marché Publicitaire - http://www.irep.asso.fr/_files/marche_publicitaire/communique-bump-marche-publicitaire-2018.pdf
Partager cette page ?